Criton – 1963-08-03 – L’Accord de Moscou

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Le Courrier d’Aix – 1963-08-03 – La Vie Internationale

 

L’Accord de Moscou

L’accord signé à Moscou sur l’arrêt de certaines expériences nucléaires a soulevé une vague de commentaires si variés et si souvent contraires qu’il est indispensable de faire le point. Il ne s’agit ni d’un événement historique marquant un tournant de la politique russe, prélude pour certains à une paix définitive, ni d’un simple protocole sans portée précise pour masquer des divergences qui demeurent, comme d’autres l’ont dit. C’est avant tout la première reconnaissance officielle de la part des Russes et des Américains des intérêts communs qui les lient. C’est, à ce titre, l’aboutissement du long et sinueux processus d’entente entre les deux puissances qui s’est imposé à eux plutôt qu’ils ne l’ont cherché : le conflit soviéto-chinois l’a fait passer de la correspondance secrète entre les deux K. à l’acte diplomatique d’aujourd’hui ; même si aucun autre accord public ne doit suivre, cette communauté d’intérêts s’affirmera sur les régions du globe où ils seront tôt ou tard menacés, en Inde en particulier.

 

Le Contenu de l’Accord

Quant à l’accord même, il ne contient pas grand-chose en substance puisqu’aucune inspection n’est prévue, que les essais souterrains n’y sont pas inclus et surtout, que chaque signataire se réserve le droit de s’y soustraire si ses intérêts vitaux sont en danger. Pourquoi donc Russes et Américains lui ont-ils donné tant de solennité ? C’était pour exploiter cette puissance émotive que soulèvent les retombées radioactives, aujourd’hui d’ailleurs des plus réduites. L’opinion en a pris horreur, et toute expérience nouvelle effectuée par une nation non encore atomique provoquera une réprobation unanime susceptible de favoriser une pression internationale sur le contrevenant, à l’O.N.U. par exemple. D’autre part, grâce à cet accord, Krouchtchev n’ayant pu éviter la rupture avec la Chine, consacre la politique de coexistence pacifique qui l’oppose à Pékin. S’il se trouve en Asie du Sud en conflit avec Mao, il s’appuiera sur cette politique pour lui barrer la route ou plutôt pour aider les Anglo-Américains à le faire. Les Américains de leur côté pensaient à limiter, faute de pouvoir l’empêcher, le développement de la force de frappe française et à stopper les plans d’Israël dans cette voie. Efficace ou non, l’accord de Moscou tend à préserver le monopole atomique détenu par les trois partenaires.

 

Succès ou Échec ?

Contrairement à ce que l’on pense généralement, ces laborieuses négociations de Moscou ont abouti à masquer un échec plutôt qu’à  consacrer un succès. C’est en effet le minimum d’entente qui a été réalisé comme nous venons de le voir. Les Russes cherchaient en partant de l’arrêt des expériences à obtenir davantage, Krouchtchev l’avait d’ailleurs dit : un pacte de non-agression entre les puissances de l’O.T.A.N. et celles de Varsovie, l’inspection réciproque des installations militaires dans les deux Allemagnes impliquant la reconnaissance de la D.D.R. et le maintien du statu quo, Kennedy ne l’a pas voulu. A un an de sa réélection il lui fallait ménager ses militaires et l’opposition républicaine à la recherche d’un tremplin électoral.

Pour étendre le dialogue il aurait fallu que Krouchtchev abandonne ses positions à Cuba et Castro à son sort. Il ne le pouvait pas sans renier les promesses faites à Castro lui-même au cours de son récent voyage en U.R.S.S. Or la question cubaine dont on est censé n’avoir pas discuté à Moscou, est d’une autre importance pour les Américains que l’arrêt d’expériences dont ils peuvent parfaitement se passer dorénavant, tout comme les Soviétiques qui ont achevé les leurs l’an passé. Moscou tient avec Cuba un atout qu’on ne lâchera pas sans une grosse contre-partie que les Etats-Unis ne peuvent consentir. C’est la question cubaine qui bloque pour un avenir indéterminé tout règlement pacifique global entre l’Est et l’Ouest.

En ce sens l’accord d’hier marque la limite modeste de la détente : la course aux armements n’en sera pas arrêtée, elle prendra simplement d’autres aspects, explorera d’autres champs de recherche dans l’ordre défensif. L’entente russo-américaine n’empêchera pas ces deux puissances de tenter de s’assurer la supériorité. Le budget américain de la défense n’en sera pas pour autant allégé. Krouchtchev l’aurait sans doute souhaité, mais les Américains, forts de leur richesse, craignant aussi le trouble qu’une déflation militaire provoquerait dans leur économie, tiennent à demeurer les plus forts. Ils ne s’en cachent pas.

 

Le Problème du Dollar

Cependant, le problème du Dollar demeure : la balance américaine des paiements, malgré les assurances optimistes, s’aggrave plutôt qu’elle ne s’améliore : 700 millions de déficit pour le premier trimestre 1963. Kennedy n’a pas hésité à prendre des mesures qui restreignent encore la convertibilité de la monnaie, de façon indirecte sans doute, mais positive. Outre l’élévation du taux d’escompte d’une efficacité limitée, il est décidé à imposer une taxe prohibitive aux achats de valeurs étrangères par les citoyens américains et une autre pour décourager les emprunteurs étrangers de placer des emprunts aux Etats-Unis. Le Congrès devra se prononcer là-dessus et les controverses ne manqueront pas. Déjà, on prévoit des exceptions à la règle en faveur des Canadiens pour qui le marché américain des capitaux est indispensable. Le Japon et d’autres demanderont des assouplissements.

En matière financière on n’est jamais sûr des répercussions des mesures prises. Ces restrictions à la libre circulation des capitaux rétabliront-elles la confiance dans le Dollar ou au contraire l’ébranleront-elles davantage ? Les banques américaines établies à l’extérieur se soumettront-elles de bon gré aux recommandations qu’on leur enjoint ? Autant d’inconnues. Le problème monétaire qui n’est pas seulement américain mais mondial, a besoin d’une refonte radicale. chacun le sent. Ce ne sont pas des mesures de fortune qui le résoudront.

 

                                                                                            CRITON