Criton – 1962-06-23 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-06-23 – La Vie Internationale

 

L’évolution algérienne domine évidemment les autres problèmes, au demeurant sans grand relief. Pas de fait notable. La machine diplomatique autour de l’adhésion britannique au Marché Commun, tourne autour des mêmes obstacles. Il semble cependant que MacMillan a joué sur le succès des pourparlers de Bruxelles son avenir politique et celui de son parti, en posture assez difficile comme nous l’avons vu. En présentant aux électeurs, ce grand pas franchi, il espère leur apporter le renouvellement de leur destin auquel ils aspirent de façon confuse et dissiper leur mauvaise humeur. Reste à savoir si la voie choisie est bonne. Les avis sont partagés là-dessus.

 

L’Evolution de l’Afrique Noire

L’actualité immédiate laissant quelque répit, il est opportun de faire le point de l’évolution africaine, maintenant que la fièvre de l’indépendance s’est apaisée. Difficultés et désillusions n’ont pas manqué. Des groupements se sont essayés. Beaucoup d’idées ont été remuées pour définir les moyens d’arriver à un équilibre durable qui permettrait de sortir les Etats africains de leur sous-développement. La formule magique se fait attendre. En devenant indépendants, ils comptaient suivre la voie tracée par Tito, Nasser et Nehru, user de la rivalité des deux blocs et vivre de leur assistance en jouant de surenchères. Mais les pèlerinages à Moscou leur ont montré que, de ce côté, il ne fallait pas beaucoup attendre. Krouchtchev le leur a clairement dit. Les moyens des pays de l’Est sont désormais trop limités. A Washington, les chefs africains ont trouvé une audience attentive et favorable à une condition, qu’ils s’aident eux-mêmes et que dans ce cas seulement on leur fournira les moyens.

Car l’Occident a fini par reconnaître que l’aide aux pays sous-développés était gaspillée, voire stérile, à moins qu’elle ne suscite un effort correspondant des bénéficiaires. Et c’est toute la difficulté. Peu de cadres administratifs efficaces, une corruption sans borne, une masse routinière, peu portée à l’effort et dans l’ensemble sans aspirations. L’Africain est habitué à être dominé par la nature. Il en conjure les maléfices  par les incantations rituelles. Il ne conçoit pas qu’il doive faire l’effort de la dominer lui-même par des moyens techniques. L’essentiel du problème des sous-développés est donc l’éducation. Pour cela, il faut du temps et le temps presse si l’on ne veut d’ici là retomber dans la primitivité.

A travers la multiplicité des conférences, les palabres du Caire, les débats de l’O.N.U., on sent très bien que les pays africains ont pris conscience de leur état. L’anarchie congolaise n’est plus sanglante mais l’inflation, le déficit des échanges extérieurs, l’incohérence administrative demeurent ou s’aggravent. Au Ruanda-Urundi, territoire jusqu’ici administré par les Belges, le départ de ceux-ci devra être retardé, si l’on veut éviter une guerre d’extermination entre tribus. Au Nigéria, les dirigeants des trois provinces ne peuvent  s’accorder ; des troubles ont éclaté. Derrière la façade dictatoriale, au Ghana et en Guinée, le désordre économique et financier a fait baisser le niveau de vie. Presque seuls les anciens territoires français se défendent à peu près d’une régression. Dans cette confusion un sentiment de modération domine. La flamme de l’anticolonialisme ne jette plus d’éclat. On redoute même, sans l’avouer, à l’O.N.U., de voir de nouvelles indépendances allonger la liste des pays troublés.

 

L’Autonomie du Transkei en Afrique du Sud

Là-dessus, une délégation de l’O.N.U. a fait le voyage de Pretoria et a osé déclarer publiquement sa satisfaction des entretiens qu’elle eut avec Verwoerd et les Ministres sud-africains, les tenants de sa ségrégations dite « apartheid ». L’Afrique du Sud a entrepris une œuvre dont on est bien obligé de tenir compte surtout si elle réussit. Elle va accorder par étapes l’autonomie puis l’indépendance au premier des Etats noirs, le Transkei, peuplé d’un million et demi d’autochtones. Elle lui en fournira les moyens, de gros crédits et surtout de multiples formes d’assistance éducative et technique.

Il est certain que le premier pas vers une fédération d’Etats, les uns noirs, l’autre blanc, séparés mais solidaires dans une politique économique et internationale commune épargnerait à ce riche et vaste ensemble sud-africain, les convulsions dont il semblait menacé par les antagonismes raciaux. Après avoir été l’objet d’une malédiction unanime, la politique des dirigeants sud-africains est aujourd’hui suivie avec une attention pas encore bienveillante, mais objective. Il est regrettable que l’on n’ait pas cherché ailleurs une formule du même genre, bien des drames auraient peut-être été évités.

Au reste, la proclamation du principe de l’autonomie du Transkei a été très favorablement accueillie par les autorités noires locales. On mesurera le changement qui s’est fait dans les esprits en faveur de l’Union Sud-Africaine, si l’on se rappelle que l’agitateur noir, d’ailleurs fort modéré, Luthuli était allé à Oslo l’an passé, recevoir le Prix Nobel aux applaudissements  de tous les anticolonialistes, ex. colonisateurs compris.

 

Le Problème de l’Acier

L’évolution présente de l’économie des grands pays industriels présente une extrême importance en ce qu’elle déroute toutes les prévisions. Finira-t-elle par confondre les bâtisseurs de programmes ? Peut-être pas, car l’erreur est tenace et souvent intéressée.

Nous nous excusons de relater une expérience personnelle : elle est trop instructive pour la taire. Il s’agit de la production d’acier. Ici même et dans des conversations avec des économistes, des banquiers et aussi des spécialistes de la métallurgie, nous faisions valoir que le règne de l’acier était sur le déclin, que le temps n’était plus où la production d’acier était le symbole de de la puissance industrielle et que, bien au contraire, le ralentissement de sa progressions dans l’ensemble de la production était le signe même du progrès technique. On haussait les épaules. Les auteurs du quatrième Plan français n’ont-ils pas assigné à notre production d’acier un objectif en augmentation de 40% d’ici 1966, ce qui est proprement extravagant. Depuis l’automne dernier, les signes d’une régression sont apparus. Aux Etats-Unis, après une brève reprise due aux craintes d’une grève, la production est retombée. En France, la baisse est de l’ordre de 6%. En Angleterre, les aciéries travaillent à 70% de leur capacité. En Allemagne, en Autriche, en Belgique, au Luxembourg, le recul est du même ordre, sinon plus accentué qu’en France.

Crise passagère dit-on. Oui et non. Sans doute, les besoins en acier continueront d’augmenter, mais à une cadence beaucoup plus lente que celle d’autres produits. Il était facile de le prévoir pour deux raisons : la première est l’économie réalisée sur les tonnages employés jusqu’ici dans les fabrications qui l’utilisent grâce au progrès technique et aux alliages de plus en plus résistants. La seconde est la concurrence de plus en plus efficace d’autres matières, l’aluminium en particulier et surtout les plastiques qui envahissent tout, même le domaine de l’acier et de la fonte, construction et canalisations entre autres.

Or, malgré la contraction actuelle de la demande, les difficultés des producteurs, les hauts-fourneaux qu’on éteint, on voit la C.E.C.A. encourager la construction de nouveaux établissements. Ajoutons que le phénomène se produit dans une période de haute conjoncture moins brillante sans doute qu’au cours des précédentes années, mais encore ascendante dans l’ensemble. Si une crise, même modérée, intervenait prochainement, ce qui est fort possible, que ferait-on de ces plans d’expansion inconsidérés ?

 

                                                                                                         CRITON

Criton – 1962-06-16 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-06-16 – La Vie Internationale.

 

N’était le drame qui afflige notre pays, la situation internationale pourrait être regardée avec optimisme. Prise dans son ensemble, la position du monde libre est solide et le rapport des forces lui est de plus en plus favorable. Les divergences qui se manifestent entre alliés occidentaux en sont plutôt le signe. En effet, la cohésion qui se resserre devant le péril se détend à mesure qu’il s’éloigne. Il est normal que chacun revendique alors plus d’avantages au sein de la coalition. Autre symptôme favorable : les deux points que l’on a coutume d’appeler névralgiques, Berlin et le Sud-Est asiatique n’alarment plus autant. On a cessé de prendre au tragique les incidents autour du mur dit de la honte. Les pays satellites du plan de Varsovie, réunis en conférence, ont même approuvé la poursuite des négociations entre l’U.R.S.S. et les U.S.A. On ne parle plus d’échéance, encore moins d’ultimatum pour le règlement de la question allemande.

 

L’Accord des Trois Princes au Laos

Au Laos, les trois Princes à nouveau réunis, se sont enfin accordés du moins en principe, c’est-à-dire que les Etats-Unis ne leur laissaient pas d’autre choix, et leur aide financière au pays va reprendre. Les troupes américaines déployées en Thaïlande sont en mesure de franchir la frontière laotienne si la trêve n’était pas observée par les forces communistes. Leur présence sur les bords du Mékong doit assurer la permanence d’un Laos neutre. Cette menace de la part des Américains de faire respecter les accords, au besoin par la force, aurait paru dangereuse il y a quelques mois, téméraire même. Les difficultés économiques de l’U.R.S.S., la disette chez les satellites, les émeutes de Canton devant le spectre de la faim, ont brisé toute velléité d’aventure à l’Est. Les Etats-Unis vont de l’avant.

 

Krouchtchev et le Marché Commun

D’autre part, l’U.R.S.S. et ses satellites réunis à Moscou ont examiné leur politique économique dans le cadre de ce qu’on nomme le « Comecon », c’est-à-dire ce qui devrait être le Marché Commun de l’Est. On ne sait rien des délibérations. Les résultats ne doivent pas être d’importance puisque cette conférence a été écourtée. Mais elle a été l’occasion pour Krouchtchev, de s’en prendre au Marché Commun, instrument de l’impérialisme, a-t-il dit, dirigé contre les pays épris de paix, objet de la conjuration des monopoles capitalistes, etc… Il a même lancé l’idée d’une conférence économique internationale qui réunirait les deux mondes. Cette proposition n’a pas eu grand écho. Au train où vont les conférences, où l’Est et l’Ouest se rencontrent, on ne voit pas ce qui pourrait sortir de celle-là. Au surplus, on comprend mal pourquoi Krouchtchev s’en prend au Marché Commun qui ne le gêne guère dans ses relations commerciales, bien modestes avec les pays qui le composent. – Propagande, sans plus.

