Criton – 1960-09-24 – Devant le Forum International

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Le Courrier d’Aix – 1960-09-24 – La Vie Internationale.

 

Devant le Forum International

 

Les observateurs se demandent pourquoi les Soviets se sont attiré, dans l’affaire du Congo, la plus sévère défaite diplomatique qu’ils ont subie depuis la guerre, et cela au moment où Krouchtchev et ses acolytes viennent témoigner par leur présence de l’importance qu’ils attachent à l’Institution internationale.

 

L’Échec Russe au Congo

Au départ, comme nous l’avons vu, ils avaient misé sur Lumumba dont ils avaient fait leur homme. Celui-ci, désarçonné, on pouvait s’attendre à ce qu’ils changent leurs batteries et intriguent autour d’un nouveau pouvoir à Léopoldville. Au contraire, en s’obstinant, ils se sont fait expulser sans autre formalité, eux et les Tchèques, par le Colonel Mobutu avec l’assentiment du président Kasavubu. Ce que les trembleurs de New-York et de Londres n’auraient osé faire, un simple militaire d’occasion n’a pas hésité à l’ordonner et les Iliouchine ont embarqué dans les plus brefs délais, Ambassadeurs et techniciens avec armes et bagages.

 

L’Offensive au Conseil de Sécurité

Pendant ce temps, Zorine, au Conseil de Sécurité, couvrait M. Hammarskoeld d’injures et d’accusations de complicité avec les Occidentaux, ce qui valut par la suite au Secrétaire de l’O.N.U. un vote massif de confiance des Afro-Asiatiques et de la totalité des membres de l’Assemblée Générale, sauf les Communistes … et la France. Au moment où Krouchtchev se prépare à haranguer l’Assemblée, ce désaveu que les Russes ont délibérément cherché, paraît inexplicable.

 

L’Explication de l’Attaque Russe

A notre sens, cela n’est qu’apparence. Les Soviets visent plus loin que l’affaire du Congo et de plus, ne renoncent pas à intervenir dans ce pays quand l’occasion leur sera favorable, ce qui peut arriver, car les protagonistes là-bas sont aussi inconsistants les uns que les autres. Ce que les Russes cherchent, c’est d’une part, déménager l’O.N.U. de Manhattan où la présence américaine entretient un climat qui leur est défavorable et la transférer en pays neutre, à Vienne où l’atmosphère ne serait pas davantage procommuniste, mais où leurs forces toutes proches, feraient sentir leur présence et où celles des Américains seraient à l’écart.

D’autre part, leurs attaques contre Hammarskoeld, si elles renforcent aujourd’hui le prestige du Secrétaire Général, visent à lui substituer à l’expiration de son mandat, un vrai neutre, un Hindou par exemple. Calomnier, il en reste toujours quelque chose et les Soviétiques pensent que la candidature d’un homme de couleur séduira les afro-asiatiques qui vont détenir bientôt la majorité à l’O.N.U. L’échec d’aujourd’hui compte peu s’ils réussissent plus tard à soustraire l’assemblée internationale à l’influence des U.S.A.

Au surplus, les Soviets conservent des alliés en Afrique. Sékou Touré qui vient de faire son tour à Moscou et à Pékin et a obtenu des crédits pour la Guinée ; demain, sans doute Modibo Keita et, dans d’autres occasions prochaines, quand se poseront les problèmes de la Mauritanie et de l’Algérie à l’O.N.U., ils pensent retrouver de leur côté le Maroc et la Tunisie et bien entendu Nasser et peut-être d’autres. Voilà pourquoi ils ont préféré subir le présent échec pour ne rien perdre de leur position anti-occidentale dans d’autres débats. Ajoutons à cela, la présence invisible mais réelle de la Chine de Pékin, qui les oblige à ne pas transiger, à ne paraître en aucun cas faire une politique d’apaisement avec les pays capitalistes.

 

La Tactique est-elle Bonne ?

