Criton – 1960-10-22 – Après la Tempête

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Le Courrier d’Aix – 1960-10-22 – La Vie Internationale.

 

Après la Tempête

 

A peine remis des émotions que les esclandres de Krouchtchev ont provoquées à l’O.N.U., les commentateurs s’interrogent sur les intentions profondes du leader soviétique. Comment expliquer que, venu à New-York avec autant d’atouts, il a pu revenir les mains vides ? Il semble, dit-on, s’en être rendu compte, puisque rentré à Moscou, il n’a fait aucune déclaration triomphale, à son habitude.

 

Les Mobiles de Krouchtchev à l’O.N.U.

Ce qui paraît sûr, c’est qu’il a dû abandonner au cours de la session, les plans qu’il avait établis. Si en effet, il s’était arrangé pour réunir dans le Palais de verre presque tous les chefs de gouvernements, tant communistes que neutres et occidentaux, c’est qu’il comptait rallier à ses propositions une majorité. Il ne pouvait le faire que sur des sujets où la démagogie a facilement prise : le désarmement, la liquidation du colonialisme, la paix universelle. Mais acteur avant d’être politique, il a senti dès l’abord une résistance : son public ne marchait pas. D’où son irritation. Au lieu de développer les thèmes qu’il avait lui-même annoncés avant de partir, il est revenu d’instinct au moyen dont se servent les émotifs qui ne peuvent persuader : faire peur, menacer : l’adversaire intimidé cherche l’apaisement par des concessions successives.

Le moyen est ancien ; tous les dictateurs en ont usé. Mais sauf sur MacMillan et Nehru, il n’a guère été efficace. La plupart des membres de l’O.N.U. n’ont aucune raison d’être effrayés, ni les Africains ni les Sud-américains par exemple, ne sont à portée des menaces de l’U.R.S.S. Seuls peuvent s’émouvoir ceux qui sont au bord de l’Empire soviétique ou dans sa trajectoire, les Européens et l’Angleterre et les Asiatiques qui ont des frontières communes avec l’U.R.S.S. et la Chine. Les autres sont des spectateurs plus enclins à profiter de la tension qu’à s’en alarmer.

 

A-t-il Voulu Détruire l’O.N.U. ?

Ce qui paraît également certain, c’est que Krouchtchev sentant qu’il ne pouvait dominer l’O.N.U. a cherché à la détruire. Cela est également constant : le communisme s’efforce de détruire ce qu’il ne peut annexer. Mais l’édifice a bien résisté. Cependant, beaucoup estiment que les violentes attaques répétées contre M. Hammarskoeld, bien que celui-ci l’ait emporté, ont miné la position du Secrétaire Général. A longue échéance, cela est possible, mais dépend d’événements ultérieurs, de la tournure que prendront finalement les affaires congolaises et d’autres qui se dessinent, en Corée ou au Laos ou même en Algérie lorsque l’O.N.U. sera peut-être amenée à prendre position, voire à agir.

Tôt ou tard, le Secrétaire Général sera un homme de couleur. Mais les Soviétiques n’y gagneront peut-être pas. Car si l’on peut dégager de l’ambiance onusienne une tendance ferme, c’est l’hostilité de la majorité à s’intégrer à un Bloc et la volonté de s’opposer aux entreprises de l’un ou de l’autre ; le neutralisme du futur Secrétaire paraîtra probablement encore moins pro-occidental, mais aussi plus anti-communiste. Il est probable que Krouchtchev s’en rend compte et qu’il a cherché plutôt à paralyser l’O.N.U. qu’à faire sa conquête. C’est bien le sens de sa proposition d’un Secrétariat Général tripartite où communistes, neutres et occidentaux mettraient alternativement leur veto à toute démarche positive. Krouchtchev craint en effet la formation plus étendue d’une police internationale au service de l’O.N.U. : l’exemple du Congo venant après celui de Suez, lui ont montré que cette force se mettrait au travers des objectifs soviétiques, étoufferait les conflits que l’U.R.S.S. cherche à attiser.