 

La Politique Pétrolière des Soviets

Un petit fait qui, d’ailleurs, va à l’encontre de ces diatribes khrouchtchéviennes ; l’U.R.S.S. se dispose à relever le prix du pétrole qu’elle vendait jusqu’ici en Occident, surtout en Italie et en Suède, sensiblement au-dessous du prix mondial. Voilà qui réjouit les grandes Compagnies inquiètes de la concurrence soviétique. Est-ce le prélude à un accord analogue à celui que l’U.R.S.S. a conclu pour le commerce des diamants avec le monopole De Beers ? Il se peut. Les Soviets ont besoin de devises fortes et se demandent s’ils n’ont pas intérêt à tirer le maximum du seul produit de grande utilisation dont ils ont à vendre, plutôt que de lutter contre le cartel international qu’ils n’ont aucune chance d’abattre. Et puis il y a ceux du tiers monde qui veulent vendre leur pétrole au mieux et qu’une guerre des prix indisposerait à l’égard de l’U.R.S.S.. Cela s’est déjà vu pour le marché de l’étain.

 

Les Crises Politiques dans le Monde

Si la position du monde libre vue sous l’aspect du rapport des forces s’affirme, il n’en est pas de même du politique, ni de l’économique. Rien de dramatique sans doute, mais beaucoup d’instabilité où qu’on regarde la situation politique des grands et des petits pays, on ne voit que nuages, Angleterre, Allemagne fédérale, Espagne, Portugal, Italie, France aussi, en Europe. Au-delà, la Turquie, la Syrie, le Nigeria, l’Argentine, le Brésil, partout l’autorité présente s’affaiblit et se discute. Aux Etats-Unis même, les critiques s’amplifient. On ne peut parler de toutes les crises ouvertes ou latentes.

 

Les Trois Partis Britanniques

C’est en Angleterre que le malaise actuel présente le plus d’intérêt pour nous, car, qu’on le veuille ou non, l’orientation politique anglaise affecte le Continent, surtout à l’heure où nos voisins débattent de graves décisions. L’Angleterre donc est divisée non plus en deux, mais en trois, ce qui est sans précédent. Le parti conservateur, usé par le pouvoir et ses contradictions internes. L’Angleterre donc est divisée non plus en deux, mais en trois, ce qui est sans précédent. Le parti conservateur, usé par le pouvoir et ses contradictions internes, perd du terrain comme le montrent amplement les élections partielles récentes. Le parti travailliste déchiré aussi et sans autorité reconnue souffre de la désaffection de sa clientèle. Celle-ci a changé, de classe pauvre elle est aujourd’hui classe moyenne et représente une majorité. C’est elle qui vient de donner au vieux parti libéral, après une longue éclipse, une vitalité nouvelle. Il s’affirme à chaque élection et a enlevé des sièges là où il avait presque disparu. Partout, il talonne les anciens leaders.

S’agit-il de votes de protestation qui se déroberont dans une élection générale où le candidat qui a le plus de voix l’emporte sans appel ? Ou bien l’Angleterre connaîtra-t-elle une compétition triangulaire ? La vie publique du pays en serait alors bouleversée. Il faudrait pour cela que le parti libéral rajeunisse un programme qui séduise la classe moyenne. Là réside la difficulté. Les libéraux optent pour le Marché Commun, mais l’opinion est très également partagée là-dessus. Quant aux remèdes à la stagnation économique on les a tous essayés et personne n’en conçoit de nouveaux qui soient efficaces, même en théorie. C’est le paradoxe de ce temps. Jamais on ne s’est tant proposé d’agir : plans et décrets se multiplient. L’évolution naturelle nivelle tout cela. Du reste les structures en Angleterre sont plus rigides encore qu’ailleurs et ne peuvent supporter que des corrections légères.

 

La Situation du Dollar

Les Américains sont, de leur côté, toujours préoccupés de la situation du dollar sur les marchés internationaux. La devise, jadis reine, demeure au point de soutien. Toute crise a été évitée de ce côté grâce à la coopération des banques centrales et des instituts monétaires. Une solidarité exemplaire s’est manifestée pour éviter les à-coups d’une monnaie ou d’une autre. On est ainsi armé contre ce que l’on est convenu d’appeler la spéculation, bouc émissaire de toutes les mauvaises politiques, mais le mal qui ronge le Dollar et aussi la Livre n’en est guéri pour autant. Là encore on se demande que faire. Les remèdes existent ; ils sont même incontestés. Mais ne seraient-ils pas plus graves que le mal ? Réduire l’aide extérieure, contrôler les investissements américains à l’étranger, élever le taux d’intérêt, etc…

  1. Douglas Dillon, le grand argentier, ne peut avec raison se résoudre à les appliquer. Il compte que grâce à un commerce international libéralisé, l’équilibre se rétablira peu à peu ; grâce aussi aux mesures fiscales envisagées par Kennedy pour l’an prochain ; réduction d’impôts, amortissements accélérés pour les sociétés des branches les moins favorisées. Peut-être, si…. Il y a un point que dans son tour d’Europe il a souligné, à notre sens avec une pleine justification. Il a critiqué le fonctionnement étroit et archaïque du marché des capitaux sur les places européennes, alors que le marché américain fonctionne largement et sans restriction. Pourquoi les entreprises et les organismes vont-ils emprunter sur la place de New-York, contribuant ainsi à provoquer des sorties de dollars, alors qu’elles pourraient le faire chez elles, si le marché des capitaux était libre et bien organisé et bien pourvu. Les monnaies européennes étant convertibles, les capitaux devraient circuler sans entraves. Nous en sommes loin. C’est là un très gros problème sur lequel justement on pourrait agir, si l’on voulait. Mais précisément veut-on ?

 

                                                                                                       CRITON

Criton – 1962-06-09 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-06-09 – La Vie Internationale

 

Comme pendant la précédente, cette semaine est dominée par les problèmes économiques. La politique, avec ses conférences, ses débats, ses discours et ses visites d’hommes d’Etat, suit son cours habituel sans marquer de changements notables.

 

Après l’Orage Boursier

Après les violents remous des bourses de valeurs, les échanges se sont plus ou moins équilibrés ; la panique était injustifiée, un retour à l’optimisme tout au moins prématuré. Les avis diffèrent à New-York, et sur les causes de cette alerte, et sur les moyens d’en prévenir le retour. L’administration Kennedy soutient, chiffres à l’appui, que la situation des Etats-Unis est saine, que les progrès sont modestes mais incontestables et qu’il ne s’est agi que d’une correction un peu brutale, mais normale, d’une hausse exagérée des cours que seule la perspective d’une inflation continue pouvait justifier. L’équilibre du budget, la stabilité des prix, la contraction des marges bénéficiaires des industries commanderaient une évaluation plus raisonnable du rapport entre les bénéfices à attendre et la capitalisation des affaires, ce qui s’est produit.

On admet cependant qu’il faut agir de quelque manière pour relancer l’expansion. Les démocrates préconisent une réduction des impôts directs, même au prix d’un déficit budgétaire et une politique plus hardie dans l’ordre social et des travaux publics. Mais le Gouvernement craint, avec raison, qu’un tel programme ne se traduise par un autres accès de faiblesse du dollar et de nouvelles sorties d’or, quand la monnaie américaine a encore besoin d’un soutien constant sur les places étrangères. Les républicains voient dans la faiblesse récente de Wall Street, l’expression d’une crise de confiance entre l’administration Kennedy et le monde des affaires et de la crainte d’une intervention perpétuelle de l’Etat dans la formation des prix, c’est-à-dire une atteinte au système de libre entreprise comme l’a montré l’opposition de Kennedy au relèvement du prix de l’acier. Il faut donc rétablir la confiance en laissant les entreprises définir leur politique comme elles l’entendent. La prospérité est à ce prix.

On voit par ces réactions reparaître un vieux débat, toujours le même, entre ceux qui croient à la règlementation et ceux qui la repoussent. Les uns et les autres ont à la fois tort et raison, chacun a un point de vue différent. Ce qui est sûr, c’est que les possibilités d’action du gouvernement sont actuellement très limitées, parce que l’essor de l’économie américaine est freiné d’un côté par la fragilité du dollar, de l’autre par l’écart considérable entre le niveau de vie aux Etats-Unis et chez leurs concurrents. Il faut le répéter, car dans les polémiques entre partis, on taît bien souvent l’essentiel.

 

La Hausse des Prix de l’Alimentation en U.R.S.S.

Comme pour faire pendant à la crise boursière américaine, l’U.R.S.S. a eu son coup de théâtre : la hausse par décret du prix de la viande de 30% et du beurre de 25% à partir du 1er juin. A en juger par les arguments embarrassés des dirigeants pour justifier pareille mesure, on devine quelle surprise désagréable elle a pu être pour les travailleurs soviétiques. Comme prélude à la réalisation du communisme annoncé à grand bruit par le XXII° Congrès, on attendait autre chose.

 

Aperçu du Prix de la Vie en U.R.S.S.

La hausse ainsi décrétée, met en fait les bas morceaux de bœuf à 1.100 anciens francs le kilo et le beurre à 2.000 au cours du change. Ces mesures ne toucheront, comme toujours, que les acheteurs les plus pauvres, car dans les magasins d’Etat, on ne trouve que la qualité inférieure, quand il y en a, avec le gras et les os. Les bons ne se trouvent qu’au marché kolkhozien ou au marché noir à des prix au moins doubles.

Si cela peut intéresser nos lecteurs, voici les prix pratiqués à Moscou, relevés au 1er juin par Arrigo Levi : veau sans os au marché libre 3.200 le kilo, sucre 560 qui a baissé de 5%, les tomates 5.500 le kilo, les œufs 70 francs pièce, les oranges 800 frs le kilo (et l’on faisait ce jour-là la queue pour en avoir), la salade 1.100 le kilo, les concombres 2.400. Ces prix à mettre en regard d’un salaire moyen mensuel – chiffre officiel – d’environ 38.000 anciens francs, (70 roubles à 538 anciens francs).

