Criton – 1961-08-26 – L’Échiquier Soviétique

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Le Courrier d’Aix – 1961-08-26 – La Vie Internationale.

 

L’Échiquier Soviétique

 

Comme prévu la coupure entre les deux Berlin, n’a pas provoqué du côté occidental que des protestations verbales. Les Berlinois en sont irrités. Point n’était besoin, dit-on, de tant de colloques pour aboutir à de simples notes diplomatiques. En réalité, il n’était pas possible de faire plus sans employer la force, ce qui eut entraîné des contre-mesures en chaîne auxquelles il eut fallu riposter, et cela n’aurait pas empêché les communistes de fermer le passage. On attendra donc de nouvelles provocations pour agir.

Le second acte de l’affaire sera la conclusion du Traité de paix entre Moscou et le Gouvernement de Pankow, contre quoi les Alliés ne peuvent rien. Nous ne pensons pas que les Russes aillent plus loin pour le moment. Il y a pour cela de bonnes raisons. En effet, si Ulbricht cherchait à bloquer l’accès de Berlin-Ouest aux Occidentaux, Adenauer dénoncerait le traité de commerce entre les deux Allemagnes et les Alliés en feraient sans doute autant, ce qui dans l’état présent de l’économie de la D.D.R. provoquerait des troubles encore plus graves de ravitaillement auxquels les Russes n’ont ni les moyens ni le désir de remédier. Quelques chicanes, quelques escarmouches de temps en temps se produiront, mais rien de sérieux, tant que l’Allemagne orientale ne sera pas remise sur pied, ou que les Russes n’auront pas les moyens de subvenir à ses besoins, ce qui sera certainement long. A notre avis, la véritable crise de Berlin n’est pas pour demain, comme on parait le croire.

 

Les Réactions des Britanniques

Les barbelés et les murs de pierre édifiés devant la porte de Brandebourg ont eu un effet assez inattendu sur les Anglais, jusque-là peu soucieux du sort des Allemands. Ils ont vu sur les écrans de la télévision, le spectacle du chemin de la liberté se fermant sur des millions d’hommes, et leur indignation a été vive. Au pays de l’Habeas Corpus on est profondément sensible à cette atteinte au droit des gens ce qui, sur le plan politique, facilitera la tâche de la diplomatie britannique obligée de tenir compte d’une opinion très réticente jusqu’ici à courir des risques pour défendre les Berlinois.

 

L’Exposition Française à Moscou

Pendant ces fâcheux incidents, s’ouvrait à Moscou l’exposition française. C’est à peine si les journaux russes en ont parlé. Pas un commentaire, pas la moindre description. Une brochure assez malveillante circulait devant les portes pour mettre en garde les Moscovites contre cette présentation « fardée » de la vie française et les cartes d’entrée ont été rationnées, si bien que le tiers à peine des visiteurs a pu pénétrer. Si les Soviets consentent à ce genre de manifestations, c’est qu’elles leur permettent de s’emparer à bon compte des réalisations techniques que les Occidentaux exposent et leur vendent. Il est alors aisé de copier les modèles les plus perfectionnés de l’industrie occidentale. Cet avantage compense l’inconvénient pour les Russes de montrer aux foules avides de connaître le monde extérieur, le genre de vie qu’on y mène. Une contre-propagande habile et toutes sortes de restrictions d’accès permettent en outre aux dirigeants soviétiques de limiter les effets de cette présentation du Monde libre.

On peut se demander, s’il était opportun de dépenser trois milliards pour ce qui n’est au fond qu’une manifestation de vanité et aussi de mercantilisme. Car non seulement notre outillage le plus perfectionné est mis à la disposition de l’U.R.S.S., mais même certaines de nos réalisations lui sont cédées avant même d’avoir été utilisées en France ; nos machines les plus puissantes, nos fabrications les plus poussées servent ainsi au renforcement de la puissance adverse. En contre-partie, nous ne recevons que des matières premières dont il serait facile et plus profitable de se fournir ailleurs. Cela n’est pas particulier à la France ; aucune considération politique ne prévaut contre cette avidité de trouver des clients à l’extérieur, où qu’ils se trouvent. Il ne faut à aucun prix compromettre l’expansion industrielle.

 

Le Voyage de Mikoyan au Japon

Le voyage de Mikoyan au Japon, est un événement dont l’importance a été négligée. Quand Krouchtchev envoie l’habile arménien en mission, c’est que l’affaire est sérieuse. Personne, nous semble-t-il, ne s’est avisé du véritable but de ce voyage. On a cru qu’il s’agissait de détourner le Japon de l’Alliance américaine, et officiellement c’est ce que Mikoyan répète à chaque étape. Mais Krouchtchev sait fort bien qu’il n’a aucun moyen de changer actuellement la position nippone. Le Japon est dans une phase d’expansion la plus rapide du monde, son potentiel industriel devient énorme et il lui sera de plus en plus difficile de trouver à cette production des débouchés suffisants. Les Russes de leur côté, sont très préoccupés de l’équipement de la Sibérie orientale. Faute d’outillage, ils ne peuvent garnir cette frontière de 2.500 kilomètres qu’ils ont avec la Chine. Ce vide les inquiète. Le Japon ne pourrait-il pas leur fournir le nécessaire ?

 

L’Encerclement de la Chine

Il y a plus. Les Russes poursuivent en Asie, avec méthode, l’encerclement de la Chine. Nous avons vu qu’ils se sont substitués à celle-ci d’abord au Nord-Vietnam en passant des accords avec Ho Chi Minh ; puis au Laos où ils ont mené à la place des Chinois la guérilla du Patet Lao, sans d’ailleurs, comme prévu, pousser à fond leur avantage. Ils ont seulement cherché à verrouiller l’accès de Pékin au Sud-Est asiatique, puis en Corée du Nord, ils ont passé des accords avec Kir Im Sun, et en Mongolie extérieure, grâce à des remaniements ministériels, ils ont mis en place leurs créatures. En dernier lieu, ils ont pris la direction du Parti communiste japonais qui jusqu’ici suivait les mots d’ordre de Pékin et ce parti, peu nombreux mais actif, a subitement cessé de fomenter des manifestations anti-gouvernementales pour mieux préparer les voies à Mikoyan.

 

La Soumission d’Hodja

Dernier épisode qui n’est pas moins significatif, la rébellion albanaise a pris fin, paraît-il. Enver Hodja a fait sa soumission à Moscou, alors que Pékin (nous le savons officiellement par le Ministre canadien du commerce extérieur) venait d’envoyer à l’Albanie du blé acheté au Canada que Moscou refusait de fournir. On voit par là que l’impérialisme moscovite est aussi actif contre ses adversaires capitalistes que contre ses partenaires communistes si ceux-ci lui résistent. Les Chinois d’ailleurs savent de longue date à quoi s’en tenir sur l’affaire russe. Mais les difficultés dans lesquelles ils se débattent leur enlèvent tout moyen de défense, et Moscou en profite pour les étouffer. Les Américains n’ignorent pas davantage ces manœuvres : Kennedy avait l’intention d’envoyer en Mongolie un ambassadeur à Oulan-Bator pour suivre l’évolution des relations russo-chinoises ; il y a renoncé à cause, parait-il, de l’opposition de Tchang-Kaï-Chek. Nous avons pensé, lorsque Ikeda est allé conférer à Washington, que le Japon serait chargé de cette mission d’observation, l’hypothèse est vraisemblable, ce qui donnerait un motif de plus au voyage de Mikoyan à Tokyo.

 

Sagesse Orientale

C’est de l’Orient que nous vient ce remède à la crise agricole ; des techniciens de l’O.N.U. s’étaient établis dans un village pilote et avaient appris aux paysans à obtenir en un an deux récoltes de riz au lieu d’une. Émerveillés du résultat, ils firent aux agronomes des remerciements enthousiastes et leur dirent : « Grâce à vous, nous n’aurons pas besoin de planter du riz l’année prochaine ».

 

                                                                                  CRITON

 

Criton – 1961-08-12 – Controverses

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Le Courrier d’Aix – 1961-08-12 – La Vie Internationale.

 

Controverses

 

Deux questions d’importance alimentent la chronique : l’affaire de Bizerte et l’éventuelle adhésion de l’Angleterre au Marché Commun. Dans l’un et l’autre cas, les interprétations diffèrent parfois radicalement. Il faut donc faire le point de ce qui est assuré et de ce qui est controversé.

 

Bizerte

Le coup de tête de Bourguiba comme il le reconnaît lui-même en essayant de le justifier, n’a pas obtenu l’approbation générale qu’il attendait. D’abord parce qu’il a révélé sa faiblesse militaire et qu’en ce siècle où la force seule compte, ceux qui échouent ont toujours tort. Le peuple tunisien pacifique et plus évolué que ses frères maghrébins, souhaitait dans son ensemble de bonnes relations avec la France. Il n’a pas compris ce drame soudain et, malgré la popularité dont jouit Bourguiba, l’a désapprouvé. Les peuples d’Afrique noire qui se défient des ambitions arabes, n’ont apporté à l’action contre Bizerte qu’un assentiment verbal et réticent. Moscou même qui a vu avec dépit M. Hammarskoeld se mêler de l’affaire, n’a consenti qu’à demi aux demandes de Mokaddem envoyé par Bourguiba. A l’O.N.U même, beaucoup hésitent à charger l’institution, déjà engagée ailleurs, à prendre position. Si l’on veut exprimer un jugement moyen, c’est que Bourguiba aurait mieux fait de rester tranquille.

