Criton – 1963-09-14 – L’Histoire de 1956

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Le Courrier d’Aix – 1963-09-14 – La Vie Internationale

 

La Polémique Russo-Chinoise

La polémique russo-chinoise s’accentue, et ce sont les Chinois qui déversent sur Krouchtchev des tombereaux d’injures en de longs articles où sont révélés de prétendus secrets sur les événements d’octobre-novembre 1956. Confrontant leurs déclarations avec les articles que nous publiions alors, il ressort que Pékin ne dit pas la vérité et que les commentateurs occidentaux, eux aussi, s’y perdent. Revenons donc sur ce point d’histoire capital dans les relations entre pays communistes.

 

L’Histoire de 1956

Devant le désarroi provoqué chez les Russes par les émeutes de Poznań et la révolution hongroise, les Chinois s’empressèrent de tenter d’en tirer profit : l’affaiblissement de l’U.R.S.S. au cas où elle aurait dû capituler devant l’émeute, avait pour les Chinois un double avantage : leur donner une position dominante dans le mouvement et obtenir des Russes, en échange de leur appui, des avantages substantiels parmi lesquels la participation aux secrets atomiques. Ils commencèrent donc, avant que les Soviets n’aient envoyé leurs tanks à Budapest, par soutenir les « justes revendications des peuples hongrois et polonais » et accuser l’U.R.S.S. de faire preuve de « chauvinisme » en cherchant à les opprimer. Ils se déclaraient même solidaires avec Tito qui n’était pas le renégat d’aujourd’hui, qui soutenait les Hongrois et croyait le moment venu d’établir à son profit une fédération des pays d’Europe Centrale (on sait que Krouchtchev l’avait fait venir sur les bords de la Mer Noire, peu avant les événements pour le circonvenir).

Les Soviets négocièrent en toute hâte avec les Chinois, et sitôt que la révolte hongroise fut écrasée, Pékin changea d’attitude et approuva la répression. Il est donc faux, comme ils le prétendent aujourd’hui qu’ils aient empêché les Russes de capituler devant la révolte. C’est exactement le contraire. Quant à Krouchtchev, on ne sait s’il a hésité à employer la force ou s’il a, pendant les trois jours décisifs, fait croire aux révoltés qu’il retirait ses troupes pour mieux repérer et arrêter ensuite, comme il l’a fait après, les instigateurs de la révolution. Quoi qu’il en soit, Chou en Laï, tout en abandonnant les Hongrois, continuait à intriguer à Varsovie où il fit deux voyages, et à accuser les Russes de « chauvinisme ».

De nouvelles négociations russo-chinoises eurent lieu et c’est alors que Krouchtchev promit la bombe aux Chinois pour qu’ils cessent de se mêler de ses relations avec ses satellites. Ce n’était qu’une feinte et Krouchtchev, les choses rentrées dans l’ordre, renia ses engagements. Il avait fait de même avec Tito. Après avoir promis de libérer Nagy réfugié à l’Ambassade de Yougoslavie, il le fit arrêter et plus tard exécuter. Ce fut la fin de la réconciliation russo-yougoslave. Dans cet assaut de fourberies, Krouchtchev avait joué au plus fin. La vengeance est un plat qui se mange froid. Les Chinois le prouvent aujourd’hui.

 

Les Incidents de Sin-Kiang

Quant aux révélations chinoises sur leur conflit avec les Russes au Sin-Kiang, nos lecteurs en ont eu connaissance à l’époque. Ce qu’ils omettent de dire, c’est que les Russes ont cherché là, et semble-t-il avec succès, à désorganiser la production pétrolière vitale pour la Chine qui manque de carburant liquide que les Soviets refusent par ailleurs de leur livrer.

 

L’Affaire du Vietnam

Il faudrait consacrer un long article à démêler le chassé-croisé d’intrigues qui se nouent et se dénouent au Sud-Vietnam et encore n’arriverions-nous pas à les tirer au clair. Notons seulement ce qui paraît assuré : les Américains, avant l’arrivée à Saïgon de l’ambassadeur Cabot Lodge, ont tenté de renverser Diem et de lui substituer une dictature militaire flanquée, si possible, d’une représentation d’apparence démocratique. Le coup a échoué, Diem et son clan ont repris le dessus et il semble même que l’intervention intempestive de la France ait rallié autour de lui tous ceux qu’effraye une solution neutraliste du genre laotien. L’opposition subsiste et même les manifestations hostiles, mais du côté bouddhistes comme du côté militaire, Diem a neutralisé la révolte, pour le moment du moins, et la lutte contre le Viêt-Cong continue et même s’amplifie. Faute de solution de rechange, les Américains chercheront à démocratiser le régime ou tout au moins à lui donner une physionomie nouvelle. Il faudra beaucoup de patience et de dollars.

 

La Mort de Robert Schuman

La mort de Robert Schuman, les nombreux hommages rendus à sa personne et à son œuvre, ont montré combien l’espoir d’une Europe unie demeurait vivant malgré les déceptions récentes. Ce rassemblement de personnalités éminentes autour de son cercueil avait quelque chose d’une protestation solennelle contre ceux qui y font obstacle. Dans ce rêve d’une autorité supranationale se substituant par étapes aux égoïsmes nationaux, il y a plus qu’une conception politique ; Schuman et ses amis y voyaient le moyen de promouvoir une ère nouvelle dans les relations humaines. Si loin qu’on soit du but, la volonté d’y tendre demeure. Malheureusement, on avait autour de 1950, sous-estimé les forces contraires. Le développement progressif des institutions internationales n’a été en fait que la prolifération de bureaucraties où les divergences s’affrontent plutôt qu’elles ne s’effacent. Ces bureaucraties, si inopérantes qu’elles soient, ont leur mérite : grâce à leur solidité, elles résistent aux courants adverses et se retrouveront intactes quand des temps meilleurs leur rendront la vie.

 

La Poussée des Nationalismes

Pour l’heure, nous assistons à une poussée de nationalismes de plus en plus arrogants, qui par contagion s’étendent comme une épidémie à l’ensemble de la planète. Ils ne semblent pas encore arrivés au paroxysme des discordes raciales ou tribales, ou n’en trouve-t-on pas ? jusqu’à la paisible Suisse, où le terrorisme s’est récemment manifesté dans la vieille querelle entre le groupe ethnique Jurassien et le Canton de Berne. Terrorisme aussi en Haut-Adige mené par les groupes germanophones contre les autorités italiennes. En Belgique, entre Flamands et Wallons, les échauffourées se succèdent à intervalle. Même par-delà le rideau de fer, les antagonismes se font jour malgré la rudesse du pouvoir, entre Slovaques et Tchèques, par exemple. Ne parlons pas du Monde arabe, où au Maghreb même, Algériens et Marocains sont aux prises dans la région d’Oujda. Irakiens et Kurdes se battent en Moyen-Orient. En Afrique noire, les coups d’Etat appuyés par les rivalités tribales, menacent à peu près tous les gouvernements. Quant au racisme, l’agitation noire aux Etats-Unis est loin de s’apaiser. On se demande même si l’action du gouvernement Kennedy, si louable en soi, ne contribuera pas à l’aggraver.

Les accords plus apparents que réels entre Etats, ne subsistent souvent que par la lutte plus ou moins verbale contre un ennemi commun, Israël pour les Arabes, le Portugal et l’Afrique du Sud pour les Africains. L’ironie du sort veut que ce soit précisément contre le seul Etat où la coexistence raciale est relativement harmonieuse, l’empire africain portugais que tous les nationalismes de couleur se déchaînent. Mais, comme on le voit, Blancs et Gens de Couleur participent dans la même cruelle intransigeance aveugle si contraire à l’idéal comme à l’intérêt de l’humanité.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1963-09-07 – Le Voyage de Krouchtchev en Yougoslavie

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Le Courrier d’Aix – 1963-09-07 – La Vie Internationale

 

Le Voyage de Krouchtchev en Yougoslavie

Le long voyage de Krouchtchev en Yougoslavie n’a pas changé grand-chose aux relations entre les deux pays. L’accueil des populations fut plutôt réservé, les résultats politiques incertains. Tito a maintenu sa position neutraliste. Il ne s’associera pas au Comecon. Il ne se prêtera pas à la division du travail entre pays socialistes. Les divergences subsistent sur l’organisation industrielle. Seuls les échanges entre l’U.R.S.S. et la Yougoslavie seront accrus. C’est peu.

Krouchtchev ne pouvait pas espérer intégrer Belgrade dans le Bloc oriental européen. Il n’y tenait peut-être pas. Le but essentiel de sa visite était de marquer que dans la famille socialiste un pays pouvait suivre ses voies propres en vue d’objectifs communs, et que les méthodes de Tito étaient différentes mais non opposées à celles de l’U.R.S.S. Tito dont cette visite renforce le prestige, pourra proposer aux pays non engagés qui se défient des expériences sociales de l’U.R.S.S., et plus encore de la Chine, des formules plus souples de collectivisation. Et cela non seulement aux pays sous-développés mais aussi aux Partis ouvriers des pays capitalistes. Avec un programme moins révolutionnaire, ces partis frères peuvent se présenter comme réformistes, sortir de leur isolement et se rapprocher du pouvoir comme on le voit en Italie et peut-être le verra-t-on demain en France.

La réconciliation spectaculaire de Krouchtchev et de Tito doit surtout servir à détourner les marxistes de l’exemple chinois et même à s’écarter au besoin du modèle soviétique. Dans cette perspective, le voyage de Krouchtchev n’a pas été inutile.

