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Le Courrier d’Aix- 1961-09-09 – La Vie Internationale.
VERS l’ECHEANCE
Rien de plus désagréable pour un chroniqueur que de passer pour pessimiste parce que le déroulement des événements –ceux du moins qui comptent- va presque uniformément de mal en pis. Faut-il renoncer à la recherche de la vérité, ce qui en politique n’est pas choses facile, pour se leurrer d’illusions ? Que la politique de l’Occident depuis la guerre ait justement voulu entretenir ces illusions est à l’origine de la série d’échecs qu’elle a subis. Aujourd’hui, nous sommes à l’extrême bord de l’abîme ? Faut-il le nier, parler de négociations ou autres formules magiques pour apaiser le monstre qui montre aujourd’hui toutes ses dents. Il y a pourtant quarante-quatre ans que nous avons eu le loisir de le connaître et de l’observer. Il n’a pas changé, mais aujourd’hui, l’homme au couteau entre les dents l’a remplacé par la bombe de 100 tonnes de T.N.T. ce qui change les perspectives.
La Crise Berlinoise
Avouons que nous avons pêché par optimisme en disant que la crise de Berlin, celle qui décidera de la guerre ou de la paix, n’était pas pour demain. Les jours qui nous en séparent sont comptés. Nous entendions discuter l’autre soir à la radio anglaise, deux hommes, socialistes et pacifistes convaincus mais aux jugements bien fondés : William Pickles et W.K. Hurebuter sur ce dilemme. Ou nous résistons à Berlin avec tout ce que cela comporte de risques, ou plutôt avec la certitude d’un risque, ou nous passons au communisme, car depuis Hitler, dont Krouchtchev a repris presque rigoureusement la méthode, on sait ce que vaut une concession ou une promesse. Céder, c’est céder indéfiniment. Là encore aucune illusion possible.
Comment Peut se Dérouler la Confrontation ?
Comment se présente donc le problème, non dans l’abstrait, mais dans la réalité stricte. Le nœud du débat c’est la question des corridors aériens ; Moscou entend que les appareils ne transportent plus d’Allemands, mais seulement du personnel allié et il sera décidé après la signature du traité de paix avec Pankow, prévu pour octobre, que les avions alliés allant à Berlin-Ouest devront atterrir sur l’aérodrome de Berlin-Est pour vérification.
Il est bien clair que les Occidentaux ne pourront se soumettre à ces exigences. Ils passeront outre. Les avions allemands de l’Est, ou ceux des russes, abattront les transports. Les Occidentaux riposteront. Première phase, le sang coule ; seconde, les Alliés pressés à Berlin, sont obligés de recourir aux armes atomiques tactiques. On devine la suie. One ne peut se dissimuler que Krouchtchev soit décidé à aller jusque-là ; au-delà, on peut encore en douter. Mais où, comment arrêter un conflit déjà engagé ?
La rupture de la trêve nucléaire
Les commentateurs sont unanimes. En rompant la trêve nucléaire, Krouchtchev a commis une faute majeure sur le plan diplomatique et donné aux Etats-Unis un argument de propagande d’un grand poids –sans doute- car l’opinion mondiale est particulièrement sensible aux expériences nucléaires à cause des retombées radioactives et leurs effets sur la santé et la postérité des peuples.
Krouchtchev a frappé la corde la plus sensible et les protestations ont fusé de toutes parts. Au surplus, comme il avait solennellement promis il y a deux ans devant l’ONU, qu’il me reprendrait jamais les expériences le premier, il s’est trahi et ce peu de confiance qu’on pouvait accorder à ses engagements disparait tout à fait, en particulier quand il jure aujourd’hui qu’il ne se servira pas le premier de l’arme atomique (ce qui est d’ailleurs possible, car il compte obliger les autres à le faire, grâce à l’énorme supériorité des Russes en nombre et en armes conventionnelles). D’ailleurs, il suffit d’écouter les porte-paroles communistes qui s’adressent au monde libre en diverses langues pour remarquer l’embarras où ils sont et le luxe d’arguments qu’ils emploient pour convaincre leurs auditeurs, que la reprise des expériences atomiques n’a en vue que la défense de la paix !