Voilà qui est clair ; ce qui l’est moins, c’est la suite ; Bourguiba continuera-t-il les hostilités si Paris, comme il semble, ne cède pas ? Ou bien tout en maintenant ouvert le conflit, le laissera-t-il traîner pour se donner le temps de remettre les choses sur d’autres bases ? C’est ce qui semble plus probable.

 

L’Attitude de l’Afrique Noire

Ce qui dans cette pénible affaire est plutôt rassurant, c’est que l’explosion d’hostilité à l’égard de la France et du « colonialisme » en général, ne s’est pas produite, comme nous le craignions la semaine passée. Il n’y a pas un courant dominant d’hostilité à l’égard des anciennes puissances coloniales. A côté des irréductibles, comme Nkrumah, il y a des hésitants, et cela même où l’on n’en attendait pas. Sékou Touré et Modibo Keita du Mali et Yaméogo de la Haute-Volta. Il paraît, en effet, que les populations noires avec lesquelles leurs nouveaux maîtres sont obligés de compter, n’ont pas fait bon accueil aux missions plus ou moins bruyantes que les pays de l’Est ont envoyées, pas plus qu’aux experts américains qui leur contestent la place. Mieux valait les Français qui étaient de bons patrons, dit-on couramment.

En vérité, l’anticolonialisme chez les Noirs, n’a pas été seulement affaire d’ambition, mais aussi d’amour-propre, n’être plus des hommes inférieurs, vouloir être traités en égaux et respectés dans leur personne. Ils s’aperçoivent que de tous les Blancs, les Français et à d’autres égards les Anglais, étaient les moins mal disposés à leur accorder cette dignité et comme ils s’aperçoivent à l’épreuve que par leurs propres moyens ils sont peu capables de faire leurs affaires, ils craignent de perdre au change et que leur liberté ne soit pas mieux assurée qu’auparavant. L’évolution future, étant donné la versatilité de l’âme noire, est évidemment impossible à préjuger.

 

L’Angleterre et le Marché Commun

Les Anglais ont sauté le pas : ils demandent aux Six de l’Europe continentale de s’associer à eux. C’est ici que les appréciations diffèrent. Est-ce pour diluer le Marché Commun et lui faire perdre son caractère et même le peu de réalité à quoi il pouvait prétendre ? Est-ce parce que, ne pouvant le supprimer, ils cherchent en s’y intégrant, à en tirer certains avantages ?  A notre avis, l’une et l’autre hypothèses ne sont pas inconciliables : ce qui est sûr, c’est qu’en faisant acte de candidature au moment où chez les Six les difficultés s’accumulent surtout à cause des problèmes agricoles, les Anglais vont donner un coup de frein aux progrès possibles de l’association européenne.

Il est bien évident que tant que dureront les négociations qui seront nécessairement longues, aucune décision d’importance ne pourra être prise par les Six. On profitera de ce délai pour ajourner les projets d’accélération du Marché Commun déjà fort problématiques. D’autre part, l’entrée de la Grande-Bretagne et de ses associés ou de certains d’entre eux, obligent les anciens partenaires à une refonte plus ou moins profonde de l’institution elle-même. Que les négociations réussissent ou échouent, le Traité de Rome n’aura plus le même caractère après qu’avant. La démarche des Britanniques aura donc pour effet certain, de rendre impossible une Europe continentale unifiée.

 

L’Angleterre et la Politique Française

Par un singulier paradoxe, c’est la politique française, en limitant l’association des Six à une fédération future à cette « Europe des patries » dont M. MacMillan a fait l’éloge, qui a permis à l’Angleterre de poser sa candidature ; ce qu’elle n’aurait pu faire si s’était établie une autorité supra-nationale du type confédéré. Mais c’est cette même politique aussi qui est considérée à Londres comme le principal obstacle à l’adhésion anglaise. Paris s’opposerait en effet à toute révision du Traité de Rome et voudrait une participation directe et totale ou bien refuserait.

Il est probable, pensent les Anglais, que dans l’état actuel on pourra passer outre à ce refus et qu’un accommodement sera trouvé auquel, en fin de compte, la France devra souscrire. Au surplus, il ne faut pas exagérer l’importance de ces questions. Des études approfondies ont été faites dont nous ne pouvons ici rendre compte, qui montrent qu’au point de vue économique, l’adhésion de l’Angleterre au Marché Commun et même du Commonwealth ne présentent pas d’obstacle majeur et, en fait, ne changeront pas grand-chose aux courants d’échanges internationaux. Politiquement, par contre, un Bloc continental européen, ne sera plus possible, mais l’a-t-il jamais été ?

 

Les Lendemains qui Chantent

Les Soviets ont publié à grand renfort de propagande un mirifique programme du Parti pour les années 1961-80 : un plan au bout duquel le communisme règnera avec l’abondance et le bonheur universel ! Nous n’exagérons pas, ce sont les mots mêmes de la presse russe. Une caricature américaine fait le point : on voit un groupe occupé à lire ce programme affiché et deux vieillards mal vêtus à leur côté. « Quelle grande nouvelle » dit l’un ? « On nous annonce pour dans vingt ans, dit l’autre, la réalisation de ce que nous attendions il y en a trente ». Ce manifeste vaut d’être étudié, car les chiffres qu’il propose pour 1980 sont proprement extravagants, puérils même. Voit-on d’ici-là la production globale tripler et avec elle le niveau de vie des Soviétiques ? Alors que des études très rigoureuses nous montrent que les salaires en Russie (compte non tenu des avantages sociaux, inférieurs de beaucoup à ce qu’ils sont en Occident), que les salaires de 1961 ne sont pas supérieurs en moyenne à ceux de 1913 ! Et que la production agricole en 1960 était encore inférieure par tête d’habitant, qu’en 1961 le pouvoir d’achat d’un salarié russe varie selon les produits achetés entre 15% et 39% de celui du salarié français, de 5% à 28% de l’américain. Enfin, que le niveau de vie réel de 1928 de ce même salarié russe n’a pas été rejoint depuis la mort de Staline !

 

L’Évolution du Salaire Réel en U.R.S.S.

Voici à titre d’indication, l’évolution du salaire réel depuis 1913 en Russie : 1913 = 90 ; 1928 = 100 (1928, époque de la N.E.P. fut la meilleure de l’histoire du régime ; 1933 fut le plus bas après la collectivisation des terres, coefficient : 56 : en 1952 avant la mort de Staline, coefficient : 50 ; en 1957, 79 : en 1960, 89 ; au 15 avril 1961, l’indice de 1913 était atteint et dépassé depuis légèrement. En admettant que ce progrès continue, il n’arriverait pas même à suivre le développement des salaires occidentaux, tel que le traduit la courbe depuis 1950 ! Qui trompe-t-on ? Pas les Russes qui savent ce que valent les promesses, ni les satellites encore plus mal partagés. N’est-ce pas plutôt pour faire oublier, par un bluff énorme, les difficultés les plus pressantes de leur vie quotidienne ?

 

                                                                                  CRITON

Criton – 1961-08-05 – Les Étapes de l’Histoire

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Le Courrier d’Aix – 1961-08-05 – La Vie Internationale.

 

Les Étapes de l’Histoire

 

Les historiens distingueront sans doute trois phases jusqu’à ce jour dans le processus de décolonisation de l’Afrique française. La première, dont le signal se situe à Dien-Bien-Phu a abouti, le 1er novembre 1954 avant la révolte algérienne. La seconde, avec la tournée du général de Gaulle en octobre 1958 et le Référendum, le « non » de la Guinée qui préluda à la débâcle africaine. La troisième en juillet 1961 commence avec la bataille de Bizerte.

 

Les Trois Phases de la Décolonisation

Dans la première, la IV° République poursuivit avec ses protégés un marchandage serré où les concessions étaient accordées une à une dans le cadre diplomatique, sans drame majeur. Dans la seconde, deux camps se formèrent, l’un résolument hostile à la France, l’autre plus ou moins disposé à une collaboration amicale et fructueuse. Avec la rupture du Mali, le refus du groupe de l’Entente de constituer la « Communauté », ce dernier groupe s’effrita peu à peu. Aujourd’hui tous, à des nuances près, appuient Bourguiba.

La troisième phase qui vient de s’ouvrir est celle de l’hostilité. Cette rancœur, qui est comme une revanche mauvaise du protégé contre son bienfaiteur, n’est pas le fait seulement des ex-colonies françaises. En effet, le Ghanéen Nkrumah vient de signer à Moscou une déclaration officielle qui, si on la prend à la lettre, le rangerait dans le camp communiste. N’a-t-il pas admiré la colonisation soviétique de l’Asie musulmane ? Si lui, ou un de ses semblables, avait été Uzbek ou Kosak, Staline lui aurait d’emblée coupé la parole et il aurait disparu depuis longtemps. Mais Nkrumah semble l’ignorer. L’Occident est bien mal payé de son libéralisme.

 

La Puissance de l’O.N.U.

C’est l’O.N.U. qui est le point de cristallisation de cette vague anti-française ; le mépris affiché contre cette institution, si justifié qu’il soit, a eu et aura, comme nous l’avons vu dès l’abord, des conséquences de plus en plus sérieuses. Car c’est dans l’assemblée des Nations-Unies que tous les sous-développés se sentent forts et solidaires. Ils ont le nombre et ont les voix, ce qui leur donne l’illusion de représenter une troisième force capable de dicter sa volonté aux deux blocs hostiles. Et pour l’heure, tout en maintenant les distances, c’est sur le Bloc de l’Est qu’ils entendent s’appuyer pour achever de chasser l’autre de leur sphère. Et bien entendu, l’U.R.S.S. ne leur ménage pas son soutien.

