Criton – 1961-06-10 – L’Envers du Décor

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Le Courrier d’Aix – 1961-06-10 – La Vie Internationale.

 

L’Envers du Décor

 

Les grandes rencontres au sommet, malgré toute la publicité qui les célèbre, ne suscitent pas grand intérêt. On n’en attend plus rien. Tant qu’ils causent, dit l’homme de la rue, on a la paix. Des entretiens de Paris et de Vienne, on ne peut en effet tirer d’éclaircissement : les problèmes demeurent en l’état. C’est déjà quelque chose. Ce point d’équilibre entre les protagonistes des deux Blocs finit par nuire autant à l’un qu’à l’autre. L’évolution la plus caractéristique de la géographie politique actuelle est certainement la croissance des non engagés. C’est à qui se dira indépendant et à égale distance des deux. Si vague qu’elle soit, se constitue une opinion neutre qui critique à chaque occasion les gestes des deux Grands, et cet état d’esprit gagne même les alliés, libre ou non, de l’un et de l’autre. La perte de prestige est égale pour l’U.R.S.S. et les U.S.A.

 

Krouchtchev et Nasser

Symptôme de cette évolution : la polémique inattendue par sa violence entre les Russes et Nasser. Celui-ci était déjà en tête des neutralistes, mais ses propos hostiles allaient d’abord à l’Occident, malgré la pluie de dollars, de marks, de sterling et même de francs, dont l’arrosent généreusement ceux qu’il insulte. Nasser ménageait Moscou à cause de la construction du barrage d’Assouan et surtout de l’armement qu’il en recevait. Pour des raisons qui nous échappent, Nasser a changé de ton et les Soviets organisent des meetings pour protester contre l’exécution en Syrie d’un chef communiste local. Il se pourrait que ce soit l’affaire du Congo ex-belge où les communistes et nassériens sont aux prises autour de Gizenka qui soit à l’origine de la crise. Peut-être le retard dans la construction d’Assouan ? On ne saurait dire.

 

Le Tiers-Monde et les deux Blocs

Le fait est que l’audience des Soviets dans le Tiers-Monde s’affaiblit. Ironie des choses, les Russes ont commis à cet égard les mêmes erreurs que les Américains. Les uns et les autres ont attirés chez eux des étudiants de couleur en grand nombre ; des témoignages qu’on recueille d’eux, la déception est générale. En Amérique, ils ont vu la discrimination raciale, non dans les lois, mais dans les mœurs. Ils y ont connu l’isolement moral et subi l’ennui des grandes institutions des U.S.A. ; en Russie, l’absence de liberté, la surveillance policière et la défiance des autorités, dès qu’ils ne subissaient pas passivement l’endoctrination. De surcroit, ils ont connu à Moscou et ailleurs, la médiocrité de la vie, la tristesse et la monotonie du monde communiste. La plupart ont eu le désir, parfois violent, de s’échapper.

 

Étalage des Difficultés en U.S.A. et U.R.S.S.

De plus, Russes et Américains ont fait, chacun à leur manière, étalage de leurs difficultés : aux Etats-Unis, la récession et le chômage, la crise du Dollar, le fiasco de Cuba, les multiples échecs des expériences spatiales. Les Russes aussi. Il n’est que de lire la « Pravda » et les « Izvestia »  pour être frappé d’un contraste. D’un côté l’exaltation grandiloquente de succès dont l’exploit de Gagarine est le plus spectaculaire. De l’autre, l’exposé de toutes les déficiences de l’organisation soviétique aussi bien industrielle qu’agricole. Les sorties de Krouchtchev contre les responsables de tous les scandales qui ont motivé tant de limogeages dans les hautes sphères ont bien plus frappé les observateurs neutres que l’étalage de réussites fondées sur des statistiques qu’on sait erronées. Pourquoi ces aveux ?

Sans doute l’autocritique fait partie de la morale communiste, comme le fair-play de celle des Américains : mais cela n’explique pas tout. Le monde soviétique est secoué par une crise grave et profonde, dont l’Occident ne se rend pas compte aveuglé qu’il est par la peur de la menace militaire et un certain complexe, aussi stupide que mal fondé, d’infériorité dans l’ordre de la justice sociale. Les non engagés, eux, qui n’ont rien à craindre de ces deux points de vue en sont bien mieux informés.

 

Les Échecs de la Politique Économique Russe

La politique économique de Krouchtchev n’a connu, depuis les réformes de 1957, que des échecs. Lorsqu’il a décidé de décentraliser la direction industrielle, et institué dans chaque région des Sovnarkhozes, nous lui avions prédit ici qu’il allait susciter entre ces bureaucraties locales, des rivalités qui paralyseraient la machine tout entière. Lisez la « Pravda », elle abonde en exemples de « Mestnichestvo », qu’est-ce à dire ? Une mine est située dans un district, l’usine non loin qui utilise le minerai est dans une autre. Les livraisons n’arrivent pas ; l’usine chôme ; le minerai s’accumule sur le carreau ou est expédié vers une autre destination. La plainte va à Moscou. Le Ministère se venge d’avoir été dépossédé de ses pouvoirs en faisant traîner la réponse. Prétexte d’ailleurs à des voyages agréables, mais dispendieux, des plaignants à Moscou, etc… Quant à la distribution des denrées alimentaires, on a vu dans notre précédent article à quelle invraisemblable anarchie elle a abouti, au profit exclusif des trafiquants du marché noir. Les récriminations affluent, et les journaux en font état bien sûr pour dire qu’on châtiera les coupables et que tout ira mieux demain. Comme il y a dix ans que cela dure, la masse est irritée ; la jeunesse s’agite et malgré les efforts, le gouvernement demeure impuissant. Le système ne fonctionne pas, l’autorité même est peu efficace.

Nous avons lu avec surprise que lors de son récent passage à Kiev, Krouchtchev avait été accueilli par Podgorny, le premier « Ministre », celui-là même qui avait été accusé au dernier Conseil par Krouchtchev d’être responsable du vol de la moitié de la récolte d’Ukraine, dans des termes sarcastiques ; Podgorny avait fait son mea culpa « Tu as raison, camarade Krouchtchev ». On crut à une disgrâce. Il n’en est rien. On se croirait sous Nicolas II.

 

Production et Distribution

Ce qu’il y a de plus clair, c’est que le système de production est affligé d’énormes gaspillages : l’inflation est considérable, faute de rentabilité des entreprises ; sait-on qu’il avait, avant la dévaluation récente, presque autant de roubles en circulation que d’anciens francs chez nous, le rouble étant censé en valoir 125, ce qui explique que malgré les prix exorbitants des denrées au marché noir, elles trouvent preneur aisément. Quant à la distribution, c’est là vraiment que la faillite du système collectiviste est totale. Il n’y a pas d’autre intermédiaire entre le producteur et le consommateur que le bureaucrate. Celui-ci, anonyme, irresponsable en fait, ne se soucie en rien du résultat de ses directives. En veut-on un exemple tiré des « Izvestia » ? L’administration, pour parer à la pénurie du lait, fait aménager un Sovkhoze pour l’élevage des vaches. Un décret ordonne aux Sovkhozes voisins d’envoyer leurs meilleures bêtes à ce nouvel établissement. Mais on a oublié que le préposé à la traite était seul. Il ne peut s’occuper de tant d’animaux qui dépérissent, alors qu’ils prospéraient chez leurs anciens maîtres. La production, au lieu d’augmenter, baisse encore ….

Il en est ainsi dans tous les domaines : échec de la mise en valeur des terres vierges dont nous raconterons un de ces jours les vicissitudes. Ce qui n’empêche pas les statistiques de s’enfler, on sait par quels subterfuges, tandis que le bétail meurt par millions faute de fourrage ; que malgré tous les records de production d’acier, les chantiers s’arrêtent, faute de poutrelles, etc… Seul le secteur privilégié, celui des engins spatiaux et de l’armement est servi à souhait, mais à quel prix ! Le citoyen soviétique s’en rend compte et lorsqu’on a l’imprudence de le convier à l’exposition britannique de Moscou, où des millions d’entre eux ont pu voir ce dont disposent les ménages anglais, il ne manque pas de comparer. Nos sympathisants ici devraient bien en faire autant.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1961-03-03 – Au Jour le Jour

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Le Courrier d’Aix – 1961-06-03 – La Vie Internationale.

 

Au Jour le Jour

 

Une caricature d’un journal américain montre John Kennedy conduisant un char à deux chevaux, dont l’un est correctement attelé et l’autre en sens inverse ; le premier symbolise la politique intérieure, l’autre l’extérieure. En effet, sur le plan domestique, les choses vont mieux ; les industriels montrent un prudent optimisme, la récession est bloquée, le nombre des chômeurs diminue lentement. Par contre les échecs se succèdent en politique internationale, Cuba, Laos et maintenant les fameux incidents racistes de l’Alabama dont les incidences sont surtout sensibles sur l’opinion mondiale.

 

Les Incidents Racistes en Alabama

A vrai dire ces échauffourées de Montgomery, à la différence de celles de Little Rock, ne sont pas spontanées mais le résultat d’une provocation, celle des « pèlerins de la liberté » et d’un groupe minuscule, mais actif, de racistes américains arborant la croix gammée, résurrection sous une autre forme du Ku-Klux-Klan. Comme quoi, au nom de la liberté d’expression, on peut exposer une nation à de fâcheuses secousses. Le problème noir aux Etats-Unis, toujours latent, était en demi-sommeil. Il eut été prudent d’éviter tout ce qui pouvait le réveiller. Si légitime que puisse paraître moralement la croisade des noirs et blancs associés contre la discrimination, un gouvernement a le droit et même le devoir de poser des limites à l’activité de groupes subversifs, tout au moins dans l’ordre de l’action directe, dans la rue. Mieux vaut s’exposer à des critiques que de laisser éclater des drames, comme celui-là, qui portent une sérieuse atteinte au prestige américain.