 

L’Intervention du Général de Gaulle dans la Crise du Vietnam

L’intervention du Général de Gaulle dans la crise vietnamienne fait presque autant de bruit que la Conférence du 14 janvier. Comme alors, les réactions vont de la surprise à la critique et même à la colère aux Etats-Unis, ce qui se comprend. On s’interroge sur les motifs de cette déclaration. La France ne peut rien pour rétablir la concorde au Vietnam où personne du reste n’a pu réussir. Les sectes, les factions politiques, les rivalités individuelles sont plus nombreuses qu’ailleurs, même en Extrême-Orient. Les Bouddhistes qui sont actuellement les protagonistes de l’opposition ne représentent qu’en théorie la majorité de la population. En fait, ils sont encore moins nombreux que les catholiques. Les intellectuels qui les soutiennent se dresseraient contre eux, si, par impossible, ils prenaient le pouvoir.

Dans l’ordre politique, il n’y a qu’une alternative, Diem ou l’armée, et l’évolution actuelle montre que l’armée préfère encore Diem à tout autre. Les Américains qui attendaient d’un coup d’Etat militaire le moyen de se débarrasser de la famille Nu se sont ravisés.

Dans l’ordre national, il n’y a aussi qu’une alternative : la continuation de la lutte contre le Viêt-Cong avec l’armée américaine, ou l’installation du communisme à Saïgon après une période neutraliste comme au Laos. Qui peut croire qu’Ho Chi Ming se conformerait à quelque statut international ? Ce ne pourrait être qu’une transition vers la prise totale du pouvoir. Même s’il le voulait, d’ailleurs les Chinois ne le laisseraient pas faire. Au surplus, une telle solution, la neutralisation du pays, même si elle réussissait, serait préjudiciable aux intérêts économiques de la France encore considérables au Vietnam. L’exemple du Laos est là encore pour le montrer.

 

Les Motifs de cette Intervention

Il est impossible qu’à Paris on s’abuse sur des données aussi évidentes. Alors ? Il y a, bien sûr, le désir de rehausser le prestige français auprès des Vietnamiens exilés ou des partis opposés à la présence américaine là-bas. Mais il y a surtout dans l’intervention du Chef de l’Etat français des mobiles de politique intérieure : rien ne peut mieux désarmer l’opposition de gauche qu’un camouflet aux Américains, comme autrefois il suffisait d’être anticlérical pour rallier ses suffrages. Dans certains milieux, la haine du Yankee passe tout. Il suffit de lire une certaine presse française, jadis véhémente contre le pouvoir dit réactionnaire, pour voir sa complaisance actuelle et son hostilité encore latente se nuancer de discrète approbation. Pour la droite, par ailleurs, on ne ménage pas les apostrophes contre la tyrannie totalitaire des Soviets, ce qui ne manque pas non plus son effet. Mais les communistes s’en moquent bien, pourvu que les Anglo-Saxons soient tancés. Tout ce qui éloigne la France de l’Alliance Atlantique a infiniment plus de prix que quelques rudesses verbales auxquelles ils sont accoutumés.

Quoi qu’il en soit, cette intervention dirigée contre la présence américaine au Vietnam, si elle réjouit certains, a suscité dans la presse étrangère une mauvaise humeur générale. On n’est pas tendre pour notre politique et le renom même de la France en est atteint. Nos intérêts matériels ne manqueront pas d’en souffrir aussi. Aux Etats-Unis même, les réactions hostiles ne faciliteront pas les futures négociations qui tôt ou tard devront affronter les difficiles problèmes économiques qui divisent Européens et Anglo-Saxons. A Rome et à Bonn, l’irritation n’est pas moins vive.

 

Les Raisons des Etats-Unis pour continuer la Lutte

Pratiquement d’ailleurs, l’intervention française dans la crise du Vietnam ne changera rien. Les Etats-Unis sont engagés et le million de dollars quotidien qu’ils dépensent là-bas pèse plus lourd que des offres de collaboration purement diplomatique. Il y a plus : la guerre au Vietnam est pour les Etats-Unis un champ de manœuvre permanent où, au prix de pertes légères, l’armée américaine peut expérimenter ses méthodes de combat dans la seule forme de lutte armée concevable à l’âge atomique : la lutte contre la subversion, ce qu’on appelle des « feux de broussailles ». Cet entraînement est précieux. On y essaye des tactiques, des engins et aussi des moyens d’action psychologique et malgré de grosses difficultés et quelques revers locaux, les militaires américains ne désespèrent nullement du succès final comme le répète le chef du corps expéditionnaire le général Harkins.

 

L’Agonie du Marché Commun

Les espoirs d’unification européenne s’affaiblissent chaque jour. Nous n’avons jamais cru au succès permanent du Marché Commun, mais nous pensions que cette désagrégation, après une période d’euphorie due à l’expansion rapide de l’Europe, serait déterminée par son ralentissement, par la surproduction qu’entraînent tôt ou tard de trop rapides progrès. Or il n’en est rien. Alors qu’au printemps, on pouvait s’attendre à un affaissement de la conjoncture, que des signes évidents de mévente se manifestaient en Allemagne et même en France, ces derniers mois ont vu au contraire un redressement inattendu. Même en Angleterre, la conjoncture s’améliore et, sauf peut-être en Italie, pour des raisons politiques, la courbe reprend son ascension. Ce n’est donc pas sous l’effet d’une crise d’ordre économique que le Marché Commun se dissout. Ce n’est pas non plus pour des raisons de pure politique, bien que celle de la France y ait une large part, mais pour des raisons plus profondes. A mesure qu’ils se développent, les pays du Marché Commun – et ce sera encore plus vrai pour l’Angleterre si elle se redresse sensiblement – ont des structures économiques qui vont divergeant. Au lieu de devenir complémentaires, leurs économies se font de plus en plus concurrentes. Et il y a surtout l’obstacle agricole. Une Europe qui pourrait se suffire pour se nourrir ne le peut que  grâce à la France, et les économies des autres pays membres ne peuvent, sous peine de voir se restreindre leurs marchés d’exportation de façon grave, dépendre du seul apport agricole français. Tout ce qui peut demeurer du Marché Commun, c’est la libéralisation acquise des tarifs douaniers industriels, et même en ce domaine, rien n’est définitif, surtout si comme c’est le cas depuis janvier, une volonté d’obstruction sournoise travaille à le saper.

 

                                                                                            CRITON

 

 

 

Criton – 1963-08-24 – Les Inquiétudes Allemandes

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Le Courrier d’Aix – 1963-08-24 – La Vie Internationale

 

Comme on en avait l’impression, les Russes insistent pour de nouveaux accords. Les Américains se montrent ouverts, mais prudents ; le Pacte de non-agression entre les deux Alliances militaires soulevait trop d’objections ; le consentement de tous les membres de l’O.T.A.N. ne paraissant pas réalisable ; on s’entretiendra donc de l’établissement de postes d’inspection dans les deux Allemagnes pour prévenir une attaque surprise. L’idée avancée par les Etats-Unis a été reprise par les Soviets. Entre temps, les renseignements fournis par les satellites de l’espace à des fins scientifiques et météorologiques seront mis en commun. Des délégations de savants américains se rendent en Sibérie, des Russes en Californie. La collaboration s’étend.

 

Les Inquiétudes Allemandes

La France seule se tient à l’écart. L’Allemagne de Bonn, elle, s’efforce, tout en se conformant à la politique américaine, de faire valoir ses intérêts et de ne pas laisser les Anglo-Saxons en tête-à-tête avec les Russes régler les problèmes européens. Le gouvernement d’Adenauer a signé l’accord sur l’arrêt des expériences nucléaires, à condition qu’il soit reconnu qu’il est le seul représentant du peuple allemand. Ulbricht, de son côté, a signé mais seulement à Moscou, les Ambassadeurs de l’Allemagne fédérale l’ont fait dans les trois capitales. Les Russes n’ont élevé aucune objection. Ce qui inquiète Bonn, ce n’est pas la reconnaissance implicite de la zone russe comme Etat. Les Anglo-Saxons se sont engagés à ne l’admettre en aucun cas et leur parole n’avait pas besoin d’être réaffirmée. Mais d’accord en accord, on craint que l’état de fait se soit perpétué et la réunification de l’Allemagne impossible. C’est pourquoi le Gouvernement de Bonn entend que, si des postes d’inspection fixe sont établis de part et d’autre du rideau de fer, ces installations ne soient pas limitées à l’Allemagne, mais étendus à toute l’Europe centrale et occidentale.

 

Les Vues de Kennedy

Les vues de Kennedy ne sont pas opposées, mais différentes. La réunification de l’Allemagne n’est pas pour lui un problème actuel et ne peut être remis sur le tapis au point où en sont les négociations avec les Russes, ce serait les compromettre. Ce qui importe aux Américains, c’est de pénétrer de toutes manières possibles par-delà le rideau de fer : tractations financières et commerciales, échanges de savants, d’hommes d’affaires, de touristes, postes d’observation militaires, coopération de techniciens de l’espace, tout est bon pourvu que la présence des Etats-Unis se fasse sentir. Le reste n’est que prétexte et l’on tournera encore autour du désarmement, sans la moindre intention d’y procéder, cela tout en multipliant les propositions, c’est-à-dire celles que l’adversaire ne peut accepter, comme en dernier lieu, la remise des stocks d’uranium à un organisme international chargé de son utilisation pacifique. Les Russes souhaiteraient bien réduire leurs effectifs en Europe pour mieux surveiller la Chine, mais les Américains ne veulent pas réduire les leurs, ce qui pourrait paraître le début d’un retrait final.

