Criton – 1956-07-07 – Apprentis Sorciers

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Le Courrier d’Aix – 1956-07-07 – La Vie Internationale.

 

Apprentis Sorciers

 

Les risques impliqués dans la déstalinisation n’ont pas tardé à se manifester. La révolte de Poznań a provoqué l’émotion du monde entier, du Monde libre comme de l’autre. La répression sera évidemment implacable. Les étrangers venus pour la foire de Poznań ont été ramenés chez eux pour qu’ils ne puissent en être témoins. Mais il est impossible à Krouchtchev de faire machine arrière ; la publicité donnée à la condamnation de Staline est trop répandue pour que l’on puisse revenir aux méthodes anciennes. La seule voie possible est de reprendre la politique de Malenkov, c’est-à-dire de sacrifier en partie le développement de l’industrie lourde à l’amélioration du niveau de vie des populations.

 

La Révolte de Poznań et la jeunesse

Ce qui est remarquable dans la révolte de Poznań, c’est qu’elle s’est produite dans le pays satellite que beaucoup d’observateurs prétendaient avoir bénéficié d’une certaine faveur de la part des Russes et où la proportion des ralliés au régime apparaissait la plus forte ou la moins faible. On affirmait que 30 pour cent de la population voterait communiste en cas d’élections libres. Il n’en est rien. Le chiffre de 10 pour cent apparaît aujourd’hui comme un maximum. Mais remarquons ceci : la révolte, comme les manifestations qui se sont produites un peu partout en Pologne, en Hongrie et en Tchécoslovaquie a été presque exclusivement alimentée par la jeunesse, ouvriers et intellectuels de moins de vingt-cinq ans. Il semble que ce soit seulement en Allemagne orientale que les rares partisans du régime de Pankow se recrutent parmi les jeunes ; sans doute parce que les organisations communistes comme le F.D.J. n’ont fait qu’imiter les organisations hitlériennes dont elles ont pris la succession.

Le communisme en Europe occidentale n’aurait donc rien à attendre de la jeunesse, pas plus chez les satellites que de ce côté du rideau de fer. Le parti communiste français s’est plaint des difficultés rencontrées pour recruter des jeunes ; le parti italien également. Le noyau des partisans est formé d’hommes murs ou âgés, intellectuels et ouvriers ; quant aux paysans, ils n’ont été nulle part conquis, pas plus en Russie qu’en Yougoslavie, sauf en Italie où le Parti a recruté à côté d’ouvriers agricoles, les riches métayers qui veulent devenir propriétaires. En Russie même malgré la propagande, l’indifférence de la jeunesse à l’égard du Parti est souvent condamnée par la presse officielle. Cela constitue pour l’avenir du bolchévisme une menace qui ne saurait être sous-estimée.

 

Les Suites de la Révolte

La tragédie de Poznań, comme celle de Berlin en Juin 1953, n’aura sans doute pas de suite immédiate ; l’appareil policier et militaire est trop puissant et l’ordre règnera à Varsovie tant que les tanks russes patrouilleront les rues. Mais l’état d’esprit des populations empêchera les réformes nécessaires projetées par les dirigeants de porter des fruits. La pente à remonter est trop forte pour que les Polonais et leurs frères puissent obtenir rapidement une vie décente.

 

La Vie en Pologne

Les événements ont remis en lumière les conditions misérables d’existence dès qu’on a franchi le rideau de fer. L’ouvrier polonais qui gagne 1.000 zlotys par mois en donne 500 pour une médiocre paire de chaussures qui vaudrait 2.000 francs en France, un kilo de beurre, quand il y en a, coûte deux journées de travail ; le reste est à l’avenant. Rien n’illustre mieux la faillite du communisme que les pancartes des insurgés d’hier : « Nous voulons du pain » et cela onze ans après la fin de la guerre !

Les deux plaies de l’existence quotidienne, les queues souvent inutiles, faute de marchandises, et le marché noir qui fleurit de Berlin à Vladivostok, jugent une expérience sociale et économique. Et encore, doit-on ajouter, la situation s’est sensiblement améliorée depuis la mort de Staline, surtout en Pologne ; les voyageurs l’ont remarqué qui ont vu la profonde misère des années 1952-53. Mais cette amélioration relative, contrairement à ce que l’on croit généralement, ne fera que stimuler la révolte. Comme nous l’avons dit souvent – d’après Staline lui-même – à un certain degré de misère l’homme ne réagit pas. Il ne s’insurge contre son sort que lorsqu’il a assez de force pour souffrir de ce qui lui manque.

 

L’Injure aux Révoltés

Ce qui prouve d’ailleurs que le Stalinisme condamné n’est pas mort, c’est que les rédacteurs de la dernière note de Moscou, obligés de parler de la révolte de Poznań, insultent le courage des insurgés, comme Staline quand il écrasait les valeureux finlandais. « Courage d’un jour », disent-ils. Leur courage à eux, Krouchtchev et compagnie, consiste à cracher sur un mort dont ils ont léché les bottes pendant vingt ans.