Les Etats-Unis, malgré tous leurs efforts pour conserver une influence sur cet ensemble disparate, n’en sont pas moins, depuis le désastre du Cuba, associés au colonialisme franco-anglais et portugais. Les Soviets d’ailleurs ont depuis longtemps compris que cette agglomération de pays non engagés, si elle leur était profitable dans l’immédiat, était à long terme une menace à leur politique et ils ont essayé, sinon de détruire l’Institution, du moins de la rendre impuissante. D’où leur attitude dans l’affaire congolaise et depuis, leurs efforts pour renverser Hammarskoeld et lui substituer une « troïka » qui paralyserait les résolutions de l’O.N.U. Mais ni les coups de l’U.R.S.S., ni le boycottage français, n’auront raison de l’Institution dont l’influence sur la politique mondiale ne fera que grandir. Tout cela était, et a été effectivement facile à prévoir. L’O.N.U. est pour les petits Etats le symbole de leur puissance. Ils n’en ont pas d’autre. Ils la défendront farouchement. Se refuser à le reconnaître est pure folie. Personne aujourd’hui n’hésite plus à le dire.

 

Le Goskontrol en U.R.S.S.

Nous apprenons que le Gouvernement soviétique, pour renforcer la discipline relâchée, vient de constituer une commission de contrôle d’Etat : le Goskontrol, pour superviser de la base au sommet l’activité économique de l’U.R.S.S. Autrement dit, on revient à la centralisation par la création, ou plutôt le renforcement d’un organisme bureaucratique.

Lorsque Krouchtchev décida, il y a trois ans, de la décentralisation par la création des Sovnarkhozes par suite de la difficulté de régir de Moscou la multiplicité croissante des ensembles industriels régionaux, nous avions conclu que la mesure aboutirait à l’anarchie dans la production et qu’il faudrait, un jour ou l’autre, renforcer par une nouvelle bureaucratie centrale, celle qui existait avant la réforme, alors que celle-ci avait précisément pour objet de la réduire. Le déterminisme du régime est implacable, plus la machine se développe, plus il faudra d’appareils bureaucratiques pour la contrôler. Et plus il y aura de contrôles, moins on avancera. Impossible d’en sortir. Or, si l’on regarde de près (la place nous manque pour en donner des preuves), d’année en année les progrès de l’économie soviétique déclinent, sauf les secteurs privilégiés qui servent la propagande et l’action diplomatique auxquels on sacrifie tout. A titre d’indication, en 1960, l’avance n’a pas dépassé 6% alors qu’elle était de 13% en Allemagne, de 11 en Italie et de 10 en France, ce qui est considérable si l’on tient compte du point de départ beaucoup plus élevé en Europe occidentale.

 

L’Austérité en Grande-Bretagne

Comme prévu, le gouvernement MacMillan a annoncé des mesures d’austérité pour rétablir la position inquiétante de la Livre ; les mesures ont été plutôt mal accueillies en Angleterre, où de semblables ont été déjà appliquées précédemment sans succès durable.

A notre avis, ces décrets pénibles ne peuvent être qu’un moyen de gagner du temps et d’éviter une crise imminente. MacMillan a sans doute le dessein de négocier, comme il l’a d’ailleurs annoncé, une association avec les pays du Marché Commun qui ne serait pas une véritable adhésion, mais qui permettrait de dévaluer la Livre sans déconsidérer le Parti conservateur au pouvoir ; l’opération inévitable se ferait à froid dans le cadre d’accords internationaux, ce qui permettrait à l’Angleterre de retrouver des prix concurrentiels à l’exportation et de donner le temps à ses industriels, grâce au contact avec l’Europe continentale, de s’adapter à une protection douanière réduite, ses tarifs étant plus ou moins alignés sur ceux du Marché Commun.

La négociation avec les Six sera longue et difficile, car les Anglais voudront sauvegarder les intérêts du Commonwealth et les Européens voudront, eux, que ce soit tout ou rien : l’intégration ou l’isolement. Toutefois, les forces qui en Europe, en Allemagne et en Hollande surtout, pressent pour l’association britannique doivent l’emporter. Reste à savoir quelles seront les limites du compromis, si toutefois l’affaire aboutit.

 

Le Fromage et le Lait

Pour donner une idée des difficultés du problème agricole, relevons ce petit fait : les producteurs français de fromage accusent la Suisse d’exporter en France leurs produits et d’être responsables de la chute des cours. De son côté, la Suisse souffre d’une production laitière excédentaire et l’écoulement coûteux de ces surplus pose au Gouvernement fédéral des problèmes de plus en plus difficiles. Alors, il entend que les 200.000 hectos de vin qu’il importe de France soient compensés par une exportation de 5.000 tonnes de fromage. Malgré cela, les alpages de la Suisse, autrefois occupés de nombreux troupeaux sont en partie abandonnés.

Allons camarade Krouchtchev, achetez notre bon lait, les enfants de Moscou n’en manqueront plus et les parents ne feront plus la queue. Vous n’êtes pas obligé de le leur dire ; le lait n’est pas rouge …

 

                                                                                  CRITON

Criton – 1961-07-29 – Pièges Arabes

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Le Courrier d’Aix – 1961-07-29 – La Vie Internationale.

 

Pièges Arabes

 

L’Affaire Tunisienne

Tous les commentateurs cherchent à expliquer les motifs qui ont poussé Bourguiba à ce brusque retournement contre la France. Chacun y va de ses explications et elles varient beaucoup. En réalité, le conflit actuel est le produit naturel de la ligne suivie depuis octobre 1958, début de la débâcle africaine : le recul par étapes successives sur toutes les positions est la pire des politiques et ne pouvait qu’inciter des hommes astucieux comme Bourguiba à profiter du désarroi que chaque phase de l’abandon ne manquait pas de produire. Autrement dit, c’est le putsch avorté du 22 avril et ses conséquences qui a permis au dictateur tunisien de brusquer les choses pour tenter de se saisir de Bizerte et des approches du pétrole saharien.

L’essentiel est là, le reste est affaire de tactique et de diplomatie et le fil des événements peut être recoupé assez aisément. Voici :

 

La Tactique de Bourguiba

Au moment de sa visite à Paris, Bourguiba pensait que si une formule d’association était établie entre l’Algérie et la France, son rôle dans le grand Maghreb serait prépondérant, et il s’était assuré qu’en cas de succès, la question de Bizerte et sa participation aux ressources pétrolières du Sahara seraient réglées à son entière satisfaction. Mais la faction du F.L.N. sur laquelle il comptait fut mise en minorité et les intransigeants l’emportèrent. D’où sa colère contre les dirigeants algériens et le conflit qui s’ensuivit ; d’où la fameuse déclaration conjointe avec Modibo Keita : « les pétroles du Sahara constituent la ressource commune de tous les pays riverains », que le G.P.R.A. qualifia de coup de poignard dans le dos de la révolution algérienne.

Entre temps, les pourparlers d’Évian avaient échoué. Dans ces conditions, la guerre d’Algérie se prolongeant et la France reculant toujours, Bourguiba voyait venir le jour où la révolution algérienne prendrait une forme de type cubain, appuyée par les pays communistes. A ce moment, la Tunisie, restée pro-occidentale, se trouverait coupée du reste du Monde arabe et toute chance d’accéder aux richesses sahariennes serait perdue. Bourguiba serait alors le seul tenant pro-occidental d’un monde qui peu à peu suivrait l’orientation inverse. Si demain il se présentait sans gage comme l’ex-ami de De Gaulle pour demander au gouvernement algérien sa part du Sahara, il serait évincé sans plus, et peut-être balayé du pouvoir. C’est alors qu’il a décidé de renverser sa politique en attaquant la France sur Bizerte pour des raisons de prestige, et sur le Sahara pour mettre le G.P.R.A. devant le fait accompli. En même temps, il alignait sa position sur les autres pays arabes dont son conflit avec Nasser l’avait éloigné en s’en prenant avec violence à Israël, et le voilà à la pointe du combat contre le « colonialisme » redevenu le combattant suprême.

Le moment était bien choisi. Car, en renouant à Lugrin les pourparlers avec le F.L.N., la France s’interdisait la seule représaille que Bourguiba pouvait craindre : une attaque brusquée contre les bases F.L.N. en territoire tunisien et l’occupation de toute la bande extérieure du barrage électrifié. Cette tactique est fort claire et n’est que l’exploitation très habile d’une situation qui devenait dangereuse pour lui. Par ailleurs, Bourguiba est assuré de l’appui soviétique au cas où la réaction française irait au-delà du périmètre de Bizerte et des confins sahariens.

Pour l’Occident tout entier, c’est un embarras de plus au moment où la pression sur Berlin va s’accentuer. On se demande jusqu’où cette dégradation progressive des positions occidentales pourra aller. A chaque étape, un redressement devient plus difficile.

 

Les Dirigeants Italiens invités à Moscou

De l’autre côté, la tactique russe se poursuit méthodiquement. L’Angleterre accrochée au Moyen-Orient, la France en Afrique du Nord, elle se tourne vers l’Italie où la situation politique est toujours aussi instable. Fanfani et Segni ont été invités à se rendre à Moscou et ils n’ont pas été en mesure de se dérober, malgré les mésaventures du président Gronchi lors de sa tournée en Russie ; les dirigeants italiens feront à contrecœur le voyage. De quelles menaces et de quelles sollicitations seront-ils l’objet ? On l’ignore. Un refus aurait pu provoquer une crise ministérielle particulièrement dangereuse au moment où la fâcheuse affaire du Tyrol du Sud met les Italiens aux prises avec l’Autriche et réveille dans l’opinion italienne les craintes du pangermanisme et les mauvais souvenirs de l’alliance hitlérienne.

