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Le Courrier d’Aix – 1961-05-20 – La Vie Internationale.
Conférences, Conférences
On disait autrefois : la saison des Conférences est ouverte. Aujourd’hui elles se succèdent, au long de l’année et même plusieurs fonctionnent simultanément. A Oslo, celle de l’O.T.A.N. ; à Genève, le Laos, et aussi l’arrêt des expériences nucléaires ; à Monrovia, l’Afrique des douze dite du bloc de Yaoundé ; à Coquilhatville, les Chefs du Congo belge ; demain sans doute, celle d’Evian, sans compter les réunions multiples et périodiques des Ministres.
Ce qui caractérise l’évolution de ces assemblées, c’est leur impuissance. Les résultats sont de plus en plus insignifiants, voire négatifs. Les hommes d’Etat réunis disputent à perdre haleine ; on élabore péniblement un communiqué, pour ne pas paraître travailler en vain et ce qu’il peut contenir de positif demeure le plus souvent verbal, assez vague pour n’être pas définitif. On peut l’expliquer ainsi :
Les représentants des démocraties ont derrière eux l’opinion et par conséquent l’électeur. Tout ce qui peut apparaître comme une concession à l’adversaire sert d’argument à l’opposition. Les dictatures, sachant qu’on ne peut obtenir grand-chose en négociant, se servent des conférences pour gagner du temps et modifier la situation en discussion à leur avantage pendant les pourparlers. Quand on a fini de causer, tout est déjà à reprendre et ainsi de suite.
La Conférence d’Oslo
Même entre alliés les difficultés demeurent insolubles. On l’a vu à Oslo où les ministres de l’O.T.A.N. viennent de se réunir.
La situation à éclaircir peut se résumer en ce dilemme : La défense de l’Europe, dont l’O.T.A.N. est chargé, ne peut être assurée que par l’emploi des armes nucléaires. Tant que les Etats-Unis étaient seuls à les posséder, la menace de les employer suffisait. Maintenant que les Russes en sont pourvus, on peut douter que les Etats-Unis s’en servent pour riposter à une attaque menée contre l’Europe avec les seules armes conventionnelles. Or, dans ce domaine, les moyens de l’O.T.A.N. sont manifestement insuffisants. La défense ne peut être assurée que par les fusées Polaris des sous-marins atomiques. Mais ceux-ci sont aux Américains et ils peuvent seuls en décider l’usage. Si, comme on l’a proposé, ces engins appartenaient à l’O.T.A.N., encore faudrait-il que l’unanimité des 15 membres les mette en action. Il y aurait alors un veto américain possible et aussi de l’un des quatorze autres. Si par exemple, la Turquie, la Grèce ou la Norvège étaient attaquées, les autres risqueraient-ils de mortelles représailles pour faire face ? Tous les engagements, même solennels suffisent-ils à rassurer les victimes possibles ? On en peut douter et c’est là que le débat tourne en rond.
On ne serait pas plus avancé si l’un des partenaires, la France par exemple, disposait d’armes nucléaires propres. Il y aurait là un risque de plus de rompre la solidarité atlantique sans que la défense de l’Occident et même la nôtre, en soit mieux assurée. Car si l’un des partenaires succombait faute d’avoir reçu le secours des autres, ceux-ci tomberaient un à un à moins que les survivants n’interviennent ensemble ; c’est l’histoire des années 1936-40. Ce cercle vicieux ne peut être rompu et c’est bien ce que sont obligés de constater les ministres de l’O.T.A.N.
Il y aurait cependant, sinon une solution du moins un remède : que chacun des pays de l’O.T.A.N. reçoive l’arme protectrice, en l’espèce le ou les sous-marins atomiques avec les moyens de s’en servir. Cela n’empêcherait pas un agresseur d’agir, mais peut-être de courir le risque d’en payer le prix. La neutralité suisse en 1939-45, a été préservée par là. Ainsi également les rivalités actuelles, si nocives à l’Alliance, seraient apaisées. Mais le Congrès des Etats-Unis y consentirait-il ?