 

L’Évolution du Capitalisme Démocratique

Passons à un autre sujet qui n’est d’ailleurs pas sans rapport avec la situation économique de la Pologne. Un récent ouvrage de l’économiste américain Galbraith a fait quelque bruit. Il met en lumière de façon originale l’évolution aux Etats-Unis de ce que l’on peut appeler aujourd’hui le capitalisme démocratique. Le régime d’économie libre où la concurrence s’exerçait sans frein tend à disparaître, là-bas comme ailleurs, ce qui incite à croire que le socialisme, c’est-à-dire le monopole étatique, est en marche.

En réalité, ce qui fait la force et le succès du capitalisme démocratique ce n’est pas la concurrence – qui d’ailleurs joue encore un rôle plus important que ne le pense l’auteur – mais l’existence (en face des grandes entreprises privées de caractère monopoliste dont nous parlions récemment) de « pouvoirs compensateurs » qui maintiennent l’équilibre. Aux gros producteurs s’opposent de gros consommateurs concentrés comme eux et organisés de même manière. Le pouvoir des uns est tenu en échec par celui des autres, et une troisième force, le syndicalisme, pèse sur les uns et les autres, le consommateur arbitrant le conflit entre employeurs et employés quand ceux-ci poussent à l’inflation par leurs revendications excessives, comme cela est présentement le cas. Les conflits sont nécessaires. Quand ils sont étouffés par une autorité unique, la décadence commence ou du moins un ralentissement considérable du progrès. La bureaucratie se substitue peu à peu à l’initiative, c’est d’ailleurs le mal que les critiques du communisme, à commencer par Togliatti lui-même, condamne chez les Russes qui la condamnent eux-mêmes parfois pour la forme, sans pouvoir y porter remède.

 

Le Conflit de l’Acier aux Etats-Unis

Un grand conflit social, un de plus, a commencé aux Etats-Unis : la grève de l’acier. Il menace d’être long. Les syndicats savent en effet qu’ils ont aujourd’hui leur meilleure chance parce que les besoins de l’économie sont intenses et que l’activité industrielle, faute d’acier, serait bientôt paralysée. Les producteurs de leur côté pensent qu’en cédant à des revendications abusives, ils devraient augmenter leurs prix et relanceraient ainsi la spirale d’inflation qui est déjà menaçante aux Etats-Unis et ailleurs, inflation qui est le danger le plus redoutable pour la démocratie et l’économie libre qui ne peut prospérer que si l’offre et la demande s’équilibrent. L’inflation a toujours mené aux dictatures économiques d’abord et parfois politiques ensuite. Le conflit de l’acier revêt donc une grande importance pour l’avenir de la conjoncture aux Etats-Unis. Selon son issue, le pouvoir d’achat du Dollar sera maintenu ou continuera de se dégrader comme il l’a fait depuis la dernière guerre, et le moment nous paraît venu, non seulement d’un palier, mais d’un choc en retour. La dégradation monétaire, dans un monde où la production se développe à une allure inconnue jusqu’ici, loin d’être un phénomène normal et même nécessaire, est un non-sens économique et un obstacle à un progrès rationnel.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1956-06-30 – Tournants Dangereux

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Le Courrier d’Aix – 1956-06-30 – La Vie Internationale.

 

Tournants Dangereux

 

Les dirigeants soviétiques viennent d’accueillir à Moscou, avec une pompe royale, le Shah de Perse et sa femme. A un reporter qui assistait à cette cérémonie toute semblable aux réceptions des Tsars, a échappé ce mot qui définit bien la ligne actuelle de la Russie. « L’U.R.S.S. ne mène plus une politique idéologique, mais une politique de grande puissance. » Mot à rapprocher d’une remarque du Social-démocrate italien Saragat : « La phase actuelle de la politique russe pourrait bien être le prélude à une dictature militaire. » Cette transition serait en effet dans l’ordre de l’histoire.

 

Une Opinion Américaine

Le spécialiste américain des affaires soviétiques, H. Salisbury s’accorde avec notre interprétation du « polycentrisme » communiste défini par Togliatti. Il pense qu’il s’agit d’une manœuvre coordonnée entre les dirigeants russes, Tito et certains chefs des Partis communistes du Monde libre pour que ceux-ci puissent sortir de l’isolement politique où l’obédience trop apparente aux ordres du Kremlin les avait jusqu’ici condamnés. Cela correspond au plan établi dont la déstalinisation fut le point de départ. Cependant, pour comprendre la situation, il convient d’ajouter plusieurs remarques. D’abord cette évolution de la tactique russe n’a pas été spontanée comme nous l’avons fait remarquer ; elle est l’aboutissement d’une pression intérieure avec laquelle Krouchtchev a dû composer. De plus, ce virage brutal a provoqué dans les Démocraties populaires et à l’extérieur du Bloc soviétique des remous tels que la situation ne peut être contrôlée de façon certaine et partout. Les gens du Kremlin sont obligés de compter avec l’imprévu. C’est pourquoi, beaucoup d’observateurs parlent « d’un risque calculé », risque que les vieux bolcheviks comme Molotov ne voulaient pas prendre. La situation présente est une phase fluide en attendant la cristallisation autour d’une formule d’unité des forces socialistes et communistes qui pour le moment se cherche et se heurte certainement à des résistances avant de s’affirmer. La réussite n’est pas certaine.

