Criton – 1963-10-05 – Fait Historique irréversible

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Le Courrier d’Aix – 1963-10-05 – La Vie Internationale

 

Il est curieux, mais non surprenant, que des esprits ouverts comme Walter Lippmann ou des hommes d’Etat comme Dean Rusk, n’admettent pas que le conflit russo-chinois a changé profondément la nature des rapports internationaux, non seulement dans le présent, mais pour l’avenir. Sans doute, reconnaissent-ils que le fait est d’importance ; mais rien ne garantit que la situation ne puisse se retourner et que le Bloc oriental ne se ressoude, pour peu que les hommes au pouvoir changent.

Nous sommes d’avis contraire : le lent processus qui a amené la rupture n’est pas affaire de personnages. Il s’agit d’un fait historique irréversible pour deux raisons majeures – l’un géographique et stratégique : l’impérialisme chinois fort, sous peu, d’un milliard d’hommes presse les fragiles frontières d’un empire russe disparate et vulnérable ; l’autre, plus déterminant encore : la prise de conscience et l’antagonisme foncier des races de couleur contre l’homme blanc qui est devenu universel en Asie, comme en Afrique et dans les deux Amériques. Ajoutons que contrairement à ce que l’on pouvait attendre, la Chine de Pékin, malgré ses erreurs et ses échecs, parait surmonter les obstacles et disposer de ressources imprévues. Elle est active partout et ses échanges extérieurs se développent. Tandis que le Russe demeure, sous tous les régimes, imprévoyant, gaspilleur, inapte à l’organisation, les fourmis chinoises font leur chemin. La survie de l’empire russe dépend en définitive de ses relations avec l’Occident. L’Europe ne commence pas à l’Oural, mais à Vladivostok.

 

Les Chinois au Sin-Kiang

En attendant, la polémique entre les deux géants du communisme nous révèle, si besoin était, la brutalité avec laquelle les Chinois, après les Russes, traitent les minorités qu’ils oppriment. Si Staline a suivi les méthodes d’Yvan le Terrible, Mao adopte celles de Gengis Khan. Les Ouigours et les Musulmans du Turkestan chinois déportés, les villages rasés, les hommes condamnés aux travaux forcés, tout cela nous est raconté par la presse soviétique. On savait déjà ce qu’il en a été au Tibet. Le conflit n’est pas seulement de deux races ou de deux empires, mais de deux barbaries. Si un jour elles entrent en lutte ouverte, quelles horreurs ne verra-t-on pas ?

 

L’Achat de Blé Américain par l’U.R.S.S.

Encore un pas vers la coopération russo-américaine : la conclusion prochaine d’un achat de blé américain par les Soviets. Ceux-ci vendent leur or pour compenser le déficit béant de leur récolte. Le Canada et l’Australie ne peuvent suffire. Pour les Etats-Unis dont le stock de métal précieux fondait, l’occasion est tentante. Les silos vont se vider et le trésor de Fort-Knox se remplir. Beaucoup d’Américains ne voient pas sans inquiétude leur gouvernement apporter à l’ennemi d’hier cet appui. L’affaire de Cuba, l’installation des missiles russes dans l’Île ne date pas d’un an. Les événements vont plus vite que la pensée des masses. Mais il parait que les Soviets ont retiré la majeure partie de leurs troupes de Cuba. Par contre, les Chinois seraient vingt mille dans l’Île. Il n’est guère possible de vérifier. Ce qui est sûr, c’est que Castro n’a pas signé le traité de Moscou sur les expériences nucléaires. Il l’aurait fait s’il dépendait exclusivement des Russes. Sans doute juge-t-il l’appui soviétique précaire et le soutien des Chinois plus efficace pour exporter la révolution dans les Amériques.

 

L’Accord Hispano-Américain

Par ailleurs, la politique américaine ne chôme pas. Après de longues négociations, l’accord avec Franco sur les bases militaires des U.S.A. en Espagne est renouvelé. Non seulement l’aide des Etats-Unis est prorogée et augmentée, mais la défense de l’Espagne est couverte par le traité, ce qui n’était pas le cas jusqu’ici. Cela est une conséquence directe des difficultés franco-américaines. Les Etats-Unis commencent à liquider leurs bases en France et l’Espagne se trouve de facto incorporée à l’O.T.A.N. Il y a longtemps que nous l’avions fait prévoir.

 

L’Antagonisme Franco-Américain

En effet, bien que masqué par des silences et de bonnes paroles, l’antagonisme entre le Gouvernement français et l’Administration Kennedy s’approfondit. Il y a la « guerre du poulet » qui ne concerne pas directement la France seule, mais pratiquement servira de prétexte à de sévères restrictions à nos exportations aux U.S.A. Quelque chose de plus grave se dessine : Ben Bella a dit à mots couverts son intention de nationaliser les pétroles algériens. Les autorités françaises s’y attendent. A preuve que le Bureau de recherches du pétrole vient d’obtenir du Canada un permis d’exploration dans le Grand-Nord. La perte des pétroles algériens serait en effet pour notre balance commerciale une source de déficit grave. C’est grâce à leur apport qu’elle a pu être à peu près équilibrée.

Mais pour que Ben Bella puisse remplacer les Compagnies françaises et trouver d’autres débouchés, le bon vouloir des Américains est indispensable. Celles qui opèrent en France ont été irritées, ainsi que les Anglaises par les restrictions que notre Gouvernement a récemment apportées à leur capacité future de raffinage. Depuis, elles ont obtenu quelques apaisements, précisément parce que leur neutralité dans l’affaire algérienne doit être préservée. Mais en dehors de grosses sociétés, il y en a beaucoup de moindres aux Etats-Unis que le pétrole saharien peut tenter. Et il y a aussi les Italiens qui ont déjà traité avec Ben Bella pour l’édification d’une raffinerie. L’indépendance nationale est un bon thème de discours et d’un sûr effet démagogique, mais elle peut coûter cher.

Ajoutons que les intrigues du Gouvernement français  au Canada, l’appui aux séparatistes du Québec, indispose également les Américains et les Anglais, et malheureusement, ils ont plus d’un moyen de rétorsion. Dans l’ordre militaire, on ne risque plus grand-chose à relâcher l’Alliance Atlantique car le danger d’un conflit s’est bien éloigné ; par contre, dans l’ordre économique, les situations peuvent se renverser en un temps très bref et le créditeur devenir débiteur presque sans s’en apercevoir. C’est ce qui arrive actuellement à l’Italie. Rien ne nous garantit d’un même sort.

 

Soekarno et la Malayasie

L’affaire de la Malayasie continue de s’embrouiller. On ne s’attendait pas, et nous les premiers, à ce que l’opposition de Soekarno aille jusqu’à la menace ouverte de s’attaquer au nouvel Etat. Son audace est sans bornes. Il défie les Anglais, passe outre aux pressions, un peu tardives, des Américains et même conteste à U. Thant le droit de conformer les résultats de l’enquête faite par l’O.N.U. à la demande même du même Soekarno, au cours de laquelle les populations du Nord-Bornéo et du Sarawak ont approuvé à une grande majorité leur appartenance à la Malayasie. Le succès facile que Soekarno a obtenu en annexant la Nouvelle-Guinée hollandaise l’a sans doute convaincu que tous ses opposants étaient des tigres de papier. Les Chinois d’ailleurs le soutiennent sans réserve. Mais l’Australie s’est émue. Elle défendra la Malayasie par les armes s’il le faut ; les Anglais ne l’ont pas dit, mais suivraient sans doute. Gageons que Soekarno ne les provoquera pas. Sa brillante armée et sa flotte achetée aux Russes ne feraient peut-être pas brillante figure.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1963-09-28 – Le Conflit Frontalier Sino-Russe

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Le Courrier d’Aix – 1963-09-28 – La Vie Internationale

 

Le Conflit Frontalier Sino-Russe

La dernière épitre adressée à la Chine par le Kremlin confirme les indications que nous donnions samedi, sur le conflit aux frontières. Depuis un an, d’après Moscou, cinq mille harcèlements ont eu lieu pour s’emparer de secteurs déterminés du territoire soviétique. 60.000 réfugiés se sont enfuis du Sin-Kiang, en Mandchourie des engagements se sont produits entre gardes fluviaux sur le cours de l’Amour et de l’Oussouri et la note russe se termine par la menace de recourir à la force si ces accrochages devaient se poursuivre. Quelques-uns de ces incidents étaient connus mais leur ampleur, que la note russe révèle, montre que les Chinois cherchent délibérément à tenir en état d’alerte les forces russes le long des immenses confins encore mal délimités qui séparent la Chine de l’U.R.S.S. Il va donc falloir envoyer là-bas des forces considérables, et la politique de détente du Kremlin à l’égard de l’Occident n’a pas besoin d’autre explication.

 

L’Objectif Chinois

Les Chinois contraignent Krouchtchev à une «révision déchirante » de sa politique internationale et de sa stratégie militaire. L’objectif est clair : compromettre l’U.R.S.S. en l’accusant de complicité avec les « impérialistes », et la rendre suspecte aux yeux du Tiers-Monde, l’obliger à dégarnir les pays satellites européens de ses forces d’occupation et donner par-là même plus de liberté et d’audace aux courants « révisionnistes » et nationalistes dans ces Etats, bref, affaiblir la Russie dans l’ordre politique, idéologique et militaire à un moment déjà difficile pour elle.

