Criton – 1960-10-29 – Le Veau d’or est toujours Debout

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Le Courrier d’Aix – 1960-10-29 – La Vie Internationale.

 

« Le Veau d’Or est toujours Debout »

 

Le fait est indéniable : la tension internationale s’est aggravée ; l’opinion internationale le ressent ; le monde des affaires est troublé. Que le fond des choses soit modifié ou non, c’est une autre question, mais psychologiquement, les coups de boutoir du communisme ont eu leur effet habituel : l’inquiétude a fini par se propager en surface comme en profondeur et la dépression morale a eu des conséquences économiques ; les investissements diminuent, les bourses de valeurs s’affaissent, enfin l’or a rompu ses amarres sous le flot de la thésaurisation en quête du précieux métal.

 

La Hausse de l’Or

Cette brusque hausse a mis le monde en émoi et l’on a écrit là-dessus tant de commentaires qu’il nous paraît qu’une mise au point s’impose. On a dit en effet, que le phénomène traduisait ou faisait prévoir une dévaluation du Dollar. C’est inexact. Le Dollar n’est pas une monnaie convertible en or. La détention de l’or en lingots, et son commerce non industriel, sont interdits aux Etats-Unis. Il n’y a pas comme chez nous, un marché libre de l’or. D’autre part, seules les banques nationales et certains établissements ou organismes internationaux, sont habilités à transformer leurs dollars en or, au taux fixé depuis 1933 par le Trésor américain, 35 dollars l’once.

Ce qui fait illusion, c’est que jusqu’à ce jour, du fait même de cette possibilité limitée d’échange, or contre dollars, le prix du métal sur le marché de Londres était resté accroché à cette parité. C’était en quelque sorte une barrière psychologique, rien de plus. Brusquement, le caractère véritable de marché libre s’est manifesté ; l’offre étant insuffisante en face de la demande, les prix se sont envolés. L’or, autrement dit, s’est comporté comme n’importe quelle marchandise : la confrontation de l’offre et de la demande a fixé les cours.

Evidemment le trésor américain aurait pu faire la contrepartie, mais c’eut été se démunir de ses réserves dans une période où elles sont en baisse constante, au seul profit de la thésaurisation. Il ne l’a pas fait, jusqu’ici du moins. Les autres banques centrales se sont de même abstenues. La valeur du Dollar, c’est-à-dire son pouvoir d’achat, n’en est nullement affectée, pas plus qu’aucune des monnaies fiduciaires des autres pays. Il faut souligner d’autre part que le prix fixé en 1933 est devenu illogique, alors que celui de toutes choses a pour le moins doublé depuis, la hausse actuelle ne fait que corriger une situation anormale. Elle n’a pas à proprement parler de signification monétaire, ce qui ne veut pas dire que, si elle persiste, elle n’aura pas de conséquences sur la tenue des prix, mais ce sera par une sorte de contagion psychologique, nullement pour des raisons proprement techniques.

Quant à la cause profonde de ce décalage, il est aisé à déterminer : il y a partout dans le Monde libre des disponibilités abondantes. Celles-ci s’employaient jusqu’ici à l’accroissement de la production, et particulièrement en achat de valeurs industrielles ; la menace de dépression, d’une part, l’inquiétude provoquée par la situation internationale de l’autre, expliquent ce retour vers le placement refuge qui a l’avantage de ne pouvoir baisser, puisque les Etats-Unis en fixent le prix minimum.

L’événement comporte un autre enseignement : l’or n’est pas comme le disait Krouchtchev récemment, un métal « bon à orner les vespasiennes » (sic). S’il a perdu de son rôle monétaire, il a gardé tout son prestige comme symbole et instrument de la richesse. Les Russes d’ailleurs ne le dédaignent pas, au contraire : l’Etat soviétique l’extrait à grand frais, le thésaurise jalousement et ne s’en sert que contraint pour ses paiements extérieurs. En ce moment même, et ce pourrait être une des causes de la hausse, le marché noir en U.R.S.S. est très actif à la veille de l’introduction du Rouble lourd et de l’échange des billets russes à partir de janvier prochain. Les riches soviétiques méfiants ou ne voulant pas déclarer leurs avoir, échangent leurs billets. En quelques semaines, le dollar est passé de 40 à 50 roubles, ce qui le met à 10 de nos anciens francs. Nous sommes loin de la parité officielle qui est de 4 ou de 10 roubles pour 1 dollar selon les cas.

 

La Réalité du Marché Commun

Puisque nous en sommes aux mises au point, faisons-le pour le Marché Commun. On nous a reproché d’avoir dit qu’il n’existait qu’en théorie. Ce n’est pas rigoureusement exact, en effet : jugeons-en. Au 1er Janvier prochain, si aucun ajournement ne survient, les droits de douane seront abaissés entre les Six de 30% par rapport à 1957 :  prenons un exemple : un appareil photographique, un des articles les plus taxés, mettons un de 10.000 francs payait 25% de droits en 1957, soit 12.500 francs, rendu en France ; actuellement il paie 20%, soit 12.000 francs, s’il vient d’Allemagne et 22,50%, c’est-à-dire 12.250 frs, s’il vient d’Angleterre ; ces 250 frs marquent la préférence accordée par les Six entre eux. C’est cela le Marché Commun. Au 1er janvier 1961, il vaudra 11.750 s’il vient d’Allemagne, 12.180 s’il vient d’Angleterre ou d’ailleurs.

Ces proportions varient selon les produits. A vrai dire, ces différences sont bien minimes et ne doivent pas entraîner de perturbations dans le commerce international. Ce qui est plus important, c’est la réduction et au printemps prochain, la disparition des contingentements. En cas de crise ou simplement de surproduction, la tentation sera forte pour ceux qui ont des stocks sur les bras, de les liquider en consentant des sacrifices sur les marchés du voisin, cela aussi bien entre membres du Marché Commun qu’entre les autres et eux.

On voit d’après ces indications que l’on peut considérer le Marché Commun soit comme une modeste réalisation, soit comme  plutôt symbolique jusqu’ici. Toutefois avec l’acheminement vers un tarif extérieur commun (trop compliqué pour être discuté ici), les choses se trouveront progressivement modifiées, non pas que les pays tiers en soient réellement affectés, mais parce que, en théorie, les Six se lient ainsi les mains et que l’un d’eux ne pourra plus relever à l’occasion les droits de douane pour protéger une industrie en difficulté, comme c’était si souvent le cas dans le passé. Tout cela évidemment ne tiendra, que si les affaires demeurent prospères. En cas contraire, le Marché Commun pourrait bien avoir une vie agitée. En attendant Six et Sept ne font toujours pas treize et la controverse entre le Marché Commun et la zone de libre-échange continue et aucune solution n’est en vue.

A vrai dire, il nous semble, c’est un point de vue personnel, que l’on aurait pu faire l’économie de toute cette agitation qui n’a pas peu contribué à envenimer les relations politiques, et par contrecoup, à affaiblir la cohésion occidentale en un moment où elle a un besoin urgent, vital même, de s’affirmer ; le jeu n’en valait pas la chandelle.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1960-10-22 – Après la Tempête

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Le Courrier d’Aix – 1960-10-22 – La Vie Internationale.

 

Après la Tempête

 

A peine remis des émotions que les esclandres de Krouchtchev ont provoquées à l’O.N.U., les commentateurs s’interrogent sur les intentions profondes du leader soviétique. Comment expliquer que, venu à New-York avec autant d’atouts, il a pu revenir les mains vides ? Il semble, dit-on, s’en être rendu compte, puisque rentré à Moscou, il n’a fait aucune déclaration triomphale, à son habitude.

 

Les Mobiles de Krouchtchev à l’O.N.U.

Ce qui paraît sûr, c’est qu’il a dû abandonner au cours de la session, les plans qu’il avait établis. Si en effet, il s’était arrangé pour réunir dans le Palais de verre presque tous les chefs de gouvernements, tant communistes que neutres et occidentaux, c’est qu’il comptait rallier à ses propositions une majorité. Il ne pouvait le faire que sur des sujets où la démagogie a facilement prise : le désarmement, la liquidation du colonialisme, la paix universelle. Mais acteur avant d’être politique, il a senti dès l’abord une résistance : son public ne marchait pas. D’où son irritation. Au lieu de développer les thèmes qu’il avait lui-même annoncés avant de partir, il est revenu d’instinct au moyen dont se servent les émotifs qui ne peuvent persuader : faire peur, menacer : l’adversaire intimidé cherche l’apaisement par des concessions successives.

Le moyen est ancien ; tous les dictateurs en ont usé. Mais sauf sur MacMillan et Nehru, il n’a guère été efficace. La plupart des membres de l’O.N.U. n’ont aucune raison d’être effrayés, ni les Africains ni les Sud-américains par exemple, ne sont à portée des menaces de l’U.R.S.S. Seuls peuvent s’émouvoir ceux qui sont au bord de l’Empire soviétique ou dans sa trajectoire, les Européens et l’Angleterre et les Asiatiques qui ont des frontières communes avec l’U.R.S.S. et la Chine. Les autres sont des spectateurs plus enclins à profiter de la tension qu’à s’en alarmer.

 

A-t-il Voulu Détruire l’O.N.U. ?

Ce qui paraît également certain, c’est que Krouchtchev sentant qu’il ne pouvait dominer l’O.N.U. a cherché à la détruire. Cela est également constant : le communisme s’efforce de détruire ce qu’il ne peut annexer. Mais l’édifice a bien résisté. Cependant, beaucoup estiment que les violentes attaques répétées contre M. Hammarskoeld, bien que celui-ci l’ait emporté, ont miné la position du Secrétaire Général. A longue échéance, cela est possible, mais dépend d’événements ultérieurs, de la tournure que prendront finalement les affaires congolaises et d’autres qui se dessinent, en Corée ou au Laos ou même en Algérie lorsque l’O.N.U. sera peut-être amenée à prendre position, voire à agir.

