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Le Courrier d’Aix – 1960-10-08 – La Vie Internationale.
Hammarskoeld et M. Krouchtchev
L’attitude de M. Krouchtchev à l’O.N.U. déconcerte à leur tour les augures de la politique internationale qui avaient subi, à l’endroit du maître de l’U.R.S.S., un complexe d’infaillibilité. On peut même se demander si ses précédents succès ne lui ont pas tourné la tête, si le comédien pris à son jeu n’a pas, par moments, perdu le contrôle. Sans aller jusque-là, on peut penser que l’échec au Congo explique sa rage, qu’il tourne vers M. Hammarskoeld, sans autre succès que de faire applaudir le Secrétaire de l’O.N.U. chaque fois que celui-ci répond au chef communiste. Il n’en faut pas plus pour qu’un homme qui se croit tout puissant, sorte de lui-même.
L’U.R.S.S. quittera-t-elle l’O.N.U. ?
La véritable question est de savoir, si Krouchtchev, comme il l’a fait supposer, se retirera de l’O.N.U. avec ses acolytes, définitivement. La chose est possible. L’avantage pour les Russes serait de n’être plus liés par les décisions de l’Assemblée et de n’y plus subir la loi du nombre. Mais les inconvénients sont aussi évidents. Les Soviets perdraient une tribune de propagande d’importance, et laisseraient aux Occidentaux, en l’occurrence les Anglo-Saxons, la direction morale de ce vaste groupement de diplomates de 90 nations. Quant à fonder à Moscou ou ailleurs, une assemblée rivale, où siègeraient les seuls communistes, elle ferait double emploi avec les autres rassemblements périodiques qu’ils organisent ; l’écho de leurs discours serait assez affaibli. Malgré ses fureurs, nous pensons que « K » restera à l’O.N.U.
Tout cela n’arrange rien et la guerre froide est plus âpre que jamais. Il est vrai que l’on s’habitue …
La Riposte à Berlin
Cependant l’affaire de Berlin entre dans une nouvelle phase. Après bien des hésitations, le gouvernement de Bonn a franchi le pas. Il contre-attaque ; le traité de commerce qui liait les deux Allemagnes est suspendu à partir du 1er janvier prochain. Les industriels de la République fédérale, surtout les métallurgistes, y perdront un important débouché, mais les gens de Pankow ont plus à perdre. Leur production va subir de nouvelles entraves. Les pays de l’Est ne pourront leur fournir ce que Bonn refuse et à l’égard des Neutres, ils n’ont les moyens de payer leurs commandes, ni en devises fortes, ni en nature.
Par contre, il est aisé de prévoir que la dénonciation de l’accord commercial, sera le prétexte à de nouvelles restrictions aux communications de Berlin-Ouest avec l’Occident. Celles-ci, dit-on à Bonn se seraient produites en tout état de cause. Pour être vraiment efficace, il faudrait que le blocus de la D.D.R. soit étendu aux marchandises fournies par tous les Occidentaux. Les Américains pour lesquels le marché de l’Allemagne orientale est négligeable s’y prêteront sans doute. C’est plus douteux pour les Français et surtout pour les Anglais qui ne peuvent se permettre de perdre aucune exportation. On attend la réaction d’Ulbricht pour savoir si la mesure était judicieuse et opportune.
La Crise du Travaillisme Anglais
La crise du Parti travailliste anglais a pris un tour aigu au Congrès qui se tient actuellement à Scarborough. Si le Labour éclate en deux factions irréductibles, ce sera la fin du Parti travailliste en tant qu’« opposition de sa Majesté », c’est-à-dire qu’il ne pourra plus prétendre à être prêt à prendre le pouvoir. Déjà numériquement affaibli aux dernières élections, il n’aurait plus aucune chance aux prochaines. Le système de la Démocratie anglaise aurait cessé de fonctionner. Il reste cependant une solution : c’est la fusion du vieux Parti libéral, très diminué, mais encore vivant avec l’aile droite du Travaillisme personnifié par Hugh Gaitskell. L’aile gauche abandonnée à son sort constituant un parti résiduel comme l’est présentement le libéral.
Nous n’en sommes pas là, mais comme les habitudes mentales des peuples sont plus fortes même que leurs passions politiques, l’hypothèse, à la longue s’entend, n’est pas invraisemblable. Les Anglais reviendront, d’une façon ou d’autre au bipartisme traditionnel, celui des Whigs et des Tories.
Le Parti de l’Ennemi en France
La force de ce que nous appelons ici, faute de meilleure expression, les habitudes mentales, est d’une permanence prodigieuse. Chez nous, par exemple, on voit se reconstituer le parti de l’ennemi, qui selon les circonstances, a toujours surgi au cours de nos crises nationales. L’adversaire a toujours eu des partisans passionnés ; depuis la Fronde jusqu’à la guerre d’Algérie, en passant par le nazisme, on pourrait multiplier les exemples. Ils n’ont jamais manqué. Ce phénomène de pathologie sociale dont nous n’avons pas l’exclusivité, est cependant bien caractéristique de notre histoire politique.
Le Congo et l’Occident
A un tout autre échelon, ce qui s’est passé au Congo est du même ordre. Les récits qui nous parviennent des sanglants événements qui ont suivi la proclamation de l’indépendance du Congo belge, nous montrent la stupéfiante rapidité avec laquelle les tribus noires ont liquidé la civilisation qu’en 75 ans de « colonialisme » les Belges avaient tenté d’introduire. En quelques jours après avoir pillé et incendié les édifices élevés par les blancs et chassé ceux-ci par la terreur, les tribus se sont livré, sans contrainte, leurs combats ancestraux, puis sont retournés à la brousse ou à la jungle, et ont repris leur vie primitive, retrouvant des habitudes et des modes d’existence qu’ils ne connaissaient que d’instinct puisqu’ils ne les avaient pas pratiqués depuis leur naissance.
Ce drame africain n’est qu’un aspect d’un phénomène général ; la difficulté pour une civilisation de faire accepter ses modes par des peuples de nature différente. On réussit à « intégrer » quelques personnalités bien douées, mais on les sépare ainsi de la masse ; ou bien elles s’imposent par la force, ou bien la masse retourne à ses manières ancestrales. On n’échappe pas à l’alternative.
Les Difficultés de l’Union Européenne
Le problème de l’organisation européenne, lié à celui de l’harmonisation entre les Six pays du Marché Commun et les Sept de la zone de libre-échange, continue d’être l’objet de conversations et de débats multiples qui font plutôt ressortir les difficultés que les aplanir. Les Anglais avaient, sans doute à titre de ballon d’essai, admis le principe d’un tarif extérieur commun pour les produits industriels des treize Etats. Mais la récente Conférence des Ministres du Commonwealth, contrairement à ce que nous pensions, ne s’est pas montrée favorable à cette proposition.
Le Canada et la Nouvelle-Zélande ne veulent pas renoncer à la préférence impériale en échange de l’accès libre au groupe ainsi formé. La raison de ce durcissement est claire. L’économie canadienne n’est pas en brillante posture. Après la prospérité de ces dernières années, c’est le pays le plus touché par l’actuel ralentissement. Pour la première fois depuis la guerre, le produit national brut a baissé. Pour la Nouvelle-Zélande, bien que les produits agricoles qu’elle exporte ne soient pas inclus dans un tarif commun éventuel, elle craint pour son industrie naissante la perte des clients proches, alors que les pays européens lui demeureraient inaccessibles. La Suisse de son côté ne peut consentir à relever ses droits de douane. Les vieilles frontières sont des remparts tenaces.
CRITON