Criton – 1962-06-23 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-06-23 – La Vie Internationale

 

L’évolution algérienne domine évidemment les autres problèmes, au demeurant sans grand relief. Pas de fait notable. La machine diplomatique autour de l’adhésion britannique au Marché Commun, tourne autour des mêmes obstacles. Il semble cependant que MacMillan a joué sur le succès des pourparlers de Bruxelles son avenir politique et celui de son parti, en posture assez difficile comme nous l’avons vu. En présentant aux électeurs, ce grand pas franchi, il espère leur apporter le renouvellement de leur destin auquel ils aspirent de façon confuse et dissiper leur mauvaise humeur. Reste à savoir si la voie choisie est bonne. Les avis sont partagés là-dessus.

 

L’Evolution de l’Afrique Noire

L’actualité immédiate laissant quelque répit, il est opportun de faire le point de l’évolution africaine, maintenant que la fièvre de l’indépendance s’est apaisée. Difficultés et désillusions n’ont pas manqué. Des groupements se sont essayés. Beaucoup d’idées ont été remuées pour définir les moyens d’arriver à un équilibre durable qui permettrait de sortir les Etats africains de leur sous-développement. La formule magique se fait attendre. En devenant indépendants, ils comptaient suivre la voie tracée par Tito, Nasser et Nehru, user de la rivalité des deux blocs et vivre de leur assistance en jouant de surenchères. Mais les pèlerinages à Moscou leur ont montré que, de ce côté, il ne fallait pas beaucoup attendre. Krouchtchev le leur a clairement dit. Les moyens des pays de l’Est sont désormais trop limités. A Washington, les chefs africains ont trouvé une audience attentive et favorable à une condition, qu’ils s’aident eux-mêmes et que dans ce cas seulement on leur fournira les moyens.

Car l’Occident a fini par reconnaître que l’aide aux pays sous-développés était gaspillée, voire stérile, à moins qu’elle ne suscite un effort correspondant des bénéficiaires. Et c’est toute la difficulté. Peu de cadres administratifs efficaces, une corruption sans borne, une masse routinière, peu portée à l’effort et dans l’ensemble sans aspirations. L’Africain est habitué à être dominé par la nature. Il en conjure les maléfices  par les incantations rituelles. Il ne conçoit pas qu’il doive faire l’effort de la dominer lui-même par des moyens techniques. L’essentiel du problème des sous-développés est donc l’éducation. Pour cela, il faut du temps et le temps presse si l’on ne veut d’ici là retomber dans la primitivité.

A travers la multiplicité des conférences, les palabres du Caire, les débats de l’O.N.U., on sent très bien que les pays africains ont pris conscience de leur état. L’anarchie congolaise n’est plus sanglante mais l’inflation, le déficit des échanges extérieurs, l’incohérence administrative demeurent ou s’aggravent. Au Ruanda-Urundi, territoire jusqu’ici administré par les Belges, le départ de ceux-ci devra être retardé, si l’on veut éviter une guerre d’extermination entre tribus. Au Nigéria, les dirigeants des trois provinces ne peuvent  s’accorder ; des troubles ont éclaté. Derrière la façade dictatoriale, au Ghana et en Guinée, le désordre économique et financier a fait baisser le niveau de vie. Presque seuls les anciens territoires français se défendent à peu près d’une régression. Dans cette confusion un sentiment de modération domine. La flamme de l’anticolonialisme ne jette plus d’éclat. On redoute même, sans l’avouer, à l’O.N.U., de voir de nouvelles indépendances allonger la liste des pays troublés.

