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Le Courrier d’Aix – 1963-08-24 – La Vie Internationale
Comme on en avait l’impression, les Russes insistent pour de nouveaux accords. Les Américains se montrent ouverts, mais prudents ; le Pacte de non-agression entre les deux Alliances militaires soulevait trop d’objections ; le consentement de tous les membres de l’O.T.A.N. ne paraissant pas réalisable ; on s’entretiendra donc de l’établissement de postes d’inspection dans les deux Allemagnes pour prévenir une attaque surprise. L’idée avancée par les Etats-Unis a été reprise par les Soviets. Entre temps, les renseignements fournis par les satellites de l’espace à des fins scientifiques et météorologiques seront mis en commun. Des délégations de savants américains se rendent en Sibérie, des Russes en Californie. La collaboration s’étend.
Les Inquiétudes Allemandes
La France seule se tient à l’écart. L’Allemagne de Bonn, elle, s’efforce, tout en se conformant à la politique américaine, de faire valoir ses intérêts et de ne pas laisser les Anglo-Saxons en tête-à-tête avec les Russes régler les problèmes européens. Le gouvernement d’Adenauer a signé l’accord sur l’arrêt des expériences nucléaires, à condition qu’il soit reconnu qu’il est le seul représentant du peuple allemand. Ulbricht, de son côté, a signé mais seulement à Moscou, les Ambassadeurs de l’Allemagne fédérale l’ont fait dans les trois capitales. Les Russes n’ont élevé aucune objection. Ce qui inquiète Bonn, ce n’est pas la reconnaissance implicite de la zone russe comme Etat. Les Anglo-Saxons se sont engagés à ne l’admettre en aucun cas et leur parole n’avait pas besoin d’être réaffirmée. Mais d’accord en accord, on craint que l’état de fait se soit perpétué et la réunification de l’Allemagne impossible. C’est pourquoi le Gouvernement de Bonn entend que, si des postes d’inspection fixe sont établis de part et d’autre du rideau de fer, ces installations ne soient pas limitées à l’Allemagne, mais étendus à toute l’Europe centrale et occidentale.
Les Vues de Kennedy
Les vues de Kennedy ne sont pas opposées, mais différentes. La réunification de l’Allemagne n’est pas pour lui un problème actuel et ne peut être remis sur le tapis au point où en sont les négociations avec les Russes, ce serait les compromettre. Ce qui importe aux Américains, c’est de pénétrer de toutes manières possibles par-delà le rideau de fer : tractations financières et commerciales, échanges de savants, d’hommes d’affaires, de touristes, postes d’observation militaires, coopération de techniciens de l’espace, tout est bon pourvu que la présence des Etats-Unis se fasse sentir. Le reste n’est que prétexte et l’on tournera encore autour du désarmement, sans la moindre intention d’y procéder, cela tout en multipliant les propositions, c’est-à-dire celles que l’adversaire ne peut accepter, comme en dernier lieu, la remise des stocks d’uranium à un organisme international chargé de son utilisation pacifique. Les Russes souhaiteraient bien réduire leurs effectifs en Europe pour mieux surveiller la Chine, mais les Américains ne veulent pas réduire les leurs, ce qui pourrait paraître le début d’un retrait final.
La Polémique Sino-Russe
L’antagonisme sino-russe s’affirme un peu plus chaque jour, la polémique est ininterrompue. Les Chinois ont levé un voile du mystère des relations passées entre les deux puissances : le 15 octobre 1957, un accord aurait été conclu entre Moscou et Pékin par lequel les Russes s’engageaient à fournir à la Chine un modèle de bombe atomique et les renseignements techniques pour la fabriquer. Le 20 juin 1959, le Gouvernement soviétique a refusé de s’exécuter. « Le but de celui-ci, dit la déclaration chinoise, en préconisant la non-prolifération nucléaire, n’est pas de s’enchaîner lui-même, mais d’enchainer les pays socialistes autres que lui-même ». Naturellement, les Chinois tiendront l’accord de Moscou pour nul.
Les Chinois et la Bombe H.
Ceux de nos lecteurs qui ont suivi ces chroniques n’ignoraient rien de l’obstination des Chinois à obtenir des Russes les secrets atomiques, sinon les dates précises fournies aujourd’hui par Pékin. En fait, l’histoire est plus ancienne. Elle a commencé dès l’automne 1956. Au moment de la révolte hongroise et des troubles de Varsovie, Krouchtchev était aux abois et les Chinois cherchèrent à en profiter. Nous avions remarqué alors que, contrairement aux prévisions, Chou en Laï ne s’était pas rangé aux côtés des Soviets. A mots plus ou moins couverts, il avait désapprouvé la répression russe. Il s’était même rendu en Pologne. Krouchtchev irrité et inquiet l’avait sommé de regagner Moscou, et les entretiens ne durent pas être très cordiaux. C’est à ce moment sans doute que le Chinois demanda, en échange de son appui, la communication des secrets atomiques. En effet, par une volte-face rapide, Pékin condamnait dès décembre, les mouvements nationalistes et soutenait l’action russe à Budapest. Les tractations furent longues puisqu’on nous apprend que l’accord final sur la bombe ne fut signé que six mois plus tard. De même entre cet accord et le refus de 1959, bien des accrochages se sont produits entre Mao et Krouchtchev. Il y eut en mai-juin 1958 les rencontres successives des deux hommes puis la polémique dite idéologique à propos des « communes du peuple » décidées alors par les Chinois. Le refus final des Russes était donc acquis, bien avant qu’il ne fut officiel. Les techniciens soviétiques étaient déjà partis.
La Chute de Fulbert Youlou
La chute de Fulbert Youlou au Congo-Brazzaville à la suite d’une émeute populaire, a jeté l’inquiétude parmi les roitelets d’Afrique. Il y avait déjà le précédent de Sylvanus Olympio au Togo, et l’arrestation de Mamadou Dia au Sénégal, mais c’était plutôt des règlements de comptes entre rivaux, qu’une révolte de la rue. Les causes cependant sont les mêmes. Partout ces nouveaux venus au pouvoir abusant de leur autorité pillaient les caisses de l’Etat à leur profit et menaient grand train grâce aux subsides de l’ex-colonisateur. D’aucuns, comme Sékou Touré, soupçonnent cette même puissance de n’être pas tout-à-fait étrangère à la chute de leur protégé. Il se peut.
Dans le cas de Youlou, il y a autre chose : on se souvient qu’il avait pris parti pour Tschombé dans ‘affaire du Katanga et plus récemment négocié avec Salazar pour un règlement pacifique du conflit des colonies portugaises. On disait qu’il avait des visées expansionnistes et probablement un protectorat plus ou moins déguisé de l’enclave portugaise de Cabinda près des bouches du Congo. Cela ne faisait pas l’affaire d’Aboula, son voisin de Léopoldville. Les relations entre les deux Congos n’avaient cessé d’être troublées. D’autre part, les communistes, toujours actifs dans la région, voyaient en Fulbert Youlou le représentant du néo-colonialisme au service du capitalisme européen. La misère des masses favorisait leur action. Au Congo comme ailleurs, le problème est de placer au gouvernement des hommes compétents et honnêtes à qui le pouvoir ne tourne pas la tête. Beaucoup de soubresauts sont à prévoir avant qu’on y parvienne.
CRITON