 

La Pénurie de Pain à Moscou

Le Kremlin a réagi à cette provocation chinoise de façon diverse qu’il convient d’étudier attentivement. Il y a d’abord l’affaire du pain. Comment expliquer cette pénurie soudaine au moment où la soudure est faite avec la récolte qui vient d’être rentrée. Si le pain manque à Moscou, c’est parce qu’il est bon marché. Après les relèvements récents du prix de la viande et des produits laitiers qui ont soulevé le mécontentement des populations, Krouchtchev n’a pas osé le faire pour cet aliment de base des Russes. Il s’est trouvé que le pain est moins cher que le fourrage et kolkhoziens et ouvriers qui ont un peu de bétail en propre en ont profité pour le nourrir de pain. D’où les abus et gaspillages scandaleux qui ont contraint le gouvernement à restreindre les livraisons ; le marché noir s’est développé à mesure que la population prenait peur. Impuissants à le contrôler, les Soviets ont décidé des achats massifs au Canada et en Australie. Les contrats sont encore plus considérables que nous l’avions dit. Ils portent sur plus de 500 millions de dollars. Il se pourrait aussi que les Russes aient voulu par-là accaparer les disponibilités mondiales, tout de même limitées pour empêcher les Chinois qui en ont grand besoin, de les acquérir et aggraver du même coup la pénurie alimentaire en Chine. C’est de bonne guerre.

 

Les Intrigues avec Formose

Autre moyen de pression, les intrigues russo-américaines à Formose révélées par les voyages à Moscou et à Washington du fils de Tchang Kaï Chek, le général Chiang-Ching-Kuo. Une partie des forces militaires chinoises va devoir se porter dans les régions où opèrent les guérillas nationalistes, ce qui les détournera des frontières sibériennes et du Turkestan et aussi des frontières de l’Inde et même du Laos et du Vietnam.

Là encore, Russes et Américains agissent de concert, leurs intérêts coïncidant : empêcher les Chinois de s’emparer des richesses de l’Asie du Sud et du Sud-Est. Les Américains qui ont déjà le Vietnam sur les bras, craignent d’être obligés de défendre les frontières de l’Inde en cas d’attaque chinoise massive, et les Russes d’avoir à prendre parti pour Nehru contre Pékin.

 

La Défense Idéologique

Dans l’ordre idéologique, les Russes sont sur la défensive et leurs arguments sont faibles. Le communisme est d’essence révolutionnaire et toute entente avec les capitalistes, si limitée qu’elle soit, fait figure de trahison. Et puis il y a l’argument racial : les Blancs, qu’ils soient russes ou américains s’entendent contre les peuples de couleur, les riches contre les pauvres, les opprimés contre les oppresseurs. Aucune dialectique ne peut prévaloir contre cela.

 

La Défense du Communisme en Europe Centrale

Mais l’essentiel est d’ordre politique : il s’agit pour Moscou d’empêcher les satellites européens de profiter du conflit avec la Chine pour se débarrasser du communisme. Si Krouchtchev s’est réconcilié avec Tito, c’est pour limiter les dégâts et offrir aux Satellites une voie moyenne, l’exemple d’un communisme plus libéral que le modèle russe, mais qui demeure dans la ligne du marxisme-léninisme. Car le « révisionnisme » relève la tête comme ils disent, particulièrement en Hongrie, en Roumanie et en Pologne, et cela pourrait mener loin.

Le journal officiel hongrois signale en particulier que des orateurs dans un débat public ont critiqué les idées de Lénine et se sont prononcés pour le « dépassement du marxisme ». On aurait même parlé de la supériorité de l’idéologie bourgeoise. Kadar en effet s’est efforcé de créer une sorte d’union nationale pour tenter d’associer les éléments non-communistes au relèvement du pays et de mettre fin à l’isolement du Parti en le réconciliant avec les masses. Mais la tentative n’a que trop réussi et l’esprit de compromis et une certaine tolérance risquent de dégénérer en opposition ouverte.

 

La Crise Tchécoslovaque

D’autre part, la crise qui couvait depuis longtemps en Tchécoslovaquie vient d’éclater. Shiroki, le Premier Ministre est démis de ses fonctions avec six autres. C’est un slovaque, Lenart qui le remplace. En fait, Shiroki était déjà le bouc émissaire désigné, mais en réalité c’est Novotny qui est visé. Il se débarrasse des hommes les plus impopulaires pour tenter de sauver son pouvoir, mais la crise est si profonde que là aussi, on ne sait où cela mènera le Parti.

La meilleure chance pour se tirer d’embarras, pour les Russes, c’est une entente avec les sociaux-démocrates européens d’au-delà le rideau de fer. On a invité Harold Wilson, le futur Premier anglais à Moscou, Guy Mollet à son tour va s’y rendre en visite officielle. Krouchtchev espère voir bientôt ces personnages prendre le pouvoir. Nous ne serions pas étonnés si, après eux, Willy Brandt pour l’Allemagne et Saragat pour l’Italie, l’un et l’autre candidat à la Présidence du Conseil de leur pays, étaient invités à Moscou. Avec la Social-Démocratie au pouvoir en Europe libre, on pourrait sans crise grave orienter les pays satellites vers une forme d’union nationale socialiste plus ou moins analogue au régime titiste, avec lequel les Sociaux-démocrates pourraient s’entendre. Une débâcle pourrait alors être évitée malgré le départ d’une grande partie des forces d’occupation, et les Russes tenir dans leur orbite l’Europe Centrale à l’abri d’un rideau de fer plus perméable. Tout cela n’est pas pour demain, mais Krouchtchev voit loin.

 

La Formation de la Malaysia

La formation de la Malaysia a été laborieuse. Ne pouvant s’y opposer, Soekarno s’en est pris à l’Angleterre : l’ambassade britannique à Djakarta a été saccagée, les propriétés anglaises saisies, les ressortissants évacués. Ce coup d’audace n’aurait pu se produire sans une certaine passivité des Etats-Unis. La vieille rivalité entre Anglo-Saxons demeure latente, surtout quand le pétrole est en jeu, ce qui est le cas à Sumatra. Les Anglais ont dû se fâcher, car les Américains viennent de menacer Soekarno de réviser leur programme d’aide à l’Indonésie, si les incidents ne sont pas réprimés et les propriétés restituées. Mais les Anglais ne sont pas au bout de leurs peines dans cette région au croisement d’intérêts multiples et de convoitises aigues.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1963-09-21 – La Fin de l’Après-guerre

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Le Courrier d’Aix – 1963-09-21 – La Vie Internationale

 

La Fin de l’Après-Guerre

Au seuil de cet automne 63, on peut, sans risque d’erreur, clore un chapitre d’histoire, celui de l’après-guerre symbolisé par la guerre froide. La coopération russo-américaine a pris un caractère officiel depuis le Traité de Moscou sur les expériences nucléaires. La rupture sino-soviétique est aujourd’hui consacrée par l’attaque personnelle des Chinois contre Krouchtchev. Rien sans doute n’est définitif, dans le Monde communiste surtout. Mais il est certain que ce nouveau dispositif de l’échiquier mondial durera assez longtemps. D’abord, comme nous l’avons vu, parce qu’il est l’aboutissement d’une lente évolution avec sa succession d’avances et de reculs. Ensuite parce qu’il était inscrit dans l’ordre des choses et qu’on ne pouvait se tromper en l’annonçant. Comme toujours, le moment seul ne pouvait être prédit. Il est venu.

 

La Coopération Russo-Américaine et l’Esprit de Yalta

Rappelons d’abord que la coopération avec les Russes est demeurée l’objectif du Parti démocrate américain de Roosevelt à Kennedy. On a écrit sur la Conférence de Yalta de Février 1945 beaucoup d’appréciations fausses. Roosevelt alors voyait en plein lucidité dans la Russie, même déguisée en U.R.S.S., l’allié naturel avec lequel les Etats-Unis n’avaient jamais été en conflit. Par contre, l’amitié avec l’Angleterre s’accompagnait d’une méfiance vigilante ; l’impérialisme colonial britannique était à la fois dangereux pour la paix et en conflit permanent avec les intérêts américains, en particulier en Orient. La France : la première expérience gaulliste inspirait à Roosevelt une aversion que la seconde ne pourra dépasser dans l’esprit de Kennedy. Quant à l’Allemagne, on était alors sous le coup des atrocités nazies et rien de ce qui pouvait la rendre impuissante à l’avenir n’était trop sévère. Les traditions politiques sont solides. En 1963, l’attitude du démocrate Kennedy n’est pas éloignée de celle du Roosevelt de Yalta.

 

Les Craintes Allemandes

Adenauer ne s’y est pas trompé qui craint que l’entente russo-américaine ne se fasse aux dépens de l’Allemagne. On se doute bien que les Allemands comme tout le monde se moquent des plans de pacte de non-agression entre les deux Blocs ou d’inspection réciproque pour éviter les attaques surprises dont les diplomates recherchent les formules. La paix n’est pas menacée en Europe et ne risque pas de l’être de longtemps. Par contre, les Etats-Unis n’ont aucune objection au maintien du statu-quo en Europe, pourvu que les relations entre les deux camps s’humanisent, que le rideau de fer cesse d’être une porte de prison et soit seulement une frontière politique perméable aux échanges de tous ordres. Ils ne souhaitent nullement une réunification de l’Allemagne. Tout comme avec Roosevelt, ils s’accommodent de ce que les pays d’Europe centrale demeurent dans l’orbite russe pourvu qu’ils jouissent d’une certaine liberté dans les domaines culturels, religieux et économiques. Ils s’accommodent d’une Russie forte devenue par la force des choses, le rempart de l’Occident contre le péril jaune.