Pour faire accepter ces nouvelles hausses, Krouchtchev en rend responsable les Américains qui obligent les Russes à consacrer des sommes énormes à l’armement. Si ce n’est la faute des U.S.A., c’est bien, en effet, la course aux armements qui est la cause de cette décision, ce qui confirme ce que nous disions précédemment sur son coût croissant, pour ne pas dire vertigineux.

Les Américains peuvent s’offrir des canons et du beurre, les Russes pas.

 

Le Relèvement du Prix Payé aux Producteurs

L’autre raison invoquée par Krouchtchev pour justifier la hausse des prix de la viande et du beurre est la nécessité d’offrir aux paysans un prix plus élevé pour ces produits afin de les inciter à produire davantage et amener l’abondance promise, c’est-à-dire que l’Etat les payera plus cher, mais que le consommateur devra faire les frais de l’opération parce que l’Etat ne le peut pas, sans réduire ses dépenses pour l’industrie et l’armement. Reste à savoir si, comme le promet Krouchtchev, cette rémunération supplémentaire va développer la production au point de supprimer le marché noir. Jusqu’ici, en effet, au prix où les kolkhoses vendaient leurs produits à l’Etat, ils le faisaient à perte. Plus ils produisaient plus la perte était élevée, la quantité supplémentaire ne compensant pas le manque à gagner initial. Or, si maintenant les paysans peuvent augmenter leurs salaires en produisant davantage, il faut que l’Etat leur en donne les moyens, sous forme d’engrais et de machines agricoles et cela suppose des investissements considérables qu’il faudra faire au détriment des autres branches de l’industrie, sinon, il est à craindre que ce tour de vis supplémentaire, surtout si l’on tient compte de l’accroissement annuel de la population à nourrir, ne change pas grand-chose dans l’avenir proche.

 

Le Crépuscule des Grands Hommes

En tout état de cause, cet événement contribuera à l’affaiblissement du prestige de Krouchtchev, déjà sensible comme nous l’avons vu à d’autres signes. C’est d’ailleurs ce qui caractérise la phase actuelle de la politique internationale : le crépuscule des grands hommes, jeunes et vieux, atteints l’un après l’autre dans l’opinion éclairée par leur impuissance et leurs échecs. Kennedy, MacMillan, Adenauer, Krouchtchev pour n’en pas nommer d’autres.

 

Les Discussions en Chine

Il faut y ajouter les dirigeants Chinois que la tragique disette du pays a atteints et qui, dit-on, se déchirent entre eux : Mao Tsé Tung qui depuis longtemps déjà demeure une figure et un mythe mais ne paraît plus exercer grand pouvoir ; Chou en Laï qui représente la faction modérée et qui a imposé l’arrêt du bond en avant et Liou Shaï Chi, considéré comme un dur, qui a dû s’incliner devant les conséquences de l’échec des « communes du peuple ». Ces crises internes répétées dans le bloc de l’Est ont eu pour effet d’atténuer les soi-disant divergences doctrinales dont on ne parle plus que dans les discours officiels – pour ne pas les laisser oublier des militants. Krouchtchev vient de publier, sans réaction du côté chinois, sa réconciliation avec Tito qu’il a même invité à faire un séjour en U.R.S.S. tandis que les dirigeants albanais, qui se font plébisciter en ce moment, continuent tranquillement à invectiver les révisionnistes Tito et Krouchtchev toujours mis dans le même sac. La phraséologie coule à plein bord, le disque de la propagande continue de tourner mais les préoccupations sont ailleurs : que sera la récolte ? Mangeront-ils ?

 

                                                                                      CRITON

Criton – 1962-06-02 – La Baisse des Marchés Financiers

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Le Courrier d’Aix – 1962-06-02 – La Vie Internationale

 

Si l’on exempte le drame qui accable la France, les nouvelles d’ordre politique dans le monde sont de plus en plus négligeables. Les deux grands s’accordent une trêve et les querelles des petits en subissent l’effet.

 

La Baisse des Marchés Financiers

Par contre, dans l’ordre économique on ne peut négliger la tourmente qui secoue les marchés financiers, celui de New-York en particulier, imité ou suivi par tous les autres. Une tradition bien établie fait de la bourse des valeurs un baromètre. Lorsqu’il est comme aujourd’hui à la tempête, cela signifie que les progrès de l’économie sont remis en question et que les plans les mieux établis devront être révisés avant même d’être mis en train. Cela signifie aussi que l’on ne dirige pas à volonté le développement de la production et des échanges et cela quel que soit le régime économique. S’il y avait une bourse à Moscou et à Pékin on peut être sûr qu’elles plongeraient comme les autres.

Comme toujours en pareil cas, il est intéressant de suivre l’avis des augures : tous étaient optimistes il y a à peine un mois. Pris de surprise, leurs prévisions sont embarrassées et leurs explications plus encore. Aux Etats-Unis, on s’efforce de montrer que les affaires demeurent favorables, qu’il s’agit d’une panique du public provoquée sans doute par la querelle de Kennedy avec les dirigeants des aciéries, que tout rentrera dans l’ordre après les élections de novembre. Il se peut. Mais il serait puéril de croire qu’un mouvement de ce genre n’a pas des causes plus profondes.

La moins discutable, comme nous l’avons répété ici, c’est que l’élan frénétique donné à la production en vient maintenant à dépasser les débouchés possibles. Les usines américaines ne tournent qu’à 70% de leur capacité. Les européennes qui avaient un fort retard, butent l’une après l’autre sur cet excès de possibilités. C’est l’Allemagne fédérale qui a été la première touchée, les autres suivront. Le Japon déjà serre les freins. Le résultat le plus concret de cet état de choses est l’exaspération de la concurrence, c’est à qui déversera sur le voisin, fut-ce à perte, le trop plein qu’il ne peut placer.

A cela, les optimistes répondent : les besoins sont illimités. Certainement, mais il leur faut le temps de prendre conscience et forme, et surtout d’assurer leur financement. A moins de s’abandonner à une inflation sans frein, ce qui ne ferait que reculer l’heure des catastrophes comme on le voit dans les pays à essor désordonné, le Brésil par exemple, il ne faut pas anticiper sur les capacités d’absorption de la production qui sont irrégulières et imprévisibles.

 

Les Mouvements Sociaux en Europe

On s’est interrogé aussi sur les raisons des mouvements de grève qui s’étendent un peu partout. Raisons politiques sans doute, comme en Espagne et au Portugal, au moins pour une part. Mais ailleurs ? N’est-ce pas plutôt que les organisations syndicales sentent qu’il est urgent de profiter de la haute conjoncture pour s’assurer des avantages irréversibles avant que le vent n’ait tourné lorsque  le ralentissement du progrès rendra les revendications impossibles à satisfaire.

 

Les Grèves en Espagne

Même en Espagne, le caractère politique des grèves a été exagéré. La condition des travailleurs y était particulièrement défavorable, mais cela ne tient pas au régime. Elle l’était avant et l’est restée parce que la productivité y est basse, les capitaux rares, le pays isolé des grands courants commerciaux par la médiocrité de ses ressources et surtout par la qualité des hommes, les cadres plus encore que la main-d’œuvre.

C’est seulement depuis quelques mois que le monde extérieur financier s’est intéressé à l’Espagne. Après une longue stagnation, le progrès l’a gagnée, modeste mais certain. Il est normal que les travailleurs en exigent leur part. Il aurait été plus sage d’attendre un peu pour ne pas décourager un afflux de capitaux étrangers qui commençaient à prendre confiance. C’est ce qui explique les hésitations du gouvernement de Franco qui avait fondé sa politique économique récente sur cette ouverture vers l’extérieur, qu’il espérait même voir aboutir une association de l’Espagne au Marché Commun, et pour cela il venait de multiplier les décrets de libéralisation financière : rapatriement libre des capitaux et des bénéfices, possibilités pour les étrangers d’acheter et de vendre des valeurs espagnoles, etc.

Il serait à craindre que les grèves, si elles prenaient de l’ampleur, ne compromettent cette tentative. C’est certainement ce que les agitateurs, ennemis du régime, cherchent à provoquer. Il ne semble pas qu’ils y parviendront. Les Espagnols conservent trop vivement le souvenir des drames de 1936 pour donner au mouvement revendicatif un caractère révolutionnaire. Le problème pour le régime est de céder à cette pression – ce qui est inévitable – sans compromettre le redressement amorcé. Mais il est entouré de tant de suspicions qu’il lui sera difficile d’y parvenir. Il est aussi empêché, pour décréter les réformes nécessaires, par les féodalités qu’il a maintenues ou créées et qui ne cèderont pas aisément. Le rôle de l’Eglise est ici capital et elle l’a senti. C’est d’elle que dépend que soient évitées les secousses plus graves que des grèves qui n’affectent au plus que 3  ou 4% de l’effectif total des travailleurs.

 

Pankow Demande un Prêt à Bonn

On a été surpris, et les Allemands de l’Ouest plus que les observateurs étrangers, de la requête du gouvernement de Pankow pour un prêt de quelques 400 milliards d’anciens francs. Il est à première vue plutôt étonnant qu’en pleine crise de Berlin, Ulbricht sollicite de son adversaire une telle libéralité. En réalité – nous le disons ici – les discussions avec Krouchtchev sur l’aide soviétique à la D.D.R. n’ont pas abouti. Les besoins du régime d’Allemagne orientale sont énormes, les exigences russes, de leur côté ne peuvent être satisfaites par les fournitures assez maigres que les Soviets mettent à sa disposition. Force est donc de se tourner vers l’Occident et d’essayer un marchandage, un prêt contre quelque prolongement du statuquo berlinois.

Au moment où l’économie de l’Allemagne fédérale bat de l’aile, ses industriels verraient arriver avec satisfaction des commandes que leur gouvernement financerait et c’est là-dessus qu’Ulbricht compte pour ne pas payer trop cher (en contrepartie politique), les matières premières, les machines-outils, et aussi les vivres pour la population. On compte justement, pour faire passer l’affaire, sur la compassion des Allemands de l’Ouest comblés à l’égard de leurs frères démunis de l’Est. Il sera curieux de voir comment aboutira cette singulière négociation.

