Criton – 1961-04-01 – De quelques Vérités Cruelles

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Le Courrier d’Aix – 1961-04-01 – La Vie Internationale.

 

De quelques Vérités Cruelles

 

L’affaire laotienne s’est échauffée, et les optimistes qui voyaient déjà la fin de la guerre froide, s’affligent. Faut-il redire qu’il n’y aura rien de changé entre Moscou et l’Occident ?

 

Les Moyens de Kennedy …

Deux considérations cependant doivent être observées. Depuis l’avènement de Kennedy, la position de l’Occident est plus forte. Le Président Eisenhower passait pour l’homme de la paix à tout prix depuis l’échec en Corée, et Foster Dulles par son caractère, s’était attiré une antipathie universelle. Toutes ses initiatives se heurtaient au préjugé défavorable des Alliés des U.S.A., Kennedy au contraire inspire confiance par son dynamisme et sa jeunesse. Qu’elles soient fondées ou non, ces appréciations sont d’un grand poids. Devant l’aggravation de la situation laotienne, les avertissements de Kennedy à Krouchtchev, les mesures militaires en cours n’ont pas suscité d’objection. MacMillan lui-même a acquiescé, ce qu’il n’aurait peut-être pas fait pour Eisenhower qui aurait probablement agi exactement de même.  Si à Moscou on s’était attendu à plus de souplesse du côté américain, on a dû s’apercevoir que le nouvel adversaire serait plus ferme que l’ancien, et surtout qu’il serait plus facilement suivi par ses alliés.

 

… Ceux de Krouchtchev

D’autre part, même si comme il nous semble, les Russes n’ont pas l’intention de pousser à une confrontation dramatique et se contenteront comme par le passé de grignoter les positions adverses là où il est possible d’avancer sans risque majeur, par contre, ils ne s’exposeront pas à des critiques trop vives de la part des dogmatiques, Chinois et autres, hostiles à toute coexistence pacifique. Il s’agit pour Krouchtchev de maintenir la fiction de l’unité du Bloc communiste et pour cela il lui faut, en discours et démarches diplomatiques, suivre la ligne dure. Il y manquera d’autant moins que son tempérament agressif l’y porte.

En conséquence, il ne faut pas attacher trop d’importance aux hauts et aux bas de la confrontation Est-Ouest. Tout demeure et sans doute demeurera, comme devant.

 

Le Laos

Cela dit, la position de l’Occident au Laos est difficile, politiquement et stratégiquement et même si l’on arrive, grâce à une action, enfin vigoureuse et unanime, à résister à la poussée communiste, il ne peut s’agir que d’un temps d’arrêt plus ou moins long, la situation du petit royaume restera instable. Une solution provisoire sera cependant facilitée par l’absence des Chinois dans le jeu. Les Soviets et Ho Chi Minh travaillent de concert sans leur concours. Ceux-ci n’ont pas intérêt à leur ouvrir les voies. Il leur faut aussi ménager le Cambodge et la Birmanie et ne pas heurter Nehru. Une négociation probablement longue et tortueuse se dessine.

 

Les Articles de Fabre-Luce sur l’Afrique

Alfred Fabre-Luce, de retour d’un voyage en Afrique orientale et méridionale a publié dans « Le Monde » (qui, soit dit en passant, fait depuis quelques temps appel à des collaborateurs moins teintés de rouge), plusieurs articles, dont le dernier, tout à fait remarquable, parle de la situation en Afrique, il dit :

« Certains libéraux ont été bien prompts à renier leurs propres valeurs. Sous un masque d’idéalisme, ils ont tout simplement passé au vainqueur … Une lente démission se poursuit, amère pour ceux qui se souviennent… Les libéraux apprendront à leurs dépens que la liberté comporte éventuellement, comme l’a dit un député africain au Kenya, le droit de vivre en sauvage » … « Ce qui succède au colonialisme n’est pas, sauf rares et fragiles exceptions, la démocratie, mais un retournement aggravé du colonialisme. Des savants éminents ont proclamé l’égalité des races … Mais, qu’elle soit d’origine biologique ou sociologique, la différenciation des groupes humains est un fait qu’on ne peut modifier brusquement par un décret de l’U.N.E.S.C.O. En particulier, l’indice de coagulation sociale n’est pas le même. Kenyatta (le leader noir du Kenya) a fort bien démontré dans son livre que chez les Kikouyous, l’individu n’existe pas. Il est donc absurde de recenser l’opinion de cet être imaginaire ».

Nous sommes heureux de trouver dans ces fortes paroles, les idées que nous avons soutenues ici, avec plus de prudence peut-être.

Ajoutons encore cette citation du même article :

« On doit se demander quelle efficacité conservent les amortisseurs occidentaux, Communauté Française, Commonwealth britannique. De la première, un envoyé spécial du « Times » vient de conclure qu’elle est moribonde, sinon tout à fait morte … Il y a bien encore un Commonwealth, mais il est devenu si nombreux, si dilué, si « coloré », qu’il se trouve menacé de division dès qu’il tente d’agir … Aux deux extrémités de l’Afrique coloniale, Algérie, Rhodésie, les otages blancs vont vivre la même épreuve. »

Fabre-Luce émet en contre-partie quelques hypothèses qui peuvent, dans l’avenir infirmer ces vues pessimistes, en particulier celles-ci :

« Une querelle des deux grands pays communistes, ou la formation d’une ligue de protection de tous les développés contre les sous-développés qui les exploitent ».

 

L’Aide à la Guinée

Pour l’heure, cette ligue n’apparaît point à l’horizon. Au contraire, la même émulation de conseils et de dons s’élance à l’aide des pays qui ont cyniquement chassé ceux qui les ont formés. En Guinée, où malgré les événements, Sékou Touré reçoit de France même une aide disons discrète, des firmes américaines ont investi avec la garantie contre toute nationalisation guinéenne, de la part du gouvernement des Etats-Unis, 72 millions de dollars. Ce même gouvernement a offert gratuitement à la Guinée 5.000 tonnes de riz et 3.000 de farine. Un accord culturel a été signé pour l’envoi de professeurs et de techniciens américains. Dès 1959, l’Allemagne fédérale a accordé des bourses aux Guinéens et des livraisons de biens d’équipement pour plus de 50 millions de dollars. Les Anglais ont fait de même. De l’autre côté, les Soviets et les Satellites se sont empressés d’envoyer des techniciens et surtout des administrateurs et du matériel militaire, la Chine des experts agricoles qui peut-être auront plus de succès que chez eux. Les Soviets ont accordé 35 millions de dollars de prêts, et Pékin 25. Ce n’est pas pour rien, comme on voit, que Sékou Touré a pris conseil de Nasser et de Tito. Nous ne savons qui rira le dernier, mais pour l’heure, ceux-là peuvent s’en donner à cœur joie.

 

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