 

La Polémique Sino-Russe

L’antagonisme sino-russe s’affirme un peu plus chaque jour, la polémique est ininterrompue. Les Chinois ont levé un voile du mystère des relations passées entre les deux puissances : le 15 octobre 1957, un accord aurait été conclu entre Moscou et Pékin par lequel les Russes s’engageaient à fournir à la Chine un modèle de bombe atomique et les renseignements techniques pour la fabriquer. Le 20 juin 1959, le Gouvernement soviétique a refusé de s’exécuter. « Le but de celui-ci, dit la déclaration chinoise, en préconisant la non-prolifération nucléaire, n’est pas de s’enchaîner lui-même, mais d’enchainer les pays socialistes autres que lui-même ». Naturellement, les Chinois tiendront l’accord de Moscou pour nul.

 

Les Chinois et la Bombe H.

Ceux de nos lecteurs qui ont suivi ces chroniques n’ignoraient rien de l’obstination des Chinois à obtenir des Russes les secrets atomiques, sinon les dates précises fournies aujourd’hui par Pékin. En fait, l’histoire est plus ancienne. Elle a commencé dès l’automne 1956. Au moment de la révolte hongroise et des troubles de Varsovie, Krouchtchev était aux abois et les Chinois cherchèrent à en profiter. Nous avions remarqué alors que, contrairement aux prévisions, Chou en Laï ne s’était pas rangé aux côtés des Soviets. A mots plus ou moins couverts, il avait désapprouvé la répression russe. Il s’était même rendu en Pologne. Krouchtchev irrité et inquiet l’avait sommé de regagner Moscou, et les entretiens ne durent pas être très cordiaux. C’est à ce moment sans doute que le Chinois demanda, en échange de son appui, la communication des secrets atomiques. En effet, par une volte-face rapide, Pékin condamnait dès décembre, les mouvements nationalistes et soutenait l’action russe à Budapest. Les tractations furent longues puisqu’on nous apprend que l’accord final sur la bombe ne fut signé que six mois plus tard. De même entre cet accord et le refus de 1959, bien des accrochages se sont produits entre Mao et Krouchtchev. Il y eut en mai-juin 1958 les rencontres successives des deux hommes puis la polémique dite idéologique à propos des « communes du peuple » décidées alors par les Chinois. Le refus final des Russes était donc acquis, bien avant qu’il ne fut officiel. Les techniciens soviétiques étaient déjà partis.

 

La Chute de Fulbert Youlou

La chute de Fulbert Youlou au Congo-Brazzaville à la suite d’une émeute populaire, a jeté l’inquiétude parmi les roitelets d’Afrique. Il y avait déjà le précédent de Sylvanus Olympio au Togo, et l’arrestation de Mamadou Dia au Sénégal, mais c’était plutôt des règlements de comptes entre rivaux, qu’une révolte de la rue. Les causes cependant sont les mêmes. Partout ces nouveaux venus au pouvoir abusant de leur autorité pillaient les caisses de l’Etat à leur profit et menaient grand train grâce aux subsides de l’ex-colonisateur. D’aucuns, comme Sékou Touré, soupçonnent cette même puissance de n’être pas tout-à-fait étrangère à la chute de leur protégé. Il se peut.

Dans le cas de Youlou, il y a autre chose : on se souvient qu’il avait pris parti pour Tschombé dans ‘affaire du Katanga et plus récemment négocié avec Salazar pour un règlement pacifique du conflit des colonies portugaises. On disait qu’il avait des visées expansionnistes et probablement un protectorat plus ou moins déguisé de l’enclave portugaise de Cabinda près des bouches du Congo. Cela ne faisait pas l’affaire d’Aboula, son voisin de Léopoldville. Les relations entre les deux Congos n’avaient cessé d’être troublées. D’autre part, les communistes, toujours actifs dans la région, voyaient en Fulbert Youlou le représentant du néo-colonialisme au service du capitalisme européen. La misère des masses favorisait leur action. Au Congo comme ailleurs, le problème est de placer au gouvernement des hommes compétents et honnêtes à qui le pouvoir ne tourne pas la tête. Beaucoup de soubresauts sont à prévoir avant qu’on y parvienne.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1963-08-20 – Les Conséquences Politiques de la Rupture Russo-Chinoise

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Le Courrier d’Aix – 1963-08-10 – La Vie Internationale

 

Les Conséquences Politiques de la Rupture Russo-Chinoise

Tandis qu’à Moscou on célèbre le Traité signé avec Américains et Anglais, la rupture de l’U.R.S.S. avec la Chine passe du domaine idéologique au politique. Si les Etats-Unis se réjouissent à bon droit de faire reculer la menace atomique pour longtemps, ils s’inquiètent de voir désormais les deux impérialismes communistes s’engager sur des voies différentes et même hostiles. Car Pékin n’aura plus à compter avec Moscou, qui sera sans pouvoir pour freiner sa politique agressive, que ce soit à Formose, en Corée, en Inde ou au Viet-Nam. Déjà en attaquant les patrouilles américaines au-delà de la ligne de démarcation en Corée du Nord, les Chinois ont voulu marquer qu’ils ne se considéraient plus tenus à observer des accords auxquels l’O.N.U. et les Russes les avaient obligés de souscrire. Le cas échéant, il en sera de même ailleurs.

 

L’Inquiétude en Inde

En Inde, l’inquiétude grandit : On fait état de concentration de troupes chinoises au Tibet et sur la frontière du Nord-Est. Des notes menaçantes sont envoyées par Pékin à la Nouvelle-Delhi, et Nehru dont l’autorité et le prestige ont beaucoup baissé depuis les défaites de l’automne dernier, se rend compte que sa politique de neutralité n’est plus qu’une fiction. Si les Chinois franchissent de nouveau l’Himalaya, il devra demander secours aux Américains et aux Anglais et ceux-ci ne pourront se dérober. Avec le Vietnam Sud et le Laos sur les bras, et le problème noir à domicile, les Américains ont assez de raisons d’être préoccupés.

 

La Poussée Chinoise vers le Golfe du Bengale

On ne sait rien évidemment des intentions chinoises : préparent-ils une invasion prochaine ou veulent-ils pour le moment affaiblir Nehru, imposer à l’Inde des dépenses militaires écrasantes et ruiner ses chances de développement ? Les deux hypothèses sont également vraisemblables. Mais on ne doute pas que tôt ou tard, la poussée chinoise vers le Sud se précisera. Nous renvoyons une fois de plus nos lecteurs à la carte d’une région peu connue qui fera un jour beaucoup parler d’elle : cette portion du territoire indien qui est au-delà de la péninsule et s’étend de l’Himalaya oriental à travers l’Assam vers les côtes du Golfe de Bengale le long de la frontière birmane.

Ce vaste pays n’est relié à la péninsule hindoue que par un étroit corridor entre l’Himalaya et le Pakistan Oriental, ce qui en rend la défense particulièrement difficile. Et le Pakistan a conclu récemment un accord frontalier avec la Chine, réglant la question des confins du Pakistan Occidental. D’autre part, le conflit du Kashmir qui oppose, depuis la séparation des deux Etats, le Pakistan à l’Inde, n’a pu être réglé, malgré les efforts des Anglais et des Américains. Nehru a commis une faute grave en ne composant pas à l’amiable un différend qui pouvait l’être sans capitulation d’un côté ou de l’autre. En se rapprochant de Pékin, le Pakistan a manifesté sa déception et l’on se demande s’il n’y a pas d’accord secret qui garantirait le Pakistan Oriental en cas d’invasion chinoise à l’Est de ce territoire.

 

L’Accord Malayasie-Indonésie-Philippines

Les menaces chinoises expliquent bien des choses. L’attitude prudente, sinon amicale, de la Birmanie à l’égard de la Chine et surtout l’accord finalement obtenu entre l’Indonésie, les Philippines et la grande Malaisie qui vient juste d’aboutir après mille péripéties. C’est là pour les Anglais et les Américains, un gros succès auquel les Soviets ont apporté un appui décisif.

Soekarno en effet ne voulait pas d’une Malayasie qui engloberait les territoires de Bornéo ex-britanniques qui font partie de l’Ile dont le reste lui appartient. Les Philippins de leur côté, émettaient des prétentions sur ces territoires. Ces jours-ci encore, Soekarno proclamait qu’il s’y opposerait par tous les moyens, et il a cédé. Mieux, les trois chefs d’Etat en cause s’entendent pour former ensemble une fédération dont l’objet serait précisément de faire obstacle à une poussée communiste, c’est-à-dire chinoise vers cette pointe de l’Asie et les îles qui leur font suite. Si Soekarno a consenti c’est que, privé de l’aide américaine, britannique et russe, le pays dont l’économie est catastrophique s’effondrerait dans le chaos et son chef avec lui. Il a pu d’ailleurs se renier aisément parce que l’opinion indonésienne est hostile à la pénétration chinoise comme l’ont montré les incidents récents de Djakarta et autres lieux dont nous avons parlé ici.

En fait, l’Insulinde et l’Inde elle-même sont passés de la neutralité à la protection conjointe des trois Grands : Etats-Unis, Angleterre, Russie ; on conçoit que cet échec a poussé au paroxysme la colère chinoise contre les Soviets.

 

La Conférence de Presse du Général de Gaulle

Les propos de la Conférence de presse du Général de Gaulle n’ont surpris personne. Ils ne contenaient rien d’inattendu. La force et la faiblesse de la politique française telle qu’il la mène, demeurent immuables. Par son intransigeance depuis 1945 et même avant, il a obligé ses partenaires à tenir compte de la France entravant toute initiative des Anglo-Saxons de nature à gêner nos intérêts nationaux, tels du moins qu’il les conçoit. Il use dans cette opposition systématique de tous les moyens diplomatiques dont il dispose, et malgré l’irritation de Londres et de Washington, l’obstacle français est difficile à tourner, cela est le côté fort ; le faible, c’est que l’isolement où cette politique conduit empêche d’en tirer un avantage quelconque. Comme on le voit présentement à Moscou, les affaires du monde se font sans la France. Elles ont pu déjà et pourront à l’avenir se faire contre elle.