 

L’Amérique et l’Europe

Les articles de Walter Lipmann dans le « New-York Herald » sur les relations des Etats-Unis et de l’Europe continentale ont fait quelque bruit. Il soutient que le gouvernement des Etats-Unis a eu raison de refuser à la France les moyens de se construire un arsenal atomique, bien qu’il l’ait fait pour l’Angleterre. Au surplus, dit-il, les Anglais ont déjà renoncé à suivre la course des fusées et engins spatiaux parce que trop onéreuse et le temps est proche où leur armement nucléaire, bien que considérable, sera démodé et cela avant même que la France en arrive au stade où en sont les Anglais aujourd’hui. Au reste, dit-il encore, une faible force nucléaire en Europe, met la paix en danger bien plus qu’elle ne l’assure, car elle serait susceptible de provoquer une guerre sans être capable de la gagner et ce sont les Etats-Unis qui seraient entraînés et contraints de l’achever. Aussi déconseille-t-il à MacMillan d’échanger à Paris ses secrets atomiques contre l’accession de l’Angleterre au Marché Commun. Ces arguments ont leur valeur, car il est sûr que tôt ou tard, les Européens engagés contre tout bon sens dans la course atomique seront obligés financièrement d’y renoncer.

 

Les Etats-Unis et le Marché Commun

Par ailleurs, Lippmann révèle, s’il en était besoin, le dessein des Etats-Unis d’étendre le Marché Commun à une zone aussi vaste que possible de bas tarifs, indispensable pour que les Etats-Unis gagnent les dollars nécessaires pour financer leurs engagements dans le monde. Si Paris et Bonn persistent à faire du Marché Commun une zone réservée et protégée, les Etats-Unis ne pourront plus assurer la défense du Continent européen à cause du déficit persistant de leur balance des paiements.

Nous ne pensons pas que le gouvernement Kennedy présente le marché aussi brutalement : ou bien l’accès au Marché continental européen, ou le retrait des forces américaines ; car la défense de l’Europe est aussi vitale pour les Etats-Unis que la leur propre. Par ailleurs, l’élargissement du Marché Commun à l’Angleterre et au Commonwealth ne résoudrait nullement le problème du déficit américain. Peut-être l’atténuerait-il ? Peut-être au contraire, l’intensification de la concurrence entre européens aboutirait-elle au résultat contraire. On aurait tort de se quereller pour des situations futures que personne, on le voit une fois de plus, n’est capable de prévoir même approximativement.

 

                                                                                                CRITON

Criton – 1962-05-26 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-05-26 – La Vie Internationale

 

Si étonnant que cela semble à la réflexion, le problème le plus débattu est aujourd’hui celui de notre Europe. Crise des relations germano-américaines, conflit intérieur en France entre partisans de l’Europe intégrée et des alliances traditionnelles.

 

Les Différends entre l’Europe et les Etats-Unis

A première vue, ces controverses paraissent académiques et le Chancelier Adenauer en deux phrases lapidaires a bien résumé la situation : « Il n’y a pas de grande puissance en Europe : sans les Etats-Unis, nous cesserions tous d’exister ». Cela dit, les polémiques ne sont, pour retourner le mot, que des sautes d’humeur car l’Europe demeurera pour un temps indéfini sous la protection des U.S.A. ; quant à l’intégration européenne, si elle doit un jour se faire, ce n’est peut-être que l’œuvre d’une ou plusieurs générations, car si les problèmes économiques évoluent rapidement, les esprits et les mœurs suivent avec beaucoup de retard et l’Europe fédérée, à la manière de la Suisse, devra être imposée par les peuples aux gouvernants qui par eux-mêmes n’y parviendraient jamais, si tant est qu’ils le veuillent.

 

L’Angleterre et le Marché Commun

Ces différends entre Européens et Américains sont compliqués et même provoqués par la question centrale : l’admission de l’Angleterre au Marché Commun. Comme prévu, les négociations sont de plus en plus difficiles à mesure qu’on s’avance des principes aux détails. Il serait exagéré de prétendre, comme on le fait, que l’obstruction vient des politiques, c’est-à-dire surtout de la France et même de l’Allemagne, ou tout au moins de leurs chefs. Les structures économiques de l’Angleterre sont très différentes de celles des continentaux. Il est inutile d’énumérer une fois de plus tout ce qui les oppose. Pour les harmoniser, il faut que les unes et les autres s’adaptent, c’est-à-dire qu’une des parties, les Six ou l’Angleterre, bouleverse les siennes. Si MacMillan était de bonne foi en demandant l’adhésion de son pays au Marché Commun, il ne pouvait ignorer que même une bonne volonté réciproque ne suffirait pas. Une harmonisation faite de concessions réciproques non plus. Il ne s’agit pas d’un ajustage, mais d’une opération et, au point où en sont les accords entre les Six, c’est à l’Angleterre de la faire du côté du Commonwealth et du côté de son agriculture – sans préjudice, bien entendu de la question politique. Il ne saurait y avoir de politique commune européenne si l’Angleterre en fait partie, encore moins d’Europe fédérale. M. Spaak lui-même ne convient.

 

L’Intérêt des Etats-Unis

Mais ce n’est pas tout, et nous entendions enfin, ces jours-ci, des Anglais reconnaître que si les Etats-Unis ont poussé l’Angleterre à s’intégrer à l’Europe continentale, c’est parce que les pays du Commonwealth, une fois détachés de ce qui est encore économiquement leur Métropole, s’ouvriraient davantage au commerce et à l’influence des Etats-Unis qui, par ailleurs, par l’entremise d’une Angleterre attachée au Continent, n’auraient plus à redouter qu’il cherche à lui échapper.

En résumé, pour le moment, l’Angleterre reste et restera peut-être une île.

 

Le Débarquement Américain en Thaïlande

Les Américains ont donc débarqué sans encombre en Thaïlande et Krouchtchev a attendu la fin de son voyage en Bulgarie pour protester avec d’autant plus de vigueur que l’opération était chose faite. Or il n’ignorait rien, ni des préparatifs, ni des intentions des Etats-Unis. Ils étaient publics.

 

La Réaction de l’Opinion Américaine

A cet égard, il est intéressant de souligner que le public américain a accueilli sans émotion cette opération qui, quelques mois plus tôt, l’aurait secoué ; l’opinion américaine change très aisément. Il y a un an, c’était la fièvre des abris antiatomiques, qu’on faisait construire partout par peur d’une guerre nucléaire, et d’astucieux industriels comptaient y réaliser une fortune. Ils sont tous en faillite. Depuis l’exploit de Glenn, les Américains sont rassurés : quoi que fasse Kennedy en Asie, la guerre n’aura pas lieu et l’on accepte avec sérénité que les boys débarquent en Thaïlande. C’est passer d’un extrême à l’autre, car l’engrenage sud-asiatique n’est pas de tout repos, même si les Russes n’y font pas obstacle.

 

L’Enigme de Hong-Kong

La Chine de Pékin a protesté à retardement aussi. Sans doute pour d’autres raisons, car cette Chine toujours mystérieuse est plus que jamais une énigme. Depuis peu, un nouveau problème a surgi à Hong-Kong. On sait que cette petite île, colonie britannique, est la terre promise des réfugiés chinois. Un million s’y sont enfuis depuis trois ans qui y ont trouvé asile. Mais cette invasion présente de terribles difficultés : logement, ravitaillement, pénurie d’eau surtout. Jusqu’ici cependant, les arrivants, exténués et traqués, ne venaient qu’un par un ou en petit groupe. Depuis peu, c’est par milliers. Les autorités de Pékin qui montaient la garde aux frontières et sur mer, ont cessé de s’opposer aux départs. Même des soldats, par compagnie, tentent de pénétrer à Hong-Kong, et ce sont les Anglais qui doivent les refouler, 40.000 personnes campent devant les barbelés et ce sont des drames chaque fois que la police britannique leur refuse le passage.

Comme il s’agit surtout d’hommes jeunes et valides et qui ne paraissent pas comme les précédents avoir souffert la faim, on se demande si ce n’est pas à dessein que les autorités communistes les laissent faire pour obliger les Anglais à les repousser ; ou, s’ils ne le font pas, pour rendre la vie impossible à Hong-Kong même. On a émis une autre hypothèse : les provinces du Sud sont peu dociles au gouvernement de Pékin et l’on craint des révoltes. Il y en aurait eu déjà. Laisser partir les éléments les moins sûrs serait un moyen de s’en débarrasser ou de les décourager si la porte leur était fermée. Il se pourrait aussi tout bonnement qu’il s’agisse d’un mouvement spontané de migration qui s’empare des foules quand l’existence qu’on leur fait est trop difficile et que les autorités n’ont pas le pouvoir d’arrêter.

 

Israël et le Gabon

 

Tandis que M. Modibo Keita, chef d’Etat du Mali, ex-Soudan français est reçu en grande pompe à Moscou, avant d’aller à Prague et à Berlin-Est, c’est encore au curieux développement des relations d’Israël avec l’Afrique Noire que nous assistons avec le traité d’amitié perpétuelle signé ces jours-ci entre la petite République et Mme Golda Meir ministre des affaires étrangères d’Israël. On s’y promet de nombreux échanges économiques et culturels et en particulier l’envoi de jeunes Gabonais à Tel-Aviv pour s’y instruire. Le choix d’Israël pour l’éducation des noirs d’Afrique ne fait pas plaisir à Krouchtchev. Il y a fait allusion dans son dernier discours à sa manière, sans nommer personne mais il ne laisse aucun doute sur ceux qu’il vise. Les déboires de l’U.R.S.S. en Afrique noire l’ont vexé. On se rappelle le «  Rira bien qui rira le dernier » à propos du Congo ex-belge. Que les noirs lui préfèrent l’Amérique, passe encore, mais qu’on choisisse le socialisme israélien et la technique de ce petit peuple, plutôt que les siens, cela touche son amour propre. Il n’a pas caché que désormais ceux qui se réclament du socialisme sans adopter la formule soviétique, ne pourraient plus compter sur son assistance. Il semble bien que les intéressés ont déjà décidé de s’en passer.