Malgré l’effacement de l’Empire britannique, les intérêts des Anglais dans leurs anciennes possessions subsistent, même là où ils n’ont plus aucun lien formel avec elles, comme en Afrique du Sud, le vieux préjugé anticolonial des Américains joue encore. On l’a vu au Congo ex-belge et hier encore pour la Rhodésie : la méfiance à l’égard des cousins britanniques n’a pas disparu. Pour ce qui est de la France, il n’est pas besoin d’insister. Seule la Russie ne gêne pas. Sans doute faut-il, comme autrefois, jouer serré avec elle et conserver l’arme au pied, pour se défendre de ses traîtrises, mais rien ne s’oppose plus à ce que les deux Grands garantissent conjointement la paix du monde.

 

Les Conséquences : Paix et Désarmement

Faut-il rappeler que ce nouvel état des relations internationales comporte des conséquences immenses que les hommes d’Etat n’ont pas encore mesurées. Le désarmement d’abord. Il demeure comme hier un mythe, sinon une farce. Voit-on la Russie désarmée qui a maintenant de 7 à 8.000 kilomètres de frontières à garder entre elle et la Chine ? Sans doute, il ne peut y avoir de conflit armé entre la Chine et l’U.R.S.S. mais des incidents aux frontières se produisent déjà chaque jour. Il faut que des confins de l’Altaï à ceux de la Corée du Nord – voyez la carte – des forces suffisantes puissent maîtriser un coup de force local. L’effort pour les Russes est énorme et s’ils parlent désarmement, c’est seulement pour réduire les garnisons en Pays satellites d’Europe et libérer en partie les trente ou quarante divisions stationnées en Allemagne de l’Est.

C’est là-dessus que vont porter les conversations Gromyko-Kennedy. Les Américains demanderont des contreparties et des garanties. Il semble que les Russes leur en ont déjà promis quelques-unes, si l’on en juge par la liberté de mouvement qu’ont les officiels américains en pays satellites : le plus difficile est d’obtenir un compromis pour l’Allemagne fédérale et Berlin, sans se mettre Bonn à dos. Ce sera peut-être long et difficile. On y viendra quand même.

 

Encore une mauvaise Récolte en U.R.S.S.

Les Russes d’ailleurs n’ont jamais été en posture aussi difficile, aussi bien diplomatique qu’économique. La faillite du collectivisme soviétique dépasse toujours nos prévisions qu’on taxait volontiers de pessimistes : la récolte de 1963 que de magnifiques photos dans les journaux présentaient si favorablement sera plus mauvaise que la précédente. Quoi qu’ils en disent maintenant, les conditions atmosphériques n’y sont pas pour grand-chose. Le pain manque à Moscou, même le pain noir, et l’on apprend que les Soviets vont acheter au Canada la bagatelle de onze millions de quintaux de blé. Le Gouvernement français va lui acheter comptant et un bon prix le blé vendu à crédit et à perte à la Hongrie et à la Chine. Le Canada ne suffira pas et les Etats-Unis lui passeront sous le manteau les céréales que les communistes ne peuvent décemment solliciter d’eux. Sans les excédents capitalistes, les collectivistes auraient quelque peu faim.

 

La Compétition en Algérie

Les Algériens, aussi, que les surplus américains et les subsides français nourrissent. Là encore, nous nous trouvons devant l’implacable enchaînement des faits. Au lendemain de l’abandon, on hésitait entre l’anarchie et la dictature. Pour l’heure, c’est la dictature qui l’emporte, et comme toujours et partout, son premier soin est de liquider le passé. Conséquence inéluctable : l’infiltration communiste comme en Egypte et à Cuba. Les Russes ne tenaient guère à entrer en jeu. Ils ont déjà Cuba sur les épaules et voudraient bien s’en délivrer si, comme ils les y invitent, Castro et Kennedy consentaient à s’entendre. Mais à Alger, les Chinois les ont devancés. Une abondante mission, une exposition chinoise à Alger et des promesses de toutes sortes. Krouchtchev n’a pu demeurer en reste et y va d’un prêt assez coquet : on parle d’une centaine de millions de dollars.

Le but de Ben Bella est clair : lorsque les subsides français cesseront, nationaliser les pétroles sahariens et se débarrasser définitivement de notre présence. Il faut pour cela que la quête soit fructueuse et il n’est pas trop d’y associer les U.S.A., l’U.R.S.S. et la Chine, en jouant de leurs rivalités comme l’ami Nasser, encore que malgré son astuce, celui-ci ne soit pas en brillante posture. Au Sud-Vietnam, comme prévu, Diem et les Nhu tiennent bon. Les Américains aussi. Et pourtant on leur offrait une brillante perspective : les Accords d’Evian, naturellement.

 

                                                                                            CRITON

 

 

 

Criton – 1963-09-14 – L’Histoire de 1956

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Le Courrier d’Aix – 1963-09-14 – La Vie Internationale

 

La Polémique Russo-Chinoise

La polémique russo-chinoise s’accentue, et ce sont les Chinois qui déversent sur Krouchtchev des tombereaux d’injures en de longs articles où sont révélés de prétendus secrets sur les événements d’octobre-novembre 1956. Confrontant leurs déclarations avec les articles que nous publiions alors, il ressort que Pékin ne dit pas la vérité et que les commentateurs occidentaux, eux aussi, s’y perdent. Revenons donc sur ce point d’histoire capital dans les relations entre pays communistes.

 

L’Histoire de 1956

Devant le désarroi provoqué chez les Russes par les émeutes de Poznań et la révolution hongroise, les Chinois s’empressèrent de tenter d’en tirer profit : l’affaiblissement de l’U.R.S.S. au cas où elle aurait dû capituler devant l’émeute, avait pour les Chinois un double avantage : leur donner une position dominante dans le mouvement et obtenir des Russes, en échange de leur appui, des avantages substantiels parmi lesquels la participation aux secrets atomiques. Ils commencèrent donc, avant que les Soviets n’aient envoyé leurs tanks à Budapest, par soutenir les « justes revendications des peuples hongrois et polonais » et accuser l’U.R.S.S. de faire preuve de « chauvinisme » en cherchant à les opprimer. Ils se déclaraient même solidaires avec Tito qui n’était pas le renégat d’aujourd’hui, qui soutenait les Hongrois et croyait le moment venu d’établir à son profit une fédération des pays d’Europe Centrale (on sait que Krouchtchev l’avait fait venir sur les bords de la Mer Noire, peu avant les événements pour le circonvenir).

Les Soviets négocièrent en toute hâte avec les Chinois, et sitôt que la révolte hongroise fut écrasée, Pékin changea d’attitude et approuva la répression. Il est donc faux, comme ils le prétendent aujourd’hui qu’ils aient empêché les Russes de capituler devant la révolte. C’est exactement le contraire. Quant à Krouchtchev, on ne sait s’il a hésité à employer la force ou s’il a, pendant les trois jours décisifs, fait croire aux révoltés qu’il retirait ses troupes pour mieux repérer et arrêter ensuite, comme il l’a fait après, les instigateurs de la révolution. Quoi qu’il en soit, Chou en Laï, tout en abandonnant les Hongrois, continuait à intriguer à Varsovie où il fit deux voyages, et à accuser les Russes de « chauvinisme ».

De nouvelles négociations russo-chinoises eurent lieu et c’est alors que Krouchtchev promit la bombe aux Chinois pour qu’ils cessent de se mêler de ses relations avec ses satellites. Ce n’était qu’une feinte et Krouchtchev, les choses rentrées dans l’ordre, renia ses engagements. Il avait fait de même avec Tito. Après avoir promis de libérer Nagy réfugié à l’Ambassade de Yougoslavie, il le fit arrêter et plus tard exécuter. Ce fut la fin de la réconciliation russo-yougoslave. Dans cet assaut de fourberies, Krouchtchev avait joué au plus fin. La vengeance est un plat qui se mange froid. Les Chinois le prouvent aujourd’hui.

 

Les Incidents de Sin-Kiang

Quant aux révélations chinoises sur leur conflit avec les Russes au Sin-Kiang, nos lecteurs en ont eu connaissance à l’époque. Ce qu’ils omettent de dire, c’est que les Russes ont cherché là, et semble-t-il avec succès, à désorganiser la production pétrolière vitale pour la Chine qui manque de carburant liquide que les Soviets refusent par ailleurs de leur livrer.

 

L’Affaire du Vietnam

Il faudrait consacrer un long article à démêler le chassé-croisé d’intrigues qui se nouent et se dénouent au Sud-Vietnam et encore n’arriverions-nous pas à les tirer au clair. Notons seulement ce qui paraît assuré : les Américains, avant l’arrivée à Saïgon de l’ambassadeur Cabot Lodge, ont tenté de renverser Diem et de lui substituer une dictature militaire flanquée, si possible, d’une représentation d’apparence démocratique. Le coup a échoué, Diem et son clan ont repris le dessus et il semble même que l’intervention intempestive de la France ait rallié autour de lui tous ceux qu’effraye une solution neutraliste du genre laotien. L’opposition subsiste et même les manifestations hostiles, mais du côté bouddhistes comme du côté militaire, Diem a neutralisé la révolte, pour le moment du moins, et la lutte contre le Viêt-Cong continue et même s’amplifie. Faute de solution de rechange, les Américains chercheront à démocratiser le régime ou tout au moins à lui donner une physionomie nouvelle. Il faudra beaucoup de patience et de dollars.