Mais plus que les incidents de Montgomery, ce sont les brimades et vexations dont sont l’objet à Washington même, les diplomates de couleur accrédités auprès de la Maison Blanche, qui desservent la cause des U.S.A. C’est dans la Capitale que la non-discrimination raciale devrait être appliquée rigoureusement. Dans les deux cas, le pouvoir, qui en avait les moyens, a failli à sa tâche. La propagande adverse a beau jeu de s’en servir.

 

Pendant que se préparent les « sommets » de Paris et de Vienne, les Conférences végètent ou meurent, comme celle de Genève relative à l’arrêt des expériences nucléaires ; celle du Laos ne vaut guère mieux ; celle de Coquilhatville, entre leaders congolais, ne semble pas avoir apporté grande clarté sur l’organisation future du Congo ex-belge. A Evian, les préliminaires des entretiens sérieux ne sont pas plus encourageants.

 

La Conférence d’Évian

Comme le notait un commentateur italien, le problème demeure au même point qu’il y a trois ans et même davantage, avec cette différence que les solutions possibles qui sont permanentes, sont de moins en moins réalisables.

Il y en a trois. L’élimination de la rébellion, sa pacification militaire. Il eut fallu pour cela recourir à des moyens extrêmes au besoin, auxquels la France n’a pu se résoudre, ce qui se comprend d’une nation civilisée. Reste alors la partition à laquelle on n’a pas renoncé et qui vient d’être à nouveau évoquée comme un pis-aller, solution beaucoup plus périlleuse aujourd’hui, qu’elle n’eut été en 1957 quand elle fut suggérée. Ou enfin, l’abandon par étapes, c’est-à-dire l’alignement de l’Algérie sur le statut marocain ou tunisien, ce qui était possible alors dans des conditions relativement pacifiques, mais ne semble plus l’être aujourd’hui. Quant au mirage de l’association qui est au centre des discussions, en apparence du moins, qui peut avoir aujourd’hui d’illusions ? C’est en gros, le raisonnement type des observateurs étrangers qui, pour des raisons diverses, mais concordantes, sont tous pessimistes. La suite des pourparlers leur donnera-t-elle tort ? Souhaitons-le.

 

Le Procès des Espions en Albanie

L’Albanie n’a pas fini de nous intriguer. Voici qu’à Tirana un procès à grand spectacle vient de se terminer ; les principaux inculpés sont condamnés à mort dont l’amiral Teme Sejku, âgé de 39 ans, qui commandait la flotte albanaise, c’est-à-dire la flotte russe de la base des sous-marins de Sassano et qui avait, bien entendu, fait toute sa rapide carrière en U.R.S.S. Ce qui est curieux dans ce procès, c’est que ledit amiral, lorsqu’il fut arrêté avec d’autres militaires, était accusé d’espionnage au profit de qui… de l’U.R.S.S. ! Lorsque les débats se sont ouvert, il est devenu l’espion à la solde des Yougoslaves et des Grecs et agissait en complicité avec l’Amiral de la flotte des U.S.A. en Méditerranée. Naturellement, les inculpés ont fait leur autocritique et avoué tout ce qu’on voulait bien leur reprocher, y compris d’avoir préparé le renversement du régime communiste en Albanie, qui devait être suivi d’une invasion conjointe de la Grèce et de la Yougoslavie, appuyée par les canons de la flotte américaine. On voit d’ici le coup de théâtre de cette expédition militaire et les Etats-Unis si prudents en Extrême-Orient, se lançant en Europe aux portes de l’empire soviétique dans une pareille équipée ! Autre fait curieux. De ce procès auquel la presse occidentale n’a pas été conviée, comme de juste, ni la presse soviétiques, ni celle des satellites, n’ont parlé. C’était pourtant l’occasion ou jamais d’une campagne à grand orchestre contre l’impérialisme des U.S.A., le renégat Tito, le traître Caramanlis vendu à l’Occident et quotidiennement attaqué, pour d’autres motifs que ses prétendues visées sur l’Albanie. Or le silence est de rigueur. Étrange.

 

La Vie Quotidienne à Moscou

Les choses vont plutôt mal en Soviétie, et si des faits semblables à ceux qu’on expose là-bas, se passaient chez nous on craindrait une catastrophe. Nous avons relaté les mesures judiciaires prises contre les délits économiques, en particulier contre ceux qui faussent les statistiques, ces statistiques soviétiques qu’un spécialiste français considérait, il n’y a pas longtemps, comme rigoureusement valables. Ne parlons pas davantage des multiples mutations dans les hautes sphères, depuis le Ministre de l’agriculture, jusqu’à la plupart des dirigeants des provinces islamiques d’Asie. C’est à Moscou même, capitale et vitrine d’exposition de l’empire où tous les provinciaux viennent faire achat de ce qu’ils ne trouvent pas chez eux, que la crise agricole se manifeste avec une ampleur inconnue depuis quinze ans. Quelques détails ne manquent pas d’intérêt. Ils nous viennent d’Arrigo Levi, correspondant à Moscou et sont datés du 23 mai.

Faire ses provisions à Moscou est un choc, dit-il, aussi bien pour les communistes que pour les non-communistes les plus prévenus contre le régime. Ceux-là même n’imaginaient pas ce que peut être la réalité. On savait que les vêtements étaient hors de prix et de mauvaise qualité, qu’une paire de chaussures de femme coûte 30.000 francs, qu’un stylo ou une chemise de nylon est chose introuvable, mais on ne s’attendait pas à voir une queue interminable se former devant un magasin où se vendent de mauvaises chaussettes de coton marron, une autre, en cette saison pour acheter des concombres à 1.600 francs le kilo, ou des salades à peine fraîches à 1.200. La bataille pour le lait commence à huit heures et demie. De longues queues se forment devant le magasin encore clos. Il s’ouvre et se referme au bout d’une demi-heure sans que tous les clients soient servis. Deux ou trois jours se passent sans qu’on puisse acquérir du fromage ou du beurre ou de la viande. Au marché noir, celle-ci se vend de temps en temps à 2.000 francs le kilo avec les os. Dans les magasins d’Etat, elle coûte moitié prix, mais n’apparaît que lorsqu’elle commence à être gâtée. La distribution des denrées est quelque chose de mystérieux, des magasins s’ouvrent, paraissent bien approvisionnés, puis ferment sans qu’on sache pourquoi pendant des jours et parfois des semaines.

La place nous manque pour rapporter mille détails qui donnent une idée de l’invraisemblable anarchie du système. Nous les tenons à la disposition de ceux qui feignent de croire au paradis soviétique. Quinze ans après la guerre, quarante-quatre ans de régime collectiviste pour aboutir à cela !

 

                                                                                  CRITON

Criton – 1961-05-27 – Dialogues Difficiles

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Le Courrier d’Aix – 1961-05-27 – La Vie Internationale.

 

Dialogues Difficiles

 

Revenant sur ses promesses, le président Kennedy part en tournée. Après avoir pris contact avec ceux avec lesquels il était facile d’être d’accord, il aborde les rencontres difficiles.

 

Canada et U.S.A.

D’abord à Ottawa avec Diefenbaker. Le Canada se tient de plus en plus à l’écart de la politique américaine, et tant dans l’ordre économique que politique a cherché plutôt à accentuer les oppositions qu’à les atténuer. Le président Eisenhower, qui était allé lui aussi à Ottawa, n’avait pas recueilli grand avantage. Depuis, il y a eu les frictions entre les deux pays au sujet de Cuba et des mesures propres à donner aux Canadiens la direction des entreprises implantées dans le pays par les industriels des Etats-Unis ( ?). L’opinion américaine reproche au Canada de ne pas s’associer à l’organisation des Etats américains ; la frontière du Continent ne doit pas s’arrêter au Saint-Laurent, dit-on. C’est surtout pour convaincre Diefenbaker de partager les responsabilités du Nouveau Monde politiquement et financièrement, que Kennedy est allé voir son voisin. Celui-ci n’est pas homme à changer d’avis. L’accord entre eux deux n’a pas dû aller très loin.

 

Les deux K. à Vienne

Il va lui falloir aborder à présent des hommes encore plus difficiles. De Gaulle, puis Krouchtchev. Si l’entrevue avec le premier est unanimement accueillie avec faveur, il n’en va pas de même pour le second. Les avis sont partagés. Les uns considèrent qu’une prise de contact avec l’adversaire est indispensable pour sonder si possible ses intentions cachées et tout au moins pour ne pas mener le jeu diplomatique avec quelqu’un dont on ne connaît les réactions que par des rapports d’émissaires.

L’argument a son poids, bien qu’en fait, l’entrevue de Camp David avec Eisenhower n’ait pas servi à grand-chose et n’ait pas empêché le retentissant éclat du sommet manqué de l’an dernier à Paris. Le tête-à-tête de deux hommes prépondérants est toujours un risque ; l’antipathie ou la sympathie ne jouent pas grand rôle dans les rivalités d’Etat, mais quand la balance entre deux décisions est en équilibre instable, l’humeur peut avoir sa part. Il est rare au surplus qu’entre deux hommes de génération différente s’établisse une compréhension spontanée. C’est ici le cas, non seulement par la différence d’âge, mais aussi d’expérience et de formation. Krouchtchev fait partie des hommes d’avant 1914. Il avait alors vingt ans et ce sont ces années qui comptent dans la genèse du complexe mental. Au-delà, un homme, si doué qu’il soit, est toujours par quelque côté, fermé au présent. Dans le cas de Krouchtchev, on saisit actuellement les difficultés qu’il a à manipuler les Soviétiques pour qui la révolution de 1917 et l’ancien régime ne sont que des pages d’histoire.

