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Le Courrier d’Aix – 1961-08-26 – La Vie Internationale.
L’Échiquier Soviétique
Comme prévu la coupure entre les deux Berlin, n’a pas provoqué du côté occidental que des protestations verbales. Les Berlinois en sont irrités. Point n’était besoin, dit-on, de tant de colloques pour aboutir à de simples notes diplomatiques. En réalité, il n’était pas possible de faire plus sans employer la force, ce qui eut entraîné des contre-mesures en chaîne auxquelles il eut fallu riposter, et cela n’aurait pas empêché les communistes de fermer le passage. On attendra donc de nouvelles provocations pour agir.
Le second acte de l’affaire sera la conclusion du Traité de paix entre Moscou et le Gouvernement de Pankow, contre quoi les Alliés ne peuvent rien. Nous ne pensons pas que les Russes aillent plus loin pour le moment. Il y a pour cela de bonnes raisons. En effet, si Ulbricht cherchait à bloquer l’accès de Berlin-Ouest aux Occidentaux, Adenauer dénoncerait le traité de commerce entre les deux Allemagnes et les Alliés en feraient sans doute autant, ce qui dans l’état présent de l’économie de la D.D.R. provoquerait des troubles encore plus graves de ravitaillement auxquels les Russes n’ont ni les moyens ni le désir de remédier. Quelques chicanes, quelques escarmouches de temps en temps se produiront, mais rien de sérieux, tant que l’Allemagne orientale ne sera pas remise sur pied, ou que les Russes n’auront pas les moyens de subvenir à ses besoins, ce qui sera certainement long. A notre avis, la véritable crise de Berlin n’est pas pour demain, comme on parait le croire.
Les Réactions des Britanniques
Les barbelés et les murs de pierre édifiés devant la porte de Brandebourg ont eu un effet assez inattendu sur les Anglais, jusque-là peu soucieux du sort des Allemands. Ils ont vu sur les écrans de la télévision, le spectacle du chemin de la liberté se fermant sur des millions d’hommes, et leur indignation a été vive. Au pays de l’Habeas Corpus on est profondément sensible à cette atteinte au droit des gens ce qui, sur le plan politique, facilitera la tâche de la diplomatie britannique obligée de tenir compte d’une opinion très réticente jusqu’ici à courir des risques pour défendre les Berlinois.
L’Exposition Française à Moscou
Pendant ces fâcheux incidents, s’ouvrait à Moscou l’exposition française. C’est à peine si les journaux russes en ont parlé. Pas un commentaire, pas la moindre description. Une brochure assez malveillante circulait devant les portes pour mettre en garde les Moscovites contre cette présentation « fardée » de la vie française et les cartes d’entrée ont été rationnées, si bien que le tiers à peine des visiteurs a pu pénétrer. Si les Soviets consentent à ce genre de manifestations, c’est qu’elles leur permettent de s’emparer à bon compte des réalisations techniques que les Occidentaux exposent et leur vendent. Il est alors aisé de copier les modèles les plus perfectionnés de l’industrie occidentale. Cet avantage compense l’inconvénient pour les Russes de montrer aux foules avides de connaître le monde extérieur, le genre de vie qu’on y mène. Une contre-propagande habile et toutes sortes de restrictions d’accès permettent en outre aux dirigeants soviétiques de limiter les effets de cette présentation du Monde libre.
On peut se demander, s’il était opportun de dépenser trois milliards pour ce qui n’est au fond qu’une manifestation de vanité et aussi de mercantilisme. Car non seulement notre outillage le plus perfectionné est mis à la disposition de l’U.R.S.S., mais même certaines de nos réalisations lui sont cédées avant même d’avoir été utilisées en France ; nos machines les plus puissantes, nos fabrications les plus poussées servent ainsi au renforcement de la puissance adverse. En contre-partie, nous ne recevons que des matières premières dont il serait facile et plus profitable de se fournir ailleurs. Cela n’est pas particulier à la France ; aucune considération politique ne prévaut contre cette avidité de trouver des clients à l’extérieur, où qu’ils se trouvent. Il ne faut à aucun prix compromettre l’expansion industrielle.