 

La Mort de Robert Schuman

La mort de Robert Schuman, les nombreux hommages rendus à sa personne et à son œuvre, ont montré combien l’espoir d’une Europe unie demeurait vivant malgré les déceptions récentes. Ce rassemblement de personnalités éminentes autour de son cercueil avait quelque chose d’une protestation solennelle contre ceux qui y font obstacle. Dans ce rêve d’une autorité supranationale se substituant par étapes aux égoïsmes nationaux, il y a plus qu’une conception politique ; Schuman et ses amis y voyaient le moyen de promouvoir une ère nouvelle dans les relations humaines. Si loin qu’on soit du but, la volonté d’y tendre demeure. Malheureusement, on avait autour de 1950, sous-estimé les forces contraires. Le développement progressif des institutions internationales n’a été en fait que la prolifération de bureaucraties où les divergences s’affrontent plutôt qu’elles ne s’effacent. Ces bureaucraties, si inopérantes qu’elles soient, ont leur mérite : grâce à leur solidité, elles résistent aux courants adverses et se retrouveront intactes quand des temps meilleurs leur rendront la vie.

 

La Poussée des Nationalismes

Pour l’heure, nous assistons à une poussée de nationalismes de plus en plus arrogants, qui par contagion s’étendent comme une épidémie à l’ensemble de la planète. Ils ne semblent pas encore arrivés au paroxysme des discordes raciales ou tribales, ou n’en trouve-t-on pas ? jusqu’à la paisible Suisse, où le terrorisme s’est récemment manifesté dans la vieille querelle entre le groupe ethnique Jurassien et le Canton de Berne. Terrorisme aussi en Haut-Adige mené par les groupes germanophones contre les autorités italiennes. En Belgique, entre Flamands et Wallons, les échauffourées se succèdent à intervalle. Même par-delà le rideau de fer, les antagonismes se font jour malgré la rudesse du pouvoir, entre Slovaques et Tchèques, par exemple. Ne parlons pas du Monde arabe, où au Maghreb même, Algériens et Marocains sont aux prises dans la région d’Oujda. Irakiens et Kurdes se battent en Moyen-Orient. En Afrique noire, les coups d’Etat appuyés par les rivalités tribales, menacent à peu près tous les gouvernements. Quant au racisme, l’agitation noire aux Etats-Unis est loin de s’apaiser. On se demande même si l’action du gouvernement Kennedy, si louable en soi, ne contribuera pas à l’aggraver.

Les accords plus apparents que réels entre Etats, ne subsistent souvent que par la lutte plus ou moins verbale contre un ennemi commun, Israël pour les Arabes, le Portugal et l’Afrique du Sud pour les Africains. L’ironie du sort veut que ce soit précisément contre le seul Etat où la coexistence raciale est relativement harmonieuse, l’empire africain portugais que tous les nationalismes de couleur se déchaînent. Mais, comme on le voit, Blancs et Gens de Couleur participent dans la même cruelle intransigeance aveugle si contraire à l’idéal comme à l’intérêt de l’humanité.

 

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Criton – 1963-09-07 – Le Voyage de Krouchtchev en Yougoslavie

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Le Courrier d’Aix – 1963-09-07 – La Vie Internationale

 

Le Voyage de Krouchtchev en Yougoslavie

Le long voyage de Krouchtchev en Yougoslavie n’a pas changé grand-chose aux relations entre les deux pays. L’accueil des populations fut plutôt réservé, les résultats politiques incertains. Tito a maintenu sa position neutraliste. Il ne s’associera pas au Comecon. Il ne se prêtera pas à la division du travail entre pays socialistes. Les divergences subsistent sur l’organisation industrielle. Seuls les échanges entre l’U.R.S.S. et la Yougoslavie seront accrus. C’est peu.

Krouchtchev ne pouvait pas espérer intégrer Belgrade dans le Bloc oriental européen. Il n’y tenait peut-être pas. Le but essentiel de sa visite était de marquer que dans la famille socialiste un pays pouvait suivre ses voies propres en vue d’objectifs communs, et que les méthodes de Tito étaient différentes mais non opposées à celles de l’U.R.S.S. Tito dont cette visite renforce le prestige, pourra proposer aux pays non engagés qui se défient des expériences sociales de l’U.R.S.S., et plus encore de la Chine, des formules plus souples de collectivisation. Et cela non seulement aux pays sous-développés mais aussi aux Partis ouvriers des pays capitalistes. Avec un programme moins révolutionnaire, ces partis frères peuvent se présenter comme réformistes, sortir de leur isolement et se rapprocher du pouvoir comme on le voit en Italie et peut-être le verra-t-on demain en France.

La réconciliation spectaculaire de Krouchtchev et de Tito doit surtout servir à détourner les marxistes de l’exemple chinois et même à s’écarter au besoin du modèle soviétique. Dans cette perspective, le voyage de Krouchtchev n’a pas été inutile.

 

L’Intervention du Général de Gaulle dans la Crise du Vietnam

L’intervention du Général de Gaulle dans la crise vietnamienne fait presque autant de bruit que la Conférence du 14 janvier. Comme alors, les réactions vont de la surprise à la critique et même à la colère aux Etats-Unis, ce qui se comprend. On s’interroge sur les motifs de cette déclaration. La France ne peut rien pour rétablir la concorde au Vietnam où personne du reste n’a pu réussir. Les sectes, les factions politiques, les rivalités individuelles sont plus nombreuses qu’ailleurs, même en Extrême-Orient. Les Bouddhistes qui sont actuellement les protagonistes de l’opposition ne représentent qu’en théorie la majorité de la population. En fait, ils sont encore moins nombreux que les catholiques. Les intellectuels qui les soutiennent se dresseraient contre eux, si, par impossible, ils prenaient le pouvoir.

Dans l’ordre politique, il n’y a qu’une alternative, Diem ou l’armée, et l’évolution actuelle montre que l’armée préfère encore Diem à tout autre. Les Américains qui attendaient d’un coup d’Etat militaire le moyen de se débarrasser de la famille Nu se sont ravisés.

Dans l’ordre national, il n’y a aussi qu’une alternative : la continuation de la lutte contre le Viêt-Cong avec l’armée américaine, ou l’installation du communisme à Saïgon après une période neutraliste comme au Laos. Qui peut croire qu’Ho Chi Ming se conformerait à quelque statut international ? Ce ne pourrait être qu’une transition vers la prise totale du pouvoir. Même s’il le voulait, d’ailleurs les Chinois ne le laisseraient pas faire. Au surplus, une telle solution, la neutralisation du pays, même si elle réussissait, serait préjudiciable aux intérêts économiques de la France encore considérables au Vietnam. L’exemple du Laos est là encore pour le montrer.

 

Les Motifs de cette Intervention

Il est impossible qu’à Paris on s’abuse sur des données aussi évidentes. Alors ? Il y a, bien sûr, le désir de rehausser le prestige français auprès des Vietnamiens exilés ou des partis opposés à la présence américaine là-bas. Mais il y a surtout dans l’intervention du Chef de l’Etat français des mobiles de politique intérieure : rien ne peut mieux désarmer l’opposition de gauche qu’un camouflet aux Américains, comme autrefois il suffisait d’être anticlérical pour rallier ses suffrages. Dans certains milieux, la haine du Yankee passe tout. Il suffit de lire une certaine presse française, jadis véhémente contre le pouvoir dit réactionnaire, pour voir sa complaisance actuelle et son hostilité encore latente se nuancer de discrète approbation. Pour la droite, par ailleurs, on ne ménage pas les apostrophes contre la tyrannie totalitaire des Soviets, ce qui ne manque pas non plus son effet. Mais les communistes s’en moquent bien, pourvu que les Anglo-Saxons soient tancés. Tout ce qui éloigne la France de l’Alliance Atlantique a infiniment plus de prix que quelques rudesses verbales auxquelles ils sont accoutumés.

Quoi qu’il en soit, cette intervention dirigée contre la présence américaine au Vietnam, si elle réjouit certains, a suscité dans la presse étrangère une mauvaise humeur générale. On n’est pas tendre pour notre politique et le renom même de la France en est atteint. Nos intérêts matériels ne manqueront pas d’en souffrir aussi. Aux Etats-Unis même, les réactions hostiles ne faciliteront pas les futures négociations qui tôt ou tard devront affronter les difficiles problèmes économiques qui divisent Européens et Anglo-Saxons. A Rome et à Bonn, l’irritation n’est pas moins vive.

 

Les Raisons des Etats-Unis pour continuer la Lutte

Pratiquement d’ailleurs, l’intervention française dans la crise du Vietnam ne changera rien. Les Etats-Unis sont engagés et le million de dollars quotidien qu’ils dépensent là-bas pèse plus lourd que des offres de collaboration purement diplomatique. Il y a plus : la guerre au Vietnam est pour les Etats-Unis un champ de manœuvre permanent où, au prix de pertes légères, l’armée américaine peut expérimenter ses méthodes de combat dans la seule forme de lutte armée concevable à l’âge atomique : la lutte contre la subversion, ce qu’on appelle des « feux de broussailles ». Cet entraînement est précieux. On y essaye des tactiques, des engins et aussi des moyens d’action psychologique et malgré de grosses difficultés et quelques revers locaux, les militaires américains ne désespèrent nullement du succès final comme le répète le chef du corps expéditionnaire le général Harkins.