Tôt ou tard, le Secrétaire Général sera un homme de couleur. Mais les Soviétiques n’y gagneront peut-être pas. Car si l’on peut dégager de l’ambiance onusienne une tendance ferme, c’est l’hostilité de la majorité à s’intégrer à un Bloc et la volonté de s’opposer aux entreprises de l’un ou de l’autre ; le neutralisme du futur Secrétaire paraîtra probablement encore moins pro-occidental, mais aussi plus anti-communiste. Il est probable que Krouchtchev s’en rend compte et qu’il a cherché plutôt à paralyser l’O.N.U. qu’à faire sa conquête. C’est bien le sens de sa proposition d’un Secrétariat Général tripartite où communistes, neutres et occidentaux mettraient alternativement leur veto à toute démarche positive. Krouchtchev craint en effet la formation plus étendue d’une police internationale au service de l’O.N.U. : l’exemple du Congo venant après celui de Suez, lui ont montré que cette force se mettrait au travers des objectifs soviétiques, étoufferait les conflits que l’U.R.S.S. cherche à attiser.

 

De Quelques Hypothèses

Une hypothèse vient à l’esprit : les Soviets ont réussi à Cuba un coup de maître ; Castro est allé vers le collectivisme au grand galop et vient de nationaliser toutes les entreprises privées de l’Île, non seulement les américaines, mais les cubaines. Il se fait ainsi beaucoup d’ennemis. L’économie du pays va traverser une crise, si ce n’est déjà fait. Les Etats-Unis ont mis virtuellement l’embargo sur leurs exportations. Les Soviets pour renflouer Castro devront y mettre un gros prix. Il n’est pas sûr qu’ils en aient les moyens. Une contre-révolution qui est déjà latente peut ensanglanter à nouveau le pays. Si l’O.N.U. était amenée à intervenir, ce ne serait pas Castro, ni le communisme qui y trouveraient leur compte.

Il en serait de même en Corée, si, comme on en prête l’intention à Krouchtchev, le pays actuellement coupé en deux, vient à être neutralisé et réunifié et que les diverses tendances politiques se trouvent alors aux prises et en viennent aux mains. Ce ne sont là que deux éventualités nullement certaines mais où l’O.N.U. pourrait être amenée à prendre part. Au cas de succès de son action, ce serait une troisième force, qui finalement s’installerait au pouvoir, non le communisme. C’est pourquoi Krouchtchev a laissé planer la menace de se retirer de l’O.N.U. avec ses Satellites et Alliés. Mais même dans ce cas, l’organisation internationale ne serait pas du même coup paralysée, à moins que le camp dit de la paix, ne lui fasse la guerre, ce qui semble tout de même difficile à réaliser.

 

Va-t-on vers une Récession ?

Le Monde libre est-il au début d’une récession économique ? Les symptômes sans être alarmants, ne manquent pas. Il est en effet difficile de tabler sur une expansion continue et sans à-coups, et le rythme de ces dernières années a été bien rapide pour continuer indéfiniment sans pauses. On a créé une sorte de mythe de l’expansion pour faire pièce aux planistes de l’autre monde. On n’a pas tenu compte de ceci : dans la conjoncture actuelle, les possibilités d’accroître la production ont augmenté à tel point que la consommation solvable ne peut pas y répondre immédiatement, peut-être même pas l’autre, l’insolvable, que grâce aux prêts ou aux dons, est offerte aux pays sous-développés. Les besoins même illimités, en principe, veulent du temps pour prendre conscience d’eux-mêmes. Il est dangereux de pousser aveuglément à accroître le potentiel industriel. On l’a vu pour le charbon ; on est en train de le voir pour le pétrole et l’automobile ; demain nous sommes persuadés que ce sera le tour de l’acier.

Il n’est pas question d’imposer une planification qui souvent se trompe d’objectif, poussant la production là où il faudrait ralentir, et inversement. Ce qui est prudent, c’est de réagir contre une psychose de développement inconsidéré auquel les gouvernements prêtent parfois un concours aussi généreux qu’enthousiaste. Sinon, on ira bel et bien vers une crise véritable qui serait grosse de menaces pour tous.

 

L’Élection Américaine

Le 8 novembre est proche et l’élection présidentielle américaine reste une inconnue. Les deux candidats s’affrontent sur un problème et bientôt s’effrayent eux-mêmes de leur opposition et renoncent pour passer à une autre controverse, vite étouffée aussi. Kennedy demeure favori, parce que Nixon n’est pas plus populaire que lui, moins peut-être et que les Démocrates sont plus nombreux que les Républicains. Il y a cependant beaucoup d’indécis. Il se pourrait qu’Eisenhower, au dernier moment mette son poids dans la balance. Certains propos sur sa future retraite le laisseraient à penser. Il pourrait faire comprendre aux électeurs que si le Vice-Président est élu, il ne se retirera pas complètement de la scène  et qu’il assistera Nixon dans les conseils de Gouvernement, ce qui pourrait décider beaucoup d’hésitants. Ce n’est là qu’une conjecture. Nous verrons bien.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1960-10-15 – Du Danger d’aller à Contre-Courant

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Le Courrier d’Aix – 1960-10-15 – La Vie Internationale.

 

Du Danger d’Aller à Contre-Courant

 

Les Français sont, à juste titre, plus préoccupés de la situation intérieure que de l’internationale. N’étaient nos propres soucis, on dirait que les choses, malgré le grand bruit que l’on fait à l’O.N.U. ne vont pas mal pour le Monde libre. Deux faits se dégagent : il n’y aura pas de crise pour Berlin avant l’installation du nouveau Président des Etats-Unis et les multiples harangues et saillies de M. Krouchtchev n’ont nullement élevé le prestige du communisme, tout au contraire.

 

Appréciation de Montanelli

Dans un récent article, Montanelli analyse fort bien ce qui fut l’erreur psychologique de Krouchtchev à l’O.N.U. Les nouveaux Etats, et particulièrement les Noirs récemment admis, sont devenus les défenseurs zélés, les prêtres, dit-il, de l’organisation internationale. C’est un Club qui leur plait parce qu’il leur donne la mesure de leur importance.

« C’est la seule tribune où un Etat de quatre cent mille habitants, dont trois cent quatre-vingts analphabètes, peut faire entendre sa voix au monde entier et avoir l’illusion qu’on l’écoute » et il ajoute : « à défendre l’O.N.U. ce ne sont pas les grandes puissances, devenues sceptiques, mais quelques jeunes diplomates qui s’y sentent attachés par la passion la plus forte qui domine l’âme humaine : le snobisme ».

Le délégué de quelque Etat d’Afrique peut appeler celui de l’Angleterre cher collègue, s’habiller chez son tailleur, s’asseoir à sa table, etc … Si l’institution s’écroulait, il devrait rentrer chez lui. Si elle était dévalorisée, c’est lui-même qui perdrait son rang et si un Fidel Castro la transformait en un cirque, c’est lui qui serait réduit au personnage de clown.

Et le publiciste italien fait remarquer que les Noirs nouvellement admis ont voulu donner aux Blancs une leçon de décence et de dignité, rendus plus nécessaires encore après les actes barbares du Congo belge. Même lorsqu’il s’est agi du passé colonial, les délégués africains en ont parlé, pour la plupart, avec mesure et sans chercher une revanche contre ceux qui les ont libérés, mais au contraire, pour en requérir l’aide. Tout cela est bien différent par le ton et l’expression des diatribes d’un Krouchtchev ou d’un Castro. Même Soekarno, le Président indonésien, a dit à Eisenhower : lorsque nous sommes vraiment dans l’embarras, c’est toujours vers vous Américains, que nous nous tournons. Les Etats-Unis en donnant un total appui à l’O.N.U., malgré toutes les difficultés qui en résulteront pour eux, n’auront pas en définitive fait une mauvaise affaire.

 

La Politique Française vue de l’Extérieur

Force nous est de parler une fois de plus de la politique française, telle que le monde la juge. Il serait vain de se payer d’illusions : le capital considérable d’estime et même d’admiration que le Chef de la Vème république avait accumulé au début et qui était encore intact cet été, s’est dissipé depuis la Conférence de presse du 5 septembre. Puisque la France le veut ainsi, dit-on, qu’elle se débrouille seule. Les Soviets, qui nous avaient ménagés jusqu’ici, ont reconnu de facto le G.P.R.A. C’est un symptôme qui ne trompe pas. Nous l’avons dit ici, dès le début du nouveau régime : il n’y a qu’un problème pour la France, c’est le problème algérien. Pour mettre toutes les chances de notre côté, il faut entretenir la sympathie de tous les peuples et leur complaire dans toute la mesure possible, particulièrement ceux qui nous sont alliés. Or, il n’en est aucun avec lequel actuellement nous ne soyons en désaccord. Ce qui est d’autant plus regrettable, qu’aucun de ces sujets de discorde n’a la moindre valeur d’actualité.

 

Les Discussions Présentes

Nous nous sommes abstenus de commenter toutes ces consultations, visites, et contre-visites qui se sont succédé depuis l’entrevue de Rambouillet. En vérité, on pouvait se demander : de quoi s’agit-il ? Toutes ces discussions qui tournent à l’aigre concernent des évènements hypothétiques et parfaitement inactuels. Que peut signifier, en effet, notre indépendance militaire et le rejet de l’intégration atlantique dans l’O.T.A.N. ? Rien présentement, puisque notre armée est en Algérie et que le reste ne représente pas grand-chose. Si comme on a de bonnes raisons de l’espérer, la paix demeure, la forme de notre organisation militaire en Europe n’a aucune importance. En cas de guerre, elle en aurait encore moins, car il est absolument invraisemblable que ce qui reste du continent serait épargné quelle que soit l’attitude des hommes politiques. Même indépendants, nous serions intégrés aux autres par la force des choses. Pourquoi donc se brouiller avec les Américains et les Allemands pour des questions qui n’auront jamais à se poser dans les faits prévisibles ?