 

Les Relations Sino-Russes

Mais il y a un autre aspect de la question que l’on a tort de négliger. Les yeux sont fixés sur le champ d’action de la nouvelle politique russe, c’est-à-dire l’Occident en proie à la déstalinisation et le Moyen-Orient où Chepilov déploie son activité. L’éventail couvre l’Afghanistan et l’Inde, la Perse, en passant par Le Caire, Damas et la Grèce et aboutit à Tito.

Mais que se passe-t-il en Chine ? On remarque beaucoup à Moscou le silence de la presse et de la Radio sur les questions chinoises qui étaient, il y a quelques mois, au premier plan. L’ambassadeur chinois ne participe plus aux cérémonies officielles ou n’y fait qu’une discrète apparition. D’autre part, Nehru s’inquiète beaucoup de la pénétration chinoise au Tibet où Pékin est très actif. Des guérillas tibétaines font le coup de feu dans l’Est du pays ; l’armée chinoise a récemment massacré quatre mille tibétains retranchés dans une bourgade qui a été rasée par les communistes. Les routes stratégiques construites par l’Etat-major chinois jusqu’aux cols qui ouvrent le passage vers l’Inde, sont en voie d’achèvement. D’autre part, il est significatif qu’un véritable black-out recouvre les discussions sino-américaines. On ne parle plus des négociations de Genève, ni de Formose. Il est certain que les relations sino-russes ne sont plus les mêmes qu’il y a six mois. Les Russes commenceraient-ils à prévoir le moment où le réveil de la Chine deviendrait pour eux une menace ?

Nous rejoignons là la diplomatie de grande puissance en train de se substituer aux alliances idéologiques. Paul Reynaud a souvent prophétisé que la race blanche se retrouverait un jour solidaire devant le péril commun représenté par les masses des peuples de couleur. Nous n’en sommes pas là ; mais de multiples indices révèlent un déplacement de l’axe politique russe qui reviendrait, en somme, à ses directions traditionnelles.

 

Le Voyage de M. Pineau à Washington

Il convient peut-être de parler avant qu’il ne tombe dans l’oubli du récent voyage de M. Pineau à Washington. L’échec de la mission de notre Ministre des Affaires étrangères n’a pas besoin d’être souligné. L’impression a été si fâcheuse que les Sénateurs américains que Pineau devait rencontrer, se sont dispersés à l’heure choisie et que notre Ministre a dû renoncer à les entretenir.

La formation intellectuelle de M. Pineau s’accorde mal avec celle des Américains et il a manqué d’habileté et de psychologie à leur endroit. Sa manière de froid réaliste qui ne tient compte que des faits matériels sent le marxisme d’une lieue. L’esprit missionnaire de Foster Dulles en est naturellement choqué, surtout lorsqu’on lui dit qu’en se refusant à multiplier les contacts avec le monde communiste, on dresse un rideau de fer devant l’autre qui s’entrouvre et l’on va ainsi contre ses propres principes. En fait, la politique Pineau demeure pour l’étranger européen ou américain équivoque et suspecte. Elle représente précisément le type de socialisme qui partout a succombé à la dictature : l’ombre de Kerenski l’accompagne.

Cette méfiance comporte quelques raisons, mais aussi une part d’injustice. Car, comme le faisait remarquer Lippmann, l’Occident est représenté par un vieillard rigide et de plus en plus discuté, Adenauer, un ministre harcelé par des difficultés internes telles qu’il perd souvent le contrôle de sa propre politique, Anthony Eden, et à Washington par un président malade et un ministre sans imagination. Quand Pineau parle d’immobilisme, c’est bien le cas d’appliquer le mot. On ne peut pas indéfiniment laisser les Russes jouer seuls. Il faut réagir, ou bien par une contre-offensive d’envergure planétaire ou bien en abondant dans leur sens, en multipliant les contacts, ce qui les obligerait peut-être à se démasquer ou bien les entraînerait plus loin qu’ils ne l’entendent jusqu’à leur faire perdre le contrôle d’une situation dont personne ne peut se dire maître aujourd’hui ; le « risque calculé » pourrait aboutir à un bouleversement. Cette politique esquissée par Pineau comporte beaucoup d’aléas et demanderait pour être appliquée une cohésion de l’Occident qui est loin d’être réalisée. Et même formulée avec plus de précision et d’éclat, elle ne peut être mise en mouvement par une Nation comme la nôtre engagée dans une lutte difficile que personne n’appuie de l’extérieur. Mais devant le néant où nous sommes, des idées même discutables méritent l’attention. A tout prendre, la résistance passive n’est pas une attitude diplomatique.