Le calcul des Soviétiques est-il bon ? On peut en douter. L’O.N.U. bientôt dominée par le groupe afro-asiatique auquel s’adjoindront plus ou moins certains pays d’Amérique latine, cherchera naturellement à renforcer une position neutraliste à l’égard des deux blocs et ne manquera aucune occasion de montrer son indépendance. Les petits Pays, comme l’a très habilement montré M. Hammarskoeld dans son rapport, ne feront entendre leur voix dans les affaires du monde, que s’ils prennent leurs distances et s’opposent à l’ingérence des Grands dans leurs affaires, sauf au cas où celle-ci les sert.

Ici la position des U.S.A. est plus forte que celle de l’U.R.S.S. Leur politique est plus favorable aux intérêts des jeunes Etats que celle des Soviets, et ces jeunes Etats ne craignent pas les Américains. Ils savent, par expérience, qu’ils pourront toujours les plier à leurs vues et les exploiter au maximum, ce qui n’est pas négligeable.

 

L’Affaire Malikowski

Un Capitaine de l’armée d’Allemagne orientale, chef des services politiques, est passé récemment à Berlin-Ouest et il a communiqué aux autorités de Bonn, qui les ont diffusés, des documents d’où il ressort que Pankow se prépare à mener une offensive militaire contre la République fédérale. Ces tracts ont provoqué une émotion que Bonn n’a pas manqué d’exploiter pour alerter les Alliés occidentaux sur la situation de Berlin. Ces documents, certainement authentiques, étaient sans doute destinés à être divulgués par Ulbricht pour démoraliser les Berlinois et jeter la panique parmi les populations d’Allemagne occidentale. Le Maire de Berlin-Ouest, Willy Brandt a révélé à l’occasion que les puissances de l’O.T.A.N. avaient mis au point un plan de riposte qui, dit-il, n’est pas seulement économique. La manœuvre de Pankow ne paraît pas très habile. Ulbricht voudrait-il lui aussi torpiller la « coexistence pacifique » ? C’est fort possible.

 

Le Capitaine Artamonov

De leur côté, les U.S.A. ont exhibé un autre personnage, un officier de marine russe, Artamonov, passé aux Américains. Nous avons écouté, malgré le furieux brouillage des Soviétiques, l’interview que celui-ci a diffusée dans l’émission en russe de  « la voix de l’Amérique ». Il a révélé que les autorités navales de Moscou avaient donné aux officiers supérieurs de la flotte des instructions en vue d’une attaque atomique surprise de l’U.R.S.S. contre les U.S.A. Mais cela prouve-t-il qu’ils en aient réellement l’intention, ou simplement qu’ils veulent tenir leurs équipages en perpétuelle alerte ? Le Capitaine paraissait très convaincu de son fait et a donné sur la politique de Krouchtchev bien des détails intéressants. Il croit que Krouchtchev se moque bien de l’idéologie qu’il patronne et qu’il ne compte pas du tout sur l’effondrement du capitalisme ainsi qu’il le prétend, comme le simple effet d’un processus historique. C’est un réaliste qui veut imposer la suprématie russe sur le monde et le fera par la force le jour où il croira qu’il le peut sans trop de risques.

C’est ce que nous avons toujours pensé de lui. Heureusement ce jour n’est pas venu. La coexistence pacifique n’est autre chose que l’aveu de cette impuissance. Mais une erreur de calcul est toujours possible. Il est bon que quelques échecs diplomatiques l’obligent à réfléchir.

 

Les Statistiques Soviétiques

Le croirait-on ? Il y a des économistes objectifs en U.R.S.S. qui contestent les chiffres de la propagande, ou plutôt il y en a un ; tressons-lui une couronne, en souhaitant que cela ne lui porte pas malheur. Dans une étude sur  « l’Économie socialiste en U.R.S.S. », le professeur Strumilin montre que les statistiques sur le développement de la production en Russie sont erronées. Par un jeu qu’il expose, les matières premières de base qui sont employées dans la fabrication d’un objet fini, sont comptées deux fois, ce qui a permis de faire croire que la production, en 1956 par exemple, s’est accrue de 11% alors qu’en réalité, elle n’a été que de 8%. Nous renvoyons cette étude à un spécialiste français qui affirmait récemment que les statistiques soviétiques étaient irrécusables. Il le disait sans rire. Il est vrai que c’est un marxiste bon teint.

 

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