Il en est de même pour l’intégration européenne. Elle n’est pas pour demain, et si l’on est réaliste, il y a peu de chances qu’elle le soit avant bien longtemps, sinon jamais. En tous cas, d’ici qu’elle soit possible, bien des événements auront changé les données actuelles du problème sur lesquelles on se querelle. On avait mis en mouvement une idée pleine de promesses, une utopie peut-être, mais les utopies même sont bienfaisantes et elles produisent souvent des effets concrets par l’élan même qu’elles donnent aux esprits. Il ne fallait pas y toucher.

Autant pour l’O.N.U. Qu’on le veuille ou non, son rôle dans le cours de la politique internationale ne fera que grandir. C’est peut-être fâcheux ; ce n’est d’ailleurs pas sûr, comme nous venons de le voir à New-York, mais cela est un fait dont il faut s’accommoder et tirer si possible le meilleur parti ; le danger d’aller à contre-courant est évident, on ne saurait trop le répéter. Se trouver isolés, entourés de suspicions en un moment où le plus grave de nos problèmes l’est plus que jamais, ce n’est plus une politique, c’est une aberration. C’est exactement le mot que l’on prononce outre-Atlantique. Nous ne l’inventons pas.

 

Le Congrès Travailliste de Scarborough

Pour nous distraire de pensées pénibles, revenons au Congrès du Parti travailliste anglais qui s’est tenu à Scarborough. Là, au contraire, plus cela change, plus c’est pareil. Le leader M. Gaitskell a d’abord été copieusement battu sur les questions de défense nationale. Le vieux pacifisme de gauche britannique s’est prononcé pour l’abandon immédiat et unilatéral de l’arme atomique par l’Angleterre ; malgré l’absurdité de cette thèse démontrée par Gaitskell, les Trade-Unions l’ont votée. Puis, le même Gaitskell a remporté une victoire non moins éclatante sur la question des nationalisations qu’il veut toujours remplacer par une prise de participation de l’Etat dans les entreprises privées. Hué la veille, il a été acclamé le lendemain et les délégués se sont dispersés satisfaits.

Décidément le vieux socialisme n’a pas perdu ses habitudes. Beaucoup d’entre-nous se souviennent de ces résolutions « nègre blanc » qui étaient votées à l’unanimité, après que les factions s’étaient trouvées en désaccord sur tous les points débattus, à l’époque héroïque où Léon Blum présidait.

 

                                                                                  CRITON

Criton – 1960-10-08 – Hammarskoeld et Krouchtchev

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Le Courrier d’Aix – 1960-10-08 – La Vie Internationale.

 

Hammarskoeld et M. Krouchtchev

 

L’attitude de M. Krouchtchev à l’O.N.U. déconcerte à leur tour les augures de la politique internationale qui avaient subi, à l’endroit du maître de l’U.R.S.S., un complexe d’infaillibilité. On peut même se demander si ses précédents succès ne lui ont pas tourné la tête, si le comédien pris à son jeu n’a pas, par moments, perdu le contrôle. Sans aller jusque-là, on peut penser que l’échec au Congo explique sa rage, qu’il tourne vers M. Hammarskoeld, sans autre succès que de faire applaudir le Secrétaire de l’O.N.U. chaque fois que celui-ci répond au chef communiste. Il n’en faut pas plus pour qu’un homme qui se croit tout puissant, sorte de lui-même.

 

L’U.R.S.S. quittera-t-elle l’O.N.U. ?

La véritable question est de savoir, si Krouchtchev, comme il l’a fait supposer, se retirera de l’O.N.U. avec ses acolytes, définitivement. La chose est possible. L’avantage pour les Russes serait de n’être plus liés par les décisions de l’Assemblée et de n’y plus subir la loi du nombre. Mais les inconvénients sont aussi évidents. Les Soviets perdraient une tribune de propagande d’importance, et laisseraient aux Occidentaux, en l’occurrence les Anglo-Saxons, la direction morale de ce vaste groupement de diplomates de 90 nations. Quant à fonder à Moscou ou ailleurs, une assemblée rivale, où siègeraient les seuls communistes, elle ferait double emploi avec les autres rassemblements périodiques qu’ils organisent ; l’écho de leurs discours serait assez affaibli. Malgré ses fureurs, nous pensons que « K » restera à l’O.N.U.

Tout cela n’arrange rien et la guerre froide est plus âpre que jamais. Il est vrai que l’on s’habitue …

 

La Riposte à Berlin

Cependant l’affaire de Berlin entre dans une nouvelle phase. Après bien des hésitations, le gouvernement de Bonn a franchi le pas. Il contre-attaque ; le traité de commerce qui liait les deux Allemagnes est suspendu à partir du 1er janvier prochain. Les industriels de la République fédérale, surtout les métallurgistes, y perdront un important débouché, mais les gens de Pankow ont plus à perdre. Leur production va subir de nouvelles entraves. Les pays de l’Est ne pourront leur fournir ce que Bonn refuse et à l’égard des Neutres, ils n’ont les moyens de payer leurs commandes, ni en devises fortes, ni en nature.

Par contre, il est aisé de prévoir que la dénonciation de l’accord commercial, sera le prétexte à de nouvelles restrictions aux communications de Berlin-Ouest avec l’Occident. Celles-ci, dit-on à Bonn se seraient produites en tout état de cause. Pour être vraiment efficace, il faudrait que le blocus de la D.D.R. soit étendu aux marchandises fournies par tous les Occidentaux. Les Américains pour lesquels le marché de l’Allemagne orientale est négligeable s’y prêteront sans doute. C’est plus douteux pour les Français et surtout pour les Anglais qui ne peuvent se permettre de perdre aucune exportation. On attend la réaction d’Ulbricht pour savoir si la mesure était judicieuse et opportune.

 

La Crise du Travaillisme Anglais

La crise du Parti travailliste anglais a pris un tour aigu au Congrès qui se tient actuellement à Scarborough. Si le Labour éclate en deux factions irréductibles, ce sera la fin du Parti travailliste en tant qu’« opposition de sa Majesté », c’est-à-dire qu’il ne pourra plus prétendre à être prêt à prendre le pouvoir. Déjà numériquement affaibli aux dernières élections, il n’aurait plus aucune chance aux prochaines. Le système de la Démocratie anglaise aurait cessé de fonctionner. Il reste cependant une solution : c’est la fusion du vieux Parti libéral, très diminué, mais encore vivant avec l’aile droite du Travaillisme personnifié par Hugh Gaitskell. L’aile gauche abandonnée à son sort constituant un parti résiduel comme l’est présentement le libéral.

Nous n’en sommes pas là, mais comme les habitudes mentales des peuples sont plus fortes même que leurs passions politiques, l’hypothèse, à la longue s’entend, n’est pas invraisemblable. Les Anglais reviendront, d’une façon ou d’autre au bipartisme traditionnel, celui des Whigs et des Tories.

 

Le Parti de l’Ennemi en France

La force de ce que nous appelons ici, faute de meilleure expression, les habitudes mentales, est d’une permanence prodigieuse. Chez nous, par exemple, on voit se reconstituer le parti de l’ennemi, qui selon les circonstances, a toujours surgi au cours de nos crises nationales. L’adversaire a toujours eu des partisans passionnés ; depuis la Fronde jusqu’à la guerre d’Algérie, en passant par le nazisme, on pourrait multiplier les exemples. Ils n’ont jamais manqué. Ce phénomène de pathologie sociale dont nous n’avons pas l’exclusivité, est cependant bien caractéristique de notre histoire politique.

 

Le Congo et l’Occident

A un tout autre échelon, ce qui s’est passé au Congo est du même ordre. Les récits qui nous parviennent des sanglants événements qui ont suivi la proclamation de l’indépendance du Congo belge, nous montrent la stupéfiante rapidité avec laquelle les tribus noires ont liquidé la civilisation qu’en 75 ans de « colonialisme » les Belges avaient tenté d’introduire. En quelques jours après avoir pillé et incendié les édifices élevés par les blancs et chassé ceux-ci par la terreur, les tribus se sont livré, sans contrainte, leurs combats ancestraux, puis sont retournés à la brousse ou à la jungle, et ont repris leur vie primitive, retrouvant des habitudes et des modes d’existence qu’ils ne connaissaient que d’instinct puisqu’ils ne les avaient pas pratiqués depuis leur naissance.

Ce drame africain n’est qu’un aspect d’un phénomène général ; la difficulté pour une civilisation de faire accepter ses modes par des peuples de nature différente. On réussit à « intégrer » quelques personnalités bien douées, mais on les sépare ainsi de la masse ; ou bien elles s’imposent par la force, ou bien la masse retourne à ses manières ancestrales. On n’échappe pas à l’alternative.

 

Les Difficultés de l’Union Européenne

Le problème de l’organisation européenne, lié à celui de l’harmonisation entre les Six pays du Marché Commun et les Sept de la zone de libre-échange, continue d’être l’objet de conversations et de débats multiples qui font plutôt ressortir les difficultés que les aplanir. Les Anglais avaient, sans doute à titre de ballon d’essai, admis le principe d’un tarif extérieur commun pour les produits industriels des treize Etats. Mais la récente Conférence des Ministres du Commonwealth, contrairement à ce que nous pensions, ne s’est pas montrée favorable à cette proposition.