 

La Menace contre le Marché Commun

De cette Conférence on a surtout retenu la menace d’une dissolution du Marché Commun, si d’ici la fin de l’année, les problèmes agricoles en suspens ne sont pas réglés selon les vues du Chef de l’Etat. Cette menace n’est pas sérieuse, car elle se retournerait contre nous ; mais elle est, elle aussi, un moyen de pression sur nos partenaires qui le supportent mal, surtout les Allemands. Ce sont eux en effet que la décomposition du Marché Commun affecterait le moins. Ils tiennent plus à la collaboration avec les Anglais et surtout avec les Américains qu’à des échanges limités à l’Europe des Six et cela, non seulement dans l’ordre économique mais aussi politique.

 

McNamara à Bonn

La visite prolongée que fait le Ministre américain de la Défense, McNamara à Bonn en est une preuve. Au cas où la France se détacherait plus ou moins complètement de l’Alliance Atlantique, Allemands et Américains étudient les moyens de se passer du support logistique français et d’établir des liaisons directes entre les forces américaines en Europe et la Bundeswehr. De même, ils élaborent en commun les moyens de défense de l’avenir, en particulier le char des années 70, la construction franco-allemande du char français ayant été abandonnée par Bonn.

Sur un autre plan, les divergences franco-américaines servent les Allemands. Ils veulent obtenir des Etats-Unis l’adoption d’une stratégie de défense à la frontière du Bloc soviétique et non en profondeur, comme les Américains le souhaitaient et l’application sans délai de la force atomique en cas de conflit. D’un autre côté, ils s’appuient sur l’opposition française à tout pacte avec la Russie et ses satellites qui pourrait compromettre la réunification. Tout cela intéresse plus les militaires et les diplomates que nous qui n’y voyons rien qui intéresse le proche avenir, mais cela montre assez que le refus de toute collaboration peut, à la longue, enlever tous les moyens d’action et d’influence que l’on comptait par-là utiliser. On voit déjà le moment où il sera impossible de renouer les fils quand cela deviendra indispensable.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1963-08-03 – L’Accord de Moscou

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Le Courrier d’Aix – 1963-08-03 – La Vie Internationale

 

L’Accord de Moscou

L’accord signé à Moscou sur l’arrêt de certaines expériences nucléaires a soulevé une vague de commentaires si variés et si souvent contraires qu’il est indispensable de faire le point. Il ne s’agit ni d’un événement historique marquant un tournant de la politique russe, prélude pour certains à une paix définitive, ni d’un simple protocole sans portée précise pour masquer des divergences qui demeurent, comme d’autres l’ont dit. C’est avant tout la première reconnaissance officielle de la part des Russes et des Américains des intérêts communs qui les lient. C’est, à ce titre, l’aboutissement du long et sinueux processus d’entente entre les deux puissances qui s’est imposé à eux plutôt qu’ils ne l’ont cherché : le conflit soviéto-chinois l’a fait passer de la correspondance secrète entre les deux K. à l’acte diplomatique d’aujourd’hui ; même si aucun autre accord public ne doit suivre, cette communauté d’intérêts s’affirmera sur les régions du globe où ils seront tôt ou tard menacés, en Inde en particulier.

 

Le Contenu de l’Accord

Quant à l’accord même, il ne contient pas grand-chose en substance puisqu’aucune inspection n’est prévue, que les essais souterrains n’y sont pas inclus et surtout, que chaque signataire se réserve le droit de s’y soustraire si ses intérêts vitaux sont en danger. Pourquoi donc Russes et Américains lui ont-ils donné tant de solennité ? C’était pour exploiter cette puissance émotive que soulèvent les retombées radioactives, aujourd’hui d’ailleurs des plus réduites. L’opinion en a pris horreur, et toute expérience nouvelle effectuée par une nation non encore atomique provoquera une réprobation unanime susceptible de favoriser une pression internationale sur le contrevenant, à l’O.N.U. par exemple. D’autre part, grâce à cet accord, Krouchtchev n’ayant pu éviter la rupture avec la Chine, consacre la politique de coexistence pacifique qui l’oppose à Pékin. S’il se trouve en Asie du Sud en conflit avec Mao, il s’appuiera sur cette politique pour lui barrer la route ou plutôt pour aider les Anglo-Américains à le faire. Les Américains de leur côté pensaient à limiter, faute de pouvoir l’empêcher, le développement de la force de frappe française et à stopper les plans d’Israël dans cette voie. Efficace ou non, l’accord de Moscou tend à préserver le monopole atomique détenu par les trois partenaires.

 

Succès ou Échec ?

Contrairement à ce que l’on pense généralement, ces laborieuses négociations de Moscou ont abouti à masquer un échec plutôt qu’à  consacrer un succès. C’est en effet le minimum d’entente qui a été réalisé comme nous venons de le voir. Les Russes cherchaient en partant de l’arrêt des expériences à obtenir davantage, Krouchtchev l’avait d’ailleurs dit : un pacte de non-agression entre les puissances de l’O.T.A.N. et celles de Varsovie, l’inspection réciproque des installations militaires dans les deux Allemagnes impliquant la reconnaissance de la D.D.R. et le maintien du statu quo, Kennedy ne l’a pas voulu. A un an de sa réélection il lui fallait ménager ses militaires et l’opposition républicaine à la recherche d’un tremplin électoral.

Pour étendre le dialogue il aurait fallu que Krouchtchev abandonne ses positions à Cuba et Castro à son sort. Il ne le pouvait pas sans renier les promesses faites à Castro lui-même au cours de son récent voyage en U.R.S.S. Or la question cubaine dont on est censé n’avoir pas discuté à Moscou, est d’une autre importance pour les Américains que l’arrêt d’expériences dont ils peuvent parfaitement se passer dorénavant, tout comme les Soviétiques qui ont achevé les leurs l’an passé. Moscou tient avec Cuba un atout qu’on ne lâchera pas sans une grosse contre-partie que les Etats-Unis ne peuvent consentir. C’est la question cubaine qui bloque pour un avenir indéterminé tout règlement pacifique global entre l’Est et l’Ouest.

En ce sens l’accord d’hier marque la limite modeste de la détente : la course aux armements n’en sera pas arrêtée, elle prendra simplement d’autres aspects, explorera d’autres champs de recherche dans l’ordre défensif. L’entente russo-américaine n’empêchera pas ces deux puissances de tenter de s’assurer la supériorité. Le budget américain de la défense n’en sera pas pour autant allégé. Krouchtchev l’aurait sans doute souhaité, mais les Américains, forts de leur richesse, craignant aussi le trouble qu’une déflation militaire provoquerait dans leur économie, tiennent à demeurer les plus forts. Ils ne s’en cachent pas.

 

Le Problème du Dollar

Cependant, le problème du Dollar demeure : la balance américaine des paiements, malgré les assurances optimistes, s’aggrave plutôt qu’elle ne s’améliore : 700 millions de déficit pour le premier trimestre 1963. Kennedy n’a pas hésité à prendre des mesures qui restreignent encore la convertibilité de la monnaie, de façon indirecte sans doute, mais positive. Outre l’élévation du taux d’escompte d’une efficacité limitée, il est décidé à imposer une taxe prohibitive aux achats de valeurs étrangères par les citoyens américains et une autre pour décourager les emprunteurs étrangers de placer des emprunts aux Etats-Unis. Le Congrès devra se prononcer là-dessus et les controverses ne manqueront pas. Déjà, on prévoit des exceptions à la règle en faveur des Canadiens pour qui le marché américain des capitaux est indispensable. Le Japon et d’autres demanderont des assouplissements.

En matière financière on n’est jamais sûr des répercussions des mesures prises. Ces restrictions à la libre circulation des capitaux rétabliront-elles la confiance dans le Dollar ou au contraire l’ébranleront-elles davantage ? Les banques américaines établies à l’extérieur se soumettront-elles de bon gré aux recommandations qu’on leur enjoint ? Autant d’inconnues. Le problème monétaire qui n’est pas seulement américain mais mondial, a besoin d’une refonte radicale. chacun le sent. Ce ne sont pas des mesures de fortune qui le résoudront.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1963-07-20 – Le Divorce Sino-Soviétique

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Le Courrier d’Aix – 1963-07-20 – La Vie Internationale

 

Le Divorce Sino-Soviétique

La radio soviétique a diffusé des heures durant les accusations chinoises et les contre-accusations russes dans cette procédure en divorce à laquelle le monde communiste entier est invité à participer. En l’écoutant, nous nous efforcions d’être un citoyen russe attentif aux arguments proposés. Nous en aurions conclu que les deux Parties mentaient à l’envi pour cacher leurs véritables griefs, impression que sous toutes latitudes, d’ailleurs, on retient des harangues des avocats. Quand le jugement sera-t-il rendu et par qui ? Jamais peut-être, ce qui ne changera rien à l’état des choses. Les deux communismes ne se ressouderont jamais.