 

La Position d’Infériorité des U.S.A.

Mais à côté de ces considérations psychologiques, il en est d’autres qu’on objecte. La position de Kennedy après de malheureux débuts, le désastre de Cuba, et la dérobade du Laos, est affaiblie en face d’un adversaire qui a mené les choses constamment à son avantage. La position de force est de son côté et il serait vain de chercher à le persuader du contraire. Certains adversaires du président Kennedy sont sévères. Cette rencontre de Vienne paraîtra un signe de faiblesse, disent-ils, et décourageront un peu plus les pays satellites soumis à Moscou, sans pouvoir fléchir la détermination de Krouchtchev dans la question de Berlin qui va fatalement être le point crucial des futurs débats.

Pendant ce temps, les conférences se poursuivent et malheureusement ne démentent pas les prévisions que nous faisions sur ce genre de colloques. L’impuissance des dirigeants à s’entendre sur quelque sujet précis est illustrée, si l’on peut dire, par la durée invraisemblable – plus de quinze mois – des pourparlers relatifs à l’admission de la Grèce au Marché Commun. Le débat qui n’a pu encore être conclu tourne autour de clauses minuscules, des affaires de contingents d’exportation de tabac et de citrons !

 

Le Putsch en Corée

La Corée du Sud est venue assez inopportunément compliquer la tâche américaine. Une junte militaire a pris le pouvoir au Premier Chang. Il ne faisait de doute pour personne que ce personnage équivoque qui avait remplacé Syngman Rhee ne donnait pas satisfaction aux Américains. Ceux-ci cependant, pour sauver la face, ont fait mine de réprouver le coup d’Etat alors qu’il était évident qu’ils n’y étaient pas étrangers. Les Américains sont partagés entre deux phobies : celle de paraître appuyer des dictatures et celle d’être obligés d’avouer que la démocratie n’est pas exportable dans des pays sans éducation politique, en Asie comme en Afrique. Cette oscillation leur a déjà coûté cher.

Pour n’en donner qu’un exemple, on sait que le dictateur de la République dominicaine Trujillo, en bons termes avec les Etats-Unis jusqu’à la révolution cubaine, a été solennellement condamné et boycotté sur instigation de Washington, à la Conférence des Etats américains, uniquement pour qu’on n’accusât pas les Etats-Unis de soutenir des dictatures comme celle de Batista à Cuba. Trujillo vient de se venger en signant un accord avec Fidel Castro. Les deux régimes pourtant opposés aussi radicalement qu’il se peut en idéologie se retrouvent dans leur hostilité aux yankees. Le même Castro vient d’offrir de restituer les prisonniers de l’aventure de Cochinos aux Américains en échange de cinq cents bulldozers. Cette transaction insolite a de fortes chances de réussir. Cette façon de ridiculiser l’invasion de Cuba n’est pas pour relever le prestige de l’administration Kennedy.

 

Les Problèmes Clefs de l’Économie

Deux graves problèmes dominent les discussions économiques et financières. D’un côté les grands argentiers du Monde libre, dont MM. Dillon et Baumgartner, discutent des différents projets d’élargissement des attributions du Fonds Monétaire International pour maintenir ou rétablir l’équilibre des paiements entre nations et éviter le retour d’événements comme la crise récente du Dollar et les sorties d’or des Etats-Unis. D’un autre côté, le colloque de Turin ou Table ronde de l’association pour l’étude des problèmes européens qui s’est occupé de l’automation et de ses incidences économiques et sociales. Deux problèmes fort différents mais qui ne sont pas sans lien. Nous n’entrerons pas dans les discussions techniques, mais nous pouvons situer les questions.

Dans le premier cas, différentes méthodes ont été présentes pour rétablir l’équilibre quand une nation, par suite du déficit de sa balance des paiements, voit celui-ci s’accroître et sa monnaie menacée. Elles consistent toutes en principe, à faire emprunter  par le Fonds Monétaire au pays dont les réserves s’accroissent, comme l’Allemagne fédérale actuellement, et à mettre ces sommes à la disposition de celui où elles diminuent. Toutes se heurtent à la même difficulté. Le système, quel qu’il soit, fonctionnera si le courant est temporaire, il sera impuissant si le déficit des uns et l’excédent des autres se perpétuent indéfiniment. Un point, au surplus capital, divise les spécialistes. Y a-t-il ou non insuffisance des réserves monétaires internationales ? Ce qui revient à poser le problème de l’or. Car on ne peut augmenter les réserves sans réévaluer le métal ce qui est hors de question pour l’heure tout au moins.

Second problème, l’automation. Ses progrès accélérés qui bouleversent toutes les prévisions, ne vont-ils pas, d’une part permettre une production de certains biens, telle qu’ils ne pourront trouver, en contre-partie, une consommation solvable et peut-être même non solvable, faute d’utilisation possible immédiate, et d’autre part obliger les pays, même ceux qui ne connaissent pas le chômage et souffrent encore du suremploi, à des déplacements rapides de main-d’œuvre et à des réadaptations sur une large échelle, qui jusqu’ici se heurtent à des difficultés sociales insurmontables comme les Etats-Unis en offrent l’exemple, malgré la mobilité de leur propre main-d’œuvre. L’accroissement de plus en plus rapide du potentiel productif exige si l’on entend éviter l’inflation, un système de crédit international établi sur des réserves adéquates, ce qui nous ramène au problème numéro un. Si la base est fragile, une crise, économique celle-là, est inévitable à plus ou moins longue échéance. Comme l’éviter ? Par des méthodes classiques ou révolutionnaires ? C’est là que les marxistes nous attendent.

 

                                                                                                       CRITON

Criton – 1961-05-20 – Conférences, Conférences

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Le Courrier d’Aix – 1961-05-20 – La Vie Internationale.

 

Conférences, Conférences

 

On disait autrefois : la saison des Conférences est ouverte. Aujourd’hui elles se succèdent, au long de l’année et même plusieurs fonctionnent simultanément. A Oslo, celle de l’O.T.A.N. ; à Genève, le Laos, et aussi l’arrêt des expériences nucléaires ; à Monrovia, l’Afrique des douze dite du bloc de Yaoundé ; à Coquilhatville, les Chefs du Congo belge ; demain sans doute, celle d’Evian, sans compter les réunions multiples et périodiques des Ministres.

Ce qui caractérise l’évolution de ces assemblées, c’est leur impuissance. Les résultats sont de plus en plus insignifiants, voire négatifs. Les hommes d’Etat réunis disputent à perdre haleine ; on élabore péniblement un communiqué, pour ne pas paraître travailler en vain et ce qu’il peut contenir de positif demeure le plus souvent verbal, assez vague pour n’être pas définitif. On peut l’expliquer ainsi :

Les représentants des démocraties ont derrière eux l’opinion et par conséquent l’électeur. Tout ce qui peut apparaître comme une concession à l’adversaire sert d’argument à l’opposition. Les dictatures, sachant qu’on ne peut obtenir grand-chose en négociant, se servent des conférences pour gagner du temps et modifier la situation en discussion à leur avantage pendant les pourparlers. Quand on a fini de causer, tout est déjà à reprendre et ainsi de suite.

 

La Conférence d’Oslo

Même entre alliés les difficultés demeurent insolubles. On l’a vu à Oslo où les ministres de l’O.T.A.N. viennent de se réunir.

La situation à éclaircir peut se résumer en ce dilemme : La défense de l’Europe, dont l’O.T.A.N. est chargé, ne peut être assurée que par l’emploi des armes nucléaires. Tant que les Etats-Unis étaient seuls à les posséder, la menace de les employer suffisait. Maintenant que les Russes en sont pourvus, on peut douter que les Etats-Unis s’en servent pour riposter à une attaque menée contre l’Europe avec les seules armes conventionnelles. Or, dans ce domaine, les moyens de l’O.T.A.N. sont manifestement insuffisants. La défense ne peut être assurée que par les fusées Polaris des sous-marins atomiques. Mais ceux-ci sont aux Américains et ils peuvent seuls en décider l’usage. Si, comme on l’a proposé, ces engins appartenaient à l’O.T.A.N., encore faudrait-il que l’unanimité des 15 membres les mette en action. Il y aurait alors un veto américain possible et aussi de l’un des quatorze autres. Si par exemple, la Turquie, la Grèce ou la Norvège étaient attaquées, les autres risqueraient-ils de mortelles représailles pour faire face ? Tous les engagements, même solennels suffisent-ils à rassurer les victimes possibles ? On en peut douter et c’est là que le débat tourne en rond.

On ne serait pas plus avancé si l’un des partenaires, la France par exemple, disposait d’armes nucléaires propres. Il y aurait là un risque de plus de rompre la solidarité atlantique sans que la défense de l’Occident et même la nôtre, en soit mieux assurée. Car si l’un des partenaires succombait faute d’avoir reçu le secours des autres, ceux-ci tomberaient un à un à moins que les survivants n’interviennent ensemble ; c’est l’histoire des années 1936-40. Ce cercle vicieux ne peut être rompu et c’est bien ce que sont obligés de constater les ministres de l’O.T.A.N.

Il y aurait cependant, sinon une solution du moins un remède : que chacun des pays de l’O.T.A.N. reçoive l’arme protectrice, en l’espèce le ou les sous-marins atomiques avec les moyens de s’en servir. Cela n’empêcherait pas un agresseur d’agir, mais peut-être de courir le risque d’en payer le prix. La neutralité suisse en 1939-45, a été préservée par là. Ainsi également les rivalités actuelles, si nocives à l’Alliance, seraient apaisées. Mais le Congrès des Etats-Unis y consentirait-il ?