 

                                                                                                       CRITON

Criton – 1956-06-23 – Combinazione

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Le Courrier d’Aix – 1956-06-23 – La Vie Internationale.

 

Combinazione

 

Le rapport Krouchtchev contre Staline est un événement historique dont l’importance grandit chaque jour. Pour ceux qui, comme nous, ont suivi la carrière du dictateur soviétique, ce rapport ne contenait aucune révélation d’importance ; mais pour tous ceux qui avaient la « foi », il a fait l’effet d’un tremblement de terre. L’avenir du mouvement communiste en sera radicalement modifié. Il ébranle en effet un dogme du matérialisme historique de Karl Marx, à savoir que le déterminisme des faits ne dépend pas de la volonté d’un homme. Il faudra donc réviser le « catéchisme » marxiste-léniniste, ce qui est sérieux.

 

L’Interview de Togliatti

C’est le leader italien Togliatti qui hier, dans une interview sensationnelle a ouvert le débat de conscience, et adressé aux dirigeants actuels du Kremlin les premières critiques ouvertes contre l’autorité de Moscou. Désormais, a-t-il dit, le communisme italien suivra « son propre chemin ». Les Partis frères de France, d’Angleterre et de Scandinavie ont approuvé Togliatti et s’apprêtent à suivre le mouvement.

Tel est l’aspect des choses, et c’est ce qui a frappé les observateurs du monde entier. Ils y voient tous le début d’une désagrégation de l’internationale communiste.

La situation est beaucoup moins simple.

 

Le Partage des Rôles

Primo : il est certain que Krouchtchev et son entourage, en laissant publier le document, avaient parfaitement prévu le débat et la crise qui s’en suivrait. Ils ne s’en sont guère souciés.

Secundo : Togliatti qui connaît tous les secrets du communisme russe depuis trente ans et a servi Staline fidèlement, n’est pas allé voir Tito pour rien à la veille du voyage de celui-ci à Moscou. On se souvient aussi que Thorez et sa femme avaient visité Togliatti à Rome récemment.

Tertio, interrogé hier au sujet de Togliatti, Krouchtchev a répondu que le leader italien ne pouvait dire que des choses excellentes. Mikhoian qui venait de lire l’interview ne l’a pas davantage dénoncée comme une erreur. Tout cela prouve que le désaccord si manifeste en paroles, n’est pas tellement profond en réalité. Ne serait-ce pas plutôt une tactique concertée ?

 

La Crise du Communisme Italien

Notons d’abord qu’en Italie, le recul du communisme était manifeste depuis un an. Aux élections syndicales d’abord, la C.G.I.L. (C.G.T. italienne) avait perdu beaucoup de voix ; aux récentes élections municipales, ce recul s’est confirmé. Il ne faut pas oublier que les Italiens savent ce qu’est une dictature. Ils ont subi Mussolini et n’ont pas grand goût dans l’ensemble pour une nouvelle expérience, fût-elle celle de la dictature du prolétariat. L’allié socialiste et adversaire en même temps de Togliatti, Pietro Nenni, a été le principal bénéficiaire de l’échec de son partenaire. Pour maintenir l’alliance, il faut donc que les communistes se rapprochent de la démocratie et pour cela manifestent une certaine indépendance à l’égard de Moscou. La conquête du pouvoir doit se faire par les voies légales et seule l’union des forces de gauche peut la réaliser ; pour réaliser cette union, il faut que le Parti communiste se présente comme un parti national, indépendant de l’étranger.

Il faut bien comprendre que Krouchtchev, pas plus Staline ne se sont souciés de ce que pensent les communistes des autres pays. Ils l’ont maintes fois prouvé. Pour l’un comme pour l’autre, le communisme n’est qu’un moyen pour s’assurer la domination du monde. Ils ne font pas davantage scrupule des déguisements dont s’affublent leurs suivants à l’étranger, pourvu qu’ils servent leurs desseins. Mais ils se sont déclarés contre le maintien de Bizerte comme base militaire française en Tunisie, ce qui intéresse beaucoup Moscou et Le Caire. En Allemagne Orientale, la déstalinisation n’a pas eu grand écho parmi les maîtres du pays. Le « barbu » Walther Ulbricht, objet de la haine populaire, est solidement en place quoique stalinien éprouvé. Il vient de faire édicter de nouvelles peines pour empêcher la jeunesse de passer en Allemagne Occidentale.