 

De Quelques Hypothèses

Une hypothèse vient à l’esprit : les Soviets ont réussi à Cuba un coup de maître ; Castro est allé vers le collectivisme au grand galop et vient de nationaliser toutes les entreprises privées de l’Île, non seulement les américaines, mais les cubaines. Il se fait ainsi beaucoup d’ennemis. L’économie du pays va traverser une crise, si ce n’est déjà fait. Les Etats-Unis ont mis virtuellement l’embargo sur leurs exportations. Les Soviets pour renflouer Castro devront y mettre un gros prix. Il n’est pas sûr qu’ils en aient les moyens. Une contre-révolution qui est déjà latente peut ensanglanter à nouveau le pays. Si l’O.N.U. était amenée à intervenir, ce ne serait pas Castro, ni le communisme qui y trouveraient leur compte.

Il en serait de même en Corée, si, comme on en prête l’intention à Krouchtchev, le pays actuellement coupé en deux, vient à être neutralisé et réunifié et que les diverses tendances politiques se trouvent alors aux prises et en viennent aux mains. Ce ne sont là que deux éventualités nullement certaines mais où l’O.N.U. pourrait être amenée à prendre part. Au cas de succès de son action, ce serait une troisième force, qui finalement s’installerait au pouvoir, non le communisme. C’est pourquoi Krouchtchev a laissé planer la menace de se retirer de l’O.N.U. avec ses Satellites et Alliés. Mais même dans ce cas, l’organisation internationale ne serait pas du même coup paralysée, à moins que le camp dit de la paix, ne lui fasse la guerre, ce qui semble tout de même difficile à réaliser.

 

Va-t-on vers une Récession ?

Le Monde libre est-il au début d’une récession économique ? Les symptômes sans être alarmants, ne manquent pas. Il est en effet difficile de tabler sur une expansion continue et sans à-coups, et le rythme de ces dernières années a été bien rapide pour continuer indéfiniment sans pauses. On a créé une sorte de mythe de l’expansion pour faire pièce aux planistes de l’autre monde. On n’a pas tenu compte de ceci : dans la conjoncture actuelle, les possibilités d’accroître la production ont augmenté à tel point que la consommation solvable ne peut pas y répondre immédiatement, peut-être même pas l’autre, l’insolvable, que grâce aux prêts ou aux dons, est offerte aux pays sous-développés. Les besoins même illimités, en principe, veulent du temps pour prendre conscience d’eux-mêmes. Il est dangereux de pousser aveuglément à accroître le potentiel industriel. On l’a vu pour le charbon ; on est en train de le voir pour le pétrole et l’automobile ; demain nous sommes persuadés que ce sera le tour de l’acier.

Il n’est pas question d’imposer une planification qui souvent se trompe d’objectif, poussant la production là où il faudrait ralentir, et inversement. Ce qui est prudent, c’est de réagir contre une psychose de développement inconsidéré auquel les gouvernements prêtent parfois un concours aussi généreux qu’enthousiaste. Sinon, on ira bel et bien vers une crise véritable qui serait grosse de menaces pour tous.

 

L’Élection Américaine

Le 8 novembre est proche et l’élection présidentielle américaine reste une inconnue. Les deux candidats s’affrontent sur un problème et bientôt s’effrayent eux-mêmes de leur opposition et renoncent pour passer à une autre controverse, vite étouffée aussi. Kennedy demeure favori, parce que Nixon n’est pas plus populaire que lui, moins peut-être et que les Démocrates sont plus nombreux que les Républicains. Il y a cependant beaucoup d’indécis. Il se pourrait qu’Eisenhower, au dernier moment mette son poids dans la balance. Certains propos sur sa future retraite le laisseraient à penser. Il pourrait faire comprendre aux électeurs que si le Vice-Président est élu, il ne se retirera pas complètement de la scène  et qu’il assistera Nixon dans les conseils de Gouvernement, ce qui pourrait décider beaucoup d’hésitants. Ce n’est là qu’une conjecture. Nous verrons bien.

 

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