 

La Rencontre des Six du Marché Commun

Toutes ces préoccupations ont détourné l’attention de la réunion des Ministres de l’Europe des Six, où l’on a cherché à réaffirmer la solidarité européenne remise en question par la crise du Marché Commun, résultant des difficultés agricoles de la France. Cette manifestation était opportune, mais le communiqué un peu confus qui en est sorti laisse bien des doutes sur la solidité de cette coopération. On a discuté à nouveau de la participation éventuelle de l’Angleterre au Marché Commun, éventualité qui ne semble pas proche, car la tournée des Ministres anglais dans les pays du Commonwealth a fait ressortir les oppositions du Canada, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, de l’Inde et du Pakistan, s’ajoutant à celle déjà manifestée par le Ghana. MacMillan devait s’y attendre, mais son autorité déjà affaiblie s’en ressent davantage.

Dans ces conditions, des pourparlers même purement exploratoires sont-ils possibles ?  L’idée de MacMillan et de beaucoup d’industriels et banquiers anglais était qu’une participation, même limitée, de l’Angleterre au Marché Commun pouvait tirer le pays de son isolement économique et donner le même coup de fouet salutaire que l’économie française a ressenti à la seule perspective d’une éventuelle union douanière entre les Six européens. Aux difficultés venant, et du côté du Commonwealth et de l’agriculture anglaise elle aussi violemment hostile, s’ajoute la situation difficile de la balance des paiements et la faiblesse de la Livre. Avant de participer au Marché Commun, l’Angleterre devrait assainir ses finances, le chancelier de l’Échiquier va faire part des décisions qu’il a prises à cet effet. A-t-il les moyens d’adopter des mesures rapidement efficaces ? Les crises précédentes ne nous portent guère à le croire ; le mal est trop profond pour que des remèdes de choc réussissent de façon durable.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1961-07-22 – L’Os dans la Gorge

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Le Courrier d’Aix – 1961-07-22 – La Vie Internationale.

 

L’Os dans la Gorge

 

La conquête ou l’étouffement de Berlin est pour les Soviets un objectif aussi impérieux que difficile et nous assistons, sous une apparence de pause, à une préparation minutieuse et graduelle. Elle se développe sur deux plans, politique et psychologique, convergeant sur l’Angleterre, Koweit et l’opinion britannique.

 

L’Affaire de Koweit

Les Anglais, comme prévu, sont accrochés à Koweit. Kassem les laisse dans le doute sur ses intentions. D’un côté, parade militaire à Bagdad où sont déployés et les Mig russes et les chars Centurion que les Anglais eux-mêmes avaient vendus au défunt roi Feysal. De l’autre, affirmation répétée qu’on ne recourra pas à la force. En outre, Kassem, grâce à l’occupation anglaise, n’a pas eu de peine à bloquer l’admission de Koweit au sein de la Ligue Arabe, et à l’O.N.U., les Russes se sont chargés de verrouiller l’accès du litige au Conseil de Sécurité. Il est probable que pour le moment, les choses n’iront pas plus loin.

 

Les Soviets à Londres

Pendant ce temps, la pression soviétique s’exerce à Londres, même sur les deux points faibles, le psychologique et le commercial. L’envoi de Gagarine, sa réception par la Reine, imposée par un mouvement d’opinion, mise sur le pacifisme des Anglais et leur anxiété de maintenir avec Moscou un contact courtois, sinon amical ; l’exposition soviétique à Londres succédant à l’exposition anglaise à Moscou, a préparé le terrain pour entamer la résistance de MacMillan et créer une ambiance favorable à une certaine passivité dans la crise à venir.

 

Les Pourparlers Commerciaux

Sur le plan commercial, les Soviets multiplient leurs propositions à une Angleterre qui cherche désespérément des débouchés. L’obstacle à une extension des échanges, c’est que les Soviets n’ont que peu à vendre dont les Anglais ont besoin, mais à défaut d’autres produits, ils ont du pétrole qu’ils peuvent vendre à bas prix. Pour le moment, grâce au Moyen-Orient, les Anglais sont eux-mêmes exportateurs de pétrole-sterling et ils n’ont que faire du pétrole russe, mais s’ils perdaient le pétrole d’Irak et de Koweit, ils seraient tentés et même obligés, faute de dollars, d’accepter de dépendre des Soviets pour leur approvisionnement en pétrole.

On comprend ainsi l’importance du gage que tiennent les Russes. « Si vous faites obstacle à notre politique, nous lâchons Kassem sur Koweit. Alors les puits seront perdus pour vous, soit qu’ils s’en emparent, soit qu’ils soient détruits par les opérations militaires. La Livre ne résistera pas à cette ultime secousse et vous serez obligés d’en passer par nous, alors que si nous nous entendons maintenant, vous pouvez tout conserver, votre pétrole et votre équilibre financier ». On devine l’embarras de MacMillan et pourquoi il a dû consentir à une parade triomphale de Gagarine dans les rues de Londres.

 

Les Rapports avec la France

Pour ce qui est du second partenaire, la France, le temps travaille assez pour les Soviets, pour qu’ils n’aient pas d’effort particulier à faire. Cependant, l’exposition française à Moscou est pour eux un sacrifice, car ils ne méconnaissent pas le danger d’exposer les produits de l’Occident aux foules moscovites qui sont réduites aux mauvais articles qu’on leur vend avec parcimonie. Mais la détérioration de la situation en Algérie dont le contrôle avait failli leur échapper et l’affaiblissement du pouvoir, suffisent à réduire la France à l’impuissance. Le poids de la résistance à Berlin repose donc à peu près uniquement sur les Etats-Unis.

 

La Prospérité de Berlin-Ouest

Pour mieux mesurer l’importance et l’urgence du problème, quelques chiffres ne sont pas superflus :

La prospérité présente de Berlin-Ouest a quelque chose de fabuleux. Avec ses 2 millions 200.000 habitants, la ville représente le plus puissant ensemble industriel de l’Allemagne. De janvier à mai de cette année, la production s’est accrue de 16% ; les commandes de 20%, l’effectif ouvrier de 21.000 personnes. Les délais de livraisons se sont, malgré cela, étendus à six ou huit mois. Les exportations de Berlin-Ouest ont augmenté dans le même temps de 21% et atteint le chiffre énorme de 800 millions de dollars, le tout acheminé par les couloirs ferroviaires, fluviaux et aériens. Enfin, Berlin-Ouest n’a plus besoin d’aide, ni de l’Allemagne fédérale, ni des U.S.A. Ajoutons qu’en trois ans, on a construit 50.000 logements, et que chaque semaine 4.500 réfugiés viennent de l’Allemagne de l’Est.

 

Les Difficultés de la D.D.R.

Cette dernière par contre, voit avec angoisse cette hémorragie. Les ouvriers qualifiés qu’elle forme s’évadent dès qu’ils sont instruits ; les professeurs, les médecins, les ingénieurs s’enfuient, assurés de trouver à l’Ouest un emploi. La situation de la D.D.R. est proprement désespérée, la crise alimentaire s’est beaucoup aggravée depuis la collectivisation des terres ; le pain, la pomme de terre, le beurre, la viande manquent dans les villes. Le secteur industriel est en partie paralysé par le départ des techniciens. Au sein même du Parti communiste, les critiques et les dissensions se font jour, on s’accuse mutuellement d’incompétence, le désordre et une certaine anarchie gagnent les ministères. Ulbricht est aux abois et presse Moscou d’intervenir, car le mécontentement de la population grandit et les troubles sont possibles.

On voit par ce bref tableau que « l’os dans la gorge » dont parlait Krouchtchev n’est pas une figure de rhétorique. Ce terrible contraste entre l’éclatante prospérité de Berlin-Ouest et la misère de Berlin-Est et de toute la zone est une menace permanente pour le Bloc oriental tout entier où déjà la situation intérieure n’est pas brillante, l’indiscipline et la négligence, l’affaiblissement de l’autorité se manifestent de multiples façons ; nous en avons donné ici quelques exemples.

 

L’Envoi de Midas III

Les Américains viennent de marquer un point et ils en tirent une grande satisfaction. Ils ont enfin réussi, après maints échecs, à mettre sur une orbite polaire, le satellite espion Midas III qui va faire pendant une durée indéterminée le tour de la terre en 2 h 40, sur l’axe même du territoire soviétique. Muni de tous les instruments requis, il pourra signaler 30 minutes avant qu’elle n’atteigne son but, toute fusée partant des bases russes et photographier comme l’U2, toutes les installations militaires. Jusqu’ici, les Soviets n’en ont rien dit et nous pensons qu’ils se garderont de protester pour ne pas faire savoir au peuple que dix fois par jour, un observateur américain circule sur leurs têtes.

 

Krouchtchev et son Armée

La crise berlinoise a sur la politique intérieure russe un autre résultat : le renforcement du pouvoir militaire qui, depuis le rapt et la disgrâce de Joukov, avait dû baisser la tête. Si Krouchtchev a renoncé à démobiliser 1.200.000 hommes, ce n’est pas pour renforcer le potentiel, car une armée nombreuse est plutôt un handicap qu’un avantage dans l’éventualité d’une guerre moderne, c’est que le corps des officiers a résisté avec succès à un transfert dans la vie civile. Plus de 12.000 officiers avaient été renvoyés à l’usine ou aux champs dans les réductions antérieures d’effectifs, et autant devaient l’être bientôt. Krouchtchev a dû reculer devant cette mesure. On ne peut à la fois sonner l’alarme et brimer l’armée. Celle-ci a profité des circonstances pour se ressaisir. Incident politique ou présage ? On verra.

 

                                                                                  CRITON

 

Criton – 1961-07-15 – Stratégie Tournante

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Le Courrier d’Aix – 1961-07-15 – La Vie Internationale.

