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Le Courrier d’Aix – 1962-05-12 – La Vie Internationale.
La Conférence d’Athènes
Contrairement à ce qui se passe d’ordinaire dans les réunions de ce genre, la Conférence de l’O.T.A.N. à Athènes, a permis de faire le point des divergences existant au sein des alliances ; essentiellement de préciser la position des puissances du Continent européen en face de la « coexistence pacifique » qui s’établit entre l’U.R.S.S. et les U.S.A.
La Convergence Américano-Russe
Il y a plus d’un an déjà que, à travers des polémiques et des crises artificiellement entretenues, nous signalons ce rapprochement progressif des deux géants prenant de plus en plus conscience de leurs intérêts communs. Primitivement, le terrain d’entente se situait en Extrême-Orient. Américains et Russes craignaient que la Chine ne devînt un troisième Grand et que ses ambitions, appuyées par une organisation industrielle et militaire, ne s’étendissent à l’Asie du Sud et du Sud-Est et qu’elle ne s’emparât des ressources en matières premières de ces riches régions. Depuis, les terribles difficultés où se débat la Chine, difficultés adroitement accrues par l’U.R.S.S., lui ont, au moins momentanément, fermé la marche en avant. Mais un autre facteur a joué : Russes et Américains ont vu leurs propres problèmes se compliquer et leur puissance devenir de plus en plus contestée.
Les Difficultés des Deux Grands
Côté soviétique, la profonde crise agricole, sa stagnation sinon le recul du développement des satellites, marquées récemment encore par les manifestations d’étudiants le 1er mai à Prague, en bref l’échec chaque jour plus évident de l’économie collectiviste, surtout en face du brillant essor des grands pays d’Europe continentale : l’Allemagne fédérale, la France et l’Italie et en conséquence les doutes qui se répandent partout, en Russie même, sur la valeur du système dont se détournent l’une après l’autre les jeunes nations d’Afrique et même d’Asie. Perte de substance, perte d’influence, affaiblissement idéologique du côté soviétique auquel n’a pas peu contribué la polémique Moscou-Pékin.
Mais les Américains aussi ont perdu, depuis l’automne 1960 et la crise du dollar, beaucoup de leur prestige. Sans doute dans le domaine scientifique et militaire, ils ont assez brillamment remonté la pente. Mais ce facteur perd, à l’usage, de son éclat. On sait que dans ce domaine, tous les pays industriels sont capables de rivaliser. L’exemple de la France l’a montré. Dans l’ordre économique, par contre, les situations ne se rétablissent pas aussi aisément. Les Etats-Unis isolés par leur haut niveau de vie et leurs prix de revient qui en résultent, voient se rétrécir leur capacité de concurrence. Ils se sentent menacés par une crise ou à tout le moins par une stagnation prolongée. La reprise escomptée par Kennedy ne s’est pas accusée et l’espoir d’un progrès satisfaisant et continu s’estompe.
Les Pressions Américaines sur le Continent Européen
Mais pour tenter un redressement, Kennedy, constatant que les moyens dont il dispose à l’intérieur sont d’une efficacité très limitée, a cherché à freiner le développement de ses concurrents européens et c’est là qu’il faut chercher l’origine de ces discussions entre alliés atlantiques.
C’est l’Allemagne fédérale qui fut la plus touchée. On lui imposa la réévaluation du mark, une participation importante au financement des pays sous-développés et un réarmement coûteux, d’une valeur contestable. La Hollande, par contrecoup, en souffrit. La France mieux placée résista aux pressions américaines, mais on lui refusa les moyens de son armement nucléaire, et d’autres manœuvres politiques aussi bien qu’économiques de caractères divers ont détérioré les relations franco-américaines. C’est le ressentiment de tout cela qui a éclaté à Athènes. Pour le dire d’un mot : les Continentaux voient que l’accord russo-américain se fait peu à peu sur leur dos et qu’ils devront réviser leur attitude obligés qu’ils sont désormais de ne compter que sur eux-mêmes.
Russes et Américains se partagent le monde en zones d’influence fondées sur l’actuel statuquo, ce que les Continentaux craignaient depuis longtemps. Et surtout, ils s’arrangent pour qu’aucune troisième force, qu’elle soit d’Asie ou d’Europe, ne vienne troubler leur hégémonie ; faute de pouvoir, à cause de leurs difficultés présentes, espérer l’emporter l’un sur l’autre, Russes et Américains, tout en se querellant en tous points périphériques de leurs empires respectifs, éviteront de toucher à leurs positions réciproques. Ils s’accordent un répit et s’entendent pour empêcher d’autres d’en profiter. Tel est en gros le point de vue des Européens sur l’état présent du monde.
La Position Anglaise
Quant aux Anglais qui se tiennent à l’écart, leur position n’est pas facile. Elle est même inextricable. Resteront-ils attachés à l’alliance américaine, malgré le peu de profit qu’ils en peuvent attendre ou forceront-ils la porte de l’entente européenne, ce qui comporte des avantages, mais aussi des sacrifices auxquels le Britannique répugne ? Quoi qu’on en dise, et quoi que MacMillan en ait dit lui-même, la décision n’est pas prise. Les Continentaux de leur côté, méfiants, hésitent à accueillir l’Angleterre dans leur groupe. Le passé n’est guère encourageant et les apports d’une association britannique dans leurs affaires ne sont pas certains ; les risques au contraire, le sont.
L’Influence d’Israël en Afrique Noire
Un dernier cas, le plus intéressant peut-être : Israël. On annonce pour les prochains mois une impressionnante série de visites de chefs d’Etat africains en Israël : Quatre de l’ancien empire français et Tubman du Libéria. D’autres des Etats anglophones sont venus ou viendront. Il y a plusieurs années déjà, pratiquement dès leur accession à l’indépendance, que les pays d’Afrique noire ont fait l’objet de l’attention des Israéliens et l’exemple de leurs méthodes et de leurs réalisations a fait grande impression sur les dirigeants noirs. Des techniciens israéliens ont été appelés et ils sont un peu partout à l’œuvre. S’ils avaient pu être appuyés par les gros crédits dont les nouveaux Etats ont besoin, il est probable que les Israéliens auraient en Afrique noire une situation plus importante que les Russes et les Américains qui s’y livrent à une rivalité coûteuse et peu efficace. Un exemple presque comique : ce sont des militaires israéliens qui vont instruire les recrues de l’armée de la Côte d’Ivoire ! Ce qui joue en faveur des Israéliens, outre leur habileté, c’est qu’ils sont un jeune peuple menacé et qui ne peut nourrir d’ambitions politiques, comme les Grands. C’est aussi ce mélange de pragmatisme et de socialisme unique en son genre que pratique Israël, et ce sont surtout les Russes qui accusent la concurrence à la fois économique et idéologique. On attribue à tort ou à raison, les récentes persécutions du gouvernement de Moscou contre les Juifs à ces progrès marqués par Israël dans les pays où les Russes avaient des visées. Ce qui est sûr, c’est qu’ils cherchent à discréditer sous le vocable de Sionisme les initiatives israéliennes en pays sous-développés, mais la confiance de ceux-ci dans les méthodes dudit Sionisme n’en est nullement altérée.
CRITON