                                                                                       CRITON

Criton – 1962-05-19 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-05-19 – La Vie Internationale

 

La rupture de la trêve au Laos et la poussée des forces communistes sur le Mékong aux frontières de la Thaïlande vont, dans les prochains jours, fournir un test des relations entre les Etats-Unis et l’U.R.S.S.

 

La Rupture de la Trêve au Laos

Il faut ici envisager deux hypothèses ; ou bien cette reprise des hostilités est un moyen de persuasion tacitement accepté par les deux puissances pour forcer les trois princes laotiens à former un gouvernement de coalition neutraliste – ce que jusqu’ici ils n’ont pas réussi à faire, – sans qu’on puisse savoir si ce sont les Occidentaux avec Boun Oum actuellement au pouvoir qui s’y sont refusés malgré les pressions des U.S.A., ou si ce sont les Communistes avec Souvanavong, appuyés par Pékin, qui ont fait échouer les pourparlers. L’autre hypothèse serait que l’offensive du Patet Lao se ferait contre le désir des Soviets, sous la seule instigation des Chinois avec l’aide volontaire ou forcée d’Ho Chi Min. Comme la politique dans cette région du monde est complexe à l’extrême et souvent contradictoire, il se pourrait encore que les Soviets laissent faire le Patet Lao pour compromettre les Etats-Unis et les contraindre à agir ; c’est-à-dire leur laisser le soin de contenir la poussée communiste, ce qui permettrait à leur propagande de crier à l’impérialisme tout en arrangeant leurs propres affaires.

 

L’Intervention Américaine

Ce qui pour l’instant est certain, c’est que les Etats-Unis ont pris la décision d’envoyer dans les parages leur flotte et leurs « marines ». Comme au Sud-Viet-Nam, la  puissance militaire américaine s’engage chaque jour un peu plus dans la guérilla d’Extrême-Orient, sans que les Russes de leur côté interviennent autrement qu’en parole et encore avec une relative discrétion. Sauf dans leur presse, à l’usage intérieur.

 

Les Contacts Russo-Américains

Pendant ce temps, les bons procédés se succèdent entre Russes et Américains. Titov, l’astronaute, poursuit sa tournée aux Etats-Unis. Le porte-parole de la Maison Blanche pour la presse, Pierre Salinger, est à Moscou, hôte de son homologue Adjoubeï, rédacteur en chef des « Izvestia » et gendre de Krouchtchev. Les trois hommes ont fait ensemble une partie de campagne et les conversations diplomatiques Rusk-Dobrynin sur Berlin, continuent à Washington.

 

La Querelle de la Nouvelle-Guinée

Troisième test si l’on peut dire : l’affaire Indonésie-Nouvelle-Guinée hollandaise. A part quelques escarmouches, les hostilités restent verbales ; cependant Subandrio, le ministre des Affaires étrangères de Soekarno, est allé à Moscou quérir de nouveaux armements et recevra, lui aussi, quelques pièces démodées de l’arsenal soviétique.

De leur côté, les Etats.Unis ont réveillé le pacte de l’Auzus, c’est-à-dire l’Alliance U.S.A.-Australie-Nouvelle-Zélande. Rusk et les ministres des deux nations ont discuté à Cambera et l’Australie enverra, pour marquer sa solidarité, un bataillon témoin du Sud-Viet-Nam. Bien entendu, c’est en échange du soutien américain dans l’affaire de Nouvelle-Guinée. On sait que l’Australie occupe la partie Sud-orientale de l’île la plus proche de son territoire et n’envisage pas de bon cœur l’installation des Indonésiens dans la partie Nord de l’Ile. Là, la position des Américains est plus difficile encore que sur le continent asiatique. Ils ne peuvent ouvertement soutenir les Hollandais et pas davantage s’attirer le ressentiment de Soekarno. Ils cherchent, sous couleur de médiation, à étouffer le conflit par des manœuvres indirectes et les Russes, sans doute d’accord sur le but, font tout ce qu’ils peuvent pour leur compliquer la besogne. Ce qui importe, c’est que tout ce jeu, qui en d’autres temps aurait mis le monde entier en émoi, n’inquiète plus personne.

 

Le Coût de la Course aux Armements

Pour expliquer le cours actuel des relations russo-américaines, une opinion est généralement émise : les Soviets seraient hors d’état de poursuivre indéfiniment la course aux armements, à moins de sacrifier encore un peu plus le niveau de vie de leurs peuples. Cette thèse s’appuie sur un fait : la progression vertigineuse du coût des nouveaux engins. Cette progression a été constante depuis l’Antiquité, mais depuis peu elle a pris des proportions inattendues. Certains dispositifs nucléaires et spatiaux valent cinq fois plus que ceux qu’on fabriquait il y a seulement deux ans et l’on prévoit davantage pour ceux de demain. Alors les moyens des Etats-Unis et ceux de l’U.R.S.S. deviennent inégaux. Si les U.S.A. ne peuvent plus se permettre de prodiguer les dollars à l’extérieur, chez eux, ils peuvent les gaspiller sans mesure et même avec avantage pour employer leur capacité excédentaire de production et leurs chômeurs. En U.R.S.S., contrairement à ce que l’on croit d’ordinaire, les coûts de production des engins militaires sont aussi élevés qu’aux U.S.A., tandis  que le revenu national atteint à peine le tiers, en étant optimiste. Il faudra donc un jour ou l’autre arrêter les frais et pour cela s’entendre avec les Américains sur une limitation des armements, et dès maintenant préparer les voies.

Nous donnons cette explication pour ce qu’elle vaut. On a déjà tellement usé dans le passé d’un argument de ce genre, qu’à première vue on est sceptique, la puissance germanique s’étant bien faite avec des ressources limitées ; mais la Russie n’est pas l’Allemagne et actuellement l’U.R.S.S., armement mis à part, doit faire face à des difficultés croissantes. On s’accorde à retenir que la progression industrielle en 1961 n’a été que de 4% ce qui est fort peu en regard de celle de l’Europe occidentale et cela malgré un budget qui, comme partout, s’enfle chaque année.

 

Le Nouveau Gouvernement Soviétique

On a remarqué également à propos de la constitution officielle du gouvernement soviétique, certaines nominations inattendues qui montrent un certain flottement dans la direction des affaires et sans aucun doute un affaiblissement du pouvoir personnel de Krouchtchev. Après les attaques dont il avait été l’objet, le vieux Maréchal Vorochilov a été rétabli, sinon dans ses fonctions, du moins dans ses honneurs. Krouchtchev lui a même donné publiquement l’accolade. Madame Furtseva qui avait été « écartée » aux élections du Conseil suprême, a retrouvé son poste de Ministre de la Culture et Ignatov,  exclu du Presidium en 1961, devient chef suprême de l’agriculture et reste vice-président du Conseil. Le comité des collectes agricoles qui selon Krouchtchev devait être supprimé, est maintenu. Ces petites anomalies dans la direction de l’Etat signifient que des compromis s’établissent entre des factions opposées et que les problèmes à résoudre sont assez difficiles pour qu’on soit obligé de faire des concessions à des vues divergentes.

La déstalinisation n’est pas un vain mot.                

 

                                                                                       CRITON

Criton – 1962-05-12 – La Conférence d’Athènes

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Le Courrier d’Aix – 1962-05-12 – La Vie Internationale.

 

La Conférence d’Athènes

 

Contrairement à ce qui se passe d’ordinaire dans les réunions de ce genre, la Conférence de l’O.T.A.N. à Athènes, a permis de faire le point des divergences existant au sein des alliances ; essentiellement de préciser la position des puissances du Continent européen en face de la « coexistence pacifique » qui s’établit entre l’U.R.S.S. et les U.S.A.

 

La Convergence Américano-Russe

Il y a plus d’un an déjà que, à travers des polémiques et des crises artificiellement entretenues, nous signalons ce rapprochement progressif des deux géants prenant de plus en plus conscience de leurs intérêts communs. Primitivement, le terrain d’entente se situait en Extrême-Orient. Américains et Russes craignaient que la Chine ne devînt  un troisième Grand et que ses ambitions, appuyées par une organisation industrielle et militaire, ne s’étendissent à l’Asie du Sud et du Sud-Est et qu’elle ne s’emparât des ressources en matières premières de ces riches régions. Depuis, les terribles difficultés où se débat la Chine, difficultés adroitement accrues par l’U.R.S.S., lui ont, au moins momentanément, fermé la marche en avant. Mais un autre facteur a joué : Russes et Américains ont vu leurs propres problèmes se compliquer et leur puissance devenir de plus en plus contestée.

 

Les Difficultés des Deux Grands

Côté soviétique, la profonde crise agricole, sa stagnation sinon le recul du développement des satellites, marquées récemment encore par les manifestations d’étudiants le 1er mai à Prague, en bref l’échec chaque jour plus évident de l’économie collectiviste, surtout en face du brillant essor des grands pays d’Europe continentale : l’Allemagne fédérale, la France et l’Italie et en conséquence  les doutes qui se répandent partout, en Russie même, sur la valeur du système dont se détournent l’une après l’autre les jeunes nations d’Afrique et même d’Asie. Perte de substance, perte d’influence, affaiblissement idéologique du côté soviétique auquel n’a pas peu contribué la polémique Moscou-Pékin.

Mais les Américains aussi ont perdu, depuis l’automne 1960 et la crise du dollar, beaucoup de leur prestige. Sans doute dans le domaine scientifique et militaire, ils ont assez brillamment remonté la pente. Mais ce facteur perd, à l’usage, de son éclat. On sait que dans ce domaine, tous les pays industriels sont capables de rivaliser. L’exemple de la France l’a montré. Dans l’ordre économique, par contre, les situations ne se rétablissent pas aussi aisément. Les Etats-Unis isolés par leur haut niveau de vie et leurs prix de revient qui en résultent, voient se rétrécir leur capacité de concurrence. Ils se sentent menacés par une crise ou à tout le moins par une stagnation prolongée. La reprise escomptée par Kennedy ne s’est pas accusée et l’espoir d’un progrès satisfaisant et continu s’estompe.