 

Stratégie Tournante

 

Le Veto Soviétique

Le veto que pour la 95ème fois l’U.R.S.S. a opposé au Conseil de Sécurité à la résolution qui recommandait de soutenir l’indépendance et l’intégrité territoriale de Koweit, montre que la manœuvre contre l’émirat était bien concertée entre Moscou et Bagdad. En même temps, le général Kassem demandait à l’Office italien des pétroles s’il était disposé à envoyer des techniciens en vue de remplacer les Anglais pour l’exploitation des pétroles irakiens, de façon à mettre dans l’embarras le Gouvernement de Rome. Les Anglais ont été obligés d’envoyer des troupes à Koweit et, du fait de la carence de l’O.N.U. paralysée par le veto et de celle de la Ligue Arabe qui ne peut paraître s’associer à l’occupation militaire britannique, les Anglais sont contraints de rester sur place indéfiniment. C’est bien là le but visé.

 

Les Risques de l’Angleterre à Koweit

D’un côté, c’est pour l’Angleterre qui cherchait à réduire ses dépenses une charge nouvelle, de l’autre, c’est une menace de plus contre la Livre dont la situation est la plus précaire depuis dix ans, du fait du déficit chronique de la balance commerciale et de la disparition, pour la première fois, du crédit de ses exportations invisibles, c’est-à-dire les ressources tirées du tourisme, des assurances, des frets et des revenus des placements à l’étranger qui ne compensent plus les dettes à régler à l’extérieur. Au moment où Moscou prépare la grande confrontation sur Berlin, l’affaiblissement de la position de Londres, considéré comme le point de résistance le plus vulnérable, est un coup habile. Si l’on y ajoute la situation particulièrement critique où se trouve la France en Algérie, il est clair que les Soviets ont préparé leur affaire de mains de maître, aidés en cela par l’invraisemblable maladresse de leurs adversaires. On est saisi d’un véritable effroi quand on récapitule la cascade d’erreurs et de faux pas que les trois Alliés de l’Occident ont accumulés depuis six mois.

Devant tant de succès, on se demande, comme Franco, si les Russes ne vont pas être amenés à se croire tout permis et à franchir par présomption les limites de l’abîme. Krouchtchev ne vient-il pas d’annoncer qu’il renonçait à démobiliser un million d’hommes et augmentait d’un tiers son budget militaire. Manœuvre d’intimidation, bien sûr, mais qui peut conduire à cette « erreur de calcul » que tous redoutent.

 

Les Divergences Sino-Russes

Il y a heureusement, disons-nous, le revers de la médaille, le conflit qui grossit entre Moscou et Pékin. Il y a toujours des gens pour le nier, pour prétendre même qu’il s’agit d’une manœuvre concertée. Il ne faut évidemment rien exagérer, ni croire à un schisme imminent dans le Bloc communiste.

Tenons-nous en aux faits :

1° à la commémoration du quarantième anniversaire de la fondation du communisme chinois, les Russes se sont abstenus de paraître ;

2° l’organe du commerce extérieur soviétique a déclaré que, du fait de leurs difficultés alimentaires, les Chinois étaient dans l’incapacité de remplir leurs engagements à l’égard de l’U.R.S.S. et qu’en conséquence, les échanges sino-russes seraient réduits cette année ;

3° enfin, la publication par le spécialiste de ces questions, Isaac Deutscher, d’un nouvelle circulaire émanant du P.C. Soviétique mettant en garde les Partis frères contre les manœuvres chinoises tendant à constituer au sein de chacun de ces Partis, une section fractionniste, comme ils disent, appuyant les thèses de Pékin contre celles de Moscou sur la coexistence pacifique et affirmant l’inévitabilité d’une troisième guerre mondiale. A cela, il convient d’ajouter la visite du Ministre yougoslave des Affaire étrangères Popovic à Moscou, en relation avec l’affaire albanaise. Cet ensemble de faits n’est ni fortuit, ni le résultat d’un plan.

 

Les Soviets en Extrême-Orient

Ce qui est peut-être plus caractéristique encore, c’est le récent voyage du Ministre des Affaires étrangères de la Corée du Nord à Moscou et la conclusion d’un accord d’assistance militaire entre l’U.R.S.S. et ce pays. Comme précédemment, au Laos et au Vietnam-Nord, les Russes affirment leur présence sur tous les confins asiatiques entre le Monde communiste et l’Occident, barrant ainsi la route à l’influence chinoise. De même en Mongolie extérieure, grand rassemblement des dignitaires de l’U.R.S.S. et des satellites européens avec Suslov et Gomulka à Oulan-Bator, pour la célébration du ralliement de la Mongolie extérieure au communisme, qui a coïncidé, comme on sait, avec l’éviction de la tutelle chinoise sur le pays.

 

Cause de Force ou de Faiblesse ?

Cet ensemble de faits est assez éloquent et tous ceux qui ne sont pas égarés par le mythe du monolithisme communiste, les reconnaissent. D’aucuns cependant y voient là un danger supplémentaire et non un frein aux entreprises soviétiques : ils disent qu’à cause de ce conflit entre un communisme blanc et un de couleur, les Russes se devront de se montrer d’autant plus agressifs et intransigeants qu’ils craindront d’être accusés de pactiser avec l’Occident.

C’est à notre sens mal connaître la politique russe qui jamais, et c’est sa force, n’a fait passer les considérations de prestige ou de tactique intérieure avant la considération des intérêts proprement russes. Le communisme pour eux est un instrument de l’impérialisme, rien de plus. Krouchtchev peut-être croit à la doctrine. Ceux qui élaborent la politique qu’il expose, ces redoutables joueurs d’échecs anonymes, n’ont en vue que l’extension de la domination russe sur le monde. Ils étouffent les ambitions chinoises avec le même sang-froid avec lequel ils pourfendent les U.S.A. Ils sont les maîtres du jeu et quiconque les contrecarre sera écrasé, sans autre considération.

 

Les Articles de M. Rueff

On a fait grand bruit récemment autour des articles de M. Jacques Rueff sur la politique monétaire de l’Occident. Pour l’essentiel, il accuse le Gold Exchange Standard, c’est-à-dire le système qui permet d’utiliser les devises convertibles, comme le Dollar au même titre que l’or dans les réserves monétaires, d’être à l’origine d’une expansion du crédit dont l’abus aboutit, comme en 1929 à un crack financier ; cela, parce que les devises que le pays perd quand sa balance des paiements est déficitaire, au lieu de le priver d’une source de crédits et l’obliger à les réduire, ces devises restent à sa disposition, en sorte que la base de crédit se trouve doublée pour le créditeur d’abord et aussi pour le débiteur.

Rueff parle de 1929, mais c’est aussi vrai de 1961. Malgré les pertes d’or et les débits en dollars qui ont affecté les U.S.A., depuis deux ans, les crédits à la consommation, aux U.S.A., ont progressé et atteignent le chiffre fabuleux de 42 milliards de dollars. Chez nous, l’accroissement de la masse monétaire qui a atteint 10% en 1960 et qui est à l’origine de la hausse inconsidérée de la bourse de Paris, est en partie la conséquence des achats de dollars contre francs opérés par la Banque de France ; c’est ainsi que nos billets de banque sont passés de 3.200 milliards en 1958 à plus de 4.000 ces temps-ci. Une crise de confiance pourrait faire éclater cette inflation.

Personne, comme nous l’avons vu, n’a de remèdes sérieux à proposer à cet état de choses, pas plus M. Rueff que ses collègues américains ou anglais ; cela parce que toute mesure rigoureuse bloquerait l’expansion économique et que le mythe de l’expansion est sacré. Et cependant, tant va la cruche à l’eau … Il est bon d’avertir. On dispose d’assez de moyens pour ces avertissements, au contraire de ce qui s’est passé en 1929, servant à prévenir un effondrement. Tout dépend, en définitive de la conjoncture politique internationale cet automne et cet hiver, car l’édifice monétaire de l’Occident est vulnérable, comme le reste.

Un mot pour finir ; la vérité sort parfois de la bouche des officiels. M. Michel Debré n’a-t-il pas dit à l’Assemblée Nationale, aux agriculteurs : « Le Marché Commun ? Beaucoup de belles formules, mais bien peu de réalités … » en effet.

 

                                                                                  CRITON

Criton – 1961-07-08 – Grands et Petits Problèmes

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Le Courrier d’Aix – 1961-07-08 – La Vie Internationale.

 

Grands et Petits Problèmes

 

Les revendications du général Kassem sur l’émirat de Koweit viennent compliquer inopinément une situation générale assez tendue.

 

La Menace de l’Irak sur Koweit

On connaît les faits : ce petit pays, à peine peuplé, est un des principaux réservoirs de pétrole du monde. Il est exploité conjointement par les Anglais et les Américains. 40% de l’approvisionnement britannique en provient et les revenus que le Scheik en retire sont placés à Londres et constituent en ces temps difficiles, un apport essentiel à la balance des comptes de l’Angleterre. L’enjeu de ces ressources porterait un coup peut-être fatal à la Livre, déjà si discutée.

 

Les Causes du Conflit

Les causes de cette tentative d’annexion de Koweit par l’Irak sont controversées. Ou bien il s’agit simplement d’une pression de Kassem sur la Compagnie Anglaise qui exerce en Irak et avec laquelle il négocie depuis longtemps pour obtenir des redevances plus élevées sur le pétrole extrait ; ou bien il s’agit d’une manœuvre plus ample inspirée par Moscou pour s’assurer sur Londres d’un moyen de chantage, à la veille de la crise de Berlin.