 

L’Agonie du Marché Commun

Les espoirs d’unification européenne s’affaiblissent chaque jour. Nous n’avons jamais cru au succès permanent du Marché Commun, mais nous pensions que cette désagrégation, après une période d’euphorie due à l’expansion rapide de l’Europe, serait déterminée par son ralentissement, par la surproduction qu’entraînent tôt ou tard de trop rapides progrès. Or il n’en est rien. Alors qu’au printemps, on pouvait s’attendre à un affaissement de la conjoncture, que des signes évidents de mévente se manifestaient en Allemagne et même en France, ces derniers mois ont vu au contraire un redressement inattendu. Même en Angleterre, la conjoncture s’améliore et, sauf peut-être en Italie, pour des raisons politiques, la courbe reprend son ascension. Ce n’est donc pas sous l’effet d’une crise d’ordre économique que le Marché Commun se dissout. Ce n’est pas non plus pour des raisons de pure politique, bien que celle de la France y ait une large part, mais pour des raisons plus profondes. A mesure qu’ils se développent, les pays du Marché Commun – et ce sera encore plus vrai pour l’Angleterre si elle se redresse sensiblement – ont des structures économiques qui vont divergeant. Au lieu de devenir complémentaires, leurs économies se font de plus en plus concurrentes. Et il y a surtout l’obstacle agricole. Une Europe qui pourrait se suffire pour se nourrir ne le peut que  grâce à la France, et les économies des autres pays membres ne peuvent, sous peine de voir se restreindre leurs marchés d’exportation de façon grave, dépendre du seul apport agricole français. Tout ce qui peut demeurer du Marché Commun, c’est la libéralisation acquise des tarifs douaniers industriels, et même en ce domaine, rien n’est définitif, surtout si comme c’est le cas depuis janvier, une volonté d’obstruction sournoise travaille à le saper.

 

                                                                                            CRITON

 

 

 

Criton – 1963-08-24 – Les Inquiétudes Allemandes

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Le Courrier d’Aix – 1963-08-24 – La Vie Internationale

 

Comme on en avait l’impression, les Russes insistent pour de nouveaux accords. Les Américains se montrent ouverts, mais prudents ; le Pacte de non-agression entre les deux Alliances militaires soulevait trop d’objections ; le consentement de tous les membres de l’O.T.A.N. ne paraissant pas réalisable ; on s’entretiendra donc de l’établissement de postes d’inspection dans les deux Allemagnes pour prévenir une attaque surprise. L’idée avancée par les Etats-Unis a été reprise par les Soviets. Entre temps, les renseignements fournis par les satellites de l’espace à des fins scientifiques et météorologiques seront mis en commun. Des délégations de savants américains se rendent en Sibérie, des Russes en Californie. La collaboration s’étend.

 

Les Inquiétudes Allemandes

La France seule se tient à l’écart. L’Allemagne de Bonn, elle, s’efforce, tout en se conformant à la politique américaine, de faire valoir ses intérêts et de ne pas laisser les Anglo-Saxons en tête-à-tête avec les Russes régler les problèmes européens. Le gouvernement d’Adenauer a signé l’accord sur l’arrêt des expériences nucléaires, à condition qu’il soit reconnu qu’il est le seul représentant du peuple allemand. Ulbricht, de son côté, a signé mais seulement à Moscou, les Ambassadeurs de l’Allemagne fédérale l’ont fait dans les trois capitales. Les Russes n’ont élevé aucune objection. Ce qui inquiète Bonn, ce n’est pas la reconnaissance implicite de la zone russe comme Etat. Les Anglo-Saxons se sont engagés à ne l’admettre en aucun cas et leur parole n’avait pas besoin d’être réaffirmée. Mais d’accord en accord, on craint que l’état de fait se soit perpétué et la réunification de l’Allemagne impossible. C’est pourquoi le Gouvernement de Bonn entend que, si des postes d’inspection fixe sont établis de part et d’autre du rideau de fer, ces installations ne soient pas limitées à l’Allemagne, mais étendus à toute l’Europe centrale et occidentale.

 

Les Vues de Kennedy

Les vues de Kennedy ne sont pas opposées, mais différentes. La réunification de l’Allemagne n’est pas pour lui un problème actuel et ne peut être remis sur le tapis au point où en sont les négociations avec les Russes, ce serait les compromettre. Ce qui importe aux Américains, c’est de pénétrer de toutes manières possibles par-delà le rideau de fer : tractations financières et commerciales, échanges de savants, d’hommes d’affaires, de touristes, postes d’observation militaires, coopération de techniciens de l’espace, tout est bon pourvu que la présence des Etats-Unis se fasse sentir. Le reste n’est que prétexte et l’on tournera encore autour du désarmement, sans la moindre intention d’y procéder, cela tout en multipliant les propositions, c’est-à-dire celles que l’adversaire ne peut accepter, comme en dernier lieu, la remise des stocks d’uranium à un organisme international chargé de son utilisation pacifique. Les Russes souhaiteraient bien réduire leurs effectifs en Europe pour mieux surveiller la Chine, mais les Américains ne veulent pas réduire les leurs, ce qui pourrait paraître le début d’un retrait final.

 

La Polémique Sino-Russe

L’antagonisme sino-russe s’affirme un peu plus chaque jour, la polémique est ininterrompue. Les Chinois ont levé un voile du mystère des relations passées entre les deux puissances : le 15 octobre 1957, un accord aurait été conclu entre Moscou et Pékin par lequel les Russes s’engageaient à fournir à la Chine un modèle de bombe atomique et les renseignements techniques pour la fabriquer. Le 20 juin 1959, le Gouvernement soviétique a refusé de s’exécuter. « Le but de celui-ci, dit la déclaration chinoise, en préconisant la non-prolifération nucléaire, n’est pas de s’enchaîner lui-même, mais d’enchainer les pays socialistes autres que lui-même ». Naturellement, les Chinois tiendront l’accord de Moscou pour nul.

 

Les Chinois et la Bombe H.

Ceux de nos lecteurs qui ont suivi ces chroniques n’ignoraient rien de l’obstination des Chinois à obtenir des Russes les secrets atomiques, sinon les dates précises fournies aujourd’hui par Pékin. En fait, l’histoire est plus ancienne. Elle a commencé dès l’automne 1956. Au moment de la révolte hongroise et des troubles de Varsovie, Krouchtchev était aux abois et les Chinois cherchèrent à en profiter. Nous avions remarqué alors que, contrairement aux prévisions, Chou en Laï ne s’était pas rangé aux côtés des Soviets. A mots plus ou moins couverts, il avait désapprouvé la répression russe. Il s’était même rendu en Pologne. Krouchtchev irrité et inquiet l’avait sommé de regagner Moscou, et les entretiens ne durent pas être très cordiaux. C’est à ce moment sans doute que le Chinois demanda, en échange de son appui, la communication des secrets atomiques. En effet, par une volte-face rapide, Pékin condamnait dès décembre, les mouvements nationalistes et soutenait l’action russe à Budapest. Les tractations furent longues puisqu’on nous apprend que l’accord final sur la bombe ne fut signé que six mois plus tard. De même entre cet accord et le refus de 1959, bien des accrochages se sont produits entre Mao et Krouchtchev. Il y eut en mai-juin 1958 les rencontres successives des deux hommes puis la polémique dite idéologique à propos des « communes du peuple » décidées alors par les Chinois. Le refus final des Russes était donc acquis, bien avant qu’il ne fut officiel. Les techniciens soviétiques étaient déjà partis.

 

La Chute de Fulbert Youlou

La chute de Fulbert Youlou au Congo-Brazzaville à la suite d’une émeute populaire, a jeté l’inquiétude parmi les roitelets d’Afrique. Il y avait déjà le précédent de Sylvanus Olympio au Togo, et l’arrestation de Mamadou Dia au Sénégal, mais c’était plutôt des règlements de comptes entre rivaux, qu’une révolte de la rue. Les causes cependant sont les mêmes. Partout ces nouveaux venus au pouvoir abusant de leur autorité pillaient les caisses de l’Etat à leur profit et menaient grand train grâce aux subsides de l’ex-colonisateur. D’aucuns, comme Sékou Touré, soupçonnent cette même puissance de n’être pas tout-à-fait étrangère à la chute de leur protégé. Il se peut.

