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Le Courrier d’Aix – 1960-11-12 – La Vie Internationale.
Une Phase Nouvelle
Comme on s’y attendait, le Sénateur Kennedy devient président des Etats-Unis. Le prestige d’Eisenhower n’a pas suffi à donner l’avantage au candidat républicain. Ce sont donc les Démocrates qui auront toute la responsabilité du pouvoir, les deux Assemblées leur appartenant. L’autorité du Parti s’exercera sans contre-poids.
Une Nouvelle Génération au Pouvoir
C’est avec le jeune Sénateur, une nouvelle génération qui prend la direction du Monde libre, c’est dire que toutes sortes de liens qui s’étaient établis et maintenus entre les hommes politiques d’Amérique et d’Europe, entre des personnalités qui avaient mené le même combat, Eisenhower, MacMillan, De Gaulle, Adenauer, se trouveront défaits, que des relations nouvelles devront s’établir avec tout ce que cela comporte d’inconnues. Il n’y aura plus entre les grands pays de la Communauté Atlantique, de ces rapports sentimentaux qui, par-delà les conflits d’intérêts, empêchaient que les choses ne se gâtent tout-à-fait.
Cela est surtout vrai pour l’Angleterre. On se demande à Londres, avec un Président catholique d’origine irlandaise dont le père, ancien ambassadeur à Londres, était un isolationniste impénitent et, dit-on même pro-nazi, comment pourra subsister cette relation privilégiée des pays de langue anglaise. En France, malgré les sympathies qu’inspirait le président Eisenhower, on n’avait guère eu à se louer des initiatives américaines ; le changement n’inspire pas les mêmes appréhensions, malgré certains propos tenus à notre sujet par le sénateur Kennedy.
Les Causes de l’Echec Républicain
Ce qui est certain, c’est que le prestige des Etats-Unis avait subi de rudes atteintes. Le public américain l’avait ressenti, surtout depuis que le communisme s’est installé à Cuba, sous l’égide de Fidel Castro ; ce fut sans doute là le coup de grâce porté au Parti Républicain. Auparavant, les échecs dans la course à la conquête de l’espace, les réussites des Russes dans ce domaine, la stagnation actuelle de l’économie avaient porté l’opinion à souhaiter un changement. C’est chose faite.
La Nouvelle Politique des U.S.A.
Il n’est pas douteux que pour remplir ses promesses, le président Kennedy mènera une action vigoureuse pour relancer la prospérité, et en politique étrangère, pour donner aux Etats-Unis une direction dynamique sans se soucier de ménager les susceptibilités des Alliés, ni de composer devant les menaces des adversaires. Dans l’ordre social Kennedy accentuera l’intervention de l’Etat dans la vie des citoyens, conformément au désir des masses.
La plus originale des propositions qu’il a faites au cours de sa campagne électorale, peut-être la seule, est de remplacer en partie le service militaire par un service civil de trois ans au cours duquel les jeunes iraient dans les pays sous-développés apporter leur concours matériel et technique, cela pour compenser l’envoi massif de délégués russes dans ces régions. L’idée fera son chemin. On voit ce que cela signifie pour les pays ex-coloniaux nouvellement promus à l’indépendance : Russes et Américains en nombre viendront y prendre la place laissée vide. Il ne faudra pas longtemps pour que le souvenir des anciens colonisateurs et leurs intérêts économiques soient effacés par cette concurrence. Déjà d’ailleurs, outre les accords commerciaux et d’assistance technique récemment conclus, les Américains envoient en Guinée et au Mali, des maîtres de langue anglaise.
La Question Congolaise
La bataille pour le Congo continue. « Rira bien qui rira le dernier » vient de dire Krouchtchev, en avouant ainsi son échec. M. H., pour rétablir sa propre situation et se disculper de favoriser le retour des « colonialistes » a fait le jeu du nationalisme panafricain de Sékou Touré, de Nkrumah et de Nasser, aidé en cela de son adjoint hindou Dayal, en qui il voit un dangereux concurrent. Les Belges, las des humiliations subies s’apprêtent à contre-attaquer. Ils seront soutenus par les Etats-Unis qui ont critiqué le rapport envoyé par Dayal à New-York, au nom de la mission des Nations-Unies au Congo.
Lumumba attend son heure, appuyé par le Maire de Léopoldville Kamitatu qui tient la police de la ville. Le colonel Mobutu, lui, qui commande l’armée, fait garder la résidence de Lumumba. Quant à Kasavubu, Président de la République il se rend en personne à New-York pour défendre son pouvoir. Les jeux, comme on le voit, ne sont pas faits. En outre, à côté des durs africains, Ghana, Guinée, Maroc, et R.A.U. qui soutiennent Lumumba, les autres pays africains, en particulier ceux d’expression française, sont favorables à Kasavubu. Effectivement, on ne sait qui rira le dernier.
L’Action de l’O.N.U.
Ce qui est sûr, c’est que la mission de l’O.N.U. n’est pas un succès. Les uns s’en réjouiront, d’autres le regretteront. Sur la carte congolaise, les Nations-Unies risquent leur prestige et dans une certaine mesure l’avenir de l’institution. Jusqu’ici, on pouvait dire qu’elle avait au moins évité le pire, c’est-à-dire la guerre civile généralisée entre Tribus. Mais il lui fallait faire un choix entre les protagonistes qui se disputaient le pouvoir. Elle ne l’a pas fait parce que les divisions internes des afro-asiatiques, l’ambiance de guerre froide qu’il fallait précisément éliminer d’Afrique, ont paralysé l’action de M. Hammarskoeld. Il a cédé successivement aux pressions contraires et pour prouver son impartialité, a maintenu l’anarchie. Il est probable que loin de consolider sa position personnelle, il l’a ainsi compromise, quelle que soit l’issue du conflit. Les vaincus deviendront ses ennemis et les vainqueurs soutiendront qu’il les a empêchés de triompher mieux et plus vite. Pour le dire d’un mot, il s’est assis entre deux chaises.
Sur ce point encore, le changement complet d’administration qui va survenir aux Etats-Unis, risque de compromettre les chances de l’Occident. Comment Kennedy et Eisenhower, dans les semaines qui viennent, pourront-ils s’accorder sur la politique au Congo ? Tout dépend du choix que le nouveau président fera du futur chef du Département d’Etat. Deux candidats sont en vue : Stevenson et Bowles. Le premier qui a une forte expérience pourrait beaucoup. Mais le jeune Président voudra sans doute diriger lui-même la politique des Etats-Unis.
Le Discours du 4 Novembre
La place nous manque pour commenter, comme nous voulions le faire, les réactions internationales au dernier discours du Général de Gaulle sur l’Algérie. Ce qui nous frappe, c’est le contraste entre l’intérêt passionné que l’Etranger portait encore récemment aux paroles du Chef de l’Etat, et les commentaires désabusés et presque indifférents que l’on lit aujourd’hui. Dans l’esprit des observateurs, il semble que la cause est entendue, que le problème algérien ne se résoudra que sur le plan international et que la France, même en allant par étapes à de nouvelles et successives concessions, ou précisément à cause de cela, ne peut plus rien. De toute façon, pense-t-on, le dénouement est relativement proche : on devine lequel.
CRITON