Le Canada et la Nouvelle-Zélande ne veulent pas renoncer à la préférence impériale en échange de l’accès libre au groupe ainsi formé. La raison de ce durcissement est claire. L’économie canadienne n’est pas en brillante posture. Après la prospérité de ces dernières années, c’est le pays le plus touché par l’actuel ralentissement. Pour la première fois depuis la guerre, le produit national brut a baissé. Pour la Nouvelle-Zélande, bien que les produits agricoles qu’elle exporte ne soient pas inclus dans un tarif commun éventuel, elle craint pour son industrie naissante la perte des clients proches, alors que les pays européens lui demeureraient inaccessibles. La Suisse de son côté ne peut consentir à relever ses droits de douane. Les vieilles frontières sont des remparts tenaces.

 

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Criton – 1960-10-01 – Les Paroles s’envolent

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Le Courrier d’Aix – 1960-10-01 – La Vie Internationale.

 

Les Paroles s’envolent

 

Les discours fleuves ont déferlé sur l’O.N.U. A les examiner de près, ce qui est – on nous croira aisément – une tâche ingrate et fastidieuse, on constate que chaque orateur a exposé, non ce qui était de l’intérêt général, mais ce qui dissimulait plus ou moins mal son propre intérêt ou plutôt sa propre ambition. C’est là ce qui est grave pour une assemblée dont la raison d’être est de rechercher ce que chacun devrait sacrifier de ses préférences pour le bien commun des peuples. Finalement, cette tribune ne sert qu’à exalter les nationalismes divers et à accentuer des divergences de vues qu’il conviendrait au contraire de concilier.

Une autre constatation ressort de cette confrontation des chefs d’Etat. L’outrecuidance et le cynisme des dictateurs de toutes nuances, que ce soit Krouchtchev, Tito, Fidel Castro, Nasser ou Nkrumah, aveuglés par leurs ambitions et leurs haines et la timidité des présidents des démocraties pauvres d’imagination et de faible autorité, qui font toujours figure d’accusés, sinon de coupables. Une exception cependant : le Premier canadien Diefenbaker qui a dit leur fait à ceux qui parlent de la liberté qu’ils oppriment, et de la paix qu’ils ne cessent de menacer. Tout cela n’est pas nouveau, malheureusement.

 

L’Étrange Politique Russe

Quant à Krouchtchev, nous ignorons s’il est content de lui, comme il le prétend, mais, sauf dans le camp communiste, et encore, sa harangue et ses arguments n’ont pas eu grand succès. Nous avouons même ne pas comprendre comment une diplomatie qui a été souvent fort habile, celle des Soviets, a pu s’enferrer dans de pareilles erreurs. Ce qu’a dit Krouchtchev visait en effet à paralyser l’O.N.U. et à discréditer son action, cela devant des représentants de jeunes Etats pour lesquels l’accès à l’Assemblée internationale est à la fois une promotion enviée et une sauvegarde présente et future d’une indépendance qu’ils savent menacée et précaire.

D’abord les invectives renouvelées contre M. Hammarskoeld que Krouchtchev voudrait voir remplacé par un triumvirat composé d’un communiste, d’un occidental et d’un neutre ; ce qui reviendrait à enlever à ce directoire toute chance d’accord et d’action. Proposition qui, en outre, exigerait une modification de la Charte pour laquelle aucune majorité ne pourrait être réunie tant au Conseil de Sécurité qu’à l’Assemblée Générale. M. H. a relevé le défi, et les applaudissements qui ont salué son intervention ne laissaient aucun doute au clan communiste sur les sentiments de l’auditoire. Krouchtchev a même fait de cette modification du Secrétariat et du départ de M. H. la condition d’une reprise des négociations sur le désarmement qui devait être son thème favori puisqu’il l’avait annoncé.

Il n’a pas été plus suivi quand il a proposé Genève ou Vienne et même Moscou comme siège de l’O.N.U. Outre les difficultés matérielles d’un tel transfert, les diverses délégations voyaient dans la manœuvre le risque d’être moins protégés qu’à New-York des menaces soviétiques. Vienne à quelques lieues des tanks russes et Genève étant réservé aux contacts officieux et aux tractations secrètes, voire à l’espionnage. Quant à Moscou, qui l’accepterait en dehors de M. Sékou Touré ?

De plus, en proposant l’accès immédiat à l’indépendance des pays africains encore sous tutelle, Krouchtchev n’a pas suscité l’enthousiasme escompté.

Même la proposition toujours renouvelée, au moins verbalement, d’accueillir la Chine communiste à l’O.N.U. n’a pas trouvé grand écho. Un perturbateur de plus, pensent beaucoup de délégués, même ceux qui, comme Nehru, s’y prétendent favorables.

 

Au Congo

La situation au Congo demeure confuse. Si pour le moment le pays a cessé d’être un théâtre de guerre froide depuis la fuite des Soviétiques, la partie se joue maintenant entre les nationalistes panafricains, avec Nkrumah en flèche, qui soutient Lumumba et vise à l’élimination des Blancs, et les autres qui veulent conserver l’aide des Occidentaux. Ces derniers, bien qu’ils soient la grande majorité, sont gênés de paraître des collaborateurs, comme Tshombe au Katanga. L’équilibre des courants est donc instable.

 

L’Indépendance de la Nigéria

Cependant, un nouveau facteur sur l’échiquier africain va paraître ces jours-ci avec l’indépendance de la Nigéria. On sait que ce pays, le plus riche et le plus peuplé d’Afrique noire, avec ses 35 à 40 millions d’habitants, accède à l’indépendance le 1er octobre. Le nouveau Premier de cet Etat, Sir Tafawa Balewa, que l’on compare souvent à Houphouët Boigny, est l’opposé d’un panafricain et n’a aucune estime pour ses voisins, Nkrumah et Sékou Touré. Si la Nigéria réussit – ce qui n’est pas sûr – à échapper à l’éclatement en ses trois provinces, le Ghana de Nkrumah avec ses 4 millions et demi d’habitants, ne pèsera plus aussi lourd dans les destinées africaines.

 

Politique et Économie en Afrique Noire

D’autre part, si l’on y regarde de près, les divisions politiques entre pays africains sont en réalité des différences d’intérêt économique. C’est par exemple, la raison – ce qu’il était facile de prévoir – de l’éclatement du Mali.

L’économie du Sénégal repose sur l’exportation des arachides qui ne peuvent trouver qu’en France un débouché rémunérateur. Il lui faut de plus importer une forte proportion de sa nourriture, c’est-à-dire s’adresser à un pays disposé à la lui fournir, même si le déficit de sa balance commerciale ne lui permettait pas de l’acheter. Au contraire, le Soudan, grâce à ses exportations de viande peut se suffire, son économie primitive lui permet de se détacher de la France, sans que la population en souffre.

La côte d’Ivoire est dans la même situation que le Sénégal : la rupture avec le marché français serait catastrophique. Qui lui achèterait au prix fort, son café, son cacao et ses bananes ?

A l’inverse, la Guinée avec ses ressources minières, fer, bauxite, ses chutes d’eau, qui peuvent permettre une industrialisation étendue, peut prétendre à une totale indépendance en s’adressant à volonté aux deux camps.

Quant à la Nigéria dont les ressources sont variées et multiples, elle a, par contre et en contraste avec tous les autres pas noirs, une forte densité de population, 35 habitants au km2. Pour les faire vivre et prospérer et mettre le pays en valeur, il lui faut de gros capitaux étrangers que l’Occident seul  est en mesure de fournir.

Ces diverses situations expliquent les positions politiques et soutiennent, et en quelque sorte justifient, les rivalités de personnes. L’unité africaine n’est pas pour demain.

 

Les Soucis du Fonds Monétaire Internationale

En ce moment se tient à Washington l’Assemblée annuelle du Fonds Monétaire International qui a, cette fois, devant elle des problèmes particulièrement délicats. Comme nous l’avons exposé déjà, le règne du Dollar a pris fin et de plus les signes d’une récession aux Etats-Unis commencent à se préciser. L’hémorragie d’or se poursuit et même s’accélère, parce que la charge des pays sous-développés et de l’aide à l’étranger absorbe à elle seule plus que les excédents de la balance commerciale que les capitaux américains privés vont s’investir dans les pays européens où les prix de revient sont plus avantageux, enfin que les taux d’intérêt offerts aux capitaux flottants sont plus élevés à Londres ou à Paris qu’à New-York.

La situation devient préoccupante pour les Etats-Unis et par voie de conséquence, pour les autorités monétaires internationales. Aucune mesure sérieuse ne peut être envisagée avant les élections de Novembre, à moins que d’ici là, la situation n’échappe à tout contrôle, ce qui n’est souhaitable pour personne.

 

                                                                                  CRITON

Criton – 1960-09-24 – Devant le Forum International

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Le Courrier d’Aix – 1960-09-24 – La Vie Internationale.

 

Devant le Forum International

 

Les observateurs se demandent pourquoi les Soviets se sont attiré, dans l’affaire du Congo, la plus sévère défaite diplomatique qu’ils ont subie depuis la guerre, et cela au moment où Krouchtchev et ses acolytes viennent témoigner par leur présence de l’importance qu’ils attachent à l’Institution internationale.

 

L’Échec Russe au Congo

Au départ, comme nous l’avons vu, ils avaient misé sur Lumumba dont ils avaient fait leur homme. Celui-ci, désarçonné, on pouvait s’attendre à ce qu’ils changent leurs batteries et intriguent autour d’un nouveau pouvoir à Léopoldville. Au contraire, en s’obstinant, ils se sont fait expulser sans autre formalité, eux et les Tchèques, par le Colonel Mobutu avec l’assentiment du président Kasavubu. Ce que les trembleurs de New-York et de Londres n’auraient osé faire, un simple militaire d’occasion n’a pas hésité à l’ordonner et les Iliouchine ont embarqué dans les plus brefs délais, Ambassadeurs et techniciens avec armes et bagages.