 

Les Purges en Asie Soviétique

On n’a pas prêté beaucoup d’attention aux purges opérées par Moscou dans ses colonies asiatiques. Successivement, les dirigeants des Républiques dites autonomes, Kazakhstan, Azerbaïdjan, Kirghizstan, et nous en omettons, ont été liquidés et remplacés par simple décret de Moscou. Ces peuples ont changé de maître sans avoir été consultés, sans même que les autres ministres aient, même symboliquement, décrété la déposition des uns et la nomination des autres. Cela paraît normal ; on en a tellement vu de semblables que pas un des dirigeants des pays ex-coloniaux n’a fait à ce sujet la moindre observation. Deux poids et deux mesures. Tout ce qui vient de l’U.R.S.S. est-il tabou ? On le croirait.

 

Le Retour au Stalinisme

On n’a pas commenté davantage les nouveaux décrets soviétiques relatifs à l’ordre intérieur ; la peine de mort rétablie pour les offenses les plus diverses, allant du simple vol de la propriété publique, à la corruption de fonctionnaire ; d’autres concernent la distillation clandestine et même l’oisiveté, punie de déportation et travail forcé. Ces dispositions sont si générales dans leur formule que peu de citoyens peuvent être assurés de n’être pas concernés. Ce retour au stalinisme, au moins en théorie, n’a certainement pas été décidé de gaieté de cœur par Krouchtchev qui s’est fait une certaine popularité pour avoir atténué l’ancien arbitraire. Comme nous le disions ici, avant de connaître ces mesures, ce vaste empire ne peut survivre que par un despotisme vigilant et redouté. Le relâchement, ces dernières années, avait pris des proportions alarmantes grâce à une détente de l’autorité. D’où la nécessité, l’urgence même, de rétablir la peur du haut en bas de la hiérarchie. Il y a là une fatalité à laquelle tous les régimes dictatoriaux ont dû se soumettre et qui les a, à la longue, menés à leur perte.

 

Le Rapprochement Moscou-Belgrade

Sur le plan extérieur russe, un événement qui n’a pas suscité beaucoup de curiosité est cependant d’importance ; le nouveau rapprochement entre Krouchtchev et Tito. Popovic est allé au Kremlin et Gromyko en personne va se rendre à Belgrade. Et cela au moment où les dirigeants albanais redoublent d’invectives à l’endroit de la Yougoslavie et où les Chinois de Pékin accordent à l’Albanie de nouveaux crédits et envoient une nouvelle cohorte de techniciens chargés d’un programme important d’installations industrielles dans le pays. Où les deux communismes veulent-ils en venir ? Le mystère demeure.

 

Les deux Afriques

Les pays libérés du joug colonial n’ont pas tardé à adopter les mœurs diplomatiques de leurs anciens maîtres et à leur imitation se divisent en groupes et, à l’intérieur de ces groupes, se disputent entre eux, se rassemblent en conférences pour constater et parfois découvrir leurs désaccords et couvrent leurs ressentiments de résolutions communes qui n’engagent à rien. Ainsi, d’un côté l’Afrique des Douze qui comprend en outre Madagascar, les quatre Etats de l’ex-Afrique équatoriale, les quatre de l’Entente, la Mauritanie, le Cameroun et le Sénégal, auxquels se sont joints Togo, Nigéria, Sierra Leone. En opposition, nous trouvons les cinq de Casablanca : Egypte, Maroc, Guinée, Mali, Ghana entre lesquels d’ailleurs le torchon brûle, car les ambitions de Nkrumah inquiètent ses voisins de Conakry et de Bamako. Les douze semblent mieux ou moins mal accordés, bien que Fulbert Youlou du Congo ex-français, ayant pris parti pour Tchombé, soit assez mal vu à Monrovia et que Sir Balewa, du Nigéria, soit en querelle avec Ahidjo à cause de la province du Cameroun, ex-mandat britannique, rattaché au Nigéria de façon peu démocratique.

Là, les résolutions sont axées sur les questions qui ne peuvent diviser car elles concernent les tiers : la sécession Katangaise, l’apartheid de l’Afrique du Sud, l’ingérence extérieure au Congo ex-belge. Il y a aussi de vastes projets d’union douanière et monétaire, de collaboration économique, voire militaire, de fédération … Il faut bien se conduire comme les grands.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1961-05-06 – Après l’Orage

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Le Courrier d’Aix – 1961-05-06 – La Vie Internationale.

 

Après l’Orage

 

Après une semaine explosive, la poussière retombe, comme disent les Anglais et l’on se demande en quoi les événements modifient les perspectives.

Pour l’heure, on est retombé aux problèmes pendants, Laos et Congo

 

Le Mélodrame Congolais

Que dire du Congo sinon que le mélodrame continue et que la situation à rebondissements ne s’éclaire pas pour autant. Tchombé, venu au rendez-vous piège de Coquilhatville, s’est laissé prendre et ses conseillers belges avec lui. L’O.N.U. marque un point puisqu’elle a été engagée à expulser ces derniers. Kasavubu aussi puisqu’il s’est assuré de la personne de celui qu’il avait embrassé à Tananarive, mais qui ne voulait pas déverser sur Léopoldville les revenus de l’Union Minière du Haut-Katanga. Quant à Gizenka, plus malin ou mieux conseillé, il s’est tenu dans son fief. Il sera difficile au général Mobutu de l’en sortir ou même de l’obliger à se soumettre au pouvoir central encore bien trébuchant. Cependant, il est rassurant de constater que la phase anarchique et sanglante paraît dépassée et que l’on en est revenu au palabres où les Noirs excellent et se complaisent.

Ne nous hâtons pas de conclure, car une quelconque conclusion n’est pas pour demain. Il y a en jeu, outre les rivalités de personnes, de gros intérêts financiers et aussi politiques. La guerre froide demeure latente en Afrique.

 

Armistice au Laos

Quoique toujours aussi tortueuse, l’affaire laotienne est moins tendue. Nous avons toujours été relativement optimiste à cet égard, pensant que les Russes et leur allié, Ho Chi Minh ne s’engageraient pas à fond, de peur d’ouvrir aux Chinois la route du Sud-Est asiatique, celle des matières premières, huile, étain caoutchouc. Les Soviets ont manœuvré à leur guise et tout s’est passé comme ils l’entendaient. Ils n’ont pas poussé l’offensive du Patet Laos jusqu’aux capitales, mais ont fait traîner les pourparlers d’armistice jusqu’au moment où leurs protégés se sont assurés d’une position stratégique les mettant en posture d’imposer leur solution. Ainsi ils ont  contenu les Américains au bord de l’intervention, sans leur laisser de prétexte majeur pour y recourir, ce qui eut été le cas si les pro-communistes s’étaient emparés des deux capitales et avaient pris le pouvoir. En même temps, ils ont tenu les Anglais en haleine, leur promettant l’armistice pour le lendemain jusqu’au jour qu’ils avaient fixé.

Tout cela est fort bien joué ; une fois de plus les Occidentaux divisés sur le fond ont été paralysés et dominés. Ils devront accepter le fait accompli ; probablement un gouvernement dit neutraliste associant les deux princes beaux-frères Souvannah Phouma et Souphanouvong, l’un neutre appuyé par Nehru, et l’autre rouge soutenu par Moscou.

 

Cuba, suite

Pendant que Castro exulte et proclame, entre des discours-fleuves, la naissance officielle de la première République socialiste de l’hémisphère occidental, Kennedy digère l’échec de Cuba. A vrai dire, cela ne passe pas très bien. Après Eisenhower, Nixon, Truman, il a consulté jusqu’au vieux général Mac Arthur.

Les Soviets avaient suggéré à Castro de proposer, après sa victoire, une négociation avec Washington, Kennedy ne pouvait accepter, sans que cela parût une sorte de capitulation. Et effectivement, il a refusé. On ne négocie pas avec le communisme, dit-il ; il aurait pu ajouter seulement quand il est à nos portes. Mais il y a aux Etats-Unis mêmes, tout un courant d’opinion pacifiste. Des listes de signatures plus ou moins célèbres, circulent jusque dans le « New-York Times » pour demander la conciliation.

A l’étranger, les mêmes voix ne manquent pas. Dans son ensemble, l’opinion est gênée. Elle voit bien le péril, mais la manière forte lui répugne. On ne veut pas être accusé de n’agir que par intérêt et l’on craint de donner des arguments à tous ceux qui aboient à l’impérialisme yankee, surtout en Amérique latine. C’est aussi une question de conscience morale qui trouble beaucoup de citoyens. La voie que cherche Kennedy est d’associer les nations du continent américain à une action commune contre la menace du communisme implanté dans leur zone. Il a réussi déjà à faire exclure Cuba des délibérations secrètes de l’organisation des Etats américains, ce qui ne s’est d’ailleurs pas fait à l’unanimité. Certains dirigeants au Mexique, en Bolivie en particulier, craignent des mouvements d’opinion violents s’ils s’allient à Washington contre Cuba. Dans ces pays un malheur est vite arrivé aux gens en place. Par surcroît, Kennedy a des ennuis avec les exilés cubains. Ceux que l’on a écartés de la tentative de débarquement parce que pas assez démocrates, accusent les autres d’avoir échoué et veulent prendre leur place. Comme on le voit, c’est toujours « Gulliver enchaîné ».

 

Après Alger

Après l’euphorie qui a succédé à l’échec du putsch d’Alger, les commentateurs étrangers se préoccupent de l’avenir français. L’opinion la plus courante est que le drame a été grossi à dessein et que les objectifs des insurgés, si tant est qu’ils en avaient de bien précis, étaient moins ambitieux qu’on ne pouvait croire. Par contre, on se demande si sous l’apparente unanimité qui a fait échouer l’insurrection en France métropolitaine, ne couve pas un malaise assez profond pour contraindre le régime à un durcissement vers lequel il tendait déjà et si de nouvelles oppositions ne vont pas s’accentuer, qui pourraient venir de l’autre bord, des partis de gauche ou assimilés. On se demande aussi si l’influence de l’événement sera favorable ou non aux éventuels pourparlers d’Evian. Le problème étant le suivant : le F.L.N. n’exigera-t-il pas le retrait préalable des forces militaires d’Algérie et dans ce cas, comment pourra être assurée la protection des minorités. Beaucoup de points d’interrogation.