 

La Politique Chinoise de Staline et Krouchtchev

A notre avis, cette rupture qui modifie le cours de l’histoire est à compter parmi les fautes de Krouchtchev. La politique constante de Staline fut non pas de favoriser, mais au contraire, d’empêcher la formation d’un autre grand Etat socialiste que l’U.RS.S. Que ce soit l’Allemagne ou la Chine, ils les voulaient faibles et divisées. Leur régime politique était chose secondaire. Dès que la guerre contre le Japon fut terminée, Staline fit démonter et enlever toutes les installations industrielles édifiées par les Japonais en Mandchourie et ne laissa aux communistes en guerre contre Tchang Kaï Chek, que les dépôts d’armes constitués par l’armée japonaise. La guerre civile était le meilleur régime que Staline souhaitait pour la Chine, et quand les communistes en 1949 l’eurent emporté, il ne leur donna qu’une aide réticente et symbolique. Ce fut au cours des années 53-58, que les Chinois reçurent l’assistance technique et les concours financiers que les Soviets rappellent actuellement à leur adversaire. Quand Krouchtchev s’aperçut que la Chine pouvait devenir une rivale, il renversa sa politique et coupa fournitures et crédits. Le ressentiment chinois s’explique. S’ils n’avaient jamais reçu, ils ne pourraient pas se plaindre du mauvais procédé.

 

L’Après « Après-guerre »

Dans le « New-York Herald », Walter Lippmann intitule un important article « l’Ere de l’Après-guerre », montrant par là que les années 45-63 forment une époque historique et qu’aujourd’hui le schisme russo-chinois en ouvre une autre. Il note avec raison que cet événement a pour contre-partie un profond changement dans le système de l’unité occidentale telle qu’elle s’est établie dès que l’antagonisme Est-Ouest est apparu irréconciliable et menaçant. Maintenant, le sentiment de ce péril s’est atténué et l’unité européenne se désagrège : l’échec de l’axe Paris-Bonn en est la meilleure preuve. Le Marché Commun lui-même, malgré ses bons états de service, ne se maintient que grâce à  sa solide bureaucratie et aux transfusions de sang auxquelles les diplomates, comme ils viennent de le faire à Bruxelles, procèdent périodiquement.

Si l’on admet que, plus ou moins vite, le virus nationaliste perdra de son acuité, l’avenir ne peut consister qu’en une coopération plus ou moins lâche du Monde Atlantique à laquelle s’associeront plus ou moins étroitement les pays satellites de l’Est, dans la mesure où Moscou ne pourra les en détourner, comme on le voit, déjà en Roumanie. Ce qui est acquis, c’est que la petite Europe, celle des Six, n’a pas d’avenir. L’Allemagne d’Erhard ou de Willy Brandt n’en veut pas.

 

La Rigidité de la Politique Française

Certains commentateurs optimistes par tempérament annoncent déjà que la politique française un peu accablée par ses échecs successifs, change d’orientation : Pourquoi ? Eh bien, parce qu’à Bruxelles, M. Couve de Murville a consenti à ce que les pourparlers avec l’Angleterre soient repris dans le cadre de l’U.E.O. tous les trois mois afin, dit-on, que l’Angleterre se prépare, en s’adaptant, à entrer dans le Marché Commun. Affirmer cela, c’est méconnaître les règles de ce jeu de société qui s’appelle la diplomatie où notre Ministre excelle. Le Parti conservateur anglais étant condamné, il ne peut au cours de l’année qui lui reste, préparer une association que ses successeurs ont par avant refusée, tout au moins dans la forme où elle pourrait leur être offerte ; les réunions au sein de l’U.E.O. qui a d’ailleurs pour fonction d’abriter les questions mortes, n’engagent personne.

La politique française, quelles qu’en soient les incidences demeurera intangible. Les exécutants de cette politique avaient bien essayé de l’infléchir quand le voyage de Kennedy en Europe fut annoncé. Nous l’avions noté ici au passage. Cette illusion fut courte. Le Pouvoir y a coupé court.

 

L’Affaire Kurde

Il y a à Moscou un laboratoire à organiser et à exploiter les conflits qui ne chôme jamais et trouve toujours matière à s’exercer. L’affaire kurde est la dernière en date. Tant que Kassem régna en Irak, il put massacrer les Kurdes sans que les Russes y voient d’inconvénient parce que Kassem accueillait à Bagdad les missions soviétiques, et que l’armée irakienne, en lutte contre les Kurdes, étaient commandée par des généraux favorables à Moscou. Mais depuis la mort de Kassem, Aref a exécuté les communistes et purgé l’armée. Celle qui a repris la guerre contre les Kurdes a d’autres chefs. Les missions soviétiques ont plié bagage. Alors Moscou se pose en protecteur des Kurdes et menace de défendre leurs intérêts par une intervention directe qui vise, en dehors de l’Irak, la Turquie, la Syrie et l’Iran, où vivent des minorités kurdes. Les menaces des Russes ne font plus trembler personne, pas même leurs voisins musulmans. En d’autres temps, la note soviétique aurait fourni des titres à sensation. Ce qui illustre bien le changement.

 

Les Conversations Anglo-Américano-Soviétiques

Les conversations tripartites qui s’ouvrent à Moscou sur l’arrêt des expériences nucléaires vont peut-être fournir une indication sur l’orientation de la politique soviétique. L’impression recueillie par M. Spaak, le ministre belge qui s’est longuement entretenu avec Krouchtchev à Kiev, semble confirmer l’impression que les Russes se résignent pour un temps à supporter la supériorité américaine dans ce domaine et veulent ralentir la course aux armements pour consacrer plus de ressources aux investissements productifs, afin de relever la consommation intérieure. Cette hypothèse, si vraisemblable qu’elle soit, demande confirmation.

 

                                                                                            CRITON

 

 

Criton – 1963-07-13 – L’Échec de Bonn

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Le Courrier d’Aix – 1963-07-13 – La Vie Internationale

 

L’Échec de Bonn

L’échec des négociations franco-allemandes de Bonn a pris le pas dans les commentaires sur le conflit russo-chinois. La presse étrangère n’est pas tendre pour la politique française depuis la fameuse conférence de presse du 14 janvier. Il était clair que le malencontreux Traité franco-allemand signé juste à ce moment, non seulement ne rapprocherait pas la politique des deux pays, mais risquait d’ébranler le long travail de réconciliation si heureusement conduit par la IV° République. La tristesse et l’irritation du chancelier Adenauer ces jours-ci, l’abstention et le silence de la rue après le délire d’enthousiasme soulevé par le passage du président Kennedy, montrent assez que la défiance s’est installée de l’autre côté du Rhin. Jusqu’ici, la politique suivie par la France l’avait conduite à l’isolement. Il faut compter aujourd’hui avec une hostilité quasi-générale.

 

La Réunion des Syndicats Libres à Dortmund

Dans une grande réunion à Dortmund, les Syndicats libres des Six pays du Marché Commun se sont prononcé contre le Traité franco-allemand, contraire à l’esprit du temps a dit Ludwig Rosenberg, président du D.G.B. Vingt-trois mille syndicalistes allemands y participaient et deux mille étrangers. Il y avait là Jean Monnet, le président de la Commission de Bruxelles Walter Hallstein, le président du Bundestag Gerstenmaier, le chef de la Social-démocratie Ollenhauer, et les Ambassadeurs anglais et américains, Mac Ghee et Roberts. Tous se sont prononcés pour l’unité des peuples d’Europe dans un Etat fédératif unique, manifestation sans portée pratique qui n’avait pour objet que de condamner la politique française et de donner une ampleur sans précédent à un courant d’opinion hostile à un nationalisme étroit, stérile et périmé.

 

La Compétition Idéologique

Tout cela n’est pas dramatique car, malheureusement ou heureusement selon le point de vue que l’on adopte, le cours des événements internationaux ne dépend plus des décisions de la France. Tout au plus, peuvent-elles le freiner pour un temps, mais cela suffit à nuire à un rayonnement spirituel qui est aujourd’hui notre meilleur espoir et notre véritable vocation de puissance mondiale, car sur ce plan aussi, celui de la compétition pour la conquête des esprits, la lutte est engagée. Le schisme idéologique du communisme en est un aspect, l’effort des Américains pour surmonter la crise raciale en est un autre. Il n’est pas de nation, grande ou petite, qui ne présente une idéologie propre ou collective pour faire avancer son prestige en même temps que des intérêts matériels.

Nous sommes inondés des propagandes les plus diverses au service d’une idée force. Les pays noirs ont la leur. Elle s’est manifestée à Addis-Abeba, plus récemment par le projet de fédération d’Afrique orientale qui réunira le Kenya, bientôt indépendant, à l’Ouganda et au Tanganyika qui le sont déjà. On l’a vu à l’œuvre au Bureau International du Travail dirigé contre le Portugal et l’Afrique du Sud, demain dans d’autres organismes internationaux et à l’O.N.U. Tout ce que le communisme a perdu en influence, les non-engagés cherchent en se groupant, à l’intégrer dans leur dynamisme propre, à forger des slogans nouveaux susceptibles de leur valoir des adhérents. Toutes ces cristallisations mouvantes, si l’on peut associer ces deux mots, qui se sont exprimées depuis Bandoeng et dont les centres se déplacent sans cesse, sont des facteurs psychologiques avec lesquels l’histoire contemporaine doit plus que jamais compter. Quand on a la prétention d’aller dans le sens de l’histoire, il conviendrait de ne pas adopter la seule attitude qui lui soit manifestement contraire, toutes les autres pouvant avec un peu d’imagination s’y conformer.