 

L’Offensive au Conseil de Sécurité

Pendant ce temps, Zorine, au Conseil de Sécurité, couvrait M. Hammarskoeld d’injures et d’accusations de complicité avec les Occidentaux, ce qui valut par la suite au Secrétaire de l’O.N.U. un vote massif de confiance des Afro-Asiatiques et de la totalité des membres de l’Assemblée Générale, sauf les Communistes … et la France. Au moment où Krouchtchev se prépare à haranguer l’Assemblée, ce désaveu que les Russes ont délibérément cherché, paraît inexplicable.

 

L’Explication de l’Attaque Russe

A notre sens, cela n’est qu’apparence. Les Soviets visent plus loin que l’affaire du Congo et de plus, ne renoncent pas à intervenir dans ce pays quand l’occasion leur sera favorable, ce qui peut arriver, car les protagonistes là-bas sont aussi inconsistants les uns que les autres. Ce que les Russes cherchent, c’est d’une part, déménager l’O.N.U. de Manhattan où la présence américaine entretient un climat qui leur est défavorable et la transférer en pays neutre, à Vienne où l’atmosphère ne serait pas davantage procommuniste, mais où leurs forces toutes proches, feraient sentir leur présence et où celles des Américains seraient à l’écart.

D’autre part, leurs attaques contre Hammarskoeld, si elles renforcent aujourd’hui le prestige du Secrétaire Général, visent à lui substituer à l’expiration de son mandat, un vrai neutre, un Hindou par exemple. Calomnier, il en reste toujours quelque chose et les Soviétiques pensent que la candidature d’un homme de couleur séduira les afro-asiatiques qui vont détenir bientôt la majorité à l’O.N.U. L’échec d’aujourd’hui compte peu s’ils réussissent plus tard à soustraire l’assemblée internationale à l’influence des U.S.A.

Au surplus, les Soviets conservent des alliés en Afrique. Sékou Touré qui vient de faire son tour à Moscou et à Pékin et a obtenu des crédits pour la Guinée ; demain, sans doute Modibo Keita et, dans d’autres occasions prochaines, quand se poseront les problèmes de la Mauritanie et de l’Algérie à l’O.N.U., ils pensent retrouver de leur côté le Maroc et la Tunisie et bien entendu Nasser et peut-être d’autres. Voilà pourquoi ils ont préféré subir le présent échec pour ne rien perdre de leur position anti-occidentale dans d’autres débats. Ajoutons à cela, la présence invisible mais réelle de la Chine de Pékin, qui les oblige à ne pas transiger, à ne paraître en aucun cas faire une politique d’apaisement avec les pays capitalistes.

 

La Tactique est-elle Bonne ?

Le calcul des Soviétiques est-il bon ? On peut en douter. L’O.N.U. bientôt dominée par le groupe afro-asiatique auquel s’adjoindront plus ou moins certains pays d’Amérique latine, cherchera naturellement à renforcer une position neutraliste à l’égard des deux blocs et ne manquera aucune occasion de montrer son indépendance. Les petits Pays, comme l’a très habilement montré M. Hammarskoeld dans son rapport, ne feront entendre leur voix dans les affaires du monde, que s’ils prennent leurs distances et s’opposent à l’ingérence des Grands dans leurs affaires, sauf au cas où celle-ci les sert.

Ici la position des U.S.A. est plus forte que celle de l’U.R.S.S. Leur politique est plus favorable aux intérêts des jeunes Etats que celle des Soviets, et ces jeunes Etats ne craignent pas les Américains. Ils savent, par expérience, qu’ils pourront toujours les plier à leurs vues et les exploiter au maximum, ce qui n’est pas négligeable.

 

L’Affaire Malikowski

Un Capitaine de l’armée d’Allemagne orientale, chef des services politiques, est passé récemment à Berlin-Ouest et il a communiqué aux autorités de Bonn, qui les ont diffusés, des documents d’où il ressort que Pankow se prépare à mener une offensive militaire contre la République fédérale. Ces tracts ont provoqué une émotion que Bonn n’a pas manqué d’exploiter pour alerter les Alliés occidentaux sur la situation de Berlin. Ces documents, certainement authentiques, étaient sans doute destinés à être divulgués par Ulbricht pour démoraliser les Berlinois et jeter la panique parmi les populations d’Allemagne occidentale. Le Maire de Berlin-Ouest, Willy Brandt a révélé à l’occasion que les puissances de l’O.T.A.N. avaient mis au point un plan de riposte qui, dit-il, n’est pas seulement économique. La manœuvre de Pankow ne paraît pas très habile. Ulbricht voudrait-il lui aussi torpiller la « coexistence pacifique » ? C’est fort possible.

 

Le Capitaine Artamonov

De leur côté, les U.S.A. ont exhibé un autre personnage, un officier de marine russe, Artamonov, passé aux Américains. Nous avons écouté, malgré le furieux brouillage des Soviétiques, l’interview que celui-ci a diffusée dans l’émission en russe de  « la voix de l’Amérique ». Il a révélé que les autorités navales de Moscou avaient donné aux officiers supérieurs de la flotte des instructions en vue d’une attaque atomique surprise de l’U.R.S.S. contre les U.S.A. Mais cela prouve-t-il qu’ils en aient réellement l’intention, ou simplement qu’ils veulent tenir leurs équipages en perpétuelle alerte ? Le Capitaine paraissait très convaincu de son fait et a donné sur la politique de Krouchtchev bien des détails intéressants. Il croit que Krouchtchev se moque bien de l’idéologie qu’il patronne et qu’il ne compte pas du tout sur l’effondrement du capitalisme ainsi qu’il le prétend, comme le simple effet d’un processus historique. C’est un réaliste qui veut imposer la suprématie russe sur le monde et le fera par la force le jour où il croira qu’il le peut sans trop de risques.

C’est ce que nous avons toujours pensé de lui. Heureusement ce jour n’est pas venu. La coexistence pacifique n’est autre chose que l’aveu de cette impuissance. Mais une erreur de calcul est toujours possible. Il est bon que quelques échecs diplomatiques l’obligent à réfléchir.

 

Les Statistiques Soviétiques

Le croirait-on ? Il y a des économistes objectifs en U.R.S.S. qui contestent les chiffres de la propagande, ou plutôt il y en a un ; tressons-lui une couronne, en souhaitant que cela ne lui porte pas malheur. Dans une étude sur  « l’Économie socialiste en U.R.S.S. », le professeur Strumilin montre que les statistiques sur le développement de la production en Russie sont erronées. Par un jeu qu’il expose, les matières premières de base qui sont employées dans la fabrication d’un objet fini, sont comptées deux fois, ce qui a permis de faire croire que la production, en 1956 par exemple, s’est accrue de 11% alors qu’en réalité, elle n’a été que de 8%. Nous renvoyons cette étude à un spécialiste français qui affirmait récemment que les statistiques soviétiques étaient irrécusables. Il le disait sans rire. Il est vrai que c’est un marxiste bon teint.

 

                                                                                  CRITON

 

Criton – 1960-09-17 – L’Enjeu Africain

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Le Courrier d’Aix – 1960-09-17 – La Vie Internationale.

 

L’Enjeu Africain

 

Aucun événement depuis la guerre n’a mis à plus rude épreuve le cerveau du commentateur que l’actuelle affaire du Congo. En effet, ce ne sont pas seulement des courants politiques qui se heurtent mais des forces passionnelles sur lesquelles aucun pronostic n’est valable. Chaque jour tout est à repenser.

 

La Guerre Froide en Afrique

L’enjeu s’élargit sans cesse : la guerre froide gagne l’Afrique et la divise encore davantage. L’Occident a ses partisans auxquels ceux de l’Est s’opposent. L’U.R.S.S. a installé en Guinée une solide tête de pont ; après la rupture du Mali, le Soudan va très probablement s’y joindre. De plus, le camp neutraliste penche vers l’Est. Tito s’est prononcé pour Lumumba ; Nasser retire ses troupes à l’O.N.U. ; Nkrumah, du Ghana, jusqu’ici hésitant, semble disposé à les suivre. Comme ces Messieurs font tous, comme Krouchtchev, vapeur vers l’Assemblée générale de New-York qui se tient le 19, on se demande ce que feront les opposants devant un tel déploiement de force. Jusqu’ici ils n’ont cherché qu’à gagner du temps ; le Conseil de Sécurité s’ajourne chaque fois qu’on le convoque. On compte éviter d’avoir à se prononcer dans l’espoir qu’à Léopoldville, la situation sera tranchée.

 

Le Personnage de Lumumba

Elle paraissait bien l’être quand Kasavubu a fait arrêter Lumumba. Deux heures après, il était libéré.

Cet étrange personnage confirmerait la thèse de certains historiens, à savoir que les destinées du monde ont souvent dépendu des accès de fièvre de malades mentaux, Lumumba en est un. Un psychiatre occidental le classe dans les paranoïaques. Mais ce semi-dément est aussi un sorcier au sens africain. Ses adversaires sont paralysés devant lui, ce qui explique qu’il reparaît puissant chaque fois qu’on le croit maîtrisé.

 

L’Enjeu à l’O.N.U.

Ce qui est sérieux dans l’affaire, c’est que les Occidentaux ne semblent pas avoir compris que leur situation serait gravement compromise si la majorité à l’O.N.U. se prononçait contre eux et qu’ils perdaient la bataille du Congo. Rien ne sert de vilipender, comme on l’a fait, l’institution internationale. Elle existe malheureusement pour nous. Elle est une force qui peut beaucoup si on la traite en ennemie. Elle est en ce moment secouée de velléités contraires. Il s’en faut de peu qu’elle ne finisse par adopter ce « neutralisme positif » comme on dit, qui en fait, est anti-occidental. Si M. Hammarskoeld échoue à Léopoldville, son remplaçant ne sera ni européen, ni blanc ; un Hindou sans doute.