 

Le Communisme Polycentrique

Le mot-clef de la situation, c’est encore Togliatti qui l’a fourni. Le communisme désormais sera « polycentrique » ; c’est aussi la pensée de Tito. Ce qui n’a pas empêché le dictateur yougoslave de déclarer qu’il avait les mêmes buts que la Russie soviétique et qu’il marcherait avec elle dans la paix comme dans la guerre. On discute de savoir s’il a voulu dire dans la guerre passée ou dans l’éventualité d’une future ; laissons sa pensée dans le vague. Pour notre part, nous n’avons jamais douté du fond. Ce n’est pas le triomphal voyage des deux hommes, Krouchtchev et Tito, qui nous fera changer d’avis. Qu’en pense Mister Dulles ?

Pour conclure donc : la crise de conscience et les tempêtes soulevées par Krouchtchev sont le résultat, non d’une improvisation, mais d’un plan mûri depuis un an. Reste à savoir si le parti « polycentrique » ne sera pas plus redoutable que le parti monolithique.

 

Le Sens du Neutralisme

Repassons l’Atlantique. Une controverse assez curieuse s’est élevée sur l’attitude des Etats-Unis à l’égard du neutralisme. Controverse qui s’était éveillée dans l’opinion depuis le voyage de Soekarno, le Président indonésien, à Washington. Eisenhower et Dulles ont presque simultanément exprimé des opinions opposées qui dépassent la nuance habituelle entre les propos du Président qui sont conciliateurs et ceux du Secrétaire d’Etat qui sont intransigeants. Jusqu’ici, il s’agissait d’une divergence tactique sur un accord fondamental. Mais ici, le Président voit dans le neutralisme, d’abord un droit pour la nation dont l’intérêt n’est pas de s’engager et même un avantage pour les Etats-Unis eux-mêmes qui auront à trouver les moyens de convaincre ces pays de leur désintéressement et des avantages qu’ils auront à cultiver leur amitié. Dulles au contraire voit dans le neutralisme une trahison à la cause du Monde libre et le risque de faire pencher ainsi les forces du côté du communisme, et pour les Neutres eux-mêmes d’être un jour absorbés par lui. Thèse qu’il a affirmée en même temps qu’Adenauer qui venait le visiter. Cette visite a d’ailleurs donné lieu à des commentaires contradictoires. On a dit que le vieux Chancelier était le dernier protagoniste de la guerre froide et qu’aux Etats-Unis il paraissait dépassé par l’état  de l’opinion qui croit au « new-look » soviétique et à la détente ; ce qui est assez exact, car les Américains croient toujours aux bonnes choses, comme la paix perpétuelle et la prospérité toujours croissante à un rythme régulier et indéfini. C’est l’aspect outre-Atlantique de cette imperméabilité à l’expérience qui avec l’oubli est un trait bien confirmé de notre humanité. Le voyage d’Adenauer n’a cependant pas été un échec. S’il n’a pas changé d’opinion sur les Moscovites, c’est qu’il n’avait pas de raisons de le faire et il n’est pas le seul.

 

Les Causes de l’Inflation

D’Amérique encore nous vient un intéressant rapport d’économistes sur la poussée d’inflation qui, à des degrés divers, a touché l’Europe Occidentale. Leurs conclusions sont intéressantes, car ils constatent le fait paradoxal que dans le pays qui souffre le plus de l’inflation, l’Angleterre où les prix ont monté beaucoup plus qu’ailleurs, et plus vite même que les salaires, c’est précisément dans ce pays que la masse monétaire, tant en valeur absolue que par rapport au volume de la production industrielle, a le moins augmenté. Les moyens de paiement ont même diminué de 11% par rapport à cette production depuis 1952. Un phénomène analogue s’est produit en Suède où l’inflation est également sensible, alors qu’en France, où elle ne l’est guère jusqu’ici du moins, la masse monétaire a augmenté de 45%, et l’excédent des moyens de paiement atteignait 24% en 1955. Sans doute, nul n’ignore que l’inflation a d’autres causes que l’expansion de la masse monétaire. Mais tout de même … voilà des chiffres qui feront réfléchir les économistes. Ils ont eu tant de surprises, que celle-là ne les confondra pas.

 

                                                                                                       CRITON

Criton – 1956-06-16 – L’Invasion Pacifique

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Le Courrier d’Aix – 1956-06-16 – La Vie Internationale.

 

L’Invasion Pacifique

 

La seconde maladie d’Eisenhower, coïncidant avec une nouvelle poussée de dynamisme soviétique, ajoute un élément de trouble à une situation déjà difficile.

On ne peut encore savoir si le Président des Etats-Unis sollicitera le renouvellement de son mandat. La charge est très lourde, excessive déjà pour un homme en plein possession de ses moyens physiques. Si comme prévu, la santé d’Eisenhower se rétablit, les pressions qui s’exercent sur lui prévaudront.