 

Le Rapprochement Russo-Américain

Si l’on tient pour acquis la rupture entre Pékin et Moscou, il reste à voir si cet événement favorisera de façon décisive le rapprochement américano-soviétique dont les signes, comme nous l’avons vu, se sont multipliés depuis fort longtemps. Un nouveau petit pas vient d’être franchi : l’établissement de la ligne téléphonique directe entre Moscou et Washington, dite « hot line » qui en cas de crise devrait permettre aux deux capitales de s’entretenir immédiatement. Le 15 juillet s’ouvrira la négociation de Moscou sur l’arrêt des expériences nucléaires. Elle n’aurait pas été décidée si l’on n’était pas convenu d’avance d’en publier un résultat positif. Mais ce peut être un simple acte diplomatique comme tant d’autres, ou au contraire un pas sérieux vers la détente. Cela dépend de la situation intérieure russe qui demeure obscure.

 

L’Indépendance Roumaine

Le point crucial est l’attitude indépendante de la Roumanie à l’égard du Kremlin, dont les manifestations de précisent chaque jour. On sait maintenant qu’après avoir envoyé à Bucarest son ami Podgorny, Krouchtchev est allé en personne, sans plus de succès, pour retenir Georgiou Dej dans la ligne soviétique. La Roumanie, limitrophe de l’U.R.S.S., enfermée dans la Mer Noire et complètement isolée du Monde libre, ne peut se permettre le même défi que la Yougoslavie en 1948 et de rompre avec le Kremlin comme l’a fait Tito. Son attitude n’en est que plus extraordinaire. Elle montre que l’U.R.S.S. n’a plus la possibilité d’user des mêmes moyens de pression qu’en Hongrie en 1956. Elle devra s’accommoder d’une certaine indépendance roumaine et il n’est pas douteux que les autres satellites se prévaudront de l’exemple. On dit même qu’ils encouragent en sourdine la résistance roumaine.

 

Le Voyage d’U Thant à Budapest et à Sofia

Le voyage en Hongrie et en Bulgarie de M. U Thant, le Secrétaire Général de l’O.N.U : n’est pas sans rapport avec ce relâchement des liens dans le Bloc de l’Est. Il a donné à Kadar à Budapest une sorte de satisfecit pour les mesures de libération appliquées par le Gouvernement hongrois et discrètement invité Zivkov à Sofia à faire de même. L’affaire hongroise de 1956 ne figurera plus sur l’agenda des délibérations de l’O.N.U. avec l’assentiment américain. Cette présence physique de l’O.N.U. dans deux capitales satellites est une sorte de garantie pour une plus grande liberté d’action et une réplique diplomatique aux menaces soviétiques de 1960-61 de paralyser l’O.N.U. par l’institution de la fameuse troïka. M. Thant est un habile homme. Lui aussi défie Moscou sans y paraître avec tact, et sûr d’être appuyé par la majorité de l’Assemblée, il a plus ébranlé le rideau de fer par sa visite que dix conférences Est-Ouest ne l’auraient pu faire. S’il est allé à Sofia sans prétexte précis, c’est sans doute pour faire sentir la présence de l’O.N.U. en Roumanie sans s’y rendre. Ces nuances diplomatiques ont toutes un sens.

 

L’Exposition Italienne à Bucarest

Les Italiens qui dans ce domaine ont un flair très subtil ont donné un relief considérable à leur exposition industrielle à Bucarest. La Roumanie est un pays latin. Les officiels italiens qui ont inauguré l’exposition n’ont pas manqué de le rappeler. C’était aussi un pays d’influence française avant le bolchévisme. Sentant le vent d’indépendance qui souffle là-bas, les Italiens ont tenté de s’y faire une place. D’après l’intérêt que leur exposition a suscité, et l’accueil chaleureux des Ministres roumains, ils peuvent se flatter d’avoir réussi.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1963-07-06 – Le Schisme Communiste

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Le Courrier d’Aix – 1963-07-06 – La Vie Internationale

 

Le Schisme Communiste

La presse internationale est pleine de commentaires sur le schisme communiste, Krouchtchev l’a rendu public dans son discours à Berlin-Est et l’expulsion de Moscou de trois diplomates chinois laisse au colloque du 5 juillet peu de chances de trouver un compromis. Mais ce ne sont pas les seuls signes du désarroi dans le Bloc de l’Est : on a remarqué l’absence à la réunion des chefs des pays satellites à Berlin-Est de Georgiou Dej, le leader roumain.

Il y a quelque temps que nous avions signalé les symptômes successifs du détachement roumain ; refus de s’associer aux plans soviétiques de coopération et de division du travail entre pays socialistes à la réunion du Comecon, envoi d’un représentant roumain à Tirana en Albanie, accord commercial avec la Chine et enfin, ces jours-ci, seule la Roumanie a publié la fameuse lettre en 25 points du Parti communiste chinois. Malgré les multiples voyages plus ou moins secrets des hauts dignitaires soviétiques à Bucarest et sans doute de Krouchtchev lui-même, le Parti roumain a tenu bon. Sans s’aligner complètement sur Pékin, Georgiou Dej a manifesté la résolution de la Roumanie de se tenir à l’écart de la querelle et de mener une politique nationale, tant dans l’ordre économique qu’idéologique.

Dans les pays occidentaux, partisans de Moscou et de Pékin s’affrontent. Le petit parti belge, le premier, s’est scindé en deux factions. Enfin, au Congrès international des femmes à Moscou, les incidents ont été multiples. La délégation italienne a quitté la salle à deux reprises pour protester contre les propos outranciers dirigés contre l’Occident et les représentants Chinois et Hindous en sont venus aux mains. Le Congrès s’est terminé dans la confusion, malgré les efforts de conciliation de la Terechkova, la cosmonaute soviétique, et de l’inévitable passionaria espagnole Dolorès Ibarruri. Au surplus, nous avons remarqué la nervosité inaccoutumée de Krouchtchev à Berlin-Est. Ses plaisanteries habituelles sonnaient faux.

 

Les Conséquences de la Déstalinisation

Voilà donc l’aboutissement de ce lent déclin du prestige de l’U.R.S.S. que les retentissants exploits scientifiques renouvelés pour la propagande n’ont pu arrêter. Le cours de l’histoire n’est pas aussi rapide qu’on le croit communément. Le point de départ se situe en février 1956, au fameux XX° Congrès du Parti, quand Krouchtchev dénonça les crimes de Staline. La déstalinisation fut de sa part une erreur capitale. Nous le lui disions à ce moment en terminant notre article par ces mots : « Il est dangereux de toucher aux idoles. On ne sait jamais où cela mène, M. Krouchtchev ». Puis il y eut la révolte hongroise d’octobre qui consacra en quelque sorte le tournant.

Depuis, Krouchtchev a commis beaucoup de fautes depuis le défrichement des terres vierges jusqu’à l’affaire de Cuba. L’étonnant, c’est que son autorité, malgré tant de mécomptes, ait pu se maintenir. En pays démocratique, il en aurait peut-être été autrement ; encore n’est-ce pas certain. On voit bien MacMillan, malgré le scandale Profumo se remettre en selle grâce à l’appui des militants de base de son Parti. Le pouvoir a par lui-même un tel prestige que celui qui le détient peut résister aux pires désastres. Nous en savons quelque chose. Ici, rien n’indique que Krouchtchev soit sur le point de le perdre. Même si la décomposition du Bloc soviétique amenait les satellites à modifier le régime, les nouveaux dirigeants seraient obligés de maintenir avec Moscou une certaine forme d’alliance, ce qui permettrait aux Russes de sauver la face et à Krouchtchev de se faire gloire de son libéralisme.

Nous n’en sommes pas là ; les événements n’iront pas vite ; mais les difficultés économiques des satellites sont tellement aigües que, même en mettant les choses au mieux pour les Novotny et autres, ils devront réviser peu à peu leurs structures pour faire face aux pénuries trop flagrantes. Il est difficile de prévoir jusqu’où ces transformations pourront aller. Ce qui est sûr, c’est qu’elles s’imposeront.

 

La Querelle Franco-Américaine

En regard de cette évolution à l’intérieur du Bloc soviétique, la querelle franco-américaine autour de l’O.T.A.N. et de la force de frappe apparaît dérisoire et même anachronique. Dans l’avenir prévisible et cela pour bien des années sans doute, les risques de guerre nucléaire sont exclus. La Russie ayant maintenant à faire face sur deux fronts, celui de la Chine et celui des satellites, elle aura fort à faire pour conserver son empire, le dernier empire du monde actuel. D’autre part – et nous nous excusons de le répéter – une force atomique, qu’elle soit française, franco-allemande ou même européenne, Angleterre incluse, n’aurait d’efficacité et de raison d’être qu’offensive, c’est-à-dire si on la déclenchait la première pour prévenir l’agression adverse, ce qui est impensable. Sinon, Krouchtchev nous l’a dit maintes fois, tantôt aux Anglais, tantôt aux Allemands, l’Europe serait anéantie avant toute riposte. MacMillan a rappelé récemment, ce que chacun sait, que les Russes ont installé 700 rampes de lancement de fusées nucléaires à portée moyenne sur le pourtour du rideau de fer ; or une vingtaine de ces bombes suffiraient à paralyser ce qui reste d’Europe libre, et cela en quelques instants. Il est certain que ce serait là le premier acte d’une agression russe, si, par impossible, ils étaient décidés à jouer le tout pour le tout. Mais pour cela, il faudrait que simultanément ils puissent écraser les Etats-Unis avec les fusées intercontinentales ce qui est techniquement impossible dans l’état présent et même futur, à moins d’une mise au point unilatérale d’engins d’un type inédit, ce qui ne s’est jamais vu.

Ces considérations banales de simple bon sens ne paraissent nulle part dans les discussions des militaires ou des politiques. Ce n’est certes pas par ignorance. Mais ce genre d’évidence gêne les desseins des militaires comme ceux des gouvernants, les uns parce que la course aux armements est leur raison d’être, les autres pour des calculs de prestige et de combinaison diplomatique. Tant pis si les nations s’y ruinent.