 

Le 1er Mai à Moscou

Moscou a célébré le premier Mai avec la parade militaire d’usage et les discours enflammés non moins rituels, mais cette fois sous le signe et en présence de Gagarine. Mais en même temps, tous les correspondants étrangers en U.R.S.S., même à Moscou, signalent la pénurie de denrées alimentaires, de viande, de lait, et même de pommes de terre et les longues queues devant les magasins. Justement après le 1er Mai, il n’y avait plus rien à vendre, pas la moindre saucisse, dit-on. Ce qui ne s’était pas vu depuis dix ans. On mesure par là le contraste entre ces bruyantes et d’ailleurs remarquables réussites scientifiques qui ont exigé un énorme effort et une habileté technique exceptionnels, et la gabegie où se débattent les autres secteurs, et particulièrement le secteur agricole qui va de mal en pis où le gaspillage est énorme et les résultats incertains.

Nous ne disons pas cela par dénigrement. D’ailleurs les faits sont là et parlent d’eux-mêmes. Si l’on relit l’histoire de la Russie avant la révolution, sous ses Tsars successifs, on constate à quel point ce mélange de prouesses et d’échecs, d’incurie et d’héroïsme, d’incompétence, et d’habileté, de laisser-aller et d’enthousiasme, marque les régimes et les hommes. Ce qui distingue les époques, c’est le degré de vigueur déployé par le despotisme qui a toujours régné et qui est, il faut bien le dire, indispensable à la cohésion de cet empire que toutes les tentatives de libéralisme, voulu ou subi, ont menacé de désagrégation.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1961-04-29 – Le Temps des Épreuves

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Le Courrier d’Aix – 1961-04-29 – La Vie Internationale.

 

Le Temps des Épreuves

 

Bonne semaine pour Moscou : Désastre à Cuba, Coup d’État à Alger. Les observateurs étrangers ne manquent pas de constater que c’est le Monde libre tout entier qui est atteint.

 

Échec à Cuba

Commençons par Cuba : Dès le début de 1960, les services secrets américains dirigés par Allen Dulles avaient confié à son adjoint Richard Bissell la préparation d’une opération contre Cuba analogue à celle qui en 1954 avait réussi contre le gouvernement du colonel Árbenz au Guatemala. Deux groupes d’émigrés cubains furent entraînés l’un au Guatemala, l’autre en Floride, cinq mille d’un côté, quatre de l’autre. L’expédition était prête en décembre, mais Eisenhower, son mandat prenant fin, ne voulut pas l’entreprendre. En mars, la situation exigeait une décision ; les armements russes arrivaient et en mai-juin, l’opération ne serait plus possible. Kennedy résolut d’agir, d’autant que le Président du Guatemala embarrassé de ses hôtes pressait le mouvement pour des raisons intérieures. Comme toujours, en pareilles circonstances, les avis des conseillers du président Kennedy étaient opposés : les uns dont Dean Rusk et Bowles étaient hostiles à une telle tentative ; les risques étaient grands et un échec aurait de graves conséquences.

Les services secrets et le Pentagone étaient d’avis contraire ; les leaders anti-castristes assuraient qu’une insurrection générale suivrait le débarquement. Il suffisait d’un soutien aéro-naval américain pour qu’un corps expéditionnaire de cinq mille hommes réussisse. Kennedy hésita et finit par se décider pour une formule de compromis afin de réduire les risques politiques de l’entreprise. Les insurgés seraient autorisés à attaquer, mais sans appui massif ni assistance d’un seul soldat américain. On leur donnerait seulement de petits bateaux de débarquement. Cela fut arrêté le 5 avril et l’opération eut lieu le 16, avec douze cents hommes seulement.

Cette demi-mesure fut fatale. Croyant limiter les risques, Kennedy les prenait tous. Celui d’un échec et par surcroit la responsabilité de l’affaire avec toutes ses conséquences. Au surplus, les espions castristes mêlés aux réfugiés savaient tout des préparatifs et Castro attendait à l’heure et au lieu prévu l’arrivée des insurgés. Voilà pour les faits, voyons les conséquences.

 

Conséquences de l’Échec de Cuba

Pour le jeune Président des Etats-Unis, au début de son mandat, c’est une catastrophe. Il ne se le dissimule pas, les Américains non plus. Aussi a-t-il cherché et d’ailleurs réussi à faire avec Eisenhower et Nixon une sorte d’union nationale ; avec élégance, les anciens responsables ont apporté leur appui aux nouveaux, montrant ainsi à la Nation que les responsabilités étaient partagées. Belle leçon de démocratie, soit dit en passant.

 

En Amérique latine

Bien entendu, tous les ennemis des U.S.A. se sont réjouis bruyamment, à commencer par ceux de chez nous. Voilà la revanche de Suez de 1956 ! Comme si le malheur des uns effaçait celui des autres. D’ailleurs, ils se trompent. La réaction des pays directement concernés par cette défaite, c’est-à-dire les dirigeants d’Amérique latine, n’ont pas du tout réagi comme nos pontifes le croyaient. Le monde latino-américain a pris peur. On vitupérait volontiers les Yankees quand on les croyait forts. En les voyant perdre la face, on se sent plutôt solidaires d’eux. On hésitait à condamner la révolution castriste, on ne voulait pas croire que Cuba était une tête de pont du communisme et que la forteresse était solidement tenue.

 

La Rencontre Quadros-Frondizi

L’attitude la plus significative est celle du président Quadros du Brésil. On se souvient qu’il avait accepté une invitation de Castro et qu’il avait déclaré qu’il ne tolèrerait pas qu’il soit renversé par la force. Aujourd’hui, tout au contraire, pendant que se déroulait l’affaire cubaine, les deux présidents Frondizi de l’Argentine et Quadros du Brésil se rencontraient à Uruguayana, La conclusion est nette, ce qui est rare en l’espèce :

« Brésil et Argentine orienteront leur politique extérieure en fonction de l’essence occidentale de leur civilisation et d’accord avec les responsabilités continentales qu’ils ont assumées ».

Traduit en clair : Pas de compromis avec l’idéologie de l’Est, et fidélité à la charte de l’Organisation des pays américains (A.S.O.) et au Pacte de Rio-de-Janeiro. De plus, ils repoussent « l’ingérence directe ou indirecte de facteurs extra-continentaux » et enfin ils approuvent le plan « d’alliance pour le progrès » proposé par le président Kennedy. Voilà qui fait justice des intentions neutralistes prêtées à Quadros que nous avions en leur temps contestées ici.

 

Le Coup d’Alger

Du coup d’Alger, nous ne retiendrons évidemment que l’aspect international. L’étranger demeure très sensible à tout ce qui trouble l’équilibre français que l’on considère toujours comme fragile et qu’on voulait croire enfin assuré. L’émotion est vive, excessive même sans doute, au sujet de ce que tous considèrent comme une aventure, mot qui constitue le titre de beaucoup d’articles. Aventure qui ne débouche sur rien. On s’accorde d’ailleurs, presque unanimement à la condamner non tant pour son caractère désespéré, que parce que l’on redoute l’ébranlement des structures françaises reposant aujourd’hui sur un seul homme ; le commentateur italien Guerriero ajoute :

« auquel la plupart obéissent mais avec qui personne, ou presque, ne collabore. » Quant aux responsabilités, il ajoute : « la faute est d’abord aux Américains qui ont poursuivi obstinément la destruction du « colonialisme » croyant pouvoir se substituer aux vieilles nations expérimentées d’Europe, dans les pays africains et asiatiques, en invoquant des principes : autodétermination, suffrage populaire, parlementarisme qui ne pouvaient s’appliquer à des peuples arriérés. Ils n’ont réussi qu’à détruire un équilibre quand même, déchainant une véritable révolution qui s’est retournée contre eux. Pour le seul profit des Soviets ».

Décolonisation menée, au surplus, avec une précipitation et une maladresse insignes, ce qui aboutit à une véritable débâcle en chaîne qui est malheureusement encore loin de son terme, ce qui explique, sans le justifier, le coup de tête des séditieux.

Bien d’autres commentaires seraient à retenir, en particulier celui qui remarque qu’il y a contradiction à demander à des soldats de se faire tuer, tout en invitant à la direction de la future république algérienne, les hommes mêmes que l’on combat. Mais tout cela ne change rien au fait, qu’on n’arrêtera pas le cours des choses qui ne dépend ni des hommes qui le poussent, ni de ceux qui cherchent en vain à le remonter. A Cuba comme à Alger, il semble bien qu’il soit trop tard.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1961-04-22 – Le Feu aux Poudres Cubaines

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Le Courrier d’Aix – 1961-04-22 – La Vie Internationale.

 

Le Feu aux Poudres Cubaines

 

Nous y sommes ; la guerre à Cuba que les augures ne voyaient pas venir, malgré les multiples symptômes que nous signalions ici, risque de mettre la paix à rude épreuve. Le prestige soviétique est en cause et celui des U.S.A. ne l’est pas moins. A l’heure où nous écrivons les jeux sont faits ; les développements de l’affaire et leurs conséquences dépendent de l’issue des combats dans l’île.

 

Une Échéance prématurée

Il était clair que les conjurés anti-castristes devaient faire vite, plus sans doute qu’ils n’auraient voulu, car la désorganisation de l’économie cubaine qui pouvait soulever la masse contre le régime, n’avait pas encore assez fait sentir ses effets. Mais l’armement russe affluait et les insurgés se seraient bientôt trouvés en face d’une force difficile à affronter.