Dans le cas de Youlou, il y a autre chose : on se souvient qu’il avait pris parti pour Tschombé dans ‘affaire du Katanga et plus récemment négocié avec Salazar pour un règlement pacifique du conflit des colonies portugaises. On disait qu’il avait des visées expansionnistes et probablement un protectorat plus ou moins déguisé de l’enclave portugaise de Cabinda près des bouches du Congo. Cela ne faisait pas l’affaire d’Aboula, son voisin de Léopoldville. Les relations entre les deux Congos n’avaient cessé d’être troublées. D’autre part, les communistes, toujours actifs dans la région, voyaient en Fulbert Youlou le représentant du néo-colonialisme au service du capitalisme européen. La misère des masses favorisait leur action. Au Congo comme ailleurs, le problème est de placer au gouvernement des hommes compétents et honnêtes à qui le pouvoir ne tourne pas la tête. Beaucoup de soubresauts sont à prévoir avant qu’on y parvienne.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1963-08-20 – Les Conséquences Politiques de la Rupture Russo-Chinoise

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Le Courrier d’Aix – 1963-08-10 – La Vie Internationale

 

Les Conséquences Politiques de la Rupture Russo-Chinoise

Tandis qu’à Moscou on célèbre le Traité signé avec Américains et Anglais, la rupture de l’U.R.S.S. avec la Chine passe du domaine idéologique au politique. Si les Etats-Unis se réjouissent à bon droit de faire reculer la menace atomique pour longtemps, ils s’inquiètent de voir désormais les deux impérialismes communistes s’engager sur des voies différentes et même hostiles. Car Pékin n’aura plus à compter avec Moscou, qui sera sans pouvoir pour freiner sa politique agressive, que ce soit à Formose, en Corée, en Inde ou au Viet-Nam. Déjà en attaquant les patrouilles américaines au-delà de la ligne de démarcation en Corée du Nord, les Chinois ont voulu marquer qu’ils ne se considéraient plus tenus à observer des accords auxquels l’O.N.U. et les Russes les avaient obligés de souscrire. Le cas échéant, il en sera de même ailleurs.

 

L’Inquiétude en Inde

En Inde, l’inquiétude grandit : On fait état de concentration de troupes chinoises au Tibet et sur la frontière du Nord-Est. Des notes menaçantes sont envoyées par Pékin à la Nouvelle-Delhi, et Nehru dont l’autorité et le prestige ont beaucoup baissé depuis les défaites de l’automne dernier, se rend compte que sa politique de neutralité n’est plus qu’une fiction. Si les Chinois franchissent de nouveau l’Himalaya, il devra demander secours aux Américains et aux Anglais et ceux-ci ne pourront se dérober. Avec le Vietnam Sud et le Laos sur les bras, et le problème noir à domicile, les Américains ont assez de raisons d’être préoccupés.

 

La Poussée Chinoise vers le Golfe du Bengale

On ne sait rien évidemment des intentions chinoises : préparent-ils une invasion prochaine ou veulent-ils pour le moment affaiblir Nehru, imposer à l’Inde des dépenses militaires écrasantes et ruiner ses chances de développement ? Les deux hypothèses sont également vraisemblables. Mais on ne doute pas que tôt ou tard, la poussée chinoise vers le Sud se précisera. Nous renvoyons une fois de plus nos lecteurs à la carte d’une région peu connue qui fera un jour beaucoup parler d’elle : cette portion du territoire indien qui est au-delà de la péninsule et s’étend de l’Himalaya oriental à travers l’Assam vers les côtes du Golfe de Bengale le long de la frontière birmane.

Ce vaste pays n’est relié à la péninsule hindoue que par un étroit corridor entre l’Himalaya et le Pakistan Oriental, ce qui en rend la défense particulièrement difficile. Et le Pakistan a conclu récemment un accord frontalier avec la Chine, réglant la question des confins du Pakistan Occidental. D’autre part, le conflit du Kashmir qui oppose, depuis la séparation des deux Etats, le Pakistan à l’Inde, n’a pu être réglé, malgré les efforts des Anglais et des Américains. Nehru a commis une faute grave en ne composant pas à l’amiable un différend qui pouvait l’être sans capitulation d’un côté ou de l’autre. En se rapprochant de Pékin, le Pakistan a manifesté sa déception et l’on se demande s’il n’y a pas d’accord secret qui garantirait le Pakistan Oriental en cas d’invasion chinoise à l’Est de ce territoire.

 

L’Accord Malayasie-Indonésie-Philippines

Les menaces chinoises expliquent bien des choses. L’attitude prudente, sinon amicale, de la Birmanie à l’égard de la Chine et surtout l’accord finalement obtenu entre l’Indonésie, les Philippines et la grande Malaisie qui vient juste d’aboutir après mille péripéties. C’est là pour les Anglais et les Américains, un gros succès auquel les Soviets ont apporté un appui décisif.

Soekarno en effet ne voulait pas d’une Malayasie qui engloberait les territoires de Bornéo ex-britanniques qui font partie de l’Ile dont le reste lui appartient. Les Philippins de leur côté, émettaient des prétentions sur ces territoires. Ces jours-ci encore, Soekarno proclamait qu’il s’y opposerait par tous les moyens, et il a cédé. Mieux, les trois chefs d’Etat en cause s’entendent pour former ensemble une fédération dont l’objet serait précisément de faire obstacle à une poussée communiste, c’est-à-dire chinoise vers cette pointe de l’Asie et les îles qui leur font suite. Si Soekarno a consenti c’est que, privé de l’aide américaine, britannique et russe, le pays dont l’économie est catastrophique s’effondrerait dans le chaos et son chef avec lui. Il a pu d’ailleurs se renier aisément parce que l’opinion indonésienne est hostile à la pénétration chinoise comme l’ont montré les incidents récents de Djakarta et autres lieux dont nous avons parlé ici.

En fait, l’Insulinde et l’Inde elle-même sont passés de la neutralité à la protection conjointe des trois Grands : Etats-Unis, Angleterre, Russie ; on conçoit que cet échec a poussé au paroxysme la colère chinoise contre les Soviets.

 

La Conférence de Presse du Général de Gaulle

Les propos de la Conférence de presse du Général de Gaulle n’ont surpris personne. Ils ne contenaient rien d’inattendu. La force et la faiblesse de la politique française telle qu’il la mène, demeurent immuables. Par son intransigeance depuis 1945 et même avant, il a obligé ses partenaires à tenir compte de la France entravant toute initiative des Anglo-Saxons de nature à gêner nos intérêts nationaux, tels du moins qu’il les conçoit. Il use dans cette opposition systématique de tous les moyens diplomatiques dont il dispose, et malgré l’irritation de Londres et de Washington, l’obstacle français est difficile à tourner, cela est le côté fort ; le faible, c’est que l’isolement où cette politique conduit empêche d’en tirer un avantage quelconque. Comme on le voit présentement à Moscou, les affaires du monde se font sans la France. Elles ont pu déjà et pourront à l’avenir se faire contre elle.

 

La Menace contre le Marché Commun

De cette Conférence on a surtout retenu la menace d’une dissolution du Marché Commun, si d’ici la fin de l’année, les problèmes agricoles en suspens ne sont pas réglés selon les vues du Chef de l’Etat. Cette menace n’est pas sérieuse, car elle se retournerait contre nous ; mais elle est, elle aussi, un moyen de pression sur nos partenaires qui le supportent mal, surtout les Allemands. Ce sont eux en effet que la décomposition du Marché Commun affecterait le moins. Ils tiennent plus à la collaboration avec les Anglais et surtout avec les Américains qu’à des échanges limités à l’Europe des Six et cela, non seulement dans l’ordre économique mais aussi politique.

 

McNamara à Bonn

La visite prolongée que fait le Ministre américain de la Défense, McNamara à Bonn en est une preuve. Au cas où la France se détacherait plus ou moins complètement de l’Alliance Atlantique, Allemands et Américains étudient les moyens de se passer du support logistique français et d’établir des liaisons directes entre les forces américaines en Europe et la Bundeswehr. De même, ils élaborent en commun les moyens de défense de l’avenir, en particulier le char des années 70, la construction franco-allemande du char français ayant été abandonnée par Bonn.

Sur un autre plan, les divergences franco-américaines servent les Allemands. Ils veulent obtenir des Etats-Unis l’adoption d’une stratégie de défense à la frontière du Bloc soviétique et non en profondeur, comme les Américains le souhaitaient et l’application sans délai de la force atomique en cas de conflit. D’un autre côté, ils s’appuient sur l’opposition française à tout pacte avec la Russie et ses satellites qui pourrait compromettre la réunification. Tout cela intéresse plus les militaires et les diplomates que nous qui n’y voyons rien qui intéresse le proche avenir, mais cela montre assez que le refus de toute collaboration peut, à la longue, enlever tous les moyens d’action et d’influence que l’on comptait par-là utiliser. On voit déjà le moment où il sera impossible de renouer les fils quand cela deviendra indispensable.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1963-08-03 – L’Accord de Moscou

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Le Courrier d’Aix – 1963-08-03 – La Vie Internationale

 

L’Accord de Moscou

L’accord signé à Moscou sur l’arrêt de certaines expériences nucléaires a soulevé une vague de commentaires si variés et si souvent contraires qu’il est indispensable de faire le point. Il ne s’agit ni d’un événement historique marquant un tournant de la politique russe, prélude pour certains à une paix définitive, ni d’un simple protocole sans portée précise pour masquer des divergences qui demeurent, comme d’autres l’ont dit. C’est avant tout la première reconnaissance officielle de la part des Russes et des Américains des intérêts communs qui les lient. C’est, à ce titre, l’aboutissement du long et sinueux processus d’entente entre les deux puissances qui s’est imposé à eux plutôt qu’ils ne l’ont cherché : le conflit soviéto-chinois l’a fait passer de la correspondance secrète entre les deux K. à l’acte diplomatique d’aujourd’hui ; même si aucun autre accord public ne doit suivre, cette communauté d’intérêts s’affirmera sur les régions du globe où ils seront tôt ou tard menacés, en Inde en particulier.