Nous n’avons pas de conseils à donner aux maîtres de l’heure. Mais à leur place nous serions allés ensemble et en accord à cette assemblée à grand spectacle, et en face des Krouchtchev et consorts, nous aurions engagé la bataille avec tout le déploiement de force possible, au lieu de laisser le champ libre à l’adversaire. En effet, pour nous Occidentaux, la parole n’a pas grande valeur. Notre scepticisme est toujours prêt à répondre aux discours « cause toujours » et d’en laisser plus que d’en prendre. Chez les Sous-développés, il en est autrement : le verbe est une force, un instrument de domination, une incantation si l’on veut. Il faut s’y faire.

 

L’Optimisme demeure

Cela posé et au risque de paraître nous contredire, notre opinion au fond demeure optimiste. Les Soviets ne doivent pas réussir à s’imposer au Congo. Nous pensons que la majorité des Africains, même ceux qui paraissent d’humeur contraire, souhaitent un arrangement pacifique sous les auspices de l’O.N.U. La guerre civile au Congo porterait à la cause de l’indépendance africaine un coup sévère et ils préfèrent régler leurs comptes entre eux par des discours plutôt que des violences, sans que la guerre froide vienne faire de l’Afrique son théâtre choisi. Les Noirs d’Afrique savent fort bien qu’ils sortiront de leur état de sous-développement non par eux-mêmes mais par une aide extérieure et c’est celle de l’O.N.U. qui présente sinon le plus d’efficacité, du moins le moindre risque. Comme on l’a dit, les Sous-développés sont en réalité des sous-capables. A ce titre, le problème pour eux est d’éviter de passer d’une colonisation dans une autre. Ils ne le peuvent qu’en appuyant l’action présente des forces de M. H.

 

Berlin

L’affaire de Berlin redevient ou plutôt continue d’être préoccupante. Le gouvernement Ulbricht multiplie les coups d’épingle pour provoquer les réactions de Bonn. Le Chancelier Adenauer prudent, reste en vacances à Cadenabbia en Italie, laissant à son éventuel successeur, le Dr Erhard le soin de riposter. Jusqu’ici, seuls les Allemands ont mené la contre-offensive, les Alliés se contentant de protestations verbales contre les infractions au règlement quadripartite qui régit Berlin. Cette attitude équivoque et vaine a l’inconvénient de placer les Allemands de Bonn en flèche et par conséquent de s’offrir en cible aux attaques des Soviétiques. De là à les mettre en position de provocateurs et de revanchards, il n’y a qu’un pas qu’on ne se fait pas faute de franchir à Moscou. Si les Alliés, Allemands compris, avaient adopté une ligne de conduite commune, on aurait évité les accès de nervosité et les meetings dont Berlin a été le point de ralliement pour les Allemands expulsés de l’Est, excellent prétexte pour la propagande communiste qui trouve des échos en Occident même, et particulièrement chez nous.

 

La Mégalomanie Russe

Il serait absolument nécessaire de montrer constamment à Krouchtchev les limites qu’il ne doit pas franchir. Car le succès grise surtout notre russe qui ne dédaigne pas la vodka. Nous avons l’impression qu’actuellement, Krouchtchev et son état-major se laissent entraîner par le rêve de domination universelle qui prend tous les dictateurs dès qu’ils remportent des victoires trop faciles sur des adversaires désunis et abouliques.

Il existe une mégalomanie russe comme il y en eut d’allemande et d’italienne, qui ne demandent d’ailleurs qu’à se réveiller. Un faux pas à Berlin pourrait mener loin si les Soviets croient qu’ils peuvent tout se permettre avec Eisenhower et MacMillan. Ce serait une fâcheuse répétition de l’histoire. Nous n’en sommes pas là à condition de se montrer résolus. Anthony Eden vient opportunément de le rappeler à ses compatriotes.

 

La Situation aux U.S.A.

La bataille électorale aux Etats-Unis, sans être très passionnante ni passionnée, n’en est pas moins un facteur de faiblesse pour les Américains, d’autant que la conjoncture économique commence à susciter quelques inquiétudes. Les aciéries travaillent toujours à demi capacité, la production plafonne et les investissements diminuent, enfin le Dollar est près de son point de sortie d’or, 35 dollars 25 pour une once, et les pertes de métal pourraient s’accélérer, cela au moment où les Etats-Unis voudraient apporter à l’Amérique latine, à la Conférence de Bogota qui se tient en ce moment une aide massive de nature à contrebalancer la propagande de Fidel Castro. Il est de fait que les Etats-Unis n’ont plus les moyens d’être prodigues. Non pas parce qu’ils ne sont pas assez riches, mais parce que leur balance des paiements reste déficitaire et qu’ils ne peuvent exporter trop de capitaux sans mettre le Dollar en danger. Il faudra qu’ils révisent leur politique économique s’ils veulent tenir leur rang de puissance économique. Mais la compétition électorale rend toute initiative hardie impensable d’ici le début de 1961. D’ici là, .. les événements vont vite.

 

                                                                        *******

 

P.S. – Ces lignes étaient écrites quand on apprit que l’armée congolaise en l’occurrence le colonel Mobutu prenait le pouvoir et expulsait les Russes et les Tchèques. Le nouvel épisode n’est peut-être qu’une scène de plus de cette tragi-comédie. Cela prouve cependant que les éléments raisonnables n’ont pas perdu la partie. L’espoir demeure qu’ils l’emporteront.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1960-09-10 – Fallait-il le Dire

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Le Courrier d’Aix – 1960-09-10 – La Vie Internationale.

 

Fallait-il le Dire ?

 

Au Congo

La situation au Congo est toujours aussi fluide mais il semble bien que les Soviets ont misé sur le mauvais cheval. Lumumba démissionné par Kasavubu, paraît en difficulté, à l’heure où nous écrivons. Malgré les quinze avions Iliouchine destinés au transport de ses troupes offerts par l’U.R.S.S., les armes et les instructeurs tchèques, il n’a pu reconquérir le Kasaï. L’action de l’O.N.U., sans être très efficace puisque sa neutralité aurait pu favoriser Lumumba s’il s’était révélé le plus fort, joue en faveur de ses adversaires, dès qu’il a le dessous.

Cette défaite, si elle se confirme, aurait une grande portée morale. La xénophobie aveugle, la guerre civile, le défi à l’O.N.U. en la personne de son Secrétaire Général, l’appel aux Puissances de l’Est, soutien de toutes les subversions, ont indisposé les Chefs des jeunes Etats africains, anxieux de justifier par leur attitude leur nouvelle promotion. Lumumba avait franchi les limites que même des extrémistes comme Sékou Touré jugeaient dangereuses pour la liberté des Peuples noirs. Il reste évidemment beaucoup à faire pour que le continent dans son ensemble trouve son équilibre. Le drame du Congo était certainement la plus redoutable épreuve. On peut espérer qu’elle tournera à l’avantage de la raison. Si oui, il n’aura pas été vain.

 

La Conférence du Général de Gaulle

La Conférence du Général de Gaulle était un événement international et elle a été abondamment commentée dans le monde entier. La réponse est assez nuancée, parce que l’opinion au dehors est partagée entre un respect et même une admiration sincère, et une réelle déception sur le contenu même du discours. On n’est pas accoutumé à autant de franchise et de réalisme dans la bouche d’un homme d’Etat.

Cet exposé, sans ambiguïté, contraste trop avec les formules évasives ordinaires que les exégètes se chargent d’interpréter à leur manière. Hier à Paris, ce n’était pas le cas. Autrement dit, un Chef d’Etat doit-il dire la vérité quand elle n’est pas bonne à dire ?

 

La France et l’O.N.U.

Le Général a dit en particulier sur l’O.N.U. ce que la plupart d’entre nous pensent, certainement ceux mêmes qui se sont fait les apôtres de l’organisation. Il n’empêche qu’elle est appelée à jouer dans les relations internationales un rôle de plus en plus important, sans doute plus nuisible qu’utile, mais essentiel. Elle est à la fois un mythe et une force et les petites nations comptent s’en servir contre les Grandes pour se protéger et même les mystifier. Il est peut-être dangereux de s’en faire l’adversaire.

 

L’Europe

Il en est de même du problème européen, autre mythe. Il est parfaitement exact que l’Europe, telle que ses partisans idéalistes l’avaient conçue, n’a aucune chance de se réaliser dans l’état actuel des choses. L’heure est passée où l’on pouvait y songer. Des pays comme l’Allemagne de Bonn et l’Italie auraient peut-être sacrifié quelque peu de leur souveraineté au moment où elles se sentaient faibles. L’une et l’autre ont progressé à pas de géant et l’on sent que des ambitions renaissent avec ce retour de puissance. Chacune veut jouer son jeu. Cependant, ce qu’un chroniqueur peut montrer, un homme d’Etat à intérêt à le taire. Il a y des fictions qu’il est bon d’entretenir, par exemple, le Marché Commun.

 

Le Marché Commun

Nous avons répété ici qu’il n’y avait pas de Marché Commun et qu’il n’y en aurait jamais. Cependant beaucoup croient qu’il existe. L’illusion vient de ce que les barrières douanières ont été abaissées et le seront encore davantage probablement, que les contingents ont été élargis, mais cela aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du soi-disant Marché Commun. En veut-on la preuve ? Les Anglais, qui ont feint de s’effrayer d’un Marché commun européen, ont expédié vers les pays de ce Marché en Mai, Juin, Juillet dernier, 13% de marchandises de plus qu’en la période correspondante de 1959 et 6% seulement de plus dans les pays de la zone dite de libre-échange qu’ils ont eux-mêmes créée. Vers l’Amérique du Nord, les exportations ont diminué de 11% et vers les pays de la zone Sterling, la leur, elles ont à peine augmenté ! Si le Marché Commun avait élevé une barrière contre les exportations britanniques, il en aurait été tout autrement.