 

Les Dénégations de Washington

Le gouvernement Kennedy a naturellement décliné toute responsabilité. Cela ne trompe personne, mais comme les Russes et les Chinois avaient usé du même subterfuge en Corée et au Vietnam, ce genre de conflit par personnes interposées fait partie des fictions diplomatiques. Si l’on s’en réfère aux précédents, deux possibilités s’ouvrent ; ou bien Soviets et U.S.A. enverront à Cuba des « volontaires », ou bien ils se contenteront d’aider matériellement les deux camps. Comme la position stratégique des Russes leur est ici défavorable à cause de la distance, la seconde hypothèse paraît plus vraisemblable. Mais la menace d’une guerre véritable ne peut être conclue, menace que les Russes avaient évoquée l’an passé, justement à propos de Cuba. Les Américains n’y croient pas et ils ont probablement raison, mais l’alerte demeure. L’affaire cubaine relègue à l’arrière-plan les autres problèmes en question, ou plutôt, elle les enterre. Ni le conflit laotien, ni la Conférence sur les expériences nucléaires n’ont de chance de trouver de compromis. Il se pourrait même qu’elle influe sur les négociations algériennes éventuelles.

 

La Conquête de l’Espace

Avant cela, le héros du jour était le cosmonaute Gagarine. Les Soviets en ont tiré tout l’effet de propagande possible et l’imagination des foules a travaillé sur cet exploit. Faut-il mettre les choses au point ? Ce voyage de l’homme autour de la terre était prévu, les moyens techniques étant réalisés. Mais les perspectives en sont très limitées. Dans l’ordre stratégique, le lancement d’un satellite habité ne change rien à la situation existante. L’engin est beaucoup plus vulnérable que les missiles « Polaris » éjectées d’en-dessous de la surface de la mer, par un sous-marin atomique et même qu’un missile terrestre enterré ou mobile sur rail. Dans l’ordre humain, il s’agit là d’une performance à laquelle s’ajouteront d’autres.

Il est sûr qu’on ira dans quelques années sur la Lune puis sur Mars et Vénus. Les savants y trouveront leur compte d’informations, mais l’homme fort peu qu’on ne sache déjà. Des rochers et des déserts, peut-être une vie rudimentaire. Et après ? Ce qu’on appelle la conquête de l’espace n’a qu’un champ restreint par la durée de notre vie et les données physiologiques de notre organisme.

En effet, pour sortir du système solaire, il faudrait voyager à la vitesse de la lumière, ce qui est inconcevable ; même ainsi, pour atteindre l’étoile la plus proche, Alpha Centauri, il faudrait huit ans et demi aller et retour et cet astre n’ayant pas de planète, n’offre aucun intérêt. Il faudrait aller jusqu’à Tau Ceti et à la vitesse fantastique de la lumière, on mettrait vingt- quatre ans, aller et retour. Sans doute le progrès scientifique n’a pas de limites, mais le corps humain en a.  Il ne semble pas qu’il puisse suivre. Et même s’il le pouvait, rien ne garantit que le voyage en vaudrait la peine.

Si l’on considère le prix énorme de ces tentatives actuelles et futures, beaucoup pensent que l’on pourrait les employer mieux au service de l’homme sur terre. Mais l’orgueil national n’y trouverait pas les mêmes satisfactions.

 

Le Procès Eichmann

Autre fait divers, le procès Eichmann et toute la mise en scène qu’il comporte. On comprend bien le but des Israéliens dans cette affaire :  Faire réfléchir le monde sur le sort d’un peuple tant persécuté et que l’on menace encore dans sa patrie retrouvée, sur le droit absolu, qu’il a à vivre enfin libre et d’être protégé par toutes les nations contre l’hostilité de ses voisins. Fort bien, mais cet objectif sera-t-il atteint ? Les Arabes n’en seront guère impressionnés, le Bloc de l’Est encore moins, qui ne défendra Israël que si son intérêt l’y porte. Quant au Monde libre, il ne peut faire plus que ses moyens le lui permettent. Et l’évocation de tant de souffrances risque tout juste de retomber sur l’Allemagne d’Adenauer qui s’est employée de son mieux à en réparer l’injustice. Sur le plan de la politique internationale, ce procès nous semble une erreur. Les Israéliens eux-mêmes le sentent déjà.

 

Les Voyages Diplomatiques

N’oublions pas les rituels voyages : MacMillan à Washington, puis Adenauer et bientôt Kennedy à Paris et toujours les mêmes problèmes : l’Alliance Atlantique, le pont à jeter entre l’Europe des Six et la zone de libre échange des Sept ou Huit. On paraît attacher beaucoup d’importance à ces questions ; on peut se demander si elles en ont tant : l’Alliance Atlantique, l’O.T.A.N. existe même si en tant que force elle est inadéquate. Si comme il paraît la guerre nucléaire n’a pas lieu dans l’avenir prévisible, on peut sans risque en discuter les règles. Si par malheur elle survenait, l’Alliance se ressouderait par la force des choses, si toutefois le temps lui en était laissé, ce qui est peu probable.

Pour ce qui est de la rivalité des deux Blocs économiques opposés en Europe, nous avons pu voir, à la lumière des chiffres, que le commerce entre eux n’en était guère affecté, tout au contraire. Les hommes d’affaires s’entendent à tourner les barrières qui, au surplus, ne sont pas infranchissables. L’affaire est surtout politique et se résoudrait elle-même si elle était seulement économique, pourvu que la prospérité actuelle de l’Europe persiste. On dit que Kennedy a pressé MacMillan de sauter le pas et de se joindre au Marché Commun. L’obstacle majeur est à Paris et Kennedy espère l’écarter. Nous ne croyons pas plus à une éventualité qu’à l’autre. On ne voit guère l’Angleterre consentir à des sacrifices, ni de Gaulle changer d’avis sans y être contraint. Nous verrons.

 

Prévisions Difficiles

Au demeurant, supposons le problème résolu et l’Europe unie dans un même système douanier. Tout serait-il arrangé pour cela ? Rien n’est moins sûr. Ne verrait-on pas par exemple l’un des partenaires en tirer un profit accru aux dépens des autres ?

Voyons ce qui se passe six semaines après la réévaluation du Mark. Rien de ce qu’on prévoyait, la mesure se révèle inopérante ; l’afflux de devises en Allemagne continue. En un seul mois, elles ont augmenté de 1 milliard 300 mille marks et l’emballement de la conjoncture allemande se poursuit ; en février les exportations se sont accrues de plus de dix pour cent sur l’an passé et les importations ont diminué de deux. Pour renverser la tendance ou l’infléchir, il faudrait lever de nouveaux impôts, ce qui est impossible à la veille des élections, ou prendre des mesures restrictives comme de ralentir la construction ou de contrôler les prix, ce qui est incompatible avec le libéralisme du Dr Erhard. On discute beaucoup outre-Rhin sur la voie à choisir, sans savoir où l’on irait en la prenant. Qu’en serait-ce ailleurs ?

 

                                                                                                       CRITON

 

 

 

 

Criton – 1961-04-15 – Point Mort

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Le Courrier d’Aix – 1961-04-15 – La Vie Internationale.

 

Point Mort

 

Il n’y aurait pas grand-chose à dire de cette semaine où tous les problèmes litigieux sont en suspens, s’il ne fallait chercher les raisons de ce temps d’arrêt.

 

La Crise Laotienne

Au Laos, les Occidentaux s’étaient trop tôt bercés d’optimisme ; les Russes avaient en effet accepté les propositions anglaises de réunion d’une grande conférence. Mais ils n’avaient rien dit d’un armistice préalable. Or les hostilités, si peu spectaculaires qu’elles soient, continuent et le Pathet Laos, d’obédience communiste, avance. Les Américains, devant l’opposition franco-anglaise, ont renoncé à intervenir. Pour expliquer cette passivité, il convient d’établir un rapport entre Laos et Cuba.

 

Les Etats-Unis et Cuba

Comme nous l’avons vu, la transformation désormais accomplie de la révolution castriste en démocratie populaire dirigée par Moscou, est le souci majeur des Etats-Unis et ils ne cachent pas leur résolution de renverser par la force le régime de Fidel Castro. Moscou de son côté, tient le Laos en gage pour les en empêcher. Quelques détails ne sont pas superflus sur les préparatifs militaires contre Cuba : le « Conseil Révolutionnaire Cubain », celui-là dirigé contre Castro, a publié un manifeste invitant la population de l’île à se révolter contre le Tyran ; des groupes de saboteurs ont débarqué sous le couvert de la nuit de bases situées dans les Caraïbes. Si le peuple cubain répond à l’appel aux armes, des unités d’infanterie viendront de ces mêmes bases. Ledit conseil dispose d’aviation et d’unités navales pour couvrir le débarquement. Les insurgés veulent établir une tête de pont avant que Castro ne reçoive une escadrille d’avions russes pilotés par des Cubains actuellement à l’entrainement en Tchécoslovaquie.

A la lumière de ces précisions, on comprend que les Soviets, pour lesquels Cuba est une affaire de prestige, comme Berlin pour les Occidentaux, se refuse à tout compromis sur les autres questions. Ainsi, la Conférence sur l’arrêt des expériences nucléaires continue à Genève sans le moindre signe de progrès.

 

Le Congo et l’O.N.U.

