Criton – 1963-09-14 – L’Histoire de 1956

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Le Courrier d’Aix – 1963-09-14 – La Vie Internationale

 

La Polémique Russo-Chinoise

La polémique russo-chinoise s’accentue, et ce sont les Chinois qui déversent sur Krouchtchev des tombereaux d’injures en de longs articles où sont révélés de prétendus secrets sur les événements d’octobre-novembre 1956. Confrontant leurs déclarations avec les articles que nous publiions alors, il ressort que Pékin ne dit pas la vérité et que les commentateurs occidentaux, eux aussi, s’y perdent. Revenons donc sur ce point d’histoire capital dans les relations entre pays communistes.

 

L’Histoire de 1956

Devant le désarroi provoqué chez les Russes par les émeutes de Poznań et la révolution hongroise, les Chinois s’empressèrent de tenter d’en tirer profit : l’affaiblissement de l’U.R.S.S. au cas où elle aurait dû capituler devant l’émeute, avait pour les Chinois un double avantage : leur donner une position dominante dans le mouvement et obtenir des Russes, en échange de leur appui, des avantages substantiels parmi lesquels la participation aux secrets atomiques. Ils commencèrent donc, avant que les Soviets n’aient envoyé leurs tanks à Budapest, par soutenir les « justes revendications des peuples hongrois et polonais » et accuser l’U.R.S.S. de faire preuve de « chauvinisme » en cherchant à les opprimer. Ils se déclaraient même solidaires avec Tito qui n’était pas le renégat d’aujourd’hui, qui soutenait les Hongrois et croyait le moment venu d’établir à son profit une fédération des pays d’Europe Centrale (on sait que Krouchtchev l’avait fait venir sur les bords de la Mer Noire, peu avant les événements pour le circonvenir).

Les Soviets négocièrent en toute hâte avec les Chinois, et sitôt que la révolte hongroise fut écrasée, Pékin changea d’attitude et approuva la répression. Il est donc faux, comme ils le prétendent aujourd’hui qu’ils aient empêché les Russes de capituler devant la révolte. C’est exactement le contraire. Quant à Krouchtchev, on ne sait s’il a hésité à employer la force ou s’il a, pendant les trois jours décisifs, fait croire aux révoltés qu’il retirait ses troupes pour mieux repérer et arrêter ensuite, comme il l’a fait après, les instigateurs de la révolution. Quoi qu’il en soit, Chou en Laï, tout en abandonnant les Hongrois, continuait à intriguer à Varsovie où il fit deux voyages, et à accuser les Russes de « chauvinisme ».

De nouvelles négociations russo-chinoises eurent lieu et c’est alors que Krouchtchev promit la bombe aux Chinois pour qu’ils cessent de se mêler de ses relations avec ses satellites. Ce n’était qu’une feinte et Krouchtchev, les choses rentrées dans l’ordre, renia ses engagements. Il avait fait de même avec Tito. Après avoir promis de libérer Nagy réfugié à l’Ambassade de Yougoslavie, il le fit arrêter et plus tard exécuter. Ce fut la fin de la réconciliation russo-yougoslave. Dans cet assaut de fourberies, Krouchtchev avait joué au plus fin. La vengeance est un plat qui se mange froid. Les Chinois le prouvent aujourd’hui.

 

Les Incidents de Sin-Kiang

Quant aux révélations chinoises sur leur conflit avec les Russes au Sin-Kiang, nos lecteurs en ont eu connaissance à l’époque. Ce qu’ils omettent de dire, c’est que les Russes ont cherché là, et semble-t-il avec succès, à désorganiser la production pétrolière vitale pour la Chine qui manque de carburant liquide que les Soviets refusent par ailleurs de leur livrer.