 

Les Pressions Américaines sur le Continent Européen

Mais pour tenter un redressement, Kennedy, constatant que les moyens dont il dispose à l’intérieur sont d’une efficacité très limitée, a cherché à freiner le développement de ses concurrents européens et c’est là qu’il faut chercher l’origine de ces discussions entre alliés atlantiques.

C’est l’Allemagne fédérale qui fut la plus touchée. On lui imposa la réévaluation du mark, une participation importante au financement des pays sous-développés et un réarmement coûteux, d’une valeur contestable. La Hollande, par contrecoup, en souffrit. La France mieux placée résista aux pressions américaines, mais on lui refusa les moyens de son armement nucléaire, et d’autres manœuvres politiques aussi bien qu’économiques de caractères divers ont détérioré les relations franco-américaines. C’est le ressentiment de tout cela qui a éclaté à Athènes. Pour le dire d’un mot : les Continentaux voient que l’accord russo-américain se fait peu à peu sur leur dos et qu’ils devront réviser leur attitude obligés qu’ils sont désormais de ne compter que sur eux-mêmes.

Russes et Américains se partagent le monde en zones d’influence fondées sur l’actuel statuquo, ce que les Continentaux craignaient depuis longtemps. Et surtout, ils s’arrangent pour qu’aucune troisième force, qu’elle soit d’Asie ou d’Europe, ne vienne troubler leur hégémonie ; faute de pouvoir, à cause de leurs difficultés présentes, espérer l’emporter l’un sur l’autre, Russes et Américains, tout en se querellant en tous points périphériques de leurs empires respectifs, éviteront de toucher à leurs positions réciproques. Ils s’accordent un répit et s’entendent pour empêcher d’autres d’en profiter. Tel est en gros le point de vue des Européens sur l’état présent du monde.

 

La Position Anglaise

Quant aux Anglais qui se tiennent à l’écart, leur position n’est pas facile. Elle est même inextricable. Resteront-ils attachés à l’alliance américaine, malgré le peu de profit qu’ils en peuvent attendre ou forceront-ils la porte de l’entente européenne, ce qui comporte des avantages, mais aussi des sacrifices auxquels le Britannique répugne ? Quoi qu’on en dise, et quoi que MacMillan en ait dit lui-même, la décision n’est pas prise. Les Continentaux de leur côté, méfiants, hésitent à accueillir l’Angleterre dans leur groupe. Le passé n’est guère encourageant et les apports d’une association britannique dans leurs affaires ne sont pas certains ; les risques au contraire, le sont.

 

L’Influence d’Israël en Afrique Noire

Un dernier cas, le plus intéressant peut-être : Israël. On annonce pour les prochains mois une impressionnante série de visites de chefs d’Etat africains en Israël : Quatre de l’ancien empire français et Tubman du Libéria. D’autres des Etats anglophones sont venus ou viendront. Il y a plusieurs années déjà, pratiquement dès leur accession à l’indépendance, que les pays d’Afrique noire ont fait l’objet de l’attention des Israéliens et l’exemple de leurs méthodes et de leurs réalisations a fait grande impression sur les dirigeants noirs. Des techniciens israéliens ont été appelés et ils sont un peu partout à l’œuvre. S’ils avaient pu être appuyés par les gros crédits dont les nouveaux Etats ont besoin, il est probable que les Israéliens auraient en Afrique noire une situation plus importante que les Russes et les Américains qui s’y livrent à une rivalité coûteuse et peu efficace. Un exemple presque comique : ce sont des militaires israéliens qui vont instruire les recrues de l’armée de la Côte d’Ivoire ! Ce qui joue en faveur des Israéliens, outre leur habileté, c’est qu’ils sont un jeune peuple menacé et qui ne peut nourrir d’ambitions politiques, comme les Grands. C’est aussi ce mélange de pragmatisme et de socialisme unique en son genre que pratique Israël, et ce sont surtout les Russes qui accusent la concurrence à la fois économique et idéologique. On attribue à tort ou à raison, les récentes persécutions du gouvernement de Moscou contre les Juifs à ces progrès marqués par Israël dans les pays où les Russes avaient des visées. Ce qui est sûr, c’est qu’ils cherchent à discréditer sous le vocable de Sionisme les initiatives israéliennes en pays sous-développés, mais la confiance de ceux-ci dans les méthodes dudit Sionisme n’en est nullement altérée.

                                                                                                 CRITON

Criton – 1962-05-05 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-05-05 – La Vie Internationale.

 

Si l’on s’en tenait aux informations de la presse, on dirait qu’il ne s’est pas passé grand-chose au cours de ces semaines pascales ; les éternelles Conférences de Genève, les visites d’hommes d’Etat suivies des communiqués habituels, les réunions des divers pactes militaires de l’Occident. Cependant l’évolution se poursuit souvent peu visible dont de rares signes émergent et qui trahissent au contraire que beaucoup de choses ont ou vont changer.

 

Le Reprise des Essais Américains

Comme prévu, la Conférence de Genève sur l’arrêt des expériences nucléaires n’a abouti à aucun résultat et les essais américains de bombes A et H ont repris au jour fixé, accompagnés des protestations rituelles. Les Russes auraient pu les arrêter ou les retarder s’ils l’avaient voulu, en faisant rebondir la discussion par quelque offre de compromis. Il est aisé de comprendre pourquoi ils ne l’ont pas cherché et les Américains, de leur côté, rien tenté pour se prêter à un moratoire.

Ces expériences, en effet, sont aussi précieuses pour l’adversaire qui les observe que pour l’autre qui les exécute. Les récents essais russes ont permis aux Américains de savoir où en étaient les Soviets et ceux-ci sont très intéressés de connaître par les essais américains où ceux-ci en sont de leur préparation, ce qui est relativement facile avec les moyens actuels de détection. Rien ne peut arrêter cette course, justement parce que les états-majors, comme les savants, craignent par-dessus tout d’ignorer les progrès des autres.

 

Les Pourparlers sur Berlin

L’autre affaire chronique, celle de Berlin, revêt un aspect assez analogue. Les Russes s’en servent pour tenir tendus les nerfs des Occidentaux. S’ils font montre d’optimisme en ce moment comme Gromyko le laissait entendre, c’est que les conversations entre l’ambassadeur à Washington Dobrynine et M. Rusk leur permettent de juger jusqu’où les Américains consentent à aller dans la voie des concessions ce qui provoque, et l’inquiétude du Gouvernement de Bonn, et le malaise des Berlinois. Entretenir l’espoir d’un règlement c’est aussi accentuer la confusion dans les dispositions de l’O.T.A.N. et les divisions entre Alliés qui vont se manifester à la prochaine réunion de cet organisme à Athènes. La crise de Berlin est trop précieuse pour que les Russes veuillent y mettre fin. Les Américains, semble-t-il, n’ont plus là-dessus d’illusions.

 

L’Annexion Economique de la D.D.B. par les Soviets

Un fait passé inaperçu montre que la politique allemande des Soviets suit un plan qui se réalise par étapes. L’érection du mur de Berlin n’en était que la première phase : sceller la division de l’Allemagne de façon aussi hermétique que possible ; la seconde, c’est une récente et secrète décision de transformer la zone orientale en une dépendance économique de l’U.R.S.S. : le ministère de la planification et les organismes de contrôle de la D.D.R. passent sous l’autorité de la Commission soviétique du plan. Cette décision a été prise à la suite de l’entrevue Krouchtchev-Ulbricht du 28 février dernier. Cela revient en fait à reprendre sous une autre forme les réparations de l’immédiate après-guerre. Depuis, ladite République Démocratique allemande travaillait à façon pour les Russes, ceux-ci fournissant les matières premières, et les ouvriers allemands l’équipement et les machines-outils dont les Soviets avaient besoin. Cependant une part de l’activité de la zone était réservée aux besoins de la population. : Quelques automobiles, des produits textiles, des appareils domestiques. Cette légère marge d’autonomie va disparaître. Ce sont les Russes qui fixeront cette portion qui va être encore réduit pour, aurait dit Ulbricht, ramener le niveau de vie des allemands de l’Est à celui des soviétiques.

Ces mesures équivalent à une annexion pure et simple. Les Russes auront ainsi réalisé le type parfait du colonialisme que les Colonialistes d’Occident, depuis près d’un siècle, avaient peu à peu abolie : l’exploitation intégrale des ressources et de la main-d’œuvre d’un peuple au profit d’un autre. Cela, au surplus, rendra plus que jamais impossible, non seulement la réunification de l’Allemagne, mais les échanges et les contacts entre les deux tronçons de la nation.

 

Le Déclin de l’Economie Tchécoslovaque

A la lumière d’autres faits, on peut se demander si cette nouvelle pression des Soviets sur l’Allemagne de l’Est répond uniquement à des vues politiques et si elle n’est pas commandée plutôt par des besoins d’ordre économique de plus en plus pressants des pays de l’Est en général, et de l’U.R.S.S. en particulier. En dépit des statistiques fabriquées à l’usage des spécialistes, on constate un affaiblissement de la productivité dans les régions les plus industrialisées du bloc oriental et au premier chef en Tchécoslovaquie qui, jusqu’à ces derniers mois, était la vitrine du bloc.

Il y a d’abord la crise agricole qui, comme en Russie, s’est beaucoup aggravée. Les Tchèques, de l’aveu même des dirigeants, ont eu de tristes fêtes de Pâques : œufs, viande, légumes, pommes des terre, tout a été rare et les queues se sont allongées devant les boutiques. L’industrie aussi qui était relativement la plus productive des pays de l’Est, est loin d’avoir réalisé les plans qu’on lui avait assignés. Les usines tournent au ralenti faute de matières premières, l’absentéisme s’accroit dans les mines. L’affaissement du moral des travailleurs est général et les gouvernants n’y peuvent rien. Or l’arsenal tchèque était jusqu’ici le plus important fournisseur de machines et d’armes du bloc. Il travaillait non seulement pour l’U.R.S.S., mais pour tous les pays que celle-ci fournissait d’équipement industriel à des fins politiques : Cuba, la Guinée, l’Egypte, le Maroc, la Tunisie, entre autres. Les besoins ne cessaient de s’accroître et depuis un an les livraisons tardent. L’Allemagne orientale peut, peut-être, y suppléer.

