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Le Courrier d’Aix – 1961-04-08 – La Vie Internationale.
L’Endroit et l’Envers des Relations Internationales
Les questions actuelles, telles qu’elles sont présentées au public, diffèrent considérablement de celles qui se traitent derrière la scène ; qu’il s’agisse de l’Algérie, du Laos ou du Congo, leur évolution est commandée par des facteurs obscurs qu’il s’agit de déceler.
La Conférence d’Evian
La Conférence d’Evian aura-t-elle lieu ou non ? A l’heure où nous écrivons, on l’ignore. Le négociateur présumé, Ahmed Francis vient d’aller prendre l’avis de Moscou ; une mission chinoise est à Tunis et confère avec Fehrat Abbas ; on peut présumer que les conseils reçus ne concordent pas. Il y a longtemps que nous pensons que le G.P.R.A. se préparait à négocier à la russe, c’est-à-dire interminablement pour ne pas aboutir. Pékin doit être hostile à toute négociation. Mais il y a Bourguiba et peut-être Moulay Hassan devenu roi, qui ont leur mot à dire, ce que le F.L.N. ne peut ignorer. Les Américains de leur côté pressent pour une solution. Et le monde, dans son ensemble, y compris neutres et neutralistes, ont hâte d’en finir avec le problème algérien. Les courants contraires s’entrecroisent au point qu’on ne peut déterminer ce qui est pure tactique des intentions véritables des parties, car l’énigme demeure des deux côtés. Ce qui est sûr, c’est que le règlement n’est pas proche.
En procédant, avant toute discussion avec le F.L.N. par replis successifs, sans contre-partie, la diplomatie française se trouve dans la position la plus défavorable pour négocier, surtout avec des Arabes. Ils sont tentés d’enfoncer un point de résistance avant de discuter et de multiplier les préalables. Ils ne sont pas pressés. En attendant, un observateur américain écrivait hier, de retour d’Algérie « Business as usual », c’est-à-dire tout continue comme devant, la guerre, les attentats, les révoltes sourdes ou larvées et le marasme économique en plus.
Le Laos
Le problème laotien est tout aussi complexe et obscur de part et d’autre. A la Conférence de Bangkok de l’O.T.A.S.E., le désaccord entre alliés était manifeste, du côté français surtout, où notre Ministre a fait opposition à toute résolution ferme. Les Anglais ont profité de l’obstruction française pour se rallier en principe, mais sans s’engager trop, aux intentions des Américains. Ceux-ci, sans doute sur des renseignements venus de Moscou, ont fait une sorte d’unanimité en se rangeant à l’opinion modérée, et par une volte-face inattendue, accepté Souvannah Phouma comme homme-tampon, alors qu’ils le récusaient jusque-là.
De ce petit jeu diplomatique, les Russes ont tiré les ficelles, comme ils s’entendent à le faire. On ira donc à quelque conférence de Genève, l’Occident étant en assez mauvaise posture, et les Soviets imposeront leur solution qui, comme nous l’avons toujours pensé, sera acceptable au moins provisoirement. Un Laos neutralisé, même s’il est aux mains des communistes russes et vietnamiens barrera aux Chinois la route du Sud-Est asiatique plus sûrement qu’un Laos pro-occidental, toujours menacé de subversion. Ce qui importe à Krouchtchev, c’est de s’implanter dans cette région et d’y faire sentir sa présence et sa protection.
Les Démarches de la Diplomatie Chinoise
Les Chinois ne s’y trompent pas. Dans l’affaire laotienne, ils n’ont rien fait et pratiquement rien dit. Ils ne sont pas pour cela inactifs. Le ministre des Affaires étrangères Chen-Yi, naguère ouvrier chez Michelin, vient de sceller à Djakarta la réconciliation avec Soekarno. Ils ont préparé de concert une prochaine conférence afro-asiatique à Bandoeng. Il sera intéressant de savoir si les Russes y seront invités. Mais ce qui l’est infiniment plus, ce sont les indices d’un rapprochement avec les Etats-Unis. Nous en avons donné les premiers signes, en voici d’autres. Un Américain condamné à 15 ans de prison pour espionnage, vient d’être relâché. Dans un discours, Chou en Laï a parlé d’une amélioration des relations avec les Etats-Unis, à condition que la flotte américaine « s’éloigne » de Formose. Il n’est plus question de prendre l’île par la force, ni même de liquider Tchang-Kaï-Chek. Kennedy, de son côté, fait dire qu’il n’avait pas d’objection à siéger à côté des Chinois dans une Conférence sur le Laos. Chou en Laï veut signifier aux Russes qu’il a une politique de rechange si ceux-ci les contrecarrent.
Les Etats-Unis se prêteront-ils au jeu ? Ce serait, à notre avis, une tragique imprudence. Il y a malheureusement un précédent : l’aide à Tito. La situation n’est pas sans analogie. On sait quelle famine règne en Chine actuellement. Chaque jour on en rapporte de nouveaux épisodes. Pékin a dû acheter deux millions de tonnes de grains au Canada et en Australie, mais il faut payer comptant 112 millions de dollars. Où les prendre ?
Lorsque les Chinois prêtent à la Guinée ou au Mali, en dollars, c’est en une monnaie de compte. En réalité, il s’agit de marchandises et de services, non d’espèces. Ici, il faut trouver des espèces et les Chinois n’en ont pas. Les Soviets qui ont des milliards de dollars en or, ne leur en prêteront pas le moindre cent ; alors ? Il y a les surplus américains qu’on pourrait obtenir gratis. Les Américains au cœur généreux y ont déjà fait allusion. Oui, mais comment mettre en sourdine la propagande de Pékin contre les U.S.A. sans déconcerter les militants ? Les choses en sont là.
La situation n’est évidemment pas mûre pour que Chou en Laï suive la route de Tito et de Nasser. Mais la faim peut avoir raison de bien des professions de foi. Nous avons l’impression, mais ce n’est qu’une impression, que Krouchtchev a fait le point et qu’il ne cèdera pas au chantage chinois. Ce n’est pas la manière et il n’y a pas intérêt. Les Américains, eux, s’y prêteront-ils, ce n’est pas impossible.
L’Énigme Albanaise
Nous devons à nos lecteurs un aveu : l’énigme albanaise qui nous a tant fait souffrir, était bien aisée à résoudre. Si les Russes ont dû subir et continuent de subir les affronts des dirigeants albanais Hodja et Shehu, c’est tout simplement parce qu’il n’y a pas en Albanie d’équipe communiste de rechange. Ils sont les seuls. La population est en grande majorité musulmane, les catholiques du Nord sont titistes et les orthodoxes du Sud, pro-grecs. C’est dire que les communistes se comptent, surtout ceux qui ont assez d’instruction pour administrer le pays. C’est ce qui explique que l’équipe au pouvoir peut se permettre de soutenir Pékin contre Moscou. Krouchtchev à la Conférence de novembre des 81 partis communistes est entré dans une violente colère contre Hodja. Dans son vert langage : « Tu m’as couvert de fumier, a-t-il dit, mais il faudra que tu te laves », l’autre s’en est moqué et s’est abstenu de paraître à la réunion des Satellites de ces derniers jours.
Les deux Blocs ne sont pas sans fissures. A l’Ouest, on les recouvre par des politesses. De l’autre, les injures lâchées en secret, on s’en tire par des déclarations officielles toujours les mêmes, votées à l’unanimité par acclamation.
CRITON