Criton – 1962-06-16 – La Vie Internationale

original-criton-1962-06-16  pdf

Le Courrier d’Aix – 1962-06-16 – La Vie Internationale.

 

N’était le drame qui afflige notre pays, la situation internationale pourrait être regardée avec optimisme. Prise dans son ensemble, la position du monde libre est solide et le rapport des forces lui est de plus en plus favorable. Les divergences qui se manifestent entre alliés occidentaux en sont plutôt le signe. En effet, la cohésion qui se resserre devant le péril se détend à mesure qu’il s’éloigne. Il est normal que chacun revendique alors plus d’avantages au sein de la coalition. Autre symptôme favorable : les deux points que l’on a coutume d’appeler névralgiques, Berlin et le Sud-Est asiatique n’alarment plus autant. On a cessé de prendre au tragique les incidents autour du mur dit de la honte. Les pays satellites du plan de Varsovie, réunis en conférence, ont même approuvé la poursuite des négociations entre l’U.R.S.S. et les U.S.A. On ne parle plus d’échéance, encore moins d’ultimatum pour le règlement de la question allemande.

 

L’Accord des Trois Princes au Laos

Au Laos, les trois Princes à nouveau réunis, se sont enfin accordés du moins en principe, c’est-à-dire que les Etats-Unis ne leur laissaient pas d’autre choix, et leur aide financière au pays va reprendre. Les troupes américaines déployées en Thaïlande sont en mesure de franchir la frontière laotienne si la trêve n’était pas observée par les forces communistes. Leur présence sur les bords du Mékong doit assurer la permanence d’un Laos neutre. Cette menace de la part des Américains de faire respecter les accords, au besoin par la force, aurait paru dangereuse il y a quelques mois, téméraire même. Les difficultés économiques de l’U.R.S.S., la disette chez les satellites, les émeutes de Canton devant le spectre de la faim, ont brisé toute velléité d’aventure à l’Est. Les Etats-Unis vont de l’avant.

 

Krouchtchev et le Marché Commun

D’autre part, l’U.R.S.S. et ses satellites réunis à Moscou ont examiné leur politique économique dans le cadre de ce qu’on nomme le « Comecon », c’est-à-dire ce qui devrait être le Marché Commun de l’Est. On ne sait rien des délibérations. Les résultats ne doivent pas être d’importance puisque cette conférence a été écourtée. Mais elle a été l’occasion pour Krouchtchev, de s’en prendre au Marché Commun, instrument de l’impérialisme, a-t-il dit, dirigé contre les pays épris de paix, objet de la conjuration des monopoles capitalistes, etc… Il a même lancé l’idée d’une conférence économique internationale qui réunirait les deux mondes. Cette proposition n’a pas eu grand écho. Au train où vont les conférences, où l’Est et l’Ouest se rencontrent, on ne voit pas ce qui pourrait sortir de celle-là. Au surplus, on comprend mal pourquoi Krouchtchev s’en prend au Marché Commun qui ne le gêne guère dans ses relations commerciales, bien modestes avec les pays qui le composent. – Propagande, sans plus.

 

La Politique Pétrolière des Soviets

Un petit fait qui, d’ailleurs, va à l’encontre de ces diatribes khrouchtchéviennes ; l’U.R.S.S. se dispose à relever le prix du pétrole qu’elle vendait jusqu’ici en Occident, surtout en Italie et en Suède, sensiblement au-dessous du prix mondial. Voilà qui réjouit les grandes Compagnies inquiètes de la concurrence soviétique. Est-ce le prélude à un accord analogue à celui que l’U.R.S.S. a conclu pour le commerce des diamants avec le monopole De Beers ? Il se peut. Les Soviets ont besoin de devises fortes et se demandent s’ils n’ont pas intérêt à tirer le maximum du seul produit de grande utilisation dont ils ont à vendre, plutôt que de lutter contre le cartel international qu’ils n’ont aucune chance d’abattre. Et puis il y a ceux du tiers monde qui veulent vendre leur pétrole au mieux et qu’une guerre des prix indisposerait à l’égard de l’U.R.S.S.. Cela s’est déjà vu pour le marché de l’étain.