Les deux hypothèses ne s’excluent pas et l’on peut penser que Kassem et les Soviets combinent de concert, chacun pour ses objectifs propres, sans vouloir aller jusqu’au conflit ouvert. Il est à remarquer en effet, que Kassem n’a pas agi, comme il aurait pu le faire, par une action militaire de surprise qui n’aurait pas rencontré de résistance. Au contraire, il a laissé aux Anglais le temps d’amener des navires de guerre et des troupes au secours de son allié l’Émir. Il faut remarquer aussi que l’événement se situe quelques jours seulement après que l’indépendance de Koweit, jusque-là protectorat britannique, ait été proclamée, et que les Russes n’avaient soufflé mot de la chose. Le fait d‘avoir provoqué l’intervention britannique est un moyen d’accuser les « impérialistes » et de jeter la confusion parmi les Etats arabes jusque-là favorables à l’indépendance de Koweit contre Kassem.

L’affaire est sérieuse ; il est peu probable maintenant qu’elle prenne un tour dramatique, mettant Anglais et Irakiens aux prises. Mais la menace d’un conflit peut demeurer suspendue longtemps. C’est vraisemblablement ce que l’on cherche, à Bagdad comme à Moscou.

 

Toujours Berlin

L’affaire de Berlin est un peu du même ordre. Pour des raisons de politique intérieure, on pousse à la dramatiser à Washington comme à Paris. Il est de bonne politique de faire entendre à Krouchtchev que l’on est résolu à ne pas céder et de mettre l’opinion au fait des risques possibles qui sont réels. Il s’agit là aussi d’un abcès qui demeurera longtemps ouvert. Mais si les Soviets avaient réellement l’intention de passer à l’action, ils n’y mettraient pas autant de formes, ni de temps. Leur objectif est probablement plus limité : obtenir, de façon ou d’autre, la reconnaissance de la République Démocratique allemande comme Etat de droit international, et consacrer ainsi juridiquement la division permanente de l’Allemagne. Et aussi de faire peur à l’Occident et par-là, comme toujours, de décourager les initiatives, de ralentir le progrès économique, de provoquer une crise qui, au niveau élevé où se trouve la conjoncture européenne, pourrait provoquer un krach. Mais la conjoncture n’est plus très sensible aux alertes venues de Moscou et même si l’affaire de Berlin doit servir de frein à l’emballement actuel, ce pourrait au contraire être salutaire.

 

Une Interview du Général Franco

Ces vues relativement optimistes ne sont pas partagées par le général Franco. Il vient pour la première fois de donner à un journaliste américain une interview ; ce qui est d’autant plus intéressant, qu’au pouvoir depuis vingt-cinq ans sans avoir eu à surmonter une opposition vraiment dangereuse, il s’est rarement trompé. Il est même le seul homme d’Etat actuel auquel on puisse adresser cet éloge. A son avis, le pouvoir de Krouchtchev est beaucoup plus limité qu’il ne semble, la direction des affaires russes est aux mains d’une oligarchie avec laquelle il doit sans cesse composer. Nous avons montré ici par des exemples concrets, que cela est parfaitement exact ; et Franco craint que cette direction collective ne soit plus dangereuse pour la paix que le pouvoir d’un seul comme Krouchtchev, qui au fond, ne manque pas d’une certaine humanité et n’est pas un belliciste mais qui peut être manœuvré contre sa volonté. Ce jugement est à retenir, Il a surpris les Américains pour qui la dictature d’un seul est le mal et le danger suprêmes.

 

Les Propos d’Adjoubei

Pendant ce temps, à New-York, le gendre de Krouchtchev, Adjoubei, rédacteur en chef des « Izvestia », polémiquait à la télévision avec ses collègues américains sur les mérites du journalisme aux U.S.A. et en U.R.S.S. Son propos le plus cocasse vient d’être rapporté : « Si l’on nous donnait pendant trois semaines la rédaction du « New-York Times », a-t-il dit, nous en ferions le meilleur journal du monde, le plus intéressant et les quatre cinquièmes des Américains se délecteraient en le lisant » (sic).

Il faut être un lecteur quotidien des « Izvestia » pour apprécier cette prétention. Non que le « New-York Times », soit particulièrement passionnant, mais un journal russe évoque vraiment pour nous le spectre de l’ennui. Qu’y trouve-t-on ? D’abord et surtout des comptes-rendus des rapports et des discours stéréotypés où les mêmes phrases reviennent depuis des décades. Puis des extraits de presse occidentale où tout ce que peut peindre le Monde libre sous des couleurs sombres est exploité. Quelques histoires édifiantes sur les exploits des héros du travail ; le seul point d’intérêt, ce sont les plaintes des lecteurs qui nous donnent une idée des véritables conditions d’existence des citoyens soviétiques, intérêt pour nous, mais non pour les Russes qui savent ce qu’il en est par leur propre expérience.

Mais en allant au fond des choses, nous nous sommes demandé souvent pourquoi se dégage de cette presse cette sensation pesante d’ennui. Voici : Dans ce pays, qui se dit collectiviste et populaire, la presse ne traduit absolument pas ce qu’est la vie sociale : le contact que la presse met entre les hommes, ce sont les récits des petits événements, de ceux qui affectent des êtres connus ou des incidents qui excitent l’imagination, parce qu’ils se passent en un lieu familier entre gens qui ne sont pas anonymes ou abstraits. Rien de cela dans la presse russe. On n’y voit que des entités, soit exemplaires, soit condamnables, évoluant dans des contrées éloignées. Une catastrophe, un procès curieux, peuvent se passer dans votre propre ville, vous n’en saurez rien. Et c’est là un des abîmes entre deux mondes que M. Adjoubei ne sent probablement pas.

 

Un Propos du Prince Boun Oum

Pour finir, nous rapportons un propos du Pince Boun Oum, le Premier laotien à qui l’on demandait pourquoi il était si peu bienveillant envers la France : « J’en veux à la France, dit-il, de nous avoir donné l’indépendance. C’est comme si on donnait un couteau à un enfant de cinq ans. »

Quelle leçon !

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1961-07-01 – Gouverner, c’est Prévoir

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Le Courrier d’Aix – 1961-07-01 – La Vie Internationale.

 

Gouverner, c’est Prévoir

 

La saison diplomatique a pris un mauvais départ ; les grandes Conférences sont mortes ou en léthargie. Des voyages et colloques d’hommes d’Etat, on serait en peine de dégager un résultat, sinon leur satisfaction habituelle. Même l’échange des prisonniers de Cuba contre tracteurs a échoué. Ce qui se passe réellement est ailleurs.

 

Bruit de Sabre au Kremlin

Krouchtchev développe sa grande offensive pour Berlin en empruntant, pour la première fois, la mise en scène d’Hitler. Il s’est fait photographier en général, bardé de décorations, au premier plan d’une pléiade de généraux et de maréchaux russes pour commémorer la victoire de 1945. Il a prononcé en série de grands discours qui, si l’on s’en tenait aux apparences, nous rappellent les harangues du Führer d’avant 1939. La violence des propos y était ; les applaudissements aussi roulaient. Le ton était âpre et menaçant. Malheureusement, l’uniforme lui va fort mal et il lit ses textes ou parfois il s’embrouille et il est encore plus ennuyeux que son illustre prédécesseur. On n’est pas convaincu, malgré le parallèle évident, qu’il nous prépare une grande tragédie. Cela sent l’artifice et l’intimidation plutôt que la fièvre. C’est d’ailleurs ainsi que l’interprètent les augures.

 

Vers une Conférence

Si telles sont ses intentions, c’est-à-dire de préparer une négociation sur une position de force, il est fort possible que Krouchtchev réussisse. Il s’est d’ailleurs trahi en faisant l’éloge de la proposition du sénateur américain Mansfield préconisant la transformation de Berlin en ville libre, mais des deux Berlin, ce que Krouchtchev a rejeté, ne retenant que ce qui concerne Berlin-Ouest. Mais Krouchtchev compte surtout sur les Anglais. Ceux-ci, comme avant 1939, prennent peur ou plutôt affichent leurs craintes pour se ménager la position d’intermédiaires et de conciliateurs. C’est l’ambition constante de MacMillan qui, en cela, a l’appui presque unanime de l’opinion britannique. A entendre ou à lire les déclarations de personnalités ou de journalistes, on constate que l’esprit de Munich demeure et c’est à qui proposera le fruit de son imagination pour trouver une formule d’entente sur Berlin acceptable pour les Russes.

 

L’Indisposition de Kennedy

Du côté américain, on est assez perplexe. Le pauvre Kennedy, parti en trombe, selon son tempérament, est tombé sur tous les obstacles, et sa santé s’en ressent. Les Présidents des U.S.A. n’arrivent pas à soutenir le rôle écrasant qui leur est imposé. Déjà, avant son élection, des rumeurs circulaient sur sa condition physique et nous ne cacherons pas que, sans être clinicien, quelque chose dans son regard et son comportement nous avait dès l’abord paru suspect et peu rassurant. Après Wilson et Eisenhower, il ne faudrait pas que les U.S.A., en cette période difficile, aient à subir une défaillance présidentielle. L’erreur de Kennedy qui est bien humaine, est d’avoir cru que sa seule présence et son dynamisme pouvaient changer radicalement le cours des choses. L’époque, au contraire, ne favorise aucunement l’action des hommes d’Etat ; cela est vrai aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est. Les réformes projetées se heurtent aux structures établies et les conférences diplomatiques ne donnent rien. Nous avons vu ce qu’il en était des grandes idées de Krouchtchev sur la réorganisation administrative et la mise en culture des terres vierges ; Mao Tsé Tung ou ses associés ont échoué dans l’édification des « Communes du peuple », aujourd’hui abandonnées : Que dire de l’Occident ? Ce n’est pas notre faute si ces chroniques sont, en large part, consacrées à l’étude de fiascos. Ce sera encore le cas aujourd’hui, mais dans l’ordre économique.

