Criton – 1962-05-19 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-05-19 – La Vie Internationale

 

La rupture de la trêve au Laos et la poussée des forces communistes sur le Mékong aux frontières de la Thaïlande vont, dans les prochains jours, fournir un test des relations entre les Etats-Unis et l’U.R.S.S.

 

La Rupture de la Trêve au Laos

Il faut ici envisager deux hypothèses ; ou bien cette reprise des hostilités est un moyen de persuasion tacitement accepté par les deux puissances pour forcer les trois princes laotiens à former un gouvernement de coalition neutraliste – ce que jusqu’ici ils n’ont pas réussi à faire, – sans qu’on puisse savoir si ce sont les Occidentaux avec Boun Oum actuellement au pouvoir qui s’y sont refusés malgré les pressions des U.S.A., ou si ce sont les Communistes avec Souvanavong, appuyés par Pékin, qui ont fait échouer les pourparlers. L’autre hypothèse serait que l’offensive du Patet Lao se ferait contre le désir des Soviets, sous la seule instigation des Chinois avec l’aide volontaire ou forcée d’Ho Chi Min. Comme la politique dans cette région du monde est complexe à l’extrême et souvent contradictoire, il se pourrait encore que les Soviets laissent faire le Patet Lao pour compromettre les Etats-Unis et les contraindre à agir ; c’est-à-dire leur laisser le soin de contenir la poussée communiste, ce qui permettrait à leur propagande de crier à l’impérialisme tout en arrangeant leurs propres affaires.

 

L’Intervention Américaine

Ce qui pour l’instant est certain, c’est que les Etats-Unis ont pris la décision d’envoyer dans les parages leur flotte et leurs « marines ». Comme au Sud-Viet-Nam, la  puissance militaire américaine s’engage chaque jour un peu plus dans la guérilla d’Extrême-Orient, sans que les Russes de leur côté interviennent autrement qu’en parole et encore avec une relative discrétion. Sauf dans leur presse, à l’usage intérieur.

 

Les Contacts Russo-Américains

Pendant ce temps, les bons procédés se succèdent entre Russes et Américains. Titov, l’astronaute, poursuit sa tournée aux Etats-Unis. Le porte-parole de la Maison Blanche pour la presse, Pierre Salinger, est à Moscou, hôte de son homologue Adjoubeï, rédacteur en chef des « Izvestia » et gendre de Krouchtchev. Les trois hommes ont fait ensemble une partie de campagne et les conversations diplomatiques Rusk-Dobrynin sur Berlin, continuent à Washington.

 

La Querelle de la Nouvelle-Guinée

Troisième test si l’on peut dire : l’affaire Indonésie-Nouvelle-Guinée hollandaise. A part quelques escarmouches, les hostilités restent verbales ; cependant Subandrio, le ministre des Affaires étrangères de Soekarno, est allé à Moscou quérir de nouveaux armements et recevra, lui aussi, quelques pièces démodées de l’arsenal soviétique.

De leur côté, les Etats.Unis ont réveillé le pacte de l’Auzus, c’est-à-dire l’Alliance U.S.A.-Australie-Nouvelle-Zélande. Rusk et les ministres des deux nations ont discuté à Cambera et l’Australie enverra, pour marquer sa solidarité, un bataillon témoin du Sud-Viet-Nam. Bien entendu, c’est en échange du soutien américain dans l’affaire de Nouvelle-Guinée. On sait que l’Australie occupe la partie Sud-orientale de l’île la plus proche de son territoire et n’envisage pas de bon cœur l’installation des Indonésiens dans la partie Nord de l’Ile. Là, la position des Américains est plus difficile encore que sur le continent asiatique. Ils ne peuvent ouvertement soutenir les Hollandais et pas davantage s’attirer le ressentiment de Soekarno. Ils cherchent, sous couleur de médiation, à étouffer le conflit par des manœuvres indirectes et les Russes, sans doute d’accord sur le but, font tout ce qu’ils peuvent pour leur compliquer la besogne. Ce qui importe, c’est que tout ce jeu, qui en d’autres temps aurait mis le monde entier en émoi, n’inquiète plus personne.

 

Le Coût de la Course aux Armements

Pour expliquer le cours actuel des relations russo-américaines, une opinion est généralement émise : les Soviets seraient hors d’état de poursuivre indéfiniment la course aux armements, à moins de sacrifier encore un peu plus le niveau de vie de leurs peuples. Cette thèse s’appuie sur un fait : la progression vertigineuse du coût des nouveaux engins. Cette progression a été constante depuis l’Antiquité, mais depuis peu elle a pris des proportions inattendues. Certains dispositifs nucléaires et spatiaux valent cinq fois plus que ceux qu’on fabriquait il y a seulement deux ans et l’on prévoit davantage pour ceux de demain. Alors les moyens des Etats-Unis et ceux de l’U.R.S.S. deviennent inégaux. Si les U.S.A. ne peuvent plus se permettre de prodiguer les dollars à l’extérieur, chez eux, ils peuvent les gaspiller sans mesure et même avec avantage pour employer leur capacité excédentaire de production et leurs chômeurs. En U.R.S.S., contrairement à ce que l’on croit d’ordinaire, les coûts de production des engins militaires sont aussi élevés qu’aux U.S.A., tandis  que le revenu national atteint à peine le tiers, en étant optimiste. Il faudra donc un jour ou l’autre arrêter les frais et pour cela s’entendre avec les Américains sur une limitation des armements, et dès maintenant préparer les voies.

Nous donnons cette explication pour ce qu’elle vaut. On a déjà tellement usé dans le passé d’un argument de ce genre, qu’à première vue on est sceptique, la puissance germanique s’étant bien faite avec des ressources limitées ; mais la Russie n’est pas l’Allemagne et actuellement l’U.R.S.S., armement mis à part, doit faire face à des difficultés croissantes. On s’accorde à retenir que la progression industrielle en 1961 n’a été que de 4% ce qui est fort peu en regard de celle de l’Europe occidentale et cela malgré un budget qui, comme partout, s’enfle chaque année.

 

Le Nouveau Gouvernement Soviétique

On a remarqué également à propos de la constitution officielle du gouvernement soviétique, certaines nominations inattendues qui montrent un certain flottement dans la direction des affaires et sans aucun doute un affaiblissement du pouvoir personnel de Krouchtchev. Après les attaques dont il avait été l’objet, le vieux Maréchal Vorochilov a été rétabli, sinon dans ses fonctions, du moins dans ses honneurs. Krouchtchev lui a même donné publiquement l’accolade. Madame Furtseva qui avait été « écartée » aux élections du Conseil suprême, a retrouvé son poste de Ministre de la Culture et Ignatov,  exclu du Presidium en 1961, devient chef suprême de l’agriculture et reste vice-président du Conseil. Le comité des collectes agricoles qui selon Krouchtchev devait être supprimé, est maintenu. Ces petites anomalies dans la direction de l’Etat signifient que des compromis s’établissent entre des factions opposées et que les problèmes à résoudre sont assez difficiles pour qu’on soit obligé de faire des concessions à des vues divergentes.

La déstalinisation n’est pas un vain mot.                

 

                                                                                       CRITON