Criton – 1962-05-26 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-05-26 – La Vie Internationale

 

Si étonnant que cela semble à la réflexion, le problème le plus débattu est aujourd’hui celui de notre Europe. Crise des relations germano-américaines, conflit intérieur en France entre partisans de l’Europe intégrée et des alliances traditionnelles.

 

Les Différends entre l’Europe et les Etats-Unis

A première vue, ces controverses paraissent académiques et le Chancelier Adenauer en deux phrases lapidaires a bien résumé la situation : « Il n’y a pas de grande puissance en Europe : sans les Etats-Unis, nous cesserions tous d’exister ». Cela dit, les polémiques ne sont, pour retourner le mot, que des sautes d’humeur car l’Europe demeurera pour un temps indéfini sous la protection des U.S.A. ; quant à l’intégration européenne, si elle doit un jour se faire, ce n’est peut-être que l’œuvre d’une ou plusieurs générations, car si les problèmes économiques évoluent rapidement, les esprits et les mœurs suivent avec beaucoup de retard et l’Europe fédérée, à la manière de la Suisse, devra être imposée par les peuples aux gouvernants qui par eux-mêmes n’y parviendraient jamais, si tant est qu’ils le veuillent.

 

L’Angleterre et le Marché Commun

Ces différends entre Européens et Américains sont compliqués et même provoqués par la question centrale : l’admission de l’Angleterre au Marché Commun. Comme prévu, les négociations sont de plus en plus difficiles à mesure qu’on s’avance des principes aux détails. Il serait exagéré de prétendre, comme on le fait, que l’obstruction vient des politiques, c’est-à-dire surtout de la France et même de l’Allemagne, ou tout au moins de leurs chefs. Les structures économiques de l’Angleterre sont très différentes de celles des continentaux. Il est inutile d’énumérer une fois de plus tout ce qui les oppose. Pour les harmoniser, il faut que les unes et les autres s’adaptent, c’est-à-dire qu’une des parties, les Six ou l’Angleterre, bouleverse les siennes. Si MacMillan était de bonne foi en demandant l’adhésion de son pays au Marché Commun, il ne pouvait ignorer que même une bonne volonté réciproque ne suffirait pas. Une harmonisation faite de concessions réciproques non plus. Il ne s’agit pas d’un ajustage, mais d’une opération et, au point où en sont les accords entre les Six, c’est à l’Angleterre de la faire du côté du Commonwealth et du côté de son agriculture – sans préjudice, bien entendu de la question politique. Il ne saurait y avoir de politique commune européenne si l’Angleterre en fait partie, encore moins d’Europe fédérale. M. Spaak lui-même ne convient.

 

L’Intérêt des Etats-Unis

Mais ce n’est pas tout, et nous entendions enfin, ces jours-ci, des Anglais reconnaître que si les Etats-Unis ont poussé l’Angleterre à s’intégrer à l’Europe continentale, c’est parce que les pays du Commonwealth, une fois détachés de ce qui est encore économiquement leur Métropole, s’ouvriraient davantage au commerce et à l’influence des Etats-Unis qui, par ailleurs, par l’entremise d’une Angleterre attachée au Continent, n’auraient plus à redouter qu’il cherche à lui échapper.

En résumé, pour le moment, l’Angleterre reste et restera peut-être une île.

 

Le Débarquement Américain en Thaïlande

Les Américains ont donc débarqué sans encombre en Thaïlande et Krouchtchev a attendu la fin de son voyage en Bulgarie pour protester avec d’autant plus de vigueur que l’opération était chose faite. Or il n’ignorait rien, ni des préparatifs, ni des intentions des Etats-Unis. Ils étaient publics.