 

Le Pool de l’Étain

L’unique tentative de stabilisation du prix des matières premières qui ait jusqu’ici réussi, était le Pool de l’étain ; il vient de sauter. Rappelons que le Comité international qui avait pris le contrôle du marché de l’étain, avait fixé pour ce métal un prix plancher et un prix plafond. Doté de moyens financiers importants, il s’efforçait, par le contingentement de la production, de maintenir les cours entre 730 et 880 livres la tonne. Une première fois, le prix plancher avait été enfoncé, il y a trois ans, grâce au dumping soviétique. Les Russes croyaient avoir intérêt à mettre en faillite cette tentative de règlementation capitaliste. Comme ils lésaient ainsi des pays sous-développés auxquels ils s’intéressaient politiquement, ils renoncèrent à leur pression et le pool se remit en fonction. Aujourd’hui, c’est le contraire. Il lève les bras parce qu’ayant épuisé ses stocks d’intervention devant une demande pressante, il a dû laisser le marché à lui-même, dans le sens de la hausse. Aux dernières nouvelles, on cote 930 livres. Cet échec sans doute provisoire montre malheureusement que les ententes les mieux organisées, grâce à un accord tout à fait exceptionnel entre tous les intéressés, ne résiste pas à l’évolution naturelle des conditions d’échange. La prévision étant impossible des rapports entre ressources et besoins, il arrive toujours un moment où les barrières artificielles, si bien construites qu’elles soient, sautent.

 

La Baisse du Dollar Canadien

Ce qui est vrai des matières minérales, l’est encore plus des végétales soumises à bien d’autres aléas, comme nous le voyons en France. C’est là évidemment où la planification totale triomphe, mais elle ne le peut que dans la pénurie. On l’attend au stade de l’abondance, heureusement pour lui mais non pour les consommateurs, le système totalitaire semblant bien condamné à la disette perpétuelle.

Autre événement significatif : la baisse organisée du Dollar canadien. On ne peut parler de dévaluation ; cette monnaie ayant le curieux privilège de n’avoir pas de parité légale. Il y a longtemps que la prime du Dollar canadien sur le Dollar U.S.A. était une gêne pour l’économie du pays. Elle freinait l’exportation et rendait peu rentable beaucoup d’exploitations minières dans un pays à salaires très élevés. D’où le marasme de l’économie canadienne et le chômage qui atteint 7% de la population active dans un pays pourtant peu peuplé et de plus, d’hommes de haute qualification. Le problème était de faire baisser la monnaie. Si étrange que cela paraisse, c’est très difficile, à moins de s’abandonner à une inflation délibérée, périlleuse à d’autres égards.

La chose s’explique facilement : doté d’immenses ressources naturelles, d’un Gouvernement respectueux des contrats et d’une grande stabilité sociale et politique, le Canada attire régulièrement les capitaux étrangers qui lui sont indispensables pour la mise en valeur de ses énormes richesses. La monnaie étant aussi toujours demandée, elle tend à monter malgré le déficit, tant commercial que de la balance des comptes. Alors le premier Diefenbaker appelle la spéculation à son aide pour appuyer un mouvement de baisse du Dollar canadien qu’il promet substantielle, et pour cela, il accroit le déficit budgétaire, élargit les crédits, en bref, fait tout ce que les autres pays s’efforcent, souvent sans succès, de ne pas faire. Et ce qui est plus paradoxal, c’est qu’il n’est pas sûr de réussir. Il est à craindre, en effet, qu’après avoir obtenu la chute limitée qu’il envisage de l’ordre de 10%, la pression des investissements étrangers, si la conjoncture mondiale continue vers l’expansion, ne s’exerce à nouveau vers la hausse. Finance, terre inconnue, c’est bien le cas de le dire.

 

                                                                                  CRITON

 

Criton – 1961-06-24 – Temps Orageux

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Le Courrier d’Aix – 1961-06-24 – La Vie Internationale.

 

Temps Orageux

 

Quoi qu’ils fassent, disions-nous, les Occidentaux ont toujours tort. La preuve en est faite. On ne trouverait pas dans la presse étrangère un seul commentaire qui rejette sur le F.L.N. l’entière responsabilité de l’échec d’Évian. Il suffit cependant d’avoir suivi sans préjugé le film de la rencontre pour être convaincu, sans l’ombre d’un doute, que les gens de Tunis n’ont rien fait pour engager le dialogue.

Que la presse communiste accable le Gouvernement français, on s’étonnerait du contraire, mais que nos alliés et amis fassent preuve de réticences, de doutes même, sur notre bonne foi, cela est affligeant. Car il ne s’agit pas du seul cas de la France et du problème algérien, pas même d’une malveillance à notre égard, mais d’une sorte de paralysie mentale quand il s’agit de juger n’importe quelle révolte d’autochtones contre un pouvoir extérieur, si légitime qu’il soit.

Cela dit, il était donc parfaitement inutile de se livrer à cette confrontation avec tous les risques qu’elle comportait, si elle avait uniquement pour but de montrer à l’opinion notre bonne volonté et faire reconnaître nos droits. Les mieux disposés ne voient là qu’une manœuvre diplomatique, les autres une provocation !

Pour le reste de l’actualité, si l’on s’en tient aux seuls faits, force est de constater, avec les officiels qu’il n’y a rien qui porte à l’optimisme ; la proximité d’une nouvelle crise de Berlin, le naufrage de conférences qui devient la règle, la crise du Marché Commun, des nuages partout. Faut-il redire qu’on s’habitue au temps sombre et que tant de signes défavorables finissent par s’annuler.

 

Les Émeutes Rurales et le Problème Agricole

Les émeutes rurales en France ont attiré l’attention sur l’inextricable problème agricole et obligé à quelques réflexions sur une question que l’on élude, précisément parce qu’elle est insoluble. Le fond de la question est bien illustré par un tout petit entrefilet de journal : la République Fédérale allemande va vendre à la Chine populaire 1.800.000 quintaux de céréales ! L’Allemagne de Bonn, réduite à la moitié à peine de la superficie de la France, ayant 55 millions de bouches à nourrir sur un sol en large partie peu fertile, a des excédents de céréales à vendre ! On mesure par là ce que la modernisation de l’agriculture, avec les moyens dont on dispose et au rythme où elle se fait, peut accumuler des excédents  de toute nature. Or l’agriculture n’a pas les mêmes soupapes de sûreté que l’industrie. Celle-là aussi, grâce à l’automation, va créer un potentiel de production qui fait peur. Mais il y a ce que l’on appelle l’aide aux pays sous-développés, entendons par là que l’Etat industriel peut prélever sur le contribuable ou par l’inflation, les subventions nécessaires pour que ses producteurs puissent écouler leurs excédents sans acheteurs solvables.

Pour l’agriculture, cette façon d’opérer est beaucoup plus réduite. Sans l’aubaine exceptionnelle de la disette chinoise le blé et l’orge en silo dans le monde risquait d’y rester indéfiniment. Sans doute le Gouvernement de Pékin prévoit que les intempéries et les calamités naturelles vont continuer à sévir régulièrement, puisque ses contrats portent sur plusieurs années, mais les céréales ne sont qu’un point d’un ensemble. Il y a toutes les denrées périssables dont l’exportation est pratiquement limitée dans le temps et l’espace et qui pour la plupart sont d’un prix trop élevé, ou inconnues des consommateurs éventuels. Il n’est pas mauvais en soi que la question provoque de petits drames, car il ne faudrait pas qu’on laisse dériver l’affaire jusqu’à en provoquer de sérieux, ce qui à long terme est inévitable si l’on n’y prend garde.

 

La Question Agricole et le Marché Commun

C’est cette même question agricole qui menace la vie de ce pauvre Marché Commun qui soulève tant de passions qu’on a quelque peine à s’expliquer. Car enfin s’il a servi de stimulant à l’industrie du Monde libre pour se regrouper et s’associer, il n’a fait de mal à personne, et ceux qui n’en font pas partie en ont profité presque autant que ses propres membres, ce que montrent les statistiques douanières qui, elles, ne sont pas sujettes à caution. Il est un fait important : les Anglais ont pris subitement la question très au sérieux, et c’est avec une véritable stupéfaction que nous les entendons se passionner pour et contre l’adhésion de l’Angleterre au Marché Commun comme si leur propre existence était en jeu.

Au fond, la question pour l’Anglais n’est pas économique mais sentimentale. Après tant de replis de par le monde, allons-nous nous résigner à tout jamais à n’être qu’une petite île des côtes de l’Europe ? Nos frères de race, disséminés aux quatre coins des océans, ne vont-ils pas nous confondre avec les autres européens et se grouper eux-mêmes en un bloc particulier, comme déjà le Canada le propose à l’Australie et à la Nouvelle-Zélande. La famille britannique ne se sentira-t-elle pas démembrée par ce mariage de l’aîné avec le continent ? Nous voyions jusqu’ici la question sous l’angle de l’intérêt et du calcul politique. Erreur. Il s’agit d’un déchirement affectif, d’un drame du cœur. C’est ainsi que, trahis par ce procès intime, on voit les plus flegmatiques s’emporter en des discussions maladroites dont la logique fait sourire.

 

Apaisement au Congo Belge

Il n’y a pas que des ombres au tableau et il faut, avec prudence sans doute, se réjouir de la tournure plus favorable de l’affaire du Congo belge. C’est M. Hammarskoeld qui nous y invite. L’O.N.U. qu’il incarne malgré les attaques des gens du Kremlin ou à cause d’elles, a pu éviter l’extension de la guerre civile et, si la tendance présente se confirme, un « modus vivendi » entre les factions congolaises est en vue. Ce serait pour Moscou l’échec majeur que nous avons toujours espéré ici, en dépit des vicissitudes.