 

Les Crises Politiques dans le Monde

Si la position du monde libre vue sous l’aspect du rapport des forces s’affirme, il n’en est pas de même du politique, ni de l’économique. Rien de dramatique sans doute, mais beaucoup d’instabilité où qu’on regarde la situation politique des grands et des petits pays, on ne voit que nuages, Angleterre, Allemagne fédérale, Espagne, Portugal, Italie, France aussi, en Europe. Au-delà, la Turquie, la Syrie, le Nigeria, l’Argentine, le Brésil, partout l’autorité présente s’affaiblit et se discute. Aux Etats-Unis même, les critiques s’amplifient. On ne peut parler de toutes les crises ouvertes ou latentes.

 

Les Trois Partis Britanniques

C’est en Angleterre que le malaise actuel présente le plus d’intérêt pour nous, car, qu’on le veuille ou non, l’orientation politique anglaise affecte le Continent, surtout à l’heure où nos voisins débattent de graves décisions. L’Angleterre donc est divisée non plus en deux, mais en trois, ce qui est sans précédent. Le parti conservateur, usé par le pouvoir et ses contradictions internes. L’Angleterre donc est divisée non plus en deux, mais en trois, ce qui est sans précédent. Le parti conservateur, usé par le pouvoir et ses contradictions internes, perd du terrain comme le montrent amplement les élections partielles récentes. Le parti travailliste déchiré aussi et sans autorité reconnue souffre de la désaffection de sa clientèle. Celle-ci a changé, de classe pauvre elle est aujourd’hui classe moyenne et représente une majorité. C’est elle qui vient de donner au vieux parti libéral, après une longue éclipse, une vitalité nouvelle. Il s’affirme à chaque élection et a enlevé des sièges là où il avait presque disparu. Partout, il talonne les anciens leaders.

S’agit-il de votes de protestation qui se déroberont dans une élection générale où le candidat qui a le plus de voix l’emporte sans appel ? Ou bien l’Angleterre connaîtra-t-elle une compétition triangulaire ? La vie publique du pays en serait alors bouleversée. Il faudrait pour cela que le parti libéral rajeunisse un programme qui séduise la classe moyenne. Là réside la difficulté. Les libéraux optent pour le Marché Commun, mais l’opinion est très également partagée là-dessus. Quant aux remèdes à la stagnation économique on les a tous essayés et personne n’en conçoit de nouveaux qui soient efficaces, même en théorie. C’est le paradoxe de ce temps. Jamais on ne s’est tant proposé d’agir : plans et décrets se multiplient. L’évolution naturelle nivelle tout cela. Du reste les structures en Angleterre sont plus rigides encore qu’ailleurs et ne peuvent supporter que des corrections légères.

 

La Situation du Dollar

Les Américains sont, de leur côté, toujours préoccupés de la situation du dollar sur les marchés internationaux. La devise, jadis reine, demeure au point de soutien. Toute crise a été évitée de ce côté grâce à la coopération des banques centrales et des instituts monétaires. Une solidarité exemplaire s’est manifestée pour éviter les à-coups d’une monnaie ou d’une autre. On est ainsi armé contre ce que l’on est convenu d’appeler la spéculation, bouc émissaire de toutes les mauvaises politiques, mais le mal qui ronge le Dollar et aussi la Livre n’en est guéri pour autant. Là encore on se demande que faire. Les remèdes existent ; ils sont même incontestés. Mais ne seraient-ils pas plus graves que le mal ? Réduire l’aide extérieure, contrôler les investissements américains à l’étranger, élever le taux d’intérêt, etc…

  1. Douglas Dillon, le grand argentier, ne peut avec raison se résoudre à les appliquer. Il compte que grâce à un commerce international libéralisé, l’équilibre se rétablira peu à peu ; grâce aussi aux mesures fiscales envisagées par Kennedy pour l’an prochain ; réduction d’impôts, amortissements accélérés pour les sociétés des branches les moins favorisées. Peut-être, si…. Il y a un point que dans son tour d’Europe il a souligné, à notre sens avec une pleine justification. Il a critiqué le fonctionnement étroit et archaïque du marché des capitaux sur les places européennes, alors que le marché américain fonctionne largement et sans restriction. Pourquoi les entreprises et les organismes vont-ils emprunter sur la place de New-York, contribuant ainsi à provoquer des sorties de dollars, alors qu’elles pourraient le faire chez elles, si le marché des capitaux était libre et bien organisé et bien pourvu. Les monnaies européennes étant convertibles, les capitaux devraient circuler sans entraves. Nous en sommes loin. C’est là un très gros problème sur lequel justement on pourrait agir, si l’on voulait. Mais précisément veut-on ?

 

                                                                                                       CRITON