Le Voyage de Mikoyan au Japon
Le voyage de Mikoyan au Japon, est un événement dont l’importance a été négligée. Quand Krouchtchev envoie l’habile arménien en mission, c’est que l’affaire est sérieuse. Personne, nous semble-t-il, ne s’est avisé du véritable but de ce voyage. On a cru qu’il s’agissait de détourner le Japon de l’Alliance américaine, et officiellement c’est ce que Mikoyan répète à chaque étape. Mais Krouchtchev sait fort bien qu’il n’a aucun moyen de changer actuellement la position nippone. Le Japon est dans une phase d’expansion la plus rapide du monde, son potentiel industriel devient énorme et il lui sera de plus en plus difficile de trouver à cette production des débouchés suffisants. Les Russes de leur côté, sont très préoccupés de l’équipement de la Sibérie orientale. Faute d’outillage, ils ne peuvent garnir cette frontière de 2.500 kilomètres qu’ils ont avec la Chine. Ce vide les inquiète. Le Japon ne pourrait-il pas leur fournir le nécessaire ?
L’Encerclement de la Chine
Il y a plus. Les Russes poursuivent en Asie, avec méthode, l’encerclement de la Chine. Nous avons vu qu’ils se sont substitués à celle-ci d’abord au Nord-Vietnam en passant des accords avec Ho Chi Minh ; puis au Laos où ils ont mené à la place des Chinois la guérilla du Patet Lao, sans d’ailleurs, comme prévu, pousser à fond leur avantage. Ils ont seulement cherché à verrouiller l’accès de Pékin au Sud-Est asiatique, puis en Corée du Nord, ils ont passé des accords avec Kir Im Sun, et en Mongolie extérieure, grâce à des remaniements ministériels, ils ont mis en place leurs créatures. En dernier lieu, ils ont pris la direction du Parti communiste japonais qui jusqu’ici suivait les mots d’ordre de Pékin et ce parti, peu nombreux mais actif, a subitement cessé de fomenter des manifestations anti-gouvernementales pour mieux préparer les voies à Mikoyan.
La Soumission d’Hodja
Dernier épisode qui n’est pas moins significatif, la rébellion albanaise a pris fin, paraît-il. Enver Hodja a fait sa soumission à Moscou, alors que Pékin (nous le savons officiellement par le Ministre canadien du commerce extérieur) venait d’envoyer à l’Albanie du blé acheté au Canada que Moscou refusait de fournir. On voit par là que l’impérialisme moscovite est aussi actif contre ses adversaires capitalistes que contre ses partenaires communistes si ceux-ci lui résistent. Les Chinois d’ailleurs savent de longue date à quoi s’en tenir sur l’affaire russe. Mais les difficultés dans lesquelles ils se débattent leur enlèvent tout moyen de défense, et Moscou en profite pour les étouffer. Les Américains n’ignorent pas davantage ces manœuvres : Kennedy avait l’intention d’envoyer en Mongolie un ambassadeur à Oulan-Bator pour suivre l’évolution des relations russo-chinoises ; il y a renoncé à cause, parait-il, de l’opposition de Tchang-Kaï-Chek. Nous avons pensé, lorsque Ikeda est allé conférer à Washington, que le Japon serait chargé de cette mission d’observation, l’hypothèse est vraisemblable, ce qui donnerait un motif de plus au voyage de Mikoyan à Tokyo.
Sagesse Orientale
C’est de l’Orient que nous vient ce remède à la crise agricole ; des techniciens de l’O.N.U. s’étaient établis dans un village pilote et avaient appris aux paysans à obtenir en un an deux récoltes de riz au lieu d’une. Émerveillés du résultat, ils firent aux agronomes des remerciements enthousiastes et leur dirent : « Grâce à vous, nous n’aurons pas besoin de planter du riz l’année prochaine ».
CRITON