 

La Crise du Système Collectiviste

D’une façon générale d’ailleurs, l’économie collectiviste est en crise, aussi bien agricole qu’industrielle. Ne parlons pas de la Chine où les dirigeants aux abois, qui viennent de se réunir en secret, ne publient même pas de rapports ni de statistiques et son contraints, comme nous l’avons exposé ici, de substituer un bond en arrière au bond en avant qu’ils avaient eu la présomption de publier.

Sauf la Pologne et la Hongrie qui vont plutôt mieux après les secousses des années passées, et la Roumanie qui suit un progrès modeste mais continu, la situation s’est détériorée encore en Bulgarie, comme en Tchécoslovaquie et aussi en Albanie, pour d’autres raisons que l’on sait.

 

En Yougoslavie, les Difficultés de Tito

Mais la Yougoslavie aussi, bien qu’elle ait échappé à l’orthodoxie du Kremlin, subit à son tour les effets du système : malgré les dollars prodigués par les Etats-Unis, Tito est obligé de serrer la vis qu’il avait cru pouvoir relâcher. Dans un discours d’une franchise inaccoutumée, le ministre de l’économie, Todorovic a, devant l’assemblée nationale, jeté le cri d’alarme : l’augmentation de la consommation, et la hausse inquiétante des prix montrent que le pays vit au-dessus de ses moyens. Un retour à l’austérité s’impose, a-t-il dit. De son côté, l’autre responsable politique Kardeli, n’a pas caché dans une sorte d’autocritique, que l’on avait trop détendu l’autorité de l’Etat et qu’il fallait la rétablir et resserrer la discipline. Ce qu’avoue Kardeli – et ses précédents discours le faisaient prévoir – c’est l’échec de ces fameux conseils ouvriers, de l’autogestion des entreprises que le communisme yougoslave, adepte du dépérissement de l’Etat selon la doctrine de Marx et de Lénine, avait voulu opposer à l’Etatisme stalinien. Moscou, en effet, triomphe, et contre les dogmatistes chinois qui, comme vient de le dire Krouchtchev, ont voulu brûler les étapes du communisme, et contre les révisionnistes obligés de restaurer l’autorité qu’ils avaient prématurément relâchée. Si les choses allaient mieux en U.R.S.S., on pourrait effectivement lui donner raison.

Mais la crise est générale, même si les causes diffèrent. Dans une économie planifiée à la manière collectiviste, ou bien l’administration paralyse les initiatives et si le plan est mal conçu provoque des étranglements en chaîne qui paralysent le corps tout entier, ou bien le contrôle se détend et les initiatives particulières dans les branches favorisées, aboutissent à former des monopoles qui abusent à leur profit des pouvoirs dont on les a laissé disposer. Comme dit un proverbe russe que Krouchtchev connaît bien : « De façon ou d’autre, tu ne peux échapper à ton sort. »

 

                                                                                                       CRITON

Criton – 1962-04-14 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-04-14 – La Vie Internationale.

 

Pour suivre l’actualité pas à pas, il faudrait faire une place à ce qu’on peut appeler les faits divers de la politique internationale, comme la série de coups et contrecoups d’Etat en Syrie, les marches et contre-marches des militaires et des civils pour tenir le pouvoir en Argentine, et même les combinaisons de Fidel Castro pour tirer des dollars des prisonniers capturés l’an passé. Il faudrait aussi aligner les hypothèses sur les résultats problématiques des entrevues De Gaulle-Fanfani et Fanfani-Adenauer ; tout cela nous ferait plutôt perdre le fil des questions sérieuses que de contribuer à les éclaircir.

 

Les Etats-Unis et l’O.N.U.

Il n’en manque cependant pas. En particulier, la controverse qui s’est élevée aux Etats-Unis au sujet de l’influence de la diplomatie à l’O.N.U. sur la politique extérieure globale des U.S.A. L’intérêt du débat, c’est qu’il a été soulevé aussi bien par les amis démocrates Kennedy-Rusk à la Maison Blanche et par les républicains. Le gonflement de l’O.N.U. et ses prétentions à juger de tout conflit dans le monde, ont contraint les Américains à mener conjointement deux politiques et d’avoir par là-même deux porte-paroles, Stevenson au Palais de Verre et Kennedy-Rusk à la Maison Blanche. L’une et l’autre si difficiles à harmoniser qu’on a parlé de conflit entre le Président et son représentant aux Nations-Unies. Les critiques sont cependant d’accord sur deux points. – quelques extrémistes mis à part -, les Etats-Unis ne doivent pas quitter l’O.N.U. quoique l’O.N.U. ne fonctionne pas à notre satisfaction, et que son évolution nous inquiète.

D’abord, l’O.N.U. a deux poids, deux mesures. Elle n’a rien fait pour la Hongrie en 1956 ou le Tibet en 1959, mais elle a condamné l’action franco-anglaise à Suez et intervint au Congo avec ses mercenaires dans les conditions que l’on sait. Mais il y avait jusqu’ici le Conseil de Sécurité qui, grâce au veto soviétique utilisé 99 fois, bloquait les initiatives, ou ne laissait passer par le biais de la majorité que celles que les Occidentaux pouvaient accepter. Il n’en est plus de même depuis que, forte de 104 membres, l’O.N.U. dispose d’une majorité afro-asiatique, et que l’Assemblée peut aisément constituer un bloc des deux tiers des voix pour passer outre aux décisions ou aux refus de décision du Conseil. Ainsi la politique des Etats-Unis, ses intérêts essentiels, peuvent être condamnés sans qu’ils y puissent rien ; pour l’éviter, le chef de la délégation américaine doit se livrer à un véritable marchandage des voix, à des concessions, compromis et promesses indignes d’un grand pays et ces engagements doivent être acceptés par le Président et son Ministre, même s’ils contredisent la ligne que ceux-ci entendent suivre.

 

Le Conflit Israélo-Syrien

On vient de le voir quand les incidents israélo-syriens des bords du Lac de Tibériade sont venus devant l’O.N.U. Peu importe qui a ouvert le feu, qui est responsable des combats. Israël a toujours tort et les Américains ont dû retirer une résolution que les afro-asiatiques ne jugeaient pas assez hostile à Israël pour en formuler une plus sévère. Or, on sait quelles répercussions peuvent avoir une attitude préjudiciable aux intérêts israéliens sur les 15 millions d’électeurs juifs aux U.S.A. Il y a plus, et le sénateur Jackson l’a bien précisé, « notre politique à l’O.N.U. comme dans l’affaire de Goa ou de l’Angola, pour ne parler que des plus récentes, nous oblige à sacrifier les intérêts de nos vieux alliés du Monde occidental pour complaire à des pays qui ne nous en sauront aucun gré, et s’allieront avec l’U.R.S.S. quand nos intérêts vitaux seront en jeu. Notre solidarité avec l’Europe doit avoir la priorité et notre ligne politique ne doit pas être brouillée par les incidences d’une majorité capricieuse et instable. »

Il est certain, en effet, et les Américains le sentent, que la politique onusienne des Etats-Unis a largement contribué à relâcher leurs liens avec l’Europe et à ébranler une Alliance Atlantique à laquelle d’autres, d’ailleurs, sur notre continent n’ont pas ménagé les coups. En fait, cette politique mondiale des U.S.A. menée à l’O.N.U. et la politique de solidarité du Monde libre sont et seront de moins en moins conciliables. Déjà isolés économiquement par leur haut niveau de vie, les Etats-Unis risquent de l’être politiquement en donnant à l’O.N.U. le pas sur l’Alliance Atlantique, qui, elle, doit se traduire par des actes, non par le vote de résolutions. Il y a là un choix difficile sinon impossible à faire. Comme pour d’autres, il est sans doute trop tard, et les U.S.A. continueront à louvoyer.

 

Les Préférences Africaines dans le Marché Commun

La Communauté Européenne aussi a des choix à faire. Les Six ont à passer le cap africain après celui de l’agriculture. Il s’agit de savoir si l’on maintiendra au sein du Marché Commun la préférence accordée aux pays d’Afrique et si l’on accroîtra la dotation du fonds européen du développement outre-mer, comme le désire la France. Les autres Cinq et surtout l’Allemagne ne souscrivent que pour des raisons politiques à cette discrimination qui nuit à leurs relations économiques avec les pays d’Afrique noire non associés au Marché Commun comme le Ghana et le Nigéria. Les Etats d’expression française, de leur côté, tiennent sérieusement à ces liens, qui leur garantissent des débouchés et un soutien financier considérable, surtout depuis que l’on prévoit l’entrée de l’Angleterre qui voudra, ce qui est normal, que ses anciennes colonies jouissent des mêmes avantages que les nôtres.

On ne peut se dissimuler : nous demandons et nous avons déjà obtenu de nos cinq partenaires, des contributions qui ne leur sont d’aucun avantage, au contraire. Par ailleurs, l’avenir de nos relations avec les 16 Pays d’Afrique et Madagascar dépend pour une large part des facilités que l’Europe du Marché Commun leur consentira. Car depuis leur indépendance et avec une rapidité qui les déconcerte, ces Pays africains d’expression française sont assiégés par les offres pressantes des Etats-Unis et de l’U.R.S.S., celle-ci surtout par l’intermédiaire de ses satellites – le Mali par exemple – a déjà confié son apprentissage, de ses ouvriers à l’U.R-S.S. et son enseignement technique aux U.S.A. Et aussi les Allemands de l’Ouest et de l’Est rivalisent d’efforts pour pénétrer au Cameroun et au Togo jadis allemands. La place laissée vide est prise d’assaut – et elle le sera aussi ailleurs.

 

Les U.S.A. et le Marché Commun

Des précisions intéressantes ont été données par George Ball, le délégué personnel du président Kennedy pour les affaires économiques, sur les vues américains dans les relations avec l’Europe. Les Etats-Unis, a-t-il dit, ne comptent pas proposer une union douanière ou même une zone de libre-échange avec le Marché Commun. Ils ne cherchent pas non plus à conclure avec lui un quelconque accord d’exclusivité. Leur intention est de pousser à la libéralisation des échanges internationaux dont tous les pays pourront tirer avantage.