 

Le Contenu de l’Accord

Quant à l’accord même, il ne contient pas grand-chose en substance puisqu’aucune inspection n’est prévue, que les essais souterrains n’y sont pas inclus et surtout, que chaque signataire se réserve le droit de s’y soustraire si ses intérêts vitaux sont en danger. Pourquoi donc Russes et Américains lui ont-ils donné tant de solennité ? C’était pour exploiter cette puissance émotive que soulèvent les retombées radioactives, aujourd’hui d’ailleurs des plus réduites. L’opinion en a pris horreur, et toute expérience nouvelle effectuée par une nation non encore atomique provoquera une réprobation unanime susceptible de favoriser une pression internationale sur le contrevenant, à l’O.N.U. par exemple. D’autre part, grâce à cet accord, Krouchtchev n’ayant pu éviter la rupture avec la Chine, consacre la politique de coexistence pacifique qui l’oppose à Pékin. S’il se trouve en Asie du Sud en conflit avec Mao, il s’appuiera sur cette politique pour lui barrer la route ou plutôt pour aider les Anglo-Américains à le faire. Les Américains de leur côté pensaient à limiter, faute de pouvoir l’empêcher, le développement de la force de frappe française et à stopper les plans d’Israël dans cette voie. Efficace ou non, l’accord de Moscou tend à préserver le monopole atomique détenu par les trois partenaires.

 

Succès ou Échec ?

Contrairement à ce que l’on pense généralement, ces laborieuses négociations de Moscou ont abouti à masquer un échec plutôt qu’à  consacrer un succès. C’est en effet le minimum d’entente qui a été réalisé comme nous venons de le voir. Les Russes cherchaient en partant de l’arrêt des expériences à obtenir davantage, Krouchtchev l’avait d’ailleurs dit : un pacte de non-agression entre les puissances de l’O.T.A.N. et celles de Varsovie, l’inspection réciproque des installations militaires dans les deux Allemagnes impliquant la reconnaissance de la D.D.R. et le maintien du statu quo, Kennedy ne l’a pas voulu. A un an de sa réélection il lui fallait ménager ses militaires et l’opposition républicaine à la recherche d’un tremplin électoral.

Pour étendre le dialogue il aurait fallu que Krouchtchev abandonne ses positions à Cuba et Castro à son sort. Il ne le pouvait pas sans renier les promesses faites à Castro lui-même au cours de son récent voyage en U.R.S.S. Or la question cubaine dont on est censé n’avoir pas discuté à Moscou, est d’une autre importance pour les Américains que l’arrêt d’expériences dont ils peuvent parfaitement se passer dorénavant, tout comme les Soviétiques qui ont achevé les leurs l’an passé. Moscou tient avec Cuba un atout qu’on ne lâchera pas sans une grosse contre-partie que les Etats-Unis ne peuvent consentir. C’est la question cubaine qui bloque pour un avenir indéterminé tout règlement pacifique global entre l’Est et l’Ouest.

En ce sens l’accord d’hier marque la limite modeste de la détente : la course aux armements n’en sera pas arrêtée, elle prendra simplement d’autres aspects, explorera d’autres champs de recherche dans l’ordre défensif. L’entente russo-américaine n’empêchera pas ces deux puissances de tenter de s’assurer la supériorité. Le budget américain de la défense n’en sera pas pour autant allégé. Krouchtchev l’aurait sans doute souhaité, mais les Américains, forts de leur richesse, craignant aussi le trouble qu’une déflation militaire provoquerait dans leur économie, tiennent à demeurer les plus forts. Ils ne s’en cachent pas.

 

Le Problème du Dollar

Cependant, le problème du Dollar demeure : la balance américaine des paiements, malgré les assurances optimistes, s’aggrave plutôt qu’elle ne s’améliore : 700 millions de déficit pour le premier trimestre 1963. Kennedy n’a pas hésité à prendre des mesures qui restreignent encore la convertibilité de la monnaie, de façon indirecte sans doute, mais positive. Outre l’élévation du taux d’escompte d’une efficacité limitée, il est décidé à imposer une taxe prohibitive aux achats de valeurs étrangères par les citoyens américains et une autre pour décourager les emprunteurs étrangers de placer des emprunts aux Etats-Unis. Le Congrès devra se prononcer là-dessus et les controverses ne manqueront pas. Déjà, on prévoit des exceptions à la règle en faveur des Canadiens pour qui le marché américain des capitaux est indispensable. Le Japon et d’autres demanderont des assouplissements.

En matière financière on n’est jamais sûr des répercussions des mesures prises. Ces restrictions à la libre circulation des capitaux rétabliront-elles la confiance dans le Dollar ou au contraire l’ébranleront-elles davantage ? Les banques américaines établies à l’extérieur se soumettront-elles de bon gré aux recommandations qu’on leur enjoint ? Autant d’inconnues. Le problème monétaire qui n’est pas seulement américain mais mondial, a besoin d’une refonte radicale. chacun le sent. Ce ne sont pas des mesures de fortune qui le résoudront.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1963-07-20 – Le Divorce Sino-Soviétique

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Le Courrier d’Aix – 1963-07-20 – La Vie Internationale

 

Le Divorce Sino-Soviétique

La radio soviétique a diffusé des heures durant les accusations chinoises et les contre-accusations russes dans cette procédure en divorce à laquelle le monde communiste entier est invité à participer. En l’écoutant, nous nous efforcions d’être un citoyen russe attentif aux arguments proposés. Nous en aurions conclu que les deux Parties mentaient à l’envi pour cacher leurs véritables griefs, impression que sous toutes latitudes, d’ailleurs, on retient des harangues des avocats. Quand le jugement sera-t-il rendu et par qui ? Jamais peut-être, ce qui ne changera rien à l’état des choses. Les deux communismes ne se ressouderont jamais.

 

La Politique Chinoise de Staline et Krouchtchev

A notre avis, cette rupture qui modifie le cours de l’histoire est à compter parmi les fautes de Krouchtchev. La politique constante de Staline fut non pas de favoriser, mais au contraire, d’empêcher la formation d’un autre grand Etat socialiste que l’U.RS.S. Que ce soit l’Allemagne ou la Chine, ils les voulaient faibles et divisées. Leur régime politique était chose secondaire. Dès que la guerre contre le Japon fut terminée, Staline fit démonter et enlever toutes les installations industrielles édifiées par les Japonais en Mandchourie et ne laissa aux communistes en guerre contre Tchang Kaï Chek, que les dépôts d’armes constitués par l’armée japonaise. La guerre civile était le meilleur régime que Staline souhaitait pour la Chine, et quand les communistes en 1949 l’eurent emporté, il ne leur donna qu’une aide réticente et symbolique. Ce fut au cours des années 53-58, que les Chinois reçurent l’assistance technique et les concours financiers que les Soviets rappellent actuellement à leur adversaire. Quand Krouchtchev s’aperçut que la Chine pouvait devenir une rivale, il renversa sa politique et coupa fournitures et crédits. Le ressentiment chinois s’explique. S’ils n’avaient jamais reçu, ils ne pourraient pas se plaindre du mauvais procédé.

 

L’Après « Après-guerre »

Dans le « New-York Herald », Walter Lippmann intitule un important article « l’Ere de l’Après-guerre », montrant par là que les années 45-63 forment une époque historique et qu’aujourd’hui le schisme russo-chinois en ouvre une autre. Il note avec raison que cet événement a pour contre-partie un profond changement dans le système de l’unité occidentale telle qu’elle s’est établie dès que l’antagonisme Est-Ouest est apparu irréconciliable et menaçant. Maintenant, le sentiment de ce péril s’est atténué et l’unité européenne se désagrège : l’échec de l’axe Paris-Bonn en est la meilleure preuve. Le Marché Commun lui-même, malgré ses bons états de service, ne se maintient que grâce à  sa solide bureaucratie et aux transfusions de sang auxquelles les diplomates, comme ils viennent de le faire à Bruxelles, procèdent périodiquement.

Si l’on admet que, plus ou moins vite, le virus nationaliste perdra de son acuité, l’avenir ne peut consister qu’en une coopération plus ou moins lâche du Monde Atlantique à laquelle s’associeront plus ou moins étroitement les pays satellites de l’Est, dans la mesure où Moscou ne pourra les en détourner, comme on le voit, déjà en Roumanie. Ce qui est acquis, c’est que la petite Europe, celle des Six, n’a pas d’avenir. L’Allemagne d’Erhard ou de Willy Brandt n’en veut pas.

 

La Rigidité de la Politique Française

Certains commentateurs optimistes par tempérament annoncent déjà que la politique française un peu accablée par ses échecs successifs, change d’orientation : Pourquoi ? Eh bien, parce qu’à Bruxelles, M. Couve de Murville a consenti à ce que les pourparlers avec l’Angleterre soient repris dans le cadre de l’U.E.O. tous les trois mois afin, dit-on, que l’Angleterre se prépare, en s’adaptant, à entrer dans le Marché Commun. Affirmer cela, c’est méconnaître les règles de ce jeu de société qui s’appelle la diplomatie où notre Ministre excelle. Le Parti conservateur anglais étant condamné, il ne peut au cours de l’année qui lui reste, préparer une association que ses successeurs ont par avant refusée, tout au moins dans la forme où elle pourrait leur être offerte ; les réunions au sein de l’U.E.O. qui a d’ailleurs pour fonction d’abriter les questions mortes, n’engagent personne.

La politique française, quelles qu’en soient les incidences demeurera intangible. Les exécutants de cette politique avaient bien essayé de l’infléchir quand le voyage de Kennedy en Europe fut annoncé. Nous l’avions noté ici au passage. Cette illusion fut courte. Le Pouvoir y a coupé court.