Pour l’avenir, il est bien évident que ni l’Allemagne ni l’Italie qui développent leurs exportations au maximum ne voudront se fermer, si peu que soit le vaste ensemble du Commonwealth et des pays de la zone de libre-échange ; la France non plus d’ailleurs. Il n’en reste pas moins que ce mythe du Marché Commun a été le moteur de la plus remarquable extension des échanges intereuropéens de tout le siècle. Il a suscité des initiatives, rompu des routines, enflammé l’imagination des producteurs. N’y touchons pas.

 

Le Problème Politique

En réalité, ce que craignaient les Anglais, c’était une solidarité politique entre les Six. Ils doivent être rassurés. L’Europe des Patries, qui est, le Général a pleinement raison, la seule qui demeure possible, ne sera, en mettant les choses au mieux, qu’une coalition à l’ancienne mode, pas plus solide ni efficace que celles du passé et toujours à l’épreuve des conflits d’intérêt et d’ambition et des rapports de force, eux-mêmes changeants. A cet égard, il faut bien dire que le temps ne travaille pas pour la France. Nos voisins ne nous cachent pas que dans l’Europe des Six nous ne sommes que les seconds et on y compte bien au-delà des Alpes, bientôt les troisièmes.

 

L’Accord d’Armement Anglo-Allemand

Les Anglais ont d’ailleurs porté à la politique française, ce que certains confrères appellent un coup bas. Ils ont conclu, à la suite des Entretiens de Rambouillet, un accord avec l’Allemagne pour lui fournir un armement moderne, missiles tactiques, avions à décollement vertical, chars d’assaut du dernier modèle, dont la Bundeswehr a revendiqué la possession. Voici l’Allemagne devenant, sinon devenue, la principale puissance militaire du Continent. Il y en a déjà qui s’en inquiètent. Sur le plan international, cette crainte est vaine ; car avec ou sans bombe atomique française ou « force de frappe », avec ou sans armée allemande, la partie ne se jouera qu’entre les deux géants : U.R.S.S. et U.S.A. c’est de l’équilibre de leurs armements que dépend la guerre ou la paix. Le reste est appoint négligeable jusqu’à nouvel ordre ; peut-être un risque supplémentaire, sûrement pas une garantie de plus. Cependant, en favorisant l’expansion de la puissance militaire allemande, les Anglais comptent détacher un peu Paris de Bonn. Et il n’est pas douteux qu’aussi bien les industriels allemands que les militaires et beaucoup de politiciens, n’entendent pas sacrifier à une union avec la France l’Alliance américaine et le marché britannique avec ses annexes qui les intéressent bien davantage aujourd’hui.

 

Les Tensions à l’Est

Ce qui, de la Conférence de presse de Paris, a fait la meilleure impression, c’est le préambule, le jugement serein et pertinent sur les Soviets et leur politique, les conflits internes des factions chez les communistes et les allusions à l’âpre lutte qui s’est ouverte entre Moscou et Pékin. A cet égard, un nouveau théâtre d’opposition se présente à l’occasion des fêtes de la commémoration de l’indépendance à Hanoï. Comme le Laos, le Vietnam du Nord compte sur la Russie pour se soustraire, dans toute la mesure du possible aux pressions de Pékin. Il paraît que les dirigeants d’Hanoï, Ho Chi Minh en tête, se sont prononcés pour la thèse de Moscou. D’un autre côté, les Chinois ont accusé les Russes d’avoir adopté les positions de Belgrade, de Tito le renégat, accusation contre laquelle la « Pravda » a violemment réagi. Pour ceux que le débat intéresse, rappelons que l’orthodoxie étant naturellement le dogme diffusé par Moscou, les Yougoslaves sont des « déviationnistes » et les Chinois des « dogmatiques ». Cette clef permet de comprendre la polémique – comprendre est une façon de parler ….

 

                                                                                  CRITON

Criton – 1960-09-03 – Épreuves à l’Est

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Le Courrier d’Aix – 1960-09-03 – La Vie Internationale.

 

Épreuves à l’Est

 

C’est bien à des résistances morales que se heurte le plan établi par les Russes au Congo. Les troupes belges sont parties, mais celles de l’O.N.U. demeurent alors que Lumumba leur avait enjoint de se retirer. En effet, à la Conférence de Léopoldville qu’il avait convoquée lui-même, les leaders de treize Etats africains, tout en appuyant le Leader congolais lui ont recommandé de se conformer aux décisions de l’organisation internationale. De même, les intentions de reconquête du Kasaï et du Katanga ne reçoivent aucun encouragement, si bien qu’après avoir occupé la capitale du Kasaï et les gisements de diamants de la Forminière, les troupes de Lumumba se sont dispersées quand les hommes de Kalonji ont paru. Il semble que la guerre civile pourra être évitée si les troupes de l’O.N.U. se chargent de maintenir l’ordre et de séparer les belligérants.

 

Le Prestige de l’O.N.U

Les Soviets ont commis une erreur en accusant M. Hammarskoeld, avec leur grossièreté habituelle, de complicité avec l’Occident. Les jeunes Etats, et particulièrement les Africains qui vont prendre rang à l’O.N.U. sont très sensibles au prestige de l’Organisation et de la personne de son Secrétaire Général. De plus, les brutalités des soldats congolais contre les « Casques bleus » à Léopoldville et à Stanleyville, les actes de barbarie dont ils se sont rendus coupables un peu partout, ont touché l’amour-propre des autres peuples noirs, tant et si bien qu’aujourd’hui, Lumumba désemparé d’être plus ou moins désavoué, fait des avances aux Blancs qu’il a chassés.

 

La Base de Kamina

Plus encore que les mines de cuivre du Haut-Katanga, c’est la place de Kamina que convoitaient les Soviets. C’est en effet la plus importante base militaire de l’Afrique Orientale. Elle faisait partie de l’Organisation Atlantique. Elle avait coûté dix ans de travail et 7 milliards de francs belges. Celui qui la contrôle est stratégiquement maître de l’Est du Continent. En principe, l’O.N.U., les Belges étant partis, en aura la gestion. Mais on peut prévoir que son sort ne sera pas facile à régler et que les luttes diplomatiques ne manqueront pas sur ce sujet.

La situation au Congo demeure très fluide parce que d’aucun côté, les responsabilités ne sont définies et les pouvoirs assurés.

 

Ce que devait être le Rôle de l’O.N.U.

Puisque l’O.N.U. était en cause et qu’on avait décidé de lui laisser, à tort ou à raison, les responsabilités de l’affaire, il fallait lui donner des pouvoirs discrétionnaires avec le mandat d’obtenir, par la force au besoin, une trêve générale suivie le plus tôt possible d’un référendum des populations appelées à disposer de leur sort, ce qui aurait permis à chaque province de conserver son autonomie et d’avoir avec les Blancs les relations décidées par ses Chefs. On aurait ainsi imposé la paix et respecté les principes de la Charte internationale. En ne lui laissant qu’un rôle passif et une obligation de rester neutre dans les rivalités tribales, on a enlevé à l’O.N.U. la possibilité de s’affirmer comme arbitre des conflits.

On comprend bien que là-dessus, Russes et Occidentaux ont été d’accord. Personne ne veut créer de précédent qui pourrait un jour se retourner contre l’un ou l’autre des deux camps, surtout quand les Blancs seront un jour prochain en minorité à l’Assemblée. Mais cette fausse solution risque, à l’inverse, de conduire l’Organisation internationale à un échec, qui serait aussi un précédent pour le cas où l’on aurait plus tard besoin d’elle dans un autre litige dangereux pour la paix. C’est pourquoi il reste un espoir que les Etats Africains permettent à l’O.N.U. d’imposer un règlement pacifique.

 

La Querelle Sino-Russe

Nous tenons enfin la preuve des dissensions entre Chinois et Russes. La voici : l’envoyé spécial de l’agence yougoslave Tanjug a été autorisé par la censure de Pékin à faire savoir que les spécialistes russes avaient quitté récemment la Chine par trains entiers avec leurs familles. Pour que les Chinois confient la diffusion de la nouvelle à leur ennemi Tito, il faut que l’affaire soit sérieuse. Elle l’est au point qu’on fait état d’une circulaire envoyée par Moscou à tous les Partis communistes pour les informer de la querelle « idéologique » et défendre la thèse russe. On parle aussi d’une prochaine rencontre au sommet entre Chou en Laï et Krouchtchev, après le voyage de ce dernier en Corée du Nord et au Vietnam, d’Ho Chi Ming. Ce sommet aura-t-il le sort de l’autre de triste mémoire ? On est donc bien en présence d’un conflit entre les deux Puissances communistes dont nous avons entretenu nos lecteurs il y a déjà bientôt deux ans et dont nous avons suivi, par indices successifs, les étapes.

 

Importance du Conflit

Ce conflit maintenant au grand jour est capital à bien des égards. D’abord pour le maintien de la paix. Car si les Soviets avaient mis toutes leurs forces au service du développement de la puissance chinoise, le sort de l’Occident à plus ou moins long terme, était réglé, en particulier le nôtre et celui de ce qui reste de l’Europe, aujourd’hui occupée à se disputer la préséance.

En second lieu, le conflit éclaire et explique la politique en zigzag de Krouchtchev depuis deux ans : d’abord tout orientée vers la détente et pressée d’arriver à la Conférence au sommet avec l’Occident, puis le retour en arrière, le torpillage de la Conférence et la série de menaces sur Berlin et autres. Puis à nouveau, la reprise du thème de la coexistence avec en contrepartie l’affaire de l’U2 et le procès Powers.

Krouchtchev a voulu jouer sur les deux tableaux la coexistence contre Pékin, la guerre froide avec les Etats-Unis, pour empêcher les purs de l’accuser, comme ils le font quand même, de pactiser avec les « impérialistes ». En parlant de coexistence, il rassurait ses sujets soviétiques et plus encore les Satellites d’Europe. En accentuant la lutte anti-américaine, il comptait désarmer les « dogmatiques ».