 

Résistance à la Force Multilatérale

Les résistances néanmoins se font jour. Le président Kennedy qui n’a pas beaucoup de chance avec ses grands desseins, se voit obligé de remettre à plus tard la réalisation de la force nucléaire multilatérale. MacMillan n’en veut pas plus que ses successeurs travaillistes qui l’ont par avance rejetée, et les Allemands ne l’ont acceptée en principe que parce qu’ils savaient que les autres la refuserait. On sait qu’il s’agissait de construire, à coups de milliards de dollars, une force navale de surface nantie de fusées Polaris et comportant des équipages mixtes et des marins de chacune de nations engagées. Comme la décision de mettre les fusées à feu restait aux Américains, les autres trouvaient bien coûteux cette participation indirecte et de pur prestige à l’arme atomique. En outre, ces navires déguisés en cargos étaient des cibles faciles pour les bombardiers adverses à long rayon d’action. Les Russes, pour mieux le démontrer, ont envoyé quelques-uns des leurs dans les eaux américaines. On se demande comment un projet aussi saugrenu a pu être pris au sérieux.

 

Les Tournées en Allemagne

Le théâtre et la politique se ressemblent. Kennedy a fait en Allemagne fédérale et à Berlin-Ouest une tournée triomphale pour effacer l’effet de la visite éclatante du Général de Gaulle. Krouchtchev pour n’être pas en reste, a fêté à Berlin-Est les soixante-dix ans de son suppôt Ulbricht. Et il y avait du monde devant le cortège. Notre Président retourne à Bonn cette semaine pour mesurer la portée de la visite de Kennedy.

Les Allemands sont très flattés de tant d’attentions. Il y a de quoi. Ils ne voudront pas se souvenir du temps où on annexait la Sarre, où l’on voulait internationaliser la Ruhr et la rive gauche du Rhin, où l’on ressuscitait l’alliance russe. La mémoire pour les hommes est souvent gênante, pour les peuples, elle serait funeste.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1963-06-29 – Rupture Inévitable

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Le Courrier d’Aix – 1963-06-29 – La Vie Internationale.

 

Une Rupture Inévitable

A la veille du Colloque du 5 juillet qui devait aplanir leurs divergences, les Chinois ont envoyé aux Russes une lettre en 25 points qui est un réquisitoire complet contre Krouchtchev et sa politique. Celui-ci s’étant refusé à le rendre public, les Ambassadeurs chinois auprès des satellites de Moscou, l’ont répandu sous forme de tracts ; la rupture, si elle n’est pas officielle, n’en est pas moins consommée. Dès que les premiers symptômes de ce schisme apparurent, il était clair pour nous qu’il serait mené à son terme. Les Kremlinologues ne le croyaient pas. Il y a cependant des développements historiques que l’on peut prévoir longtemps à l’avance parce qu’ils sont si fortement inscrits dans l’ordre des choses qu’aucun événement fortuit n’en peut briser le cours. La rivalité russo-chinoise est de ceux-là.

 

Les Premiers Signes du Conflit Russo-Chinois

Le 11 octobre 1958, nous avons consacré ici un article à ce problème. Les Chinois bombardaient alors les Iles Quemoy et Matsu et menaçaient Formose. Brusquement, ils s’arrêtèrent. On apprenait que Krouchtchev venait de faire à Pékin un second voyage secret. Aux fêtes d’anniversaire de la République Populaire de Chine, aucun haut dignitaire russe n’avait paru. Quelque temps auparavant, un Congrès s’était tenu à Irkoutsk où de nombreux rapports avaient souligné l’importance d’une colonisation et d’une mise en valeur urgente de la Sibérie orientale le long de la frontière chinoise. Enfin, des bruits venus de Hong-Kong faisaient état du départ inopiné des techniciens russes avec leurs familles des zones industrielles où ils travaillent en Chine et nous concluions sur ces mots :

« Si nous nous sommes étendus sur cette question, c’est qu’elle nous paraît un des problèmes clefs de l’avenir du monde parce que susceptible avec le temps de modifier radicalement l’orientation de la politique russe. »

Il a fallu cinq ans pour que le conflit apparaisse dans toute son ampleur. Les conséquences ne se sont pas encore toutes dégagées. Cependant, la coexistence pacifique, d’un slogan de propagande est devenue réalité. L’U.R.S.S. ne peut plus se hasarder à une épreuve de force. On l’a vu à Cuba et peu à peu la détente russo-américaine s’inscrit dans les faits même si en paroles, l’hostilité demeure.

 

Comment la Politique Russe s’en Trouve Modifiée

Les Russes ont fait leur possible pour éviter cette rupture avec la Chine. Ils savaient combien elle affaiblissait leur position internationale. Ce sont les Chinois qui l’ont voulue voyant qu’ils ne pouvaient plus compter sur l’aide soviétique et que n’ayant plus rien à perdre de ce côté, ils y gagnaient de pouvoir rallier à eux les mouvements révolutionnaires des pays sous-développés, particulièrement des peuples de couleur. Krouchtchev de son côté, en a tiré les conséquences : le mouvement communiste ne devra plus paraître ni révolutionnaire, ni subversif, mais se faire l’avant-garde d’un réformisme progressif allié de tous les partis, même bourgeois, qui veulent réaliser la justice et l’égalité sociale par des moyens légaux.

Le moment paraît favorable : l’Italie est actuellement le banc d’épreuve de cette politique. Les communistes viennent de réussir à empêcher les socialistes de Nenni de collaborer avec le Gouvernement centriste d’Aldo Moro. Ils espèrent, à la faveur de la confusion politique où se débat l’Italie, arriver avec les socialistes dans une élection prochaine à s’approcher de la majorité, et obliger un gouvernement plus orienté à gauche à accepter leur soutien en attendant mieux. Ce précédent créé, on devine où l’opération pourrait être tentée ailleurs. La défense de l’empire russe serait assurée même sans changement apparent, si des gouvernements plus ou moins neutres consentaient à une collaboration pacifique.

 

Les 25 Points Chinois

Mais revenons aux « 25 points des Chinois ». C’est précisément cette politique qu’ils stigmatisent :

« Les « camarades » incriminés protègent en fait, disent-ils, les intérêts du capitalisme, trahissent ceux du prolétariat et dégénèrent en Sociaux-démocrates. Ils vont s’identifier, en glissant sur le chemin de l’opportunisme avec les nationalistes bourgeois et devenir un appendice des impérialistes et de la bourgeoisie réactionnaire….. ». «  Un parti qui représente l’aristocratie du travail est incapable de gagner la révolution et d’accomplir la grande mission historique du prolétariat.. » et pour finir, la menace : « Si le groupe dirigeant adopte une ligne non révolutionnaire et se transforme en parti réformiste, les marxistes-léninistes du dedans et du dehors le remplaceront et mèneront le peuple à la révolution ».

On ne saurait être plus net ; les hostilités sont ouvertes.

 

Kennedy en Allemagne

Le président Kennedy est en Europe : beaucoup, adversaires et partisans, avaient cherché à le détourner du voyage : la situation à l’intérieur requiert sa présence en plein mouvement d’agitation raciale. En Italie, il n’y a pas de gouvernement, tout au plus un cabinet chargé de l’intérim. En Allemagne, un Chancelier qui s’en va et un autre n’est pas encore en place. En Angleterre, un Premier virtuellement démissionnaire. Comment discuter de problèmes essentiels qui engagent l’avenir sans interlocuteurs autorisés ? Kennedy a passé outre. Il a reçu en Allemagne un accueil plus enthousiaste qu’on ne prévoyait ; c’est dire que le peuple allemand voit dans la présence américaine une garantie de sécurité qu’aucune combinaison continentale ne peut remplacer, et c’est cela que Kennedy est venu lui dire en termes précis.

 

L’Attitude d’Erhard

Le résultat des entretiens politiques dépend de l’attitude d’Erhard, le futur Chancelier. On peut la deviner : le ministre de la guerre, Von Hassel qui vient d’avoir des entretiens avec son collègue français a déclaré qu’on ne pouvait prévoir si le président des Etats-Unis en 1970 offrirait à l’Europe et particulièrement à l’Allemagne, les mêmes garanties qu’aujourd’hui, par conséquent, ajoutons-nous, en préparant pour cette époque, une défense commune avec une France pourvue d’un bouclier atomique, nous serons en mesure de substituer au déterrent américain défaillant, une armée susceptible de refouler l’adversaire. En fait, il est peu probable qu’Erhard, ou quelque autre allemand responsable, croie à cette solution. Mais cela constitue un atout dans la discussion. Kennedy voudrait engager l’Allemagne dans la constitution d’une force atomique multilatérale, fort onéreuse et plus symbolique qu’efficace, à une contribution accrue à la défense du Dollar et à l’aide aux pays sous-développés, aussi dans une ouverture plus large aux importations américaines par un abaissement des tarifs protecteurs, enfin et surtout à détourner l’Allemagne de relations militaires particulières avec la France qui risquent d’obliger Moscou à un raidissement, au moment où Kennedy cherche la détente. Sans doute, il n’aura pas de peine à montrer à Erhard quelles conséquences graves, catastrophiques même, aurait une alliance militaire avec la France qui amènerait les Etats-Unis à se retirer peu à peu d’Europe. Mais de son côté, le Gouvernement allemand n’entend pas payer un prix trop élevé pour une garantie américaine de sécurité aussi indispensable aux Etats-Unis qu’à eux-mêmes. Erhard peut se servir du Traité franco-allemand auquel il ne peut, ni ne veut renoncer, pour se dérober à des exigences excessives. La diplomatie est faite de ces marchandages.