 

L’Affaire Kurde

Il y a à Moscou un laboratoire à organiser et à exploiter les conflits qui ne chôme jamais et trouve toujours matière à s’exercer. L’affaire kurde est la dernière en date. Tant que Kassem régna en Irak, il put massacrer les Kurdes sans que les Russes y voient d’inconvénient parce que Kassem accueillait à Bagdad les missions soviétiques, et que l’armée irakienne, en lutte contre les Kurdes, étaient commandée par des généraux favorables à Moscou. Mais depuis la mort de Kassem, Aref a exécuté les communistes et purgé l’armée. Celle qui a repris la guerre contre les Kurdes a d’autres chefs. Les missions soviétiques ont plié bagage. Alors Moscou se pose en protecteur des Kurdes et menace de défendre leurs intérêts par une intervention directe qui vise, en dehors de l’Irak, la Turquie, la Syrie et l’Iran, où vivent des minorités kurdes. Les menaces des Russes ne font plus trembler personne, pas même leurs voisins musulmans. En d’autres temps, la note soviétique aurait fourni des titres à sensation. Ce qui illustre bien le changement.

 

Les Conversations Anglo-Américano-Soviétiques

Les conversations tripartites qui s’ouvrent à Moscou sur l’arrêt des expériences nucléaires vont peut-être fournir une indication sur l’orientation de la politique soviétique. L’impression recueillie par M. Spaak, le ministre belge qui s’est longuement entretenu avec Krouchtchev à Kiev, semble confirmer l’impression que les Russes se résignent pour un temps à supporter la supériorité américaine dans ce domaine et veulent ralentir la course aux armements pour consacrer plus de ressources aux investissements productifs, afin de relever la consommation intérieure. Cette hypothèse, si vraisemblable qu’elle soit, demande confirmation.

 

                                                                                            CRITON

 

 

Criton – 1963-07-13 – L’Échec de Bonn

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Le Courrier d’Aix – 1963-07-13 – La Vie Internationale

 

L’Échec de Bonn

L’échec des négociations franco-allemandes de Bonn a pris le pas dans les commentaires sur le conflit russo-chinois. La presse étrangère n’est pas tendre pour la politique française depuis la fameuse conférence de presse du 14 janvier. Il était clair que le malencontreux Traité franco-allemand signé juste à ce moment, non seulement ne rapprocherait pas la politique des deux pays, mais risquait d’ébranler le long travail de réconciliation si heureusement conduit par la IV° République. La tristesse et l’irritation du chancelier Adenauer ces jours-ci, l’abstention et le silence de la rue après le délire d’enthousiasme soulevé par le passage du président Kennedy, montrent assez que la défiance s’est installée de l’autre côté du Rhin. Jusqu’ici, la politique suivie par la France l’avait conduite à l’isolement. Il faut compter aujourd’hui avec une hostilité quasi-générale.

 

La Réunion des Syndicats Libres à Dortmund

Dans une grande réunion à Dortmund, les Syndicats libres des Six pays du Marché Commun se sont prononcé contre le Traité franco-allemand, contraire à l’esprit du temps a dit Ludwig Rosenberg, président du D.G.B. Vingt-trois mille syndicalistes allemands y participaient et deux mille étrangers. Il y avait là Jean Monnet, le président de la Commission de Bruxelles Walter Hallstein, le président du Bundestag Gerstenmaier, le chef de la Social-démocratie Ollenhauer, et les Ambassadeurs anglais et américains, Mac Ghee et Roberts. Tous se sont prononcés pour l’unité des peuples d’Europe dans un Etat fédératif unique, manifestation sans portée pratique qui n’avait pour objet que de condamner la politique française et de donner une ampleur sans précédent à un courant d’opinion hostile à un nationalisme étroit, stérile et périmé.

 

La Compétition Idéologique

Tout cela n’est pas dramatique car, malheureusement ou heureusement selon le point de vue que l’on adopte, le cours des événements internationaux ne dépend plus des décisions de la France. Tout au plus, peuvent-elles le freiner pour un temps, mais cela suffit à nuire à un rayonnement spirituel qui est aujourd’hui notre meilleur espoir et notre véritable vocation de puissance mondiale, car sur ce plan aussi, celui de la compétition pour la conquête des esprits, la lutte est engagée. Le schisme idéologique du communisme en est un aspect, l’effort des Américains pour surmonter la crise raciale en est un autre. Il n’est pas de nation, grande ou petite, qui ne présente une idéologie propre ou collective pour faire avancer son prestige en même temps que des intérêts matériels.

Nous sommes inondés des propagandes les plus diverses au service d’une idée force. Les pays noirs ont la leur. Elle s’est manifestée à Addis-Abeba, plus récemment par le projet de fédération d’Afrique orientale qui réunira le Kenya, bientôt indépendant, à l’Ouganda et au Tanganyika qui le sont déjà. On l’a vu à l’œuvre au Bureau International du Travail dirigé contre le Portugal et l’Afrique du Sud, demain dans d’autres organismes internationaux et à l’O.N.U. Tout ce que le communisme a perdu en influence, les non-engagés cherchent en se groupant, à l’intégrer dans leur dynamisme propre, à forger des slogans nouveaux susceptibles de leur valoir des adhérents. Toutes ces cristallisations mouvantes, si l’on peut associer ces deux mots, qui se sont exprimées depuis Bandoeng et dont les centres se déplacent sans cesse, sont des facteurs psychologiques avec lesquels l’histoire contemporaine doit plus que jamais compter. Quand on a la prétention d’aller dans le sens de l’histoire, il conviendrait de ne pas adopter la seule attitude qui lui soit manifestement contraire, toutes les autres pouvant avec un peu d’imagination s’y conformer.

 

Le Rapprochement Russo-Américain

Si l’on tient pour acquis la rupture entre Pékin et Moscou, il reste à voir si cet événement favorisera de façon décisive le rapprochement américano-soviétique dont les signes, comme nous l’avons vu, se sont multipliés depuis fort longtemps. Un nouveau petit pas vient d’être franchi : l’établissement de la ligne téléphonique directe entre Moscou et Washington, dite « hot line » qui en cas de crise devrait permettre aux deux capitales de s’entretenir immédiatement. Le 15 juillet s’ouvrira la négociation de Moscou sur l’arrêt des expériences nucléaires. Elle n’aurait pas été décidée si l’on n’était pas convenu d’avance d’en publier un résultat positif. Mais ce peut être un simple acte diplomatique comme tant d’autres, ou au contraire un pas sérieux vers la détente. Cela dépend de la situation intérieure russe qui demeure obscure.

 

L’Indépendance Roumaine

Le point crucial est l’attitude indépendante de la Roumanie à l’égard du Kremlin, dont les manifestations de précisent chaque jour. On sait maintenant qu’après avoir envoyé à Bucarest son ami Podgorny, Krouchtchev est allé en personne, sans plus de succès, pour retenir Georgiou Dej dans la ligne soviétique. La Roumanie, limitrophe de l’U.R.S.S., enfermée dans la Mer Noire et complètement isolée du Monde libre, ne peut se permettre le même défi que la Yougoslavie en 1948 et de rompre avec le Kremlin comme l’a fait Tito. Son attitude n’en est que plus extraordinaire. Elle montre que l’U.R.S.S. n’a plus la possibilité d’user des mêmes moyens de pression qu’en Hongrie en 1956. Elle devra s’accommoder d’une certaine indépendance roumaine et il n’est pas douteux que les autres satellites se prévaudront de l’exemple. On dit même qu’ils encouragent en sourdine la résistance roumaine.

 

Le Voyage d’U Thant à Budapest et à Sofia

Le voyage en Hongrie et en Bulgarie de M. U Thant, le Secrétaire Général de l’O.N.U : n’est pas sans rapport avec ce relâchement des liens dans le Bloc de l’Est. Il a donné à Kadar à Budapest une sorte de satisfecit pour les mesures de libération appliquées par le Gouvernement hongrois et discrètement invité Zivkov à Sofia à faire de même. L’affaire hongroise de 1956 ne figurera plus sur l’agenda des délibérations de l’O.N.U. avec l’assentiment américain. Cette présence physique de l’O.N.U. dans deux capitales satellites est une sorte de garantie pour une plus grande liberté d’action et une réplique diplomatique aux menaces soviétiques de 1960-61 de paralyser l’O.N.U. par l’institution de la fameuse troïka. M. Thant est un habile homme. Lui aussi défie Moscou sans y paraître avec tact, et sûr d’être appuyé par la majorité de l’Assemblée, il a plus ébranlé le rideau de fer par sa visite que dix conférences Est-Ouest ne l’auraient pu faire. S’il est allé à Sofia sans prétexte précis, c’est sans doute pour faire sentir la présence de l’O.N.U. en Roumanie sans s’y rendre. Ces nuances diplomatiques ont toutes un sens.

 

L’Exposition Italienne à Bucarest

Les Italiens qui dans ce domaine ont un flair très subtil ont donné un relief considérable à leur exposition industrielle à Bucarest. La Roumanie est un pays latin. Les officiels italiens qui ont inauguré l’exposition n’ont pas manqué de le rappeler. C’était aussi un pays d’influence française avant le bolchévisme. Sentant le vent d’indépendance qui souffle là-bas, les Italiens ont tenté de s’y faire une place. D’après l’intérêt que leur exposition a suscité, et l’accueil chaleureux des Ministres roumains, ils peuvent se flatter d’avoir réussi.

 

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