L’agent de cette réconciliation congolaise a été le Suédois Sture Linner, ami de M. Hammarskoeld qui a remplacé l’Hindou Dayal que Kasavubu ne pouvait supporter. L’élimination de Dayal a été de la part de M. H. un acte courageux et risqué. Le succès de Linner a permis d’étouffer les susceptibilités de Nehru qui a fait là preuve de sagesse.

Mais il y a autre chose. Si Gizenka consent à négocier et à envoyer ses représentants au Parlement de Léopoldville, c’est que l’influence communiste à Stanleyville a perdu de son crédit. Et cela ne peut être dû qu’à l’influence de Nasser qui avec l’appui du Soudan, a coupé la route aux Soviétiques. Il a dû également persuader Nkrumah du Ghana qui a brusquement cessé de s’agiter contre Kasavubu. On s’explique ainsi la polémique entre Moscou et Le Caire que nous avons relaté ici. Cette polémique a d’ailleurs cessé, du côté russe. Krouchtchev a encaissé et le ton a radouci. Il ne faut pas par humeur perdre pied dans la Vallée du Nil.

N’avions-nous pas raison de dire à Krouchtchev qu’en face d’un levantin de la taille de Nasser, toutes ses ruses seraient déjouées ?

 

                                                                                            CRITON

 

 

Criton – 1961-06-17 – Retour de Voyage

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Le Courrier d’Aix – 1961-06-17 – La Vie Internationale.

 

Retour de Voyage

 

Dans le rapport que Kennedy a fait de son entrevue à Vienne avec Krouchtchev, on a retenu le mot « sombre ». Par-là, il n’a laissé à ses compatriotes aucune illusion sur les perspectives des rapports Est-Ouest. On le croit sans peine. A Moscou par contre, on a parlé d’un bon début ; cela pour rejeter la responsabilité des crises futures sur l’intransigeance américaine. La tactique n’a pas changé.

 

Le Laos et Berlin

Krouchtchev n’a d’ailleurs pas attendu pour reprendre l’offensive. Sur Berlin, qu’il a qualifié d’ « os dans la gorge » des communistes, il a lancé une note pour protester contre la venue dans l’ex-capitale du Président de la République fédérale et la réunion des commissions du Bundestag, visites rituelles qui n’avaient pas jusqu’ici soulevé d’objection. Mais surtout, à propos du Laos, qui était le seul point du communiqué de Vienne sur lequel un semblant d’accord avait été formulé, l’offensive du Patet Lao a brusquement fait ajourner la conférence déjà compromise. Bien qu’elle n’ait pas entretenu grand espoir sur tous ces colloques, l’opinion occidentale, aux Etats-Unis surtout, montre une certaine inquiétude. Le prestige du président Kennedy déjà touché par l’affaire cubaine en souffre. Si l’on ne comptait pas sur un miracle, on espérait que la personnalité du Président changerait, sinon le fond, du moins la couleur des relations russo-américaines. Kennedy n’a pas caché qu’il n’en était rien, ce qui fait honneur à la sincérité qu’on apprécie en lui.

 

La Conférence d’Évian

Il faut bien dire que l’évolution de la Conférence d’Évian préoccupe le Monde libre. Car l’affaire d’Algérie est aussi son « os dans la gorge » et que, malgré tout ce que le raisonnement le plus élémentaire apportait de démentis, on croyait à l’étranger que le Gouvernement français en viendrait à bout. Une certaine pudeur retient les observateurs de dire à ce sujet toute leur pensée. Cela est manifeste dans les commentaires. On se demande si, loin d’être réglé, le problème algérien ne va pas mettre en question l’équilibre de la France si difficilement rétabli et, dans le contexte actuel si indispensable à la cohésion occidentale. Que voit-on en effet ? Les pourparlers d’Évian se prolongent sans aucun signe d’accord possible.

Comme nous l’avions présentée, la tactique du F.L.N. est inspirée de la méthode russe et par les conseillers soviétiques, la négociation marathon qu’on ne rompt jamais sans jamais aboutir. Tant que l’adversaire n’est pas las, on montre une intransigeance totale. Dès qu’une menace de rupture se précise, on avance des propositions auxquelles l’autre s’accroche, assez prometteuses pour rendre espoir, assez vagues pour être esquivées dès que le but paraît proche et cela assez longtemps pour que, la situation ayant changé, les pourparlers perdent leur sens.

Ce qui étonne l’opinion étrangère, c’est qu’après tant de rencontres secrètes, d’allées et venues préparatoires, on ait engagé un dialogue aussi important avec le G.P.R.A. sans la moindre garantie de succès, même partiel. On mesure la gravité d’un échec et les avantages que les chefs de la rébellion peuvent en tirer, sans que leur responsabilité dont ils n’ont au surplus nul souci en soit affectée. Que ce soit au Congo, à Cuba ou ailleurs, les révolutionnaires sont toujours absous, quoi qu’ils fassent. A l’O.N.U. ou à Genève, les Occidentaux ont toujours tort, il en sera de même ici. Le problème n’est pas d’ordre moral, mais de fait. En Algérie, même le marasme économique né de l’angoisse du lendemain ; la machine ne continue à tourner que grâce aux investissements publics ; les initiatives privées se dérobent. Les deux communautés, européenne et musulmane, loin de se rapprocher, se dressent l’une contre l’autre avec des violences accrues des deux côtés.

Enfin, grâce à la trêve unilatérale, le F.L.N. retrouve son potentiel militaire, regroupe ses unités, reconstitue son ravitaillement alors qu’il était à peu près épuisé. Mais c’est surtout la perspective d’une défection générale des supplétifs musulmans recrutés par le commandement français qui peut en résulter ; des incidents comme la récente échauffourée de Paris ont vivement impressionné. On ne voit pas comment après avoir recueilli sans aucun effort de tels avantages, le F.L.N. n’attendrait pas tranquillement la suite.

 

L’Albanie

Heureusement, les choses ne vont pas mieux de l’autre côté du rideau de fer. L’affaire albanaise commence à s’éclaircir. La rupture entre Moscou et Tirana ne peut plus être scellée. Huit sous-marins russes de la base albanaise de Sassano ont quitté ce port et regagné ostensiblement la Baltique. L’attaché militaire albanais a été expulsé de Moscou, et l’attaché russe à Tirana rappelé. Les vivres promis par l’U.R.S.S. à l’Albanie sont coupés, et la famine s’étendrait dans le pays si les Chinois n’envoyaient pas des céréales qu’ils viennent d’acheter au Canada et en France ! Cependant, Hodja tient bon parce que jusqu’ici, comme nous l’avons vu, il est irremplaçable, faute de communistes de rechange en Albanie.

 

En Allemagne Orientale

En Allemagne orientale, Ulbricht n’est pas rassuré. Depuis la socialisation de l’agriculture, la situation alimentaire s’aggrave ; la carte de pommes de terre vient d’être rétablie, ce qui en dit assez. L’industrie ne va guère mieux. Les sabotages se multiplient. Le pays perd ses techniciens qui se réfugient à l’Ouest au rythme d’un millier par semaine et l’approvisionnement des usines dépend pour une large part des échanges avec l’Allemagne fédérale. Mais pour payer les marchandises que celle-ci envoie, les moyens font défaut, les crédits sont épuisés. Cet ensemble de faits est assez rassurant pour l’avenir de Berlin. Une crise violente, comme celle dont Krouchtchev menace, affecterait si fortement le ravitaillement de l’Allemagne orientale, qu’on peut espérer qu’il n’est pas pressé de la déclencher, c’est ce que pensent les Berlinois. La faillite du système d’en face est le meilleur garant de leur liberté.

 

L’Angleterre et le Marché Commun

On sait que depuis quelques mois on agite en Angleterre la question de l’entrée du monde britannique dans le Marché Commun. Le gouvernement MacMillan sonde l’opinion qui dans l’ensemble de la Métropole est favorable à cette association. Les trois quarts, disent les Gallups, ce qui montre l’évolution de l’opinion anglaise et surtout des milieux d’affaires. Mais cela ne suffit pas à pousser la Grande-Bretagne à sauter un tel pas. Pour notre part, nous n’y croyons pas plus aujourd’hui qu’hier. Il faudrait pour qu’un tel changement de la politique anglaise soit possible, des difficultés financières insurmontables. Sans doute, cette crise existe, la monnaie est de plus en plus discutée et s’affaiblie, elle était protégée par la crise du Dollar. Celle-là ayant pour le moment disparu, c’est la Livre qui se trouve à découvert. Mais la Livre en a vu d’autres et la présente situation n’est pas plus grave que les précédentes et l’on est mieux armé, semble-t-il, pour y pourvoir ; ce n’est pas demain que l’Angleterre cessera économiquement et financièrement d’être une puissance insulaire.

Au surplus, le Marché Commun lui-même, dans la mesure où il existe, vient d’être remis en cause, et cela par la France. Il n’est plus question d’accélération, au contraire ; le passage à la seconde étape prévu pour janvier prochain est subordonné par la France à l’application des clauses agricoles. L’Agriculture est l’obstacle majeur tant pour les Six que pour l’Angleterre si elle voulait s’associer à eux ; car dans ce cas le coût de la vie s’élèverait sensiblement, ce qui aggraverait encore les prix de revient anglais. Tous ces problèmes tournent en rond ; ils sont déjà presque insolubles en eux-mêmes ; confiés à des gouvernants et débattus par des experts ; on peut parier à coup sûr qu’ils le sont à jamais.

 

                                                                                            CRITON