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Le Courrier d’Aix – 1963-07-20 – La Vie Internationale
Le Divorce Sino-Soviétique
La radio soviétique a diffusé des heures durant les accusations chinoises et les contre-accusations russes dans cette procédure en divorce à laquelle le monde communiste entier est invité à participer. En l’écoutant, nous nous efforcions d’être un citoyen russe attentif aux arguments proposés. Nous en aurions conclu que les deux Parties mentaient à l’envi pour cacher leurs véritables griefs, impression que sous toutes latitudes, d’ailleurs, on retient des harangues des avocats. Quand le jugement sera-t-il rendu et par qui ? Jamais peut-être, ce qui ne changera rien à l’état des choses. Les deux communismes ne se ressouderont jamais.
La Politique Chinoise de Staline et Krouchtchev
A notre avis, cette rupture qui modifie le cours de l’histoire est à compter parmi les fautes de Krouchtchev. La politique constante de Staline fut non pas de favoriser, mais au contraire, d’empêcher la formation d’un autre grand Etat socialiste que l’U.RS.S. Que ce soit l’Allemagne ou la Chine, ils les voulaient faibles et divisées. Leur régime politique était chose secondaire. Dès que la guerre contre le Japon fut terminée, Staline fit démonter et enlever toutes les installations industrielles édifiées par les Japonais en Mandchourie et ne laissa aux communistes en guerre contre Tchang Kaï Chek, que les dépôts d’armes constitués par l’armée japonaise. La guerre civile était le meilleur régime que Staline souhaitait pour la Chine, et quand les communistes en 1949 l’eurent emporté, il ne leur donna qu’une aide réticente et symbolique. Ce fut au cours des années 53-58, que les Chinois reçurent l’assistance technique et les concours financiers que les Soviets rappellent actuellement à leur adversaire. Quand Krouchtchev s’aperçut que la Chine pouvait devenir une rivale, il renversa sa politique et coupa fournitures et crédits. Le ressentiment chinois s’explique. S’ils n’avaient jamais reçu, ils ne pourraient pas se plaindre du mauvais procédé.
L’Après « Après-guerre »
Dans le « New-York Herald », Walter Lippmann intitule un important article « l’Ere de l’Après-guerre », montrant par là que les années 45-63 forment une époque historique et qu’aujourd’hui le schisme russo-chinois en ouvre une autre. Il note avec raison que cet événement a pour contre-partie un profond changement dans le système de l’unité occidentale telle qu’elle s’est établie dès que l’antagonisme Est-Ouest est apparu irréconciliable et menaçant. Maintenant, le sentiment de ce péril s’est atténué et l’unité européenne se désagrège : l’échec de l’axe Paris-Bonn en est la meilleure preuve. Le Marché Commun lui-même, malgré ses bons états de service, ne se maintient que grâce à sa solide bureaucratie et aux transfusions de sang auxquelles les diplomates, comme ils viennent de le faire à Bruxelles, procèdent périodiquement.
Si l’on admet que, plus ou moins vite, le virus nationaliste perdra de son acuité, l’avenir ne peut consister qu’en une coopération plus ou moins lâche du Monde Atlantique à laquelle s’associeront plus ou moins étroitement les pays satellites de l’Est, dans la mesure où Moscou ne pourra les en détourner, comme on le voit, déjà en Roumanie. Ce qui est acquis, c’est que la petite Europe, celle des Six, n’a pas d’avenir. L’Allemagne d’Erhard ou de Willy Brandt n’en veut pas.
La Rigidité de la Politique Française
Certains commentateurs optimistes par tempérament annoncent déjà que la politique française un peu accablée par ses échecs successifs, change d’orientation : Pourquoi ? Eh bien, parce qu’à Bruxelles, M. Couve de Murville a consenti à ce que les pourparlers avec l’Angleterre soient repris dans le cadre de l’U.E.O. tous les trois mois afin, dit-on, que l’Angleterre se prépare, en s’adaptant, à entrer dans le Marché Commun. Affirmer cela, c’est méconnaître les règles de ce jeu de société qui s’appelle la diplomatie où notre Ministre excelle. Le Parti conservateur anglais étant condamné, il ne peut au cours de l’année qui lui reste, préparer une association que ses successeurs ont par avant refusée, tout au moins dans la forme où elle pourrait leur être offerte ; les réunions au sein de l’U.E.O. qui a d’ailleurs pour fonction d’abriter les questions mortes, n’engagent personne.
La politique française, quelles qu’en soient les incidences demeurera intangible. Les exécutants de cette politique avaient bien essayé de l’infléchir quand le voyage de Kennedy en Europe fut annoncé. Nous l’avions noté ici au passage. Cette illusion fut courte. Le Pouvoir y a coupé court.
L’Affaire Kurde
Il y a à Moscou un laboratoire à organiser et à exploiter les conflits qui ne chôme jamais et trouve toujours matière à s’exercer. L’affaire kurde est la dernière en date. Tant que Kassem régna en Irak, il put massacrer les Kurdes sans que les Russes y voient d’inconvénient parce que Kassem accueillait à Bagdad les missions soviétiques, et que l’armée irakienne, en lutte contre les Kurdes, étaient commandée par des généraux favorables à Moscou. Mais depuis la mort de Kassem, Aref a exécuté les communistes et purgé l’armée. Celle qui a repris la guerre contre les Kurdes a d’autres chefs. Les missions soviétiques ont plié bagage. Alors Moscou se pose en protecteur des Kurdes et menace de défendre leurs intérêts par une intervention directe qui vise, en dehors de l’Irak, la Turquie, la Syrie et l’Iran, où vivent des minorités kurdes. Les menaces des Russes ne font plus trembler personne, pas même leurs voisins musulmans. En d’autres temps, la note soviétique aurait fourni des titres à sensation. Ce qui illustre bien le changement.
Les Conversations Anglo-Américano-Soviétiques
Les conversations tripartites qui s’ouvrent à Moscou sur l’arrêt des expériences nucléaires vont peut-être fournir une indication sur l’orientation de la politique soviétique. L’impression recueillie par M. Spaak, le ministre belge qui s’est longuement entretenu avec Krouchtchev à Kiev, semble confirmer l’impression que les Russes se résignent pour un temps à supporter la supériorité américaine dans ce domaine et veulent ralentir la course aux armements pour consacrer plus de ressources aux investissements productifs, afin de relever la consommation intérieure. Cette hypothèse, si vraisemblable qu’elle soit, demande confirmation.
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