 

La Réaction de l’Opinion Américaine

A cet égard, il est intéressant de souligner que le public américain a accueilli sans émotion cette opération qui, quelques mois plus tôt, l’aurait secoué ; l’opinion américaine change très aisément. Il y a un an, c’était la fièvre des abris antiatomiques, qu’on faisait construire partout par peur d’une guerre nucléaire, et d’astucieux industriels comptaient y réaliser une fortune. Ils sont tous en faillite. Depuis l’exploit de Glenn, les Américains sont rassurés : quoi que fasse Kennedy en Asie, la guerre n’aura pas lieu et l’on accepte avec sérénité que les boys débarquent en Thaïlande. C’est passer d’un extrême à l’autre, car l’engrenage sud-asiatique n’est pas de tout repos, même si les Russes n’y font pas obstacle.

 

L’Enigme de Hong-Kong

La Chine de Pékin a protesté à retardement aussi. Sans doute pour d’autres raisons, car cette Chine toujours mystérieuse est plus que jamais une énigme. Depuis peu, un nouveau problème a surgi à Hong-Kong. On sait que cette petite île, colonie britannique, est la terre promise des réfugiés chinois. Un million s’y sont enfuis depuis trois ans qui y ont trouvé asile. Mais cette invasion présente de terribles difficultés : logement, ravitaillement, pénurie d’eau surtout. Jusqu’ici cependant, les arrivants, exténués et traqués, ne venaient qu’un par un ou en petit groupe. Depuis peu, c’est par milliers. Les autorités de Pékin qui montaient la garde aux frontières et sur mer, ont cessé de s’opposer aux départs. Même des soldats, par compagnie, tentent de pénétrer à Hong-Kong, et ce sont les Anglais qui doivent les refouler, 40.000 personnes campent devant les barbelés et ce sont des drames chaque fois que la police britannique leur refuse le passage.

Comme il s’agit surtout d’hommes jeunes et valides et qui ne paraissent pas comme les précédents avoir souffert la faim, on se demande si ce n’est pas à dessein que les autorités communistes les laissent faire pour obliger les Anglais à les repousser ; ou, s’ils ne le font pas, pour rendre la vie impossible à Hong-Kong même. On a émis une autre hypothèse : les provinces du Sud sont peu dociles au gouvernement de Pékin et l’on craint des révoltes. Il y en aurait eu déjà. Laisser partir les éléments les moins sûrs serait un moyen de s’en débarrasser ou de les décourager si la porte leur était fermée. Il se pourrait aussi tout bonnement qu’il s’agisse d’un mouvement spontané de migration qui s’empare des foules quand l’existence qu’on leur fait est trop difficile et que les autorités n’ont pas le pouvoir d’arrêter.

 

Israël et le Gabon

 

Tandis que M. Modibo Keita, chef d’Etat du Mali, ex-Soudan français est reçu en grande pompe à Moscou, avant d’aller à Prague et à Berlin-Est, c’est encore au curieux développement des relations d’Israël avec l’Afrique Noire que nous assistons avec le traité d’amitié perpétuelle signé ces jours-ci entre la petite République et Mme Golda Meir ministre des affaires étrangères d’Israël. On s’y promet de nombreux échanges économiques et culturels et en particulier l’envoi de jeunes Gabonais à Tel-Aviv pour s’y instruire. Le choix d’Israël pour l’éducation des noirs d’Afrique ne fait pas plaisir à Krouchtchev. Il y a fait allusion dans son dernier discours à sa manière, sans nommer personne mais il ne laisse aucun doute sur ceux qu’il vise. Les déboires de l’U.R.S.S. en Afrique noire l’ont vexé. On se rappelle le «  Rira bien qui rira le dernier » à propos du Congo ex-belge. Que les noirs lui préfèrent l’Amérique, passe encore, mais qu’on choisisse le socialisme israélien et la technique de ce petit peuple, plutôt que les siens, cela touche son amour propre. Il n’a pas caché que désormais ceux qui se réclament du socialisme sans adopter la formule soviétique, ne pourraient plus compter sur son assistance. Il semble bien que les intéressés ont déjà décidé de s’en passer.

                                                                                       CRITON