Les Purges en Asie Soviétique
On n’a pas prêté beaucoup d’attention aux purges opérées par Moscou dans ses colonies asiatiques. Successivement, les dirigeants des Républiques dites autonomes, Kazakhstan, Azerbaïdjan, Kirghizstan, et nous en omettons, ont été liquidés et remplacés par simple décret de Moscou. Ces peuples ont changé de maître sans avoir été consultés, sans même que les autres ministres aient, même symboliquement, décrété la déposition des uns et la nomination des autres. Cela paraît normal ; on en a tellement vu de semblables que pas un des dirigeants des pays ex-coloniaux n’a fait à ce sujet la moindre observation. Deux poids et deux mesures. Tout ce qui vient de l’U.R.S.S. est-il tabou ? On le croirait.
Le Retour au Stalinisme
On n’a pas commenté davantage les nouveaux décrets soviétiques relatifs à l’ordre intérieur ; la peine de mort rétablie pour les offenses les plus diverses, allant du simple vol de la propriété publique, à la corruption de fonctionnaire ; d’autres concernent la distillation clandestine et même l’oisiveté, punie de déportation et travail forcé. Ces dispositions sont si générales dans leur formule que peu de citoyens peuvent être assurés de n’être pas concernés. Ce retour au stalinisme, au moins en théorie, n’a certainement pas été décidé de gaieté de cœur par Krouchtchev qui s’est fait une certaine popularité pour avoir atténué l’ancien arbitraire. Comme nous le disions ici, avant de connaître ces mesures, ce vaste empire ne peut survivre que par un despotisme vigilant et redouté. Le relâchement, ces dernières années, avait pris des proportions alarmantes grâce à une détente de l’autorité. D’où la nécessité, l’urgence même, de rétablir la peur du haut en bas de la hiérarchie. Il y a là une fatalité à laquelle tous les régimes dictatoriaux ont dû se soumettre et qui les a, à la longue, menés à leur perte.
Le Rapprochement Moscou-Belgrade
Sur le plan extérieur russe, un événement qui n’a pas suscité beaucoup de curiosité est cependant d’importance ; le nouveau rapprochement entre Krouchtchev et Tito. Popovic est allé au Kremlin et Gromyko en personne va se rendre à Belgrade. Et cela au moment où les dirigeants albanais redoublent d’invectives à l’endroit de la Yougoslavie et où les Chinois de Pékin accordent à l’Albanie de nouveaux crédits et envoient une nouvelle cohorte de techniciens chargés d’un programme important d’installations industrielles dans le pays. Où les deux communismes veulent-ils en venir ? Le mystère demeure.
Les deux Afriques
Les pays libérés du joug colonial n’ont pas tardé à adopter les mœurs diplomatiques de leurs anciens maîtres et à leur imitation se divisent en groupes et, à l’intérieur de ces groupes, se disputent entre eux, se rassemblent en conférences pour constater et parfois découvrir leurs désaccords et couvrent leurs ressentiments de résolutions communes qui n’engagent à rien. Ainsi, d’un côté l’Afrique des Douze qui comprend en outre Madagascar, les quatre Etats de l’ex-Afrique équatoriale, les quatre de l’Entente, la Mauritanie, le Cameroun et le Sénégal, auxquels se sont joints Togo, Nigéria, Sierra Leone. En opposition, nous trouvons les cinq de Casablanca : Egypte, Maroc, Guinée, Mali, Ghana entre lesquels d’ailleurs le torchon brûle, car les ambitions de Nkrumah inquiètent ses voisins de Conakry et de Bamako. Les douze semblent mieux ou moins mal accordés, bien que Fulbert Youlou du Congo ex-français, ayant pris parti pour Tchombé, soit assez mal vu à Monrovia et que Sir Balewa, du Nigéria, soit en querelle avec Ahidjo à cause de la province du Cameroun, ex-mandat britannique, rattaché au Nigéria de façon peu démocratique.
Là, les résolutions sont axées sur les questions qui ne peuvent diviser car elles concernent les tiers : la sécession Katangaise, l’apartheid de l’Afrique du Sud, l’ingérence extérieure au Congo ex-belge. Il y a aussi de vastes projets d’union douanière et monétaire, de collaboration économique, voire militaire, de fédération … Il faut bien se conduire comme les grands.
CRITON