 

L’Aide aux Pays non Communistes

Ce qui irrite les Chinois, c’est que tandis que les Russes leur refusent crédits et techniciens, ils prodiguent leur aide à des pays comme l’Egypte qui met les communistes en prison. Krouchtchev soutient les « nationalismes bourgeois » comme ils disent. En réalité, est-il besoin de le répéter, les motifs du conflit sont simples. Les Soviets ne veulent pas d’une Chine forte. Ils l’aideront assez pour que la révolution chinoise ne s’effondre pas ou qu’elle ne pactise pas avec l’Occident, mais ils s’efforceront de lui créer assez de difficultés pour lui interdire des ambitions excessives. Si Krouchtchev va au Tonkin, c’est pour contrôler la poussée chinoise vers le Sud, et en Corée pour empêcher qu’un conflit n’éclate avec Séoul qui mettrait en mouvement les Américains et risquerait de dégénérer en guerre générale, comme il l’a fait déjà en Inde pour soutenir Nehru, en Birmanie et en Indonésie pour faire contrepoids à l’influence chinoise. Mais Pékin ne peut rien faire pour le moment contre les Soviets, sinon affirmer des principes d’ordre théorique.

Une rupture est impossible, même si la lutte sourde se prolonge, car la Chine rouge ne peut s’approvisionner que dans les pays communistes, ses moyens d’échange avec les autres étant trop faibles. Cependant, privée de l’aide technique de Moscou, le bond en avant de l’industrie chinoise va se trouver sérieusement ralenti ; 250 entreprises-clefs étaient dirigées par les spécialistes russes et européens de l’Est, à moins que Pékin ne se tourne vers Tokyo, ce qui, d’après certains indices ne paraît pas invraisemblable et serait dans l’ordre économique traditionnel.

L’évolution de cette lutte sera lente et difficile à suivre, parce que masquée de débats idéologiques. Elle n’en est encore qu’à ses débuts. Mais nous pensons qu’elle est irréversible, c’est l’avis des Yougoslaves qui, en la matière, s’y connaissent mieux que quiconque.

 

                                                                                  CRITON

 

Criton – 1960-08-27 – Convulsions Africaines

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Le Courrier d’Aix – 1960-08-27 – La Vie Internationale.

 

Convulsions Africaines

 

Effectivement, les Soviets n’ont pas gagné la troisième manche à l’O.N.U. sur le Congo. Ils se sont trouvés seuls pour soutenir Lumumba contre Hammarskoeld. Ne pouvant s’opposer au courant afro-asiatique favorable au Secrétaire Général, ils ont abandonné la résolution hostile qu’ils avaient préparée. Et le conseiller russe de Lumumba à Léopoldville, Jacovlev a décidé le Congolais à se déclarer satisfait de l’échec subi au Conseil de Sécurité. La partie n’est pas jouée pour autant. L’anarchie qui s’étend et la misère qu’aucun secours international, si important soit-il, ne peut rapidement combattre dans ce vaste territoire du Congo la rivalité toujours aigüe des tribus et des chefs, offrent au jeu soviétique bien des opportunités ; reste à savoir si Lumumba pourra se maintenir ; ses extravagances, l’incohérence de ses manœuvres en font un protagoniste difficile à manier. Et la plupart des chefs d’Etat africains le verraient choir avec satisfaction.

 

Après la Réunion de l’O.N.U.

Reprenant nos propos antérieurs, nous voyons que les Russes n’ayant pu se servir de l’O.N.U. pour mettre le Congo tout entier sous la férule de Lumumba, doivent maintenant provoquer ou étendre la guerre civile entre Congolais et empêcher les forces de l’O.N.U. de maintenir l’ordre, en séparant les belligérants, ou bien mettre celles-ci dans l’obligation de se servir de leurs armes, ce qui pourrait fournir prétexte à une intervention extérieure. Mais laquelle ? Lumumba a parlé d’amis africains. De ceux-ci, les Guinéens seuls sont disponibles, mais ils ne suffiraient pas. Il a fait aussi appel à Nasser. Ce serait en effet une belle revanche aux défaites du Sinaï qu’une expédition de soldats égyptiens au Congo. Mais on peut parier que Nasser ne s’y risquera pas. Il y a trop d’obstacles matériels à une telle aventure.

 

L’Éclatement du Mali

La Fédération du Mali, Soudan-Sénégal a éclaté. Il fallait être aveugle pour ne pas le prévoir dès sa naissance. Ignorait-on à Paris, ce qui était évident pour tout le monde ? Faut-il rappeler que c’est précisément la constitution dudit Mali qui, sitôt formé, a exigé son indépendance, qui est à l’origine de l’effondrement de la Communauté. Les dirigeants sénégalais avouent un peu tard qu’ils auraient dû suivre les conseils d’Houphouët Boigny. On sait l’amertume de celui-ci quand il se vit abandonné et contraint de suivre une voie qu’il n’approuvait pas. La tragédie du Congo elle-même est pour une large part la conséquence de cette réaction en chaîne, pour ne rien dire des incidences de tout cela sur le problème algérien. N’insistons pas.

Ce qui est sûr, c’est que le divorce Sénégal-Soudan est acquis, même si l’on trouve une formule pour restaurer entre eux des liens normaux. Le problème noir, si complexe en apparence, est très simple au fond. Il n’y a que des masses sans formation ni conscience politique, et quelques chefs plus ou moins évolués mais également ambitieux, incapables de s’effacer devant un rival ou même un ami, et cela partout.

Déjà en Afrique anglaise, le Nigéria qui va accéder à l’indépendance en Octobre et qui est le plus important et le plus riche des Etats noirs avec ses 35 millions d’habitants, est menacé d’éclatement avant d’être libre. On s’y bat de-ci, de-là. Pour ce qui est du Soudan, on sait qu’il est, après la Guinée, le plus travaillé par la propagande communiste. Les événements de Dakar ne feront qu’accélérer cette évolution. Or, si l’on consulte la carte, on voit que l’on a attribué aux Soudans – on ne sait pourquoi –  une large part du Sahara. Comme M. Modibo Keita n’est pas bien disposé envers la France … Passons encore ….

 

Russes et Chinois

Les tenants de l’alliance indissoluble des Russes et de Chinois ne se tiennent pas pour battus et cependant … On apprend que la revue mensuelle publiée en Russie consacrée à l’amitié russo-chinoise « Droujba » et l’hebdomadaire « Kitai » (La Chine) plus technique relatant le développement de l’économie chinoise, ont cessé de paraître presque simultanément. Aucune explication n’a été donnée ni à Moscou, ni à Pékin bien entendu. Et puis Molotov exilé à Oulan-Bator en Mongolie extérieure comme ambassadeur est rappelé et envoyé à Vienne pour représenter l’U.R.S.S. au Comité International de l’Énergie Atomique. On ne sait ce qu’il fera à Vienne, mais il n’intriguera plus avec Pékin.

 

La Conférence de Costa-Rica

La Conférence des Etats Américains qui se tient au Costa-Rica a pris une tournure assez curieuse. On sait que cette réunion avait pour objet de débattre deux affaires d’importance ; l’une concernait Trujillo le dictateur de la République Dominicaine d’Haïti, accusé d’avoir tenté de faire assassiner le Président Betancourt du Vénézuela. Or Trujillo, bien que personnage assez, disons, particulier, du genre de l’ex-dictateur Batista de Cuba, avait bénéficié de l’indulgence et même de l’appui matériel des Etats-Unis. Il était au surplus l’ennemi juré de Castro son voisin.

Pour se blanchir auprès des Nations d’Amérique latine, les Etats-Unis, non seulement l’ont démissionné, mais ont renchéri à Costa-Rica, en coupant St-Domingue du Marché américain du sucre, cela assorti d’autres sanctions économiques. Ce n’est évidemment pas pour faire plaisir à Fidel Castro, mais pour obtenir des Etats d’Amérique latine qu’ils appuient la politique des Etats-Unis dans les Caraïbes, contre l’infiltration communiste. Singulière diplomatie dont l’efficacité paraît bien douteuse. En principe, il s’agit de rendre aux habitants de Saint-Domingue leurs libertés démocratiques. On sait ce qu’aux Caraïbes la démocratie signifie. Castro nous l’a montré. Si la République Dominicaine ne peut vendre son sucre aux Etats-Unis, elle trouvera peut-être preneur en U.R.S.S. avec les avantages habituels.

Les Gouvernants d’Amérique latine sont inquiets de la tournure des affaires de Cuba, mais il leur est difficile de prendre position pour ne pas s’exposer aux attaques de leurs adversaires à l’intérieur. Les Etats-Unis de leur côté, ne veulent pas donner à ceux-ci de prétexte pour se faire accuser d’impérialistes ou de colonialistes. Ils entendent, au contraire, donner des gages de leur désintéressement. En définitive, ils ne convainquent personne et leur politique est une fois de plus réduite à l’impuissance. Leur prestige en souffre sans compensation. Au surplus, le procès Powers, très adroitement mis en scène par les Soviets, ne nous a pas montré dans l’officier américain le type d’un héros.

 

En Europe

Pendant ce temps où se déroulent au dehors ces épisodes d’importance majeure, une intense activité diplomatique règne en Europe. Les visites de chefs de Gouvernements succèdent aux visites sans qu’on arrive à comprendre clairement de quoi il s’agit. L’Europe des Six sera-t-elle fédérale ou confédérale, le Marché Commun et la zone de libre-échange auront-ils un pont ou pas de pont ? Ces colloques où les questions de prestige tiennent le premier plan, n’empêchent pas heureusement les affaires de tourner au mieux, et tandis que l’on brandit le spectre d’une Europe divisée en blocs économiques rivaux, on s’aperçoit en consultant les comptes de la douane, que les échanges n’ont jamais été aussi actifs entre les pays qui, en principe, appartiennent à des ensembles opposés.

 

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