 

Le Nouveau Chef de la Chrétienté

Le monde a accueilli avec faveur l’élection du Cardinal Montini au Pontificat. On y voit la garantie d’une continuité de la politique d’union des Chrétiens à laquelle Jean XXIII avait rallié tant de suffrages, une contribution active aussi à la normalisation des rapports entre l’Eglise du Silence, au-delà du rideau de fer, avec les pouvoirs établis. C’est pourquoi le Conclave a choisi une forte personnalité que la Chrétienté attendait, plutôt qu’un diplomate que les prudents auraient préféré. La tâche pour Paul VI est difficile : développer cet élan de charité qui avait fait tant aimer son prédécesseur tout en évitant les pièges tendus par le communisme qui peut l’utiliser pour ses desseins. En Italie même, il lui faudra dégager l’Eglise d’attaches politiques trop étroites, sans perdre la direction des âmes, et en Europe en général, encourager certains zèles tout en maintenant l’ardeur dans de prudentes limites. L’Eglise a toujours excellé à orienter des mouvements complexes et souvent opposés. Nul doute qu’on peut attendre du nouveau Pontife le même équilibre d’amour et de raison.

 

                                                                                  CRITON

 

 

 

 

 

 

Criton – 1963-06-22 – Discours de Kennedy

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Le Courrier d’Aix – 1963-06-22 – La Vie Internationale.

 

Le Discours à l’Université de Washington

Le récent discours du Président Kennedy à Washington a été accueilli comme un événement important, sinon capital, de l’après-guerre. Il annonçait le transfert à Moscou, en accord avec Krouchtchev et MacMillan, des négociations sur l’arrêt des expériences nucléaires qui trainent sans résultat depuis cinq ans à Genève. Il s’engageait en outre à renoncer aux essais dans l’atmosphère et à ne pas les reprendre avant que les Russes ne l’aient fait les premiers. Ces déclarations étaient accompagnées de propos pacifiques :

« Parmi les nombreux traits que nos deux peuples ont en commun, aucun n’est plus fort que la haine commune de la guerre … » « Nous devons prendre le monde tel qu’il est et non tel qu’il aurait pu être si l’histoire de ces derniers dix-huit ans avait été différente … » « Chose presque unique parmi les Grandes Puissances mondiales, nous n’avons jamais été en guerre avec la Russie ».

Pour ceux qui n’ont pas la mémoire courte, non seulement il n’y a rien là de nouveau, mais nous avons entendu des phrases analogues de feu Roosevelt à Yalta en 1945, deux mois avant sa mort, et maintes fois d’Eisenhower avant et pendant la fameuse entrevue de Camp David en 1959. Ce n’est pas non plus le premier moratoire des expériences nucléaires que les Etats-Unis ont respecté jusqu’au jour où, sans préavis, l’U.R.S.S. les a repris. Quant aux négociations qui s’ouvriront à Moscou avec Averell Harriman pour l’Amérique et Lord Hailsham pour l’Angleterre, les précédents ne manquent pas dont la visite du vice-président Nixon à Moscou en 1959, toutes entreprises qui n’ont rien changé aux relations Est-Ouest, pour mieux dire, qui les ont figées au point où elles sont encore. Ces manifestations oratoires et ces déclarations solennelles ne méritent pas les commentaires emphatiques qu’on leur consacre.

 

Le Véritable Sens du Discours

Ce qui ne veut pas dire qu’elles n’ont aucun sens, mais pas celui qu’on lui attribue. Kennedy parait convaincu que les Etats-Unis ont intérêt à consolider la position de Krouchtchev à l’intérieur de l’U.R.S.S. et aussi en face des Chinois qu’il doit affronter le 5 juillet. Dans cette phrase du discours cité, Kennedy y fait allusion :

« Le cours du temps et des événements apporte souvent des modifications surprenantes aux relations entre nations. »

En poursuivant le dialogue avec Moscou on peut aider à la rupture entre la Chine et l’U.R.S.S. et amener celle-ci à collaborer à maintenir l’équilibre dans l’Asie du Sud et du Sud-Est, collaboration dont nous avons signalé des preuves significatives dont le récent accord Indonésie-Malayasie-Philippines n’est pas le moindre. Les Etats-Unis comptent sur les intérêts communs pour consolider la paix entre les deux Grands. Depuis l’affaire de Cuba, on peut être sûr qu’elle n’est pas en danger.

Un accord sur l’arrêt des expériences nucléaires, s’il était conclu à Moscou, ce qui est loin d’être assuré, aurait l’avantage de condamner aux yeux du monde les expériences que s’apprêtent à faire la France dans le Pacifique et sans doute la Chine un jour ou l’autre. Elles ne les empêcheraient pas, car ni les Etats-Unis, ni l’U.R.S.S. n’y peuvent quoi que ce soit, mais cela fournirait un argument et un moyen de pression dans les négociations futures à l’O.N.U. et au sein de l’un et l’autre Bloc. Isoler la France d’un côté et la Chine de l’autre constituent un intérêt commun ou du moins parallèle dans leurs camps respectifs.

 

Les Émeutes en Perse

Il n’est pas trop tard pour revenir sur un événement intéressant : l’évolution des peuples, les révoltes sanglantes qui se sont déroulées à Téhéran et autres villes de l’Iran. Révolte singulière qui va en sens inverse de celles qu’on observe ailleurs. On l’a qualifiée en effet de réactionnaire. C’est le seul exemple, depuis que les peuples sous-développés s’agitent, d’une rébellion des masses contre des réformes progressistes. Des paysans persans s’insurgent contre la distribution des terres et contre le vote des femmes ; les affamés et les chômeurs soutiennent par la violence les privilèges du clergé musulmans et la propriété des grands seigneurs. Un sous-prolétariat affronte le feu de la police pour protester contre la participation des ouvriers aux bénéfices des entreprises, contre la nationalisation des biens privés et même contre l’analphabétisme : Révolution des pauvres contre une révolution faite pour les pauvres.

C’était bien en effet une « révolution blanche » instaurée par le Shah en personne : 1° distribution aux paysans de 33.000 des 58.000 villages qui constituent l’ensemble des terres de l’Iran ; 2° nationalisation des forêts ; 3° vote des femmes ; 4° participation des ouvriers aux bénéfices des entreprises ; 5° constitution d’une « armée du savoir » par laquelle les conscrits pourvus d’un diplôme secondaire seraient exemptés du service et envoyés dans les villages pour enseigner. Un référendum avait, grâce à de fortes pressions d’en haut, consacré ce programme, mais l’opposition demeurait forte : celle des éléments religieux parce que le vote des femmes est contraire à la tradition islamique, et contre l’expropriation des terres appartenant aux Communautés religieuses. Opposition du « front national » de gauche, non contre les réformes elles-mêmes, qu’ils approuvent même, parce qu’elles émanaient du Shah qui incarne le pouvoir personnel ; opposition des nomades qui se voyaient condamnés à cultiver la terre et à s’y fixer. Enfin du paysan contre le vote des femmes considéré comme une diminution du prestige masculin, la femme étant le seul bien dont il était le maître absolu et incontesté.

 

La Féodalité en Iran

Comme en Russie avant l’abolition du servage, le propriétaire en Iran n’est l’est pas seulement de la terre, mais du village. Il en est l’administrateur ; il en assure le financement ; il exerce la justice ; il le représente devant les pouvoirs publics. Il fournit aux paysans semences et instruments de travail, entretient les canaux d’irrigation. Disparu, le propriétaire du village, les terres distribuées, le paysan se sent seul, abandonné. En Russie, après 1861, les paysans serfs avaient manifesté la même inquiétude. Cent ans plus tard, s’ils avaient vécu, ils s’apercevraient peut-être qu’ils n’avaient pas tout-à-fait tort. Sous l’influence du clergé islamique, les masses iraniennes se sont révoltées contre la personne du Shah promoteur de l’hérésie, contre ce Gouvernement qui lui obéit, et surtout contre l’Occident inspirateur de ces réformes. Sans doute, le progrès finira par l’emporter, mais il est instructif de voir qu’il peut être mal accueilli, que des peuples peuvent ne pas voir dans cette évolution une promesse de bonheur futur.

 

Les Ratifications du traité franco-allemand

Le Traité franco-allemand vient d’être ratifié par le Parlement français, non sans résistances, comme il l’avait été, non sans réticences, par le Parlement de Bonn. Il nous paraît outrecuidant de faire de cet instrument politique dont la portée pratique est bien problématique, le symbole de la réconciliation franco-allemande. Cette « Révolution mondiale » était accomplie avant 1958, simplement parce qu’elle était de l’intérêt commun et correspondait au nouveau rapport de forces en Europe, issu de la guerre. Les peuples l’avaient compris, l’un y mettant plus de raison que de cœur, l’autre autant des deux.

En Allemagne où l’élan avait été chaleureux, le Traité a semé la méfiance. Où veut-on en venir, se demandent beaucoup ? Veut-on nous éloigner des Etats-Unis, nos protecteurs les plus sûrs ? Veut-on nous plier et même nous assujettir à une Europe refermée sur elle-même ? On a semé un doute au moment où les intérêts français et allemands sont souvent en opposition, à Bruxelles sur les questions agricoles, les tarifs douaniers et plus encore sur les relations avec l’Angleterre et ses partenaires. Un soupçon est né, peut-être sans fondement, que ce Traité est un moyen caché de saper l’Union Européenne et même le Marché Commun. On a juré du contraire, peut-être avec sincérité. Mais il est regrettable qu’on ait donné matière à en douter.

 

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