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Le Courrier d’Aix – 1961-04-15 – La Vie Internationale.
Point Mort
Il n’y aurait pas grand-chose à dire de cette semaine où tous les problèmes litigieux sont en suspens, s’il ne fallait chercher les raisons de ce temps d’arrêt.
La Crise Laotienne
Au Laos, les Occidentaux s’étaient trop tôt bercés d’optimisme ; les Russes avaient en effet accepté les propositions anglaises de réunion d’une grande conférence. Mais ils n’avaient rien dit d’un armistice préalable. Or les hostilités, si peu spectaculaires qu’elles soient, continuent et le Pathet Laos, d’obédience communiste, avance. Les Américains, devant l’opposition franco-anglaise, ont renoncé à intervenir. Pour expliquer cette passivité, il convient d’établir un rapport entre Laos et Cuba.
Les Etats-Unis et Cuba
Comme nous l’avons vu, la transformation désormais accomplie de la révolution castriste en démocratie populaire dirigée par Moscou, est le souci majeur des Etats-Unis et ils ne cachent pas leur résolution de renverser par la force le régime de Fidel Castro. Moscou de son côté, tient le Laos en gage pour les en empêcher. Quelques détails ne sont pas superflus sur les préparatifs militaires contre Cuba : le « Conseil Révolutionnaire Cubain », celui-là dirigé contre Castro, a publié un manifeste invitant la population de l’île à se révolter contre le Tyran ; des groupes de saboteurs ont débarqué sous le couvert de la nuit de bases situées dans les Caraïbes. Si le peuple cubain répond à l’appel aux armes, des unités d’infanterie viendront de ces mêmes bases. Ledit conseil dispose d’aviation et d’unités navales pour couvrir le débarquement. Les insurgés veulent établir une tête de pont avant que Castro ne reçoive une escadrille d’avions russes pilotés par des Cubains actuellement à l’entrainement en Tchécoslovaquie.
A la lumière de ces précisions, on comprend que les Soviets, pour lesquels Cuba est une affaire de prestige, comme Berlin pour les Occidentaux, se refuse à tout compromis sur les autres questions. Ainsi, la Conférence sur l’arrêt des expériences nucléaires continue à Genève sans le moindre signe de progrès.
Le Congo et l’O.N.U.
Au Congo, les tentatives de conciliation entre Kasavubu et Gizenka qui paraissaient en bonne voie ont été brisées par ordre des Soviets et Gizenka a, de sa propre autorité s’il en a, destitué Kasavubu de la Présidence. Entre temps, les résultats prometteurs de la Conférence de Tananarive se sont évanouis. Tchombé au Katanga est aux prises avec les Casques bleus qui s’opposent à la reconquête du Nord du territoire sur les Lumumbistes. Kalonji le chef de la « province minière » du Sud-Kasaï où sont les mines de diamant industriel, s’est fait proclamer roi. La désagrégation du Congo belge se poursuit et Kasavubu dont les caisses sont vidées craint que la sécession des provinces riches, Katanga, Kasaï, ne laisse le reste du pays sans ressources suffisantes pour subsister.
L’action de l’O.N.U. au Congo est pratiquement récusée pour des motifs différents par tous les chefs congolais. Ceux du Katanga et du Kasaï parce qu’ils se sentent assez forts pour éliminer leurs adversaires et que les Casques Bleus les gênent dans leur progression. Ceux de Léopoldville parce qu’ils refusent toute ingérence étrangère et ne veulent pas être un pion dans la guerre froide et entendent que les problèmes congolais soient réglés par les Congolais, si possible. Ceux de Stanleyville enfin, parce que l’O.N.U. les empêche de recevoir l’aide militaire des communistes qui leur permettrait de vaincre.