 

La Position d’Eisenhower

Beaucoup aux Etats-Unis et ailleurs se demandent si ce second terme est souhaitable. La question est complexe : d’une part Eisenhower jouit d’un prestige personnel considérable. Il fait dans l’opinion américaine l’union sacrée. Comme militaire, on estime que la défense est en bonnes mains. Comme administrateur, la prospérité actuelle des Etats-Unis, bien qu’elle soit un peu plus discutée présentement, passe pour être son œuvre. Il se peut qu’elle se fût affirmée en tout état de cause. Les grandes évolutions économiques sont des phénomènes encore mal connus que l’on a tort de croire susceptibles d’être dirigés à volonté. Cependant, l’Administration Eisenhower a certainement contribué à donner une impulsion à des facteurs favorables et cela est capital pour le public des U.S.A.

Par contre, dans l’ordre international, le tandem Eisenhower-Dulles est, à notre avis, le plus faible que les Etats-Unis aient connu depuis la guerre. Même la direction Truman-Acheson avait eu plus d’inspiration. Les qualités morales, la sagesse et le sens de la conciliation du président Eisenhower ne suffisent pas à faire front à l’astucieuse politique du Kremlin et du Caire ; on ne voit malheureusement pas chez les Démocrates ni chez les Républicains une personnalité qui ait l’autorité et le dynamisme nécessaires pour remonter la pente et arrêter la dégradation rapide des positions occidentales. Une phase particulièrement critique qui peut décider de l’avenir du monde va se présenter inévitablement et à bref délai. L’homme du destin n’est pas désigné.

 

L’Action Idéologique du Kremlin

Du côté de l’Orient, les événements vont grand train. Sur le plan idéologique, tout dépend des résultats du long voyage de Tito en Russie. Partie serrée, comme nous l’avons vu. La déstalinisation ne va pas partout du même pas. Elle se heurte à des résistances spontanées en France, calculées au contraire en Albanie et en Tchéco-Slovaquie aux frontières yougoslaves. Par contre, en Pologne et en Roumanie, elle semble avoir dépassé son objet et tourné à un réveil du nationalisme qui inquiète Moscou. En Allemagne Orientale, le vieil appareil est maintenu en place ; en Hongrie, la situation n’est pas éclaircie. Krouchtchev acceptera-t-il une formule de socialisme polyvalent et diversifié qui fournirait un large champ au Titisme et une amorce efficace pour des fronts populaires en Europe libre ? Ou bien la situation restera-t-elle confuse dans ce domaine ? Nous penchons dans ce dernier sens. Moscou ne lâchera pas la proie pour l’ombre.

 

L’Action Économique

Dans le domaine économique, le bouillant travailliste de gauche Bevan voit juste quand il annonce une offensive d’un style inédit de la part des Soviets. Une invasion dans les pays non engagés de techniciens de toute nature qui vont prendre position, partout où les Occidentaux se sont manifestés jusqu’ici. L’Orient, l’Asie du Sud, l’Afrique non coloniale, l’Amérique latine vont recevoir des offres de traités bilatéraux comportant l’achat de marchandises, en échange de fournitures industrielles que les Russes transformeront sur place en usines et en barrages. Peu d’intéressés pourront ou voudront refuser cette aide « désintéressée ».

 

L’Action Militaire

Ce qui n’exclut pas d’ailleurs une offensive militaire d’un style également nouveau. L’U.R.S.S. fournit des bateaux de guerre modernes à l’Egypte. Nasser poursuit son plan. Au Maroc oriental proche de l’Algérie, il équipe et ravitaille une armée qui échappe complètement à l’autorité du Sultan. Au Sud du Maroc, une autre force de même origine cherche à désorganiser les projets de mise en exploitation des richesses nouvellement découvertes entre l’Algérie et le Sénégal. Colomb-Béchar ne tardera pas à être visé, puis ce sera le tour du Fezzan et du Tchesti (Cesti ?) à l’Est. Le Soudan est l’objet d’une prospection où Egyptiens et Russes se relayent. Mais c’est surtout Aden qui est en cause ; l’Emir du Yémen et son fils sont à Moscou pour solliciter ouvertement l’appui des Russes pour chasser les Anglais d’une région qu’ils convoitent. Chepilov retourne au Caire pour fêter le départ du dernier soldat anglais de Suez, et coordonner l’action pan-arabe.

 

Staline et Krouchtchev

Pour les Russes, le problème est le même qui se posait naguère à Staline à l’endroit des Chinois. S’en servir pour démolir les positions occidentales sans leur laisser la possibilité de s’évader de la tutelle soviétique. C’est là d’ailleurs où le vieux Tsar rouge et Molotov étaient maîtres. Ils ne se hâtaient jamais, poussaient les pions, trahissaient leurs promesses, revenaient avec de nouveaux plans quand l’accès de ressentiment était passé, ne donnaient jamais grand-chose et se servaient de tout et de tous sans scrupule et sans qu’on puisse deviner à l’avance leur choix.