 

L’Affaire du Vietnam

Il faudrait consacrer un long article à démêler le chassé-croisé d’intrigues qui se nouent et se dénouent au Sud-Vietnam et encore n’arriverions-nous pas à les tirer au clair. Notons seulement ce qui paraît assuré : les Américains, avant l’arrivée à Saïgon de l’ambassadeur Cabot Lodge, ont tenté de renverser Diem et de lui substituer une dictature militaire flanquée, si possible, d’une représentation d’apparence démocratique. Le coup a échoué, Diem et son clan ont repris le dessus et il semble même que l’intervention intempestive de la France ait rallié autour de lui tous ceux qu’effraye une solution neutraliste du genre laotien. L’opposition subsiste et même les manifestations hostiles, mais du côté bouddhistes comme du côté militaire, Diem a neutralisé la révolte, pour le moment du moins, et la lutte contre le Viêt-Cong continue et même s’amplifie. Faute de solution de rechange, les Américains chercheront à démocratiser le régime ou tout au moins à lui donner une physionomie nouvelle. Il faudra beaucoup de patience et de dollars.

 

La Mort de Robert Schuman

La mort de Robert Schuman, les nombreux hommages rendus à sa personne et à son œuvre, ont montré combien l’espoir d’une Europe unie demeurait vivant malgré les déceptions récentes. Ce rassemblement de personnalités éminentes autour de son cercueil avait quelque chose d’une protestation solennelle contre ceux qui y font obstacle. Dans ce rêve d’une autorité supranationale se substituant par étapes aux égoïsmes nationaux, il y a plus qu’une conception politique ; Schuman et ses amis y voyaient le moyen de promouvoir une ère nouvelle dans les relations humaines. Si loin qu’on soit du but, la volonté d’y tendre demeure. Malheureusement, on avait autour de 1950, sous-estimé les forces contraires. Le développement progressif des institutions internationales n’a été en fait que la prolifération de bureaucraties où les divergences s’affrontent plutôt qu’elles ne s’effacent. Ces bureaucraties, si inopérantes qu’elles soient, ont leur mérite : grâce à leur solidité, elles résistent aux courants adverses et se retrouveront intactes quand des temps meilleurs leur rendront la vie.

 

La Poussée des Nationalismes

Pour l’heure, nous assistons à une poussée de nationalismes de plus en plus arrogants, qui par contagion s’étendent comme une épidémie à l’ensemble de la planète. Ils ne semblent pas encore arrivés au paroxysme des discordes raciales ou tribales, ou n’en trouve-t-on pas ? jusqu’à la paisible Suisse, où le terrorisme s’est récemment manifesté dans la vieille querelle entre le groupe ethnique Jurassien et le Canton de Berne. Terrorisme aussi en Haut-Adige mené par les groupes germanophones contre les autorités italiennes. En Belgique, entre Flamands et Wallons, les échauffourées se succèdent à intervalle. Même par-delà le rideau de fer, les antagonismes se font jour malgré la rudesse du pouvoir, entre Slovaques et Tchèques, par exemple. Ne parlons pas du Monde arabe, où au Maghreb même, Algériens et Marocains sont aux prises dans la région d’Oujda. Irakiens et Kurdes se battent en Moyen-Orient. En Afrique noire, les coups d’Etat appuyés par les rivalités tribales, menacent à peu près tous les gouvernements. Quant au racisme, l’agitation noire aux Etats-Unis est loin de s’apaiser. On se demande même si l’action du gouvernement Kennedy, si louable en soi, ne contribuera pas à l’aggraver.

Les accords plus apparents que réels entre Etats, ne subsistent souvent que par la lutte plus ou moins verbale contre un ennemi commun, Israël pour les Arabes, le Portugal et l’Afrique du Sud pour les Africains. L’ironie du sort veut que ce soit précisément contre le seul Etat où la coexistence raciale est relativement harmonieuse, l’empire africain portugais que tous les nationalismes de couleur se déchaînent. Mais, comme on le voit, Blancs et Gens de Couleur participent dans la même cruelle intransigeance aveugle si contraire à l’idéal comme à l’intérêt de l’humanité.

 

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