Au Congo, les tentatives de conciliation entre Kasavubu et Gizenka qui paraissaient en bonne voie ont été brisées par ordre des Soviets et Gizenka a, de sa propre autorité s’il en a, destitué Kasavubu de la Présidence. Entre temps, les résultats prometteurs de la Conférence de Tananarive se sont évanouis. Tchombé au Katanga est aux prises avec les Casques bleus qui s’opposent à la reconquête du Nord du territoire sur les Lumumbistes. Kalonji le chef de la « province minière » du Sud-Kasaï où sont les mines de diamant industriel, s’est fait proclamer roi. La désagrégation du Congo belge se poursuit et Kasavubu dont les caisses sont vidées craint que la sécession des provinces riches, Katanga, Kasaï, ne laisse le reste du pays sans ressources suffisantes pour subsister.

L’action de l’O.N.U. au Congo est pratiquement récusée pour des motifs différents par tous les chefs congolais. Ceux du Katanga et du Kasaï parce qu’ils se sentent assez forts pour éliminer leurs adversaires et que les Casques Bleus les gênent dans leur progression. Ceux de Léopoldville parce qu’ils refusent toute ingérence étrangère et ne veulent pas être un pion dans la guerre froide et entendent que les problèmes congolais soient réglés par les Congolais, si possible. Ceux de Stanleyville enfin, parce que l’O.N.U. les empêche de recevoir l’aide militaire des communistes qui leur permettrait de vaincre.

 

L’Inde et l’Afrique Noire

Cependant, le problème congolais a été en quelque sorte pris en main par l’Inde, par le canal de l’O.N.U., Nehru a envoyé au Congo plusieurs régiments de ses meilleures troupes, les Gurkhas, jadis remparts de l’Empire britannique. L’ambition de Nehru à peine déguisée, est de prendre pied en Afrique noire où sont déjà installés de nombreux ressortissants. En Afrique du Sud, en Rhodésie, au Tanganyika, au Kenya, les commerçants banquiers, propriétaires fonciers hindous, se sont fait une place, tout comme les Chinois en Asie du Sud-Est et les Syriens en Afrique occidentale. Ils forment une minorité (à Madagascar également) agissante et riche, assez mal tolérée par les autochtones et aussi par les Blancs dont ils sont d’avides concurrents. La présence d’une troupe indienne importante en Afrique noire, non seulement renforce la position de ces éléments et leur donne de l’assurance, mais prépare les voies à une immigration nouvelle. C’est pourquoi Kasavubu a fait une opposition opiniâtre à cette arrivée de troupes indiennes, sans succès d’ailleurs, en essayant de leur interdire le port d’accès de Matadi à l’embouchure du Congo.

Les Soviets ont par ailleurs esquissé un repli devant cette intervention de Nehru dans l’affaire congolaise, Zorine à l’O.N.U. n’a plus réclamé le départ des Casques Bleus dans les vingt et un jours. Il a concentré ses feux contre Hammarskoeld et les Belges, sans espoir d’ailleurs de renverser le Secrétaire Général, que la majorité des membres de l’Assemblée soutient. Sans doute les Russes estiment-ils que l’intervention de l’Inde peut les aider en affaiblissant la position de Kasavubu et de Tchombé ; comme on le voit dans ce jeu d’intrigues complexes, la confusion ne peut que gagner.

 

Kennedy Voyage

Premier désaveu de ses promesses électorales, Kennedy suit, bon gré mal gré, les traces d’Eisenhower-Dulles. A peine installé depuis dix semaines, il renonce à la diplomatie par ambassadeurs ou ministres pour les rencontres au sommet. Il va quitter les U.S.A. où il avait promis de demeurer, pour Ottawa d’abord, pour Paris en suite, les deux capitales où les relations avec les Etats-Unis sont les moins favorables.

Le Gouvernement canadien a pris une série de mesures plus ou moins justifiées pour refouler le capital américain et assurer la prépondérance des Canadiens pour les affaires gérés par les firmes U.S.A. Dans les affaires internationales, on a vu que le premier Diefenbaker a fait cavalier seul et esquissé une sorte de neutralisme, dans l’affaire cubaine notamment. En outre, la défense commune Canada – Etats-Unis est remise en cause.

A Paris, la discussion ne sera pas moins difficile, les points de friction ne manquant pas. Les difficultés de l’O.T.A.N., la succession de Spaak où le Hollandais Stikker paraît devoir l’emporter sur l’opposition française les Italiens ayant lâché Brosio, l’affaire algérienne où l’entrevue de l’Ambassadeur américain à Tunis avec les chefs F.L.N. n’a pas beaucoup plu en France ; le contentieux, comme l’on dit, est assez lourd et Kennedy a jugé utile d’user de son charme personnel pour améliorer les rapports.

 

La France et la Libéralisation des Échanges

Signalons pour terminer le nouvel effort de libéralisation des échanges et des prix décidée par le Gouvernement français le 1er avril, tant à l’égard des Six du Marché Commun que des tiers. Ce pas important vers l’abolition du protectionnisme qui avait isolé la France du marché mondial et si fâcheusement contribué à maintenir nos prix hors de la concurrence internationale et partant a précipiteé la dégradation de la monnaie avant et après la guerre. Cette politique aussi nécessaire que courageuse, si elle comporte des risques, stimulera l’initiative des producteurs dans une compétition très sévère et contraindra notre économie à une rénovation qui n’est pas encore accomplie. Le succès de l’opération et de celles qui doivent normalement suivre est affaire de compréhension générale et de discipline de tous les intéressés. Souhaitons qu’elles ne manquent pas.

 

                                                                                            CRITON        

 

 

 

 

 

Criton – 1961-04-08 – L’Endroit et l’Envers des Relations Internationales

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Le Courrier d’Aix – 1961-04-08 – La Vie Internationale.

 

L’Endroit et l’Envers des Relations Internationales

 

Les questions actuelles, telles qu’elles sont présentées au public, diffèrent considérablement de celles qui se traitent derrière la scène ; qu’il s’agisse de l’Algérie, du Laos ou du Congo, leur évolution est commandée par des facteurs obscurs qu’il s’agit de déceler.

 

La Conférence d’Evian

La Conférence d’Evian aura-t-elle lieu ou non ? A l’heure où nous écrivons, on l’ignore. Le négociateur présumé, Ahmed Francis vient d’aller prendre l’avis de Moscou ; une mission chinoise est à Tunis et confère avec Fehrat Abbas ; on peut présumer que les conseils reçus ne concordent pas. Il y a longtemps que nous pensons que le G.P.R.A. se préparait à négocier à la russe, c’est-à-dire interminablement pour ne pas aboutir. Pékin doit être hostile à toute négociation. Mais il y a Bourguiba et peut-être Moulay Hassan devenu roi, qui ont leur mot à dire, ce que le F.L.N. ne peut ignorer. Les Américains de leur côté pressent pour une solution. Et le monde, dans son ensemble, y compris neutres et neutralistes, ont hâte d’en finir avec le problème algérien. Les courants contraires s’entrecroisent au point qu’on ne peut déterminer ce qui est pure tactique des intentions véritables des parties, car l’énigme demeure des deux côtés. Ce qui est sûr, c’est que le règlement n’est pas proche.

En procédant, avant toute discussion avec le F.L.N. par replis successifs, sans contre-partie, la diplomatie française se trouve dans la position la plus défavorable pour négocier, surtout avec des Arabes. Ils sont tentés d’enfoncer un point de résistance avant de discuter et de multiplier les préalables. Ils ne sont pas pressés. En attendant, un observateur américain écrivait hier, de retour d’Algérie « Business as usual », c’est-à-dire tout continue comme devant, la guerre, les attentats, les révoltes sourdes ou larvées et le marasme économique en plus.

 

Le Laos

Le problème laotien est tout aussi complexe et obscur de part et d’autre. A la Conférence de Bangkok de l’O.T.A.S.E., le désaccord entre alliés était manifeste, du côté français surtout, où notre Ministre a fait opposition à toute résolution ferme. Les Anglais ont profité de l’obstruction française pour se rallier en principe, mais sans s’engager trop, aux intentions des Américains. Ceux-ci, sans doute sur des renseignements venus de Moscou, ont fait une sorte d’unanimité en se rangeant à l’opinion modérée, et par une volte-face inattendue, accepté Souvannah Phouma comme homme-tampon, alors qu’ils le récusaient jusque-là.

De ce petit jeu diplomatique, les Russes ont tiré les ficelles, comme ils s’entendent à le faire. On ira donc à quelque conférence de Genève, l’Occident étant en assez mauvaise posture, et les Soviets imposeront leur solution qui, comme nous l’avons toujours pensé, sera acceptable au moins provisoirement. Un Laos neutralisé, même s’il est aux mains des communistes russes et vietnamiens barrera aux Chinois la route du Sud-Est asiatique plus sûrement qu’un Laos pro-occidental, toujours menacé de subversion. Ce qui importe à Krouchtchev, c’est de s’implanter dans cette région et d’y faire sentir sa présence et sa protection.

 

Les Démarches de la Diplomatie Chinoise

Les Chinois ne s’y trompent pas. Dans l’affaire laotienne, ils n’ont rien fait et pratiquement rien dit. Ils ne sont pas pour cela inactifs. Le ministre des Affaires étrangères Chen-Yi, naguère ouvrier chez Michelin, vient de sceller à Djakarta la réconciliation avec Soekarno. Ils ont préparé de concert une prochaine conférence afro-asiatique à Bandoeng. Il sera intéressant de savoir si les Russes y seront invités. Mais ce qui l’est infiniment plus, ce sont les indices d’un rapprochement avec les Etats-Unis. Nous en avons donné les premiers signes, en voici d’autres. Un Américain condamné à 15 ans de prison pour espionnage, vient d’être relâché. Dans un discours, Chou en Laï a parlé d’une amélioration des relations avec les Etats-Unis, à condition que la flotte américaine « s’éloigne » de Formose. Il n’est plus question de prendre l’île par la force, ni même de liquider Tchang-Kaï-Chek. Kennedy, de son côté, fait dire qu’il n’avait pas d’objection à siéger à côté des Chinois dans une Conférence sur le Laos. Chou en Laï veut signifier aux Russes qu’il a une politique de rechange si ceux-ci les contrecarrent.