Krouchtchev n’a pas ce sang-froid. Il vient de faire une grosse « gaffe ». En confiant à Guy Mollet ses propos cyniques sur l’Allemagne – que celui-ci a répétés à Adenauer – il a donné au Chancelier allemand un argument massue pour désarmer son opposition qui lui reprochait de ne rien tenter pour la réunification de l’Allemagne, et cela à quelques jours du voyage d’Adenauer à Washington. C’est la précipitation qui a perdu Hitler. Le point faible de l’équipe Krouchtchev-Chepilov est le même.

 

Falsification de l’Histoire

Nous ne nous laissons pas d’étudier le monumental acte d’accusation dressé par Krouchtchev contre Staline. A une déformation de l’histoire que les Bolcheviks avaient organisée pendant trente ans avec une application déconcertante succède une autre déformation non moins évidente : on démolit des faux par d’autres faux.

Nous avons eu la curiosité de nous reporter à nos notes de 1941. Krouchtchev prétend que Staline ne prévoyait pas l’agression hitlérienne contre l’U.R.S.S., comme si, avec l’espionnage dont les Russes disposaient, la concentration de plusieurs millions d’hommes en Pologne pouvait passer inaperçue ! Au début d’Avril 1941, nous notions que l’assaut contre la Russie était prévu pour fin Mai (on sait qu’il fut retardé par la campagne yougoslave). Mieux encore, Staline avait dépêché en mars Molotov pour dissuader Hitler de l’attaquer en proposant un nouveau partage de l’Europe. Le 17 avril, nous notions le brusque changement de ton de la Radio russe à l’égard de l’Allemagne jusqu’ici traitée amicalement. A ce moment, nous notions également que les Soviets prévoyaient qu’en trois semaines, les Allemands seraient devant Moscou. L’État-Major russe avait organisé là  la ligne de résistance. Pour retarder l’avance allemande, Staline entendait sacrifier deux armées énormes, mais de peu de valeur militaire, l’une à 50 kilomètres de la nouvelle ligne frontière, l’autre en avant de Smolensk pour encombrer les arrières allemands de prisonniers. Ces plans avaient été révélés, dit-on, par les Allemands eux-mêmes et transmis aux Etats-Unis, et c’est la radio américaine qui l’avait diffusé et par là que nous l’avions appris ! Krouchtchev prend son auditoire pour bien mal instruit ou sans mémoire. Il est vrai que la propagande n’a cure de ces détails : plus le mensonge est gros …..

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1956-06-09 – La Nouvelle Guerre Froide

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Le Courrier d’Aix – 1956-06-09 – La Vie Internationale.

 

La Nouvelle Guerre Froide

 

Nous avons eu cette semaine deux nouvelles à sensation : la publication par les soins du Département d’Etat américain du discours prononcé par Krouchtchev, le 25 février, démolissant l’idole stalinienne, et la démission de Molotov, remplacé par l’ex-directeur de « La Pravda », Dimitri Chepilov. A vrai dire, ces événements ne font que confirmer ce que nous savions déjà ; un commentaire n’est cependant pas superflu.

 

Les Mensonges de Krouchtchev

Si les Américains ont obtenu et publié le texte du discours Krouchtchev, c’est que celui-ci leur en a fourni l’occasion : il avait laissé des copies s’égarer à dessein. Ébruité d’abord, il fallait laisser le temps à l’opinion des fidèles d’évoluer avant de les mettre en face de la réalité. Les adversaires, eux, savaient depuis longtemps à quoi s’en tenir – ce qui ne veut pas dire que Krouchtchev a dit la vérité. Au contraire, le réquisitoire contre Staline est farci de mensonges habiles parmi des faits avérés. Il serait très instructif de les disséquer par le menu ; nous n’en exposons que le plus gros.

 

Les Relations de l’U.R.S.S. et de la Chine

Krouchtchev a dit qu’entre 1948 et 1950, Staline avait failli brouiller l’U.R.S.S. avec la Chine de Mao en cherchant à lui imposer des conditions qui ressemblaient au pire colonialisme (sic). Cela pour montrer aux Chinois, qui sont précisément à l’heure présente assez mécontents de l’ « aide » fournie par Moscou (des articles parus dans le journal de Pékin en font foi), que leurs critiques sont mal fondées et que le temps où Staline leur jouait de mauvais tours (nos lecteurs se souviennent peut-être de l’affaire des filatures de Canton) est tout à fait révolu.