L’unité européenne à laquelle se joindrait l’Angleterre est vue avec faveur aux Etats-Unis et correspond à son idéalisme politique parce qu’il pourra y avoir collaboration d’égal à égal entre l’ancien et le nouveau monde, ce qui était impossible entre une puissance de la taille de la nôtre et dix-sept petites ou moyennes nations.

Cette précision vaut d’être notée car elle met fin aux craintes ou aux rêves de certains qui voyaient l’actuelle ou la future Europe économique se diluer dans un vaste ensemble aux dimensions du Monde libre. On devine d’ailleurs très bien derrière les propos idéalistes de M. Ball, l’avantage que les Etats-Unis espèrent d’un Marché Commun étendu à toute l’Europe : empêcher qu’une ou plusieurs nations, sous la pression des circonstances politiques ou financières ne ferment leur marché aux produits américains. En outre, grâce aux concessions réciproques que devront se faire tous les participants, les exportateurs U.S.A. pourront profiter des points les plus faibles, c’est-à-dire des taux les plus bas du tarif extérieur sur lequel ils se seront accordés.

 

                                                                                            CRITON

         

Criton – 1962-04-07 – Relations entre Gouvernements

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Le Courrier d’Aix – 1962-04-07 – La Vie Internationale.

 

Les relations entre Gouvernements sont partout plus ou moins tendues et le désaccord est universel ; entre l’Est et l’Ouest, entre Occidentaux comme entre communistes, les litiges demeurent sans solution. Certains comme ceux qu’on débat à Genève, désarmement, arrêt des expériences nucléaires, sont chroniques et ne valent pas qu’on s’y arrête. D’autres au contraire, moins spectaculaires sont en réalité plus graves.

 

L’Entrevue De Gaulle-Fanfani

Celui d’abord qui concerne l’avenir de l’Europe. Les Italiens attachent de l’importance à la rencontre De Gaulle-Fanfani, non pas qu’ils espèrent modifier en quoi que ce soit l’attitude du chef de l’Etat Français, mais ils comptent sur leur habileté diplomatique pour éviter que la construction européenne ne s’enferme dans l’impasse actuelle, ce qui pourrait signifier la ruine définitive de l’œuvre si patiemment poursuivie par de Gasperi, Schuman et Adenauer et aujourd’hui reprise par Spaak. On se souvient encore de la défaite de la C.E.D. obtenue par Mendès-France, passionnément appuyé par les hommes aujourd’hui au pouvoir en France. Le rejet d’une communauté de défense a pesé lourd et il faudrait éviter que l’hostilité présente des Pays du Benelux et de l’Allemagne aux plans français ne ferme l’avenir à une fédération de l’Europe. Pour le moment, il s’agit de trouver une formule d’attente qui marque un progrès symbolique et laisse la porte ouverte à de nouveaux pourparlers quand les temps seront favorables. On compte pour cela sur Fanfani.

 

Les Etats-Unis et l’Europe

Cette exaspération des égoïsmes nationaux est particulièrement sensible dans les rapports des Etats-Unis avec les différents pays européens. Le président Kennedy a eu beaucoup de déceptions depuis son avènement. Son optimisme a été trompé et pas toujours par sa faute. Il avait sous-estimé les difficultés : la reprise économique aux U .S.A. marque le pas, le chômage reste élevé et la balance des paiements ne s’améliore pas. Or, pour exercer leur rôle de leader du monde libre, il faut que les Etats-Unis disposent sans restriction de leurs capacités financières, que chaque dépense à l’étranger ne se traduise pas par une sortie d’or.

 

Américains et Anglais

C’est autour de cela que se manifeste en ce moment la mauvaise humeur entre Américains et Anglais. Les Britanniques eux aussi, jaloux de leur prestige, entendent que livre et dollar s’équivalent. C’est pourquoi l’Angleterre vient de faire sortir 100 millions de dollars d’or du trésor américain en échange de dollars et cela au moment où l’on croyait entendu que l’on éviterait ces transferts de métal précieux et même que Londres se chargerait d’équilibrer le marché de l’or pour le compte commun de tous les grands pays d’Occident. Anglais et Américains trouvent même moyen de se quereller à Genève sur la question de Berlin et du désarmement, ce qui vraiment n’en vaut pas la peine.

La position américaine reste aussi rigide que celle des Russes qui doivent faire le premier pas ; les Anglais voudraient que l’Occident fasse un geste symbolique, comme la signature d’un pacte de non-agression entre l’O.T.A.N. et le Groupe de Varsovie pour montrer au Tiers Monde, à l’opinion et aux pacifistes à tout prix que l’Occident est prêt à des sacrifices pour détendre l’atmosphère. Mais par un paradoxe auquel on finit par s’habituer, les autorités militaires anglaises, de leur côté, ont mal accueilli le général Le May, le conseiller de Kennedy, qui voulait faire renoncer les Britanniques à leur indépendance nucléaire pour adopter une stratégie commune. Ils tiennent, comme les Français, à assurer eux-mêmes leur sécurité.

 

Hausse de Certains Tarifs Douaniers aux U.S.A.

Mais l’éclat est venu du côté des tarifs douaniers. On sait qu’un accord était intervenu entre le Marché Commun et les Etats-Unis par lequel ceux-ci, en échange de concessions des Six, devaient abaisser leurs barrières au profit des produits européens. Cet arrangement faisait préface à une politique plus hardie d’élargissement du commerce international par réduction progressive des droits que le Président Kennedy va demander au Congrès d’approuver. Sans doute, pour affaiblir les résistances qui se manifestent, pour montrer aux représentants des intérêts industriels qu’il saura protéger ceux qui ont besoin de l’être, Kennedy a décidé de relever les droits d’entrée sur certaines catégories de verre et de tapis et enfin sur les cotonnades. Du côté de l’Europe et du Japon les protestations ont fusé ; si bien que sur le verre et les tapis, la mesure a dû être différée jusqu’en juin pour permettre aux Belges et aux Japonais de livrer les commandes reçues. La commission des industries textiles du Marché Commun de son côté doit aviser Kennedy des risques de contre-mesures que son geste comporte. Comme préface au désarmement douanier, on pouvait en effet trouver mieux.

Une grande obscurité entoure les négociations entre l’Angleterre et les Six pour l’entrée de celle-ci dans le Marché Commun. Les choses ne vont pas aisément, on s’y attendait. L’opposition en Grande-Bretagne et dans le Commonwealth s’en trouve renforcée. On a l’impression que MacMillan qui a fait son affaire personnelle de cette adhésion au Marché Commun, regrette de s’être engagé surtout depuis que, comme les élections partielles récentes l’ont montré, son parti n’est pas en brillante posture. Il lui est difficile maintenant de reculer bien qu’il se soit ménagé une porte de sortie au cas où la négociation se révèlerait stérile. Ce serait quand même un échec dont son autorité souffrirait. Il est difficile de savoir qui des continentaux se retranche derrière les obstacles. On accusait communément la France, mais il semble que depuis que l’Allemagne voit baisser ses exportations, elle n’est pas non plus très enthousiaste.

 

Récriminations au Sein du Marché Commun

Mais au sein du Marché Commun, voici d’autres récriminations. C’est le Dr Erhard qui n’est pas content de la France dont l’acier est 10% moins cher que l’allemand, à cause de la hausse des salaires plus forte en Allemagne fédérale encore que chez nous, et surtout de la réévaluation du Mark de 5% effectuée l’an passé. L’acier français enlève les marchés extérieurs et vient même concurrencer l’acier allemand jusque dans la Ruhr. Concurrence déloyale d’après Erhard ; normale répondent les Français !

 

La Visite à Bonn de George Ball

Là-dessus, ce même Erhard recevait Georges Ball envoyé de Kennedy pour les affaires économiques. Il venait demander à l’Allemagne un nouvel effort en faveur des pays sous-développés et l’augmentation des commandes d’armement aux Etats-Unis pour la Bundeswehr. Ball aussi tombait mal. Les milieux d’affaires allemands en ont assez des pressions américaines qui ont dégonflé en quelques mois le « miracle allemand ». Comme nous le disions plus haut, la réévaluation du mark et la hausse de 10% et plus des salaires, ont réduit la capacité concurrentielle de l’industrie d’Outre-Rhin. Les commandes sont plus rares, la qualité des produits moins bonne, les marges bénéficiaires réduites. Cela au profit des Français et des Italiens actuellement moins chers. Quant aux pays sous-développés, l’Allemagne n’entend pas leur faire de cadeaux. Des prêts, certes, mais à un taux normal et avec garanties de remboursement. Ces garanties en effet sont plus que jamais nécessaires.

 

Les Pays Sous-Développés et les Entreprises Etrangères

A peine Kennedy avait-il signé avec les pays d’Amérique latine son alliance pour le progrès, que le bouleversement en Argentine remettait en question le plan conçu en accord avec Frondizi et, ce qui est plus fâcheux, au Brésil, deux des gouverneurs de province dont le fameux Lacerda, qui fit choir Quadros, nationalisent des entreprises privées : une filiale de l’ « American Telegraph and Telephone » des Etats-Unis et l’autre de la « Brazilian Traction » canadienne. Comme préface à une collaboration internationale où les capitaux privés doivent jouer un rôle essentiel, cela est plutôt fâcheux et ne facilitera pas au Congrès des Etats-Unis, les demandes de crédits proposés par Kennedy.

 

Le Lit en Or

Et puis, il y a l’affaire du lit en or qui a jeté un froid sur les fervents de l’aide aux pays africains : l’épouse de M. Edusei, ministre de l’éducation nationale du Ghana, n’a pu résister à Londres, à acheter un lit recouvert d’or pour la modeste somme de 4 millions ½  d’anciens francs. Cette acquisition cadre mal avec la politique d’austérité du président NKrumah, et a fait scandale. Cependant, malgré les prières de son époux, Mme Edusei tient à son lit et va le faire transporter à Accra. Cette affaire n’est qu’un symbole un peu plus voyant que les autres du développement rapide, sinon du pays du moins du portefeuille des nouveaux maîtres qui l’ont libéré du colonialisme. Leurs administrés en tireront peut-être de la fierté, mais les contribuables américains ou autres, la trouveront sans doute un peu forte.

 

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