Les Etats-Unis se prêteront-ils au jeu ? Ce serait, à notre avis, une tragique imprudence. Il y a malheureusement un précédent : l’aide à Tito. La situation n’est pas sans analogie. On sait quelle famine règne en Chine actuellement. Chaque jour on en rapporte de nouveaux épisodes. Pékin a dû acheter deux millions de tonnes de grains au Canada et en Australie, mais il faut payer comptant 112 millions de dollars. Où les prendre ?

Lorsque les Chinois prêtent à la Guinée ou au Mali, en dollars, c’est en une monnaie de compte. En réalité, il s’agit de marchandises et de services, non d’espèces. Ici, il faut trouver des espèces et les Chinois n’en ont pas. Les Soviets qui ont des milliards de dollars en or, ne leur en prêteront pas le moindre cent ; alors ? Il y a les surplus américains qu’on pourrait obtenir gratis. Les Américains au cœur généreux y ont déjà fait allusion. Oui, mais comment mettre en sourdine la propagande de Pékin contre les U.S.A. sans déconcerter les militants ? Les choses en sont là.

La situation n’est évidemment pas mûre pour que Chou en Laï suive la route de Tito et de Nasser. Mais la faim peut avoir raison de bien des professions de foi. Nous avons l’impression, mais ce n’est qu’une impression, que Krouchtchev a fait le point et qu’il ne cèdera pas au chantage chinois. Ce n’est pas la manière et il n’y a pas intérêt. Les Américains, eux, s’y prêteront-ils, ce n’est pas impossible.

 

L’Énigme Albanaise

Nous devons à nos lecteurs un aveu : l’énigme albanaise qui nous a tant fait souffrir, était bien aisée à résoudre. Si les Russes ont dû subir et continuent de subir les affronts des dirigeants albanais Hodja et Shehu, c’est tout simplement parce qu’il n’y a pas en Albanie d’équipe communiste de rechange. Ils sont les seuls. La population est en grande majorité musulmane, les catholiques du Nord sont titistes et les orthodoxes du Sud,  pro-grecs. C’est dire que les communistes se comptent, surtout ceux qui ont assez d’instruction pour administrer le pays. C’est ce qui explique que l’équipe au pouvoir peut se permettre de soutenir Pékin contre Moscou. Krouchtchev à la Conférence de novembre des 81 partis communistes est entré dans une violente colère contre Hodja. Dans son vert langage : « Tu m’as couvert de fumier, a-t-il dit, mais il faudra que tu te laves », l’autre s’en est moqué et s’est abstenu de paraître à la réunion des Satellites de ces derniers jours.

Les deux Blocs ne sont pas sans fissures. A l’Ouest, on les recouvre par des politesses. De l’autre, les injures lâchées en secret, on s’en tire par des déclarations officielles toujours les mêmes, votées à l’unanimité par acclamation.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1961-04-01 – De quelques Vérités Cruelles

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Le Courrier d’Aix – 1961-04-01 – La Vie Internationale.

 

De quelques Vérités Cruelles

 

L’affaire laotienne s’est échauffée, et les optimistes qui voyaient déjà la fin de la guerre froide, s’affligent. Faut-il redire qu’il n’y aura rien de changé entre Moscou et l’Occident ?

 

Les Moyens de Kennedy …

Deux considérations cependant doivent être observées. Depuis l’avènement de Kennedy, la position de l’Occident est plus forte. Le Président Eisenhower passait pour l’homme de la paix à tout prix depuis l’échec en Corée, et Foster Dulles par son caractère, s’était attiré une antipathie universelle. Toutes ses initiatives se heurtaient au préjugé défavorable des Alliés des U.S.A., Kennedy au contraire inspire confiance par son dynamisme et sa jeunesse. Qu’elles soient fondées ou non, ces appréciations sont d’un grand poids. Devant l’aggravation de la situation laotienne, les avertissements de Kennedy à Krouchtchev, les mesures militaires en cours n’ont pas suscité d’objection. MacMillan lui-même a acquiescé, ce qu’il n’aurait peut-être pas fait pour Eisenhower qui aurait probablement agi exactement de même.  Si à Moscou on s’était attendu à plus de souplesse du côté américain, on a dû s’apercevoir que le nouvel adversaire serait plus ferme que l’ancien, et surtout qu’il serait plus facilement suivi par ses alliés.

 

… Ceux de Krouchtchev

D’autre part, même si comme il nous semble, les Russes n’ont pas l’intention de pousser à une confrontation dramatique et se contenteront comme par le passé de grignoter les positions adverses là où il est possible d’avancer sans risque majeur, par contre, ils ne s’exposeront pas à des critiques trop vives de la part des dogmatiques, Chinois et autres, hostiles à toute coexistence pacifique. Il s’agit pour Krouchtchev de maintenir la fiction de l’unité du Bloc communiste et pour cela il lui faut, en discours et démarches diplomatiques, suivre la ligne dure. Il y manquera d’autant moins que son tempérament agressif l’y porte.

En conséquence, il ne faut pas attacher trop d’importance aux hauts et aux bas de la confrontation Est-Ouest. Tout demeure et sans doute demeurera, comme devant.

 

Le Laos

Cela dit, la position de l’Occident au Laos est difficile, politiquement et stratégiquement et même si l’on arrive, grâce à une action, enfin vigoureuse et unanime, à résister à la poussée communiste, il ne peut s’agir que d’un temps d’arrêt plus ou moins long, la situation du petit royaume restera instable. Une solution provisoire sera cependant facilitée par l’absence des Chinois dans le jeu. Les Soviets et Ho Chi Minh travaillent de concert sans leur concours. Ceux-ci n’ont pas intérêt à leur ouvrir les voies. Il leur faut aussi ménager le Cambodge et la Birmanie et ne pas heurter Nehru. Une négociation probablement longue et tortueuse se dessine.

 

Les Articles de Fabre-Luce sur l’Afrique

Alfred Fabre-Luce, de retour d’un voyage en Afrique orientale et méridionale a publié dans « Le Monde » (qui, soit dit en passant, fait depuis quelques temps appel à des collaborateurs moins teintés de rouge), plusieurs articles, dont le dernier, tout à fait remarquable, parle de la situation en Afrique, il dit :

« Certains libéraux ont été bien prompts à renier leurs propres valeurs. Sous un masque d’idéalisme, ils ont tout simplement passé au vainqueur … Une lente démission se poursuit, amère pour ceux qui se souviennent… Les libéraux apprendront à leurs dépens que la liberté comporte éventuellement, comme l’a dit un député africain au Kenya, le droit de vivre en sauvage » … « Ce qui succède au colonialisme n’est pas, sauf rares et fragiles exceptions, la démocratie, mais un retournement aggravé du colonialisme. Des savants éminents ont proclamé l’égalité des races … Mais, qu’elle soit d’origine biologique ou sociologique, la différenciation des groupes humains est un fait qu’on ne peut modifier brusquement par un décret de l’U.N.E.S.C.O. En particulier, l’indice de coagulation sociale n’est pas le même. Kenyatta (le leader noir du Kenya) a fort bien démontré dans son livre que chez les Kikouyous, l’individu n’existe pas. Il est donc absurde de recenser l’opinion de cet être imaginaire ».

Nous sommes heureux de trouver dans ces fortes paroles, les idées que nous avons soutenues ici, avec plus de prudence peut-être.

Ajoutons encore cette citation du même article :

« On doit se demander quelle efficacité conservent les amortisseurs occidentaux, Communauté Française, Commonwealth britannique. De la première, un envoyé spécial du « Times » vient de conclure qu’elle est moribonde, sinon tout à fait morte … Il y a bien encore un Commonwealth, mais il est devenu si nombreux, si dilué, si « coloré », qu’il se trouve menacé de division dès qu’il tente d’agir … Aux deux extrémités de l’Afrique coloniale, Algérie, Rhodésie, les otages blancs vont vivre la même épreuve. »

Fabre-Luce émet en contre-partie quelques hypothèses qui peuvent, dans l’avenir infirmer ces vues pessimistes, en particulier celles-ci :

« Une querelle des deux grands pays communistes, ou la formation d’une ligue de protection de tous les développés contre les sous-développés qui les exploitent ».

 

L’Aide à la Guinée

Pour l’heure, cette ligue n’apparaît point à l’horizon. Au contraire, la même émulation de conseils et de dons s’élance à l’aide des pays qui ont cyniquement chassé ceux qui les ont formés. En Guinée, où malgré les événements, Sékou Touré reçoit de France même une aide disons discrète, des firmes américaines ont investi avec la garantie contre toute nationalisation guinéenne, de la part du gouvernement des Etats-Unis, 72 millions de dollars. Ce même gouvernement a offert gratuitement à la Guinée 5.000 tonnes de riz et 3.000 de farine. Un accord culturel a été signé pour l’envoi de professeurs et de techniciens américains. Dès 1959, l’Allemagne fédérale a accordé des bourses aux Guinéens et des livraisons de biens d’équipement pour plus de 50 millions de dollars. Les Anglais ont fait de même. De l’autre côté, les Soviets et les Satellites se sont empressés d’envoyer des techniciens et surtout des administrateurs et du matériel militaire, la Chine des experts agricoles qui peut-être auront plus de succès que chez eux. Les Soviets ont accordé 35 millions de dollars de prêts, et Pékin 25. Ce n’est pas pour rien, comme on voit, que Sékou Touré a pris conseil de Nasser et de Tito. Nous ne savons qui rira le dernier, mais pour l’heure, ceux-là peuvent s’en donner à cœur joie.

 

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