Influence sur la Conférence de Belgrade
Cette déclaration de Krouchtchev et l’explosion nucléaire qui a suivi juste au moment où s’ouvrait la Conférence de Belgrade, a été considérée par les participants comme un affront personnel. Ils ont même eu le courage de le dire. Ce mépris des Russes pour l’opinion neutraliste est d’ailleurs assez surprenant, et s’explique difficilement. Comment concilier cette attitude avec l’obstination de la propagande pour la captiver ? Quelles raisons pressantes ont poussé les Soviets à faire à nouveau éclater leurs bombes ? Exigences des militaires ou simplement maniement plus brutal de la terreur pour désagréger l’alliance occidentale ? L’une et l’autre sans doute, mais certainement l’intention de disloquer l’Alliance Atlantique ; l’Angleterre n’ayant pas répondu aux espoirs russes depuis l’établissement de la muraille de Berlin-Est, c’est l’Italie qui a été choisie comme le pays le plus sensible au terrorisme nucléaire.
D’ailleurs, les courants neutralistes n’ont jamais disparu de la politique italienne et la diplomatie de ce pays, on le sait par expérience, n’est jamais sûre. Les déclarations récentes de Segni sont plutôt équivoques : la nouvelle offensive socialiste pour amener la Démocratie Chrétienne à réaliser « l’ouverture à gauche », c’est-à-dire à intégrer les Nenniens dans la majorité, ceux-là neutralistes, est aussi un signe des temps. Krouchtchev, en invitant Fanfani et Segni à Moscou, savait ce qu’il pouvait en attendre : le « sauve qui peut » des moins résolus devant la terreur atomique.
Le ton à Belgrade
Sur d’autres points, la Conférence des neutralistes à Belgrade n’a pas manqué d’intérêt ; on a vu arriver Adoula et Gizenka du Congo ensemble, ce qui implique le passage de l’ex-colonie belge au camp de Tito-Nasser. D’ailleurs, le thème dominant, en dépit même des réactions provoquées par le défi russe, a été l’anticolonialisme passionnel des participants, particulièrement déchainé contre la France. C’est la France, avec ses pauvres expériences nucléaires au Sahara qui a poussé (Tito dixit) les Russes à reprendre les leurs. C’est la France qui a commis à Bizerte l’agression que l’on sait sur l’innocent Bourguiba.
Au lieu de plaindre la France qu’on l’ait mise dans ces situations ridicules, on l’accuse « d’impérialisme colonialiste ». Cette hargne presque universelle chez les Afro-Asiatiques est-elle sincère ? Il voudrait mieux croire qu’elle est feinte et que c’est un moyen commode et sans risque de s’entendre entre eux, car s’ils étaient sincères, ce serait à désespérer de trouver jamais une faculté de raisonnement commune entre les hommes.
Birmanie
La Birmanie, dirigée par le sage U Nu, lui-même moine bouddhiste, vient d’être proclamé Etat religieux. A la Conférence de Belgrade, U Nu a été le seul à déplorer la haine des races. La Birmanie au surplus est le seul pays sous-développé qui ne se laisse pas entraîner dans l’expansionnite et refuse plus ou moins l’aide offerte par les deux camps. L’attrait du bien-être passe après le salut des âmes et l’état de sous-développement convient mieux, selon les dirigeants birmans, à l’assurer que la course au progrès matériel. Américains, Russes et Chinois sont surpris du dédain que rencontrent leurs offres d’assistance. Un Etat qui veut demeurer neutre doit éviter que le pays ne soit l’objet et le théâtre des rivalités étrangères. La pureté et la sagesse se trouvent ainsi conciliées. Exemple unique qui prend tout son relief des conflits de l’heure présente.
CRITON