L’Inde et l’Afrique Noire
Cependant, le problème congolais a été en quelque sorte pris en main par l’Inde, par le canal de l’O.N.U., Nehru a envoyé au Congo plusieurs régiments de ses meilleures troupes, les Gurkhas, jadis remparts de l’Empire britannique. L’ambition de Nehru à peine déguisée, est de prendre pied en Afrique noire où sont déjà installés de nombreux ressortissants. En Afrique du Sud, en Rhodésie, au Tanganyika, au Kenya, les commerçants banquiers, propriétaires fonciers hindous, se sont fait une place, tout comme les Chinois en Asie du Sud-Est et les Syriens en Afrique occidentale. Ils forment une minorité (à Madagascar également) agissante et riche, assez mal tolérée par les autochtones et aussi par les Blancs dont ils sont d’avides concurrents. La présence d’une troupe indienne importante en Afrique noire, non seulement renforce la position de ces éléments et leur donne de l’assurance, mais prépare les voies à une immigration nouvelle. C’est pourquoi Kasavubu a fait une opposition opiniâtre à cette arrivée de troupes indiennes, sans succès d’ailleurs, en essayant de leur interdire le port d’accès de Matadi à l’embouchure du Congo.
Les Soviets ont par ailleurs esquissé un repli devant cette intervention de Nehru dans l’affaire congolaise, Zorine à l’O.N.U. n’a plus réclamé le départ des Casques Bleus dans les vingt et un jours. Il a concentré ses feux contre Hammarskoeld et les Belges, sans espoir d’ailleurs de renverser le Secrétaire Général, que la majorité des membres de l’Assemblée soutient. Sans doute les Russes estiment-ils que l’intervention de l’Inde peut les aider en affaiblissant la position de Kasavubu et de Tchombé ; comme on le voit dans ce jeu d’intrigues complexes, la confusion ne peut que gagner.
Kennedy Voyage
Premier désaveu de ses promesses électorales, Kennedy suit, bon gré mal gré, les traces d’Eisenhower-Dulles. A peine installé depuis dix semaines, il renonce à la diplomatie par ambassadeurs ou ministres pour les rencontres au sommet. Il va quitter les U.S.A. où il avait promis de demeurer, pour Ottawa d’abord, pour Paris en suite, les deux capitales où les relations avec les Etats-Unis sont les moins favorables.
Le Gouvernement canadien a pris une série de mesures plus ou moins justifiées pour refouler le capital américain et assurer la prépondérance des Canadiens pour les affaires gérés par les firmes U.S.A. Dans les affaires internationales, on a vu que le premier Diefenbaker a fait cavalier seul et esquissé une sorte de neutralisme, dans l’affaire cubaine notamment. En outre, la défense commune Canada – Etats-Unis est remise en cause.
A Paris, la discussion ne sera pas moins difficile, les points de friction ne manquant pas. Les difficultés de l’O.T.A.N., la succession de Spaak où le Hollandais Stikker paraît devoir l’emporter sur l’opposition française les Italiens ayant lâché Brosio, l’affaire algérienne où l’entrevue de l’Ambassadeur américain à Tunis avec les chefs F.L.N. n’a pas beaucoup plu en France ; le contentieux, comme l’on dit, est assez lourd et Kennedy a jugé utile d’user de son charme personnel pour améliorer les rapports.
La France et la Libéralisation des Échanges
Signalons pour terminer le nouvel effort de libéralisation des échanges et des prix décidée par le Gouvernement français le 1er avril, tant à l’égard des Six du Marché Commun que des tiers. Ce pas important vers l’abolition du protectionnisme qui avait isolé la France du marché mondial et si fâcheusement contribué à maintenir nos prix hors de la concurrence internationale et partant a précipiteé la dégradation de la monnaie avant et après la guerre. Cette politique aussi nécessaire que courageuse, si elle comporte des risques, stimulera l’initiative des producteurs dans une compétition très sévère et contraindra notre économie à une rénovation qui n’est pas encore accomplie. Le succès de l’opération et de celles qui doivent normalement suivre est affaire de compréhension générale et de discipline de tous les intéressés. Souhaitons qu’elles ne manquent pas.
CRITON