 

L’Autonomie du Transkei en Afrique du Sud

Là-dessus, une délégation de l’O.N.U. a fait le voyage de Pretoria et a osé déclarer publiquement sa satisfaction des entretiens qu’elle eut avec Verwoerd et les Ministres sud-africains, les tenants de sa ségrégations dite « apartheid ». L’Afrique du Sud a entrepris une œuvre dont on est bien obligé de tenir compte surtout si elle réussit. Elle va accorder par étapes l’autonomie puis l’indépendance au premier des Etats noirs, le Transkei, peuplé d’un million et demi d’autochtones. Elle lui en fournira les moyens, de gros crédits et surtout de multiples formes d’assistance éducative et technique.

Il est certain que le premier pas vers une fédération d’Etats, les uns noirs, l’autre blanc, séparés mais solidaires dans une politique économique et internationale commune épargnerait à ce riche et vaste ensemble sud-africain, les convulsions dont il semblait menacé par les antagonismes raciaux. Après avoir été l’objet d’une malédiction unanime, la politique des dirigeants sud-africains est aujourd’hui suivie avec une attention pas encore bienveillante, mais objective. Il est regrettable que l’on n’ait pas cherché ailleurs une formule du même genre, bien des drames auraient peut-être été évités.

Au reste, la proclamation du principe de l’autonomie du Transkei a été très favorablement accueillie par les autorités noires locales. On mesurera le changement qui s’est fait dans les esprits en faveur de l’Union Sud-Africaine, si l’on se rappelle que l’agitateur noir, d’ailleurs fort modéré, Luthuli était allé à Oslo l’an passé, recevoir le Prix Nobel aux applaudissements  de tous les anticolonialistes, ex. colonisateurs compris.

 

Le Problème de l’Acier

L’évolution présente de l’économie des grands pays industriels présente une extrême importance en ce qu’elle déroute toutes les prévisions. Finira-t-elle par confondre les bâtisseurs de programmes ? Peut-être pas, car l’erreur est tenace et souvent intéressée.

Nous nous excusons de relater une expérience personnelle : elle est trop instructive pour la taire. Il s’agit de la production d’acier. Ici même et dans des conversations avec des économistes, des banquiers et aussi des spécialistes de la métallurgie, nous faisions valoir que le règne de l’acier était sur le déclin, que le temps n’était plus où la production d’acier était le symbole de de la puissance industrielle et que, bien au contraire, le ralentissement de sa progressions dans l’ensemble de la production était le signe même du progrès technique. On haussait les épaules. Les auteurs du quatrième Plan français n’ont-ils pas assigné à notre production d’acier un objectif en augmentation de 40% d’ici 1966, ce qui est proprement extravagant. Depuis l’automne dernier, les signes d’une régression sont apparus. Aux Etats-Unis, après une brève reprise due aux craintes d’une grève, la production est retombée. En France, la baisse est de l’ordre de 6%. En Angleterre, les aciéries travaillent à 70% de leur capacité. En Allemagne, en Autriche, en Belgique, au Luxembourg, le recul est du même ordre, sinon plus accentué qu’en France.

Crise passagère dit-on. Oui et non. Sans doute, les besoins en acier continueront d’augmenter, mais à une cadence beaucoup plus lente que celle d’autres produits. Il était facile de le prévoir pour deux raisons : la première est l’économie réalisée sur les tonnages employés jusqu’ici dans les fabrications qui l’utilisent grâce au progrès technique et aux alliages de plus en plus résistants. La seconde est la concurrence de plus en plus efficace d’autres matières, l’aluminium en particulier et surtout les plastiques qui envahissent tout, même le domaine de l’acier et de la fonte, construction et canalisations entre autres.

Or, malgré la contraction actuelle de la demande, les difficultés des producteurs, les hauts-fourneaux qu’on éteint, on voit la C.E.C.A. encourager la construction de nouveaux établissements. Ajoutons que le phénomène se produit dans une période de haute conjoncture moins brillante sans doute qu’au cours des précédentes années, mais encore ascendante dans l’ensemble. Si une crise, même modérée, intervenait prochainement, ce qui est fort possible, que ferait-on de ces plans d’expansion inconsidérés ?

 

                                                                                                         CRITON