Il est vrai que Staline se méfiait des Chinois et entendait s’en servir pour ses fins politiques, tout en les maintenant en difficulté pour éviter qu’ils ne lui échappent. Mais la période 1948-1950, celle où fut montée la guerre de Corée fut au contraire la période d’accord complet. Staline en « absentant » son délégué au Conseil de Sécurité pour éviter d’être obligé d’opposer son veto, avait laissé celui-ci mettre en mouvement la résistance à l’agression Nord-Coréenne, Staline voulait engager les Etats-Unis militairement en Corée du Sud et les y faire battre ; l’affaire faillit réussir. Les Américains ne purent se maintenir que de justesse à l’extrême pointe de la Corée et se rétablirent ensuite à grand peine. Staline pensait que l’offensive Nord-Coréenne, même si elle échouait, créerait un tel mouvement d’opinion aux Etats-Unis que ceux-ci chercheraient un compromis.

Au début, Staline crut s’être trompé ; Mac Arthur finit par battre les troupes de Kir II Sun et marcha sur le Yalu. Les Chinois hésitaient à intervenir. Ce n’est que grâce à leur espionnage que les Russes apprirent, sans doute par Burgess le traitre anglais, que Truman avait interdit à Mac Arthur de franchir le Yalu et même de bombarder les arrières chinois. Ceux-ci alors se lancèrent à l’attaque, firent reculer Mac Arthur, ce qui permit à Truman de le limoger. La puissance militaire de l’Occident avait subi son premier revers. Son prestige était ébranlé : Chinois et Russes triomphèrent. Dien Bien Phu a fait le reste. Ce n’est qu’après ce dernier événement – Staline étant mort – que Russes et Chinois eurent quelque peine à s’accorder ; les Chinois voulaient pousser leur avantage. Les Russes refusèrent leur appui. En échange, ils offrirent une collaboration économique et des crédits et la restitution des ports mandchous. Les Russes firent en Chine un gros effort. C’est Chepilov qui fut alors l’organisateur de la coopération étroite des deux pays.

 

Nouvelle Phase

Les choses aujourd’hui semblent aller moins bien. Les Soviets s’intéressent à l’Inde, à Tito et à Nasser, même à l’Amérique latine. Ils recommencent à craindre la puissance chinoise enrégimentée sous le prétendu communisme, prévoient les difficultés en Mongolie et au Tibet (où l’on dit qu’ils soutiennent les rebelles). L’heure où ils pouvaient tenir la Chine est passée. Staline et Molotov avaient prévu ce moment-là et cherché à le retarder.

 

Chepilov

La disgrâce de Molotov était prévue depuis deux ans. En fait, il ne jouait plus qu’un rôle secondaire et intermittent quand, comme à la seconde Conférence de Genève, les Russes ne voulaient rien conclure. Chepilov son successeur est lui aussi un dur, plus fanatique que Molotov qui se souciait moins de doctrine que d’action diplomatique où il était un maître. Au surplus, il est fort douteux que Staline, dont il exécutait avec Vichinsky les desseins, ait voulu, comme le prétend Krouchtchev, le supprimer. C’est plutôt Krouchtchev lui-même qui aurait été liquidé avec la complicité de Beria ou de Malenkov, selon les hauts et les bas de leurs faveurs respectives.

Molotov lui, demeure résolument hostile à la nouvelle politique ; hostile à toute concession, comme la libération de l’Autriche, il croit que le rideau de fer est une protection sûre et que le communisme international doit rester monolithique et se garder de tout compromis. Il craint une désagrégation de l’empire qu’il a édifié et surtout les ambitions de Tito, qui voudrait sous prétexte de faire admettre la légitimité de plusieurs formes de « socialisme » détacher petit à petit les satellites européens de la domination russe en commençant par la Bulgarie et l’Albanie. La rencontre actuelle de Tito et de Krouchtchev sera la pierre de touche de la nouvelle politique. Tito cachera-t-il son jeu, se montrera-t-il patient et en apparence docile pour pousser plus à fond la politique russe vers la détente ? C’est fort probable. Mais il se peut qu’il se laisse tenter de formuler des exigences qu’il croit possible d’imposer, comme un partage d’influence dans les Balkans du Sud.

Chepilov en accord avec Krouchtchev et d’un tempérament également dynamique, veut aller vite. Il croit que l’Occident est mûr pour que l’on pousse à fond l’offensive de la détente afin de neutraliser en Europe les résistances de la Social-Démocratie. Les événements récents semblent lui donner raison. Les élections italiennes n’ont donné qu’un résultat bien net : un redressement sensible du parti Saragat, social-démocrate qui fait partie de la coalition gouvernementale actuelle et qui cherche une ouverture à gauche, c’est-à-dire l’entente avec le Parti de Nenni, lui-même associé aux communistes.

En France, Moscou envoie à Paris Malenkov pour préparer le terrain et orienter la politique que devront suivre Boulganine et Krouchtchev quand ils viendront à leur tour en France. Une fois l’unité de la « classe ouvrière » ressoudée, l’Europe serait ceinturée et la victoire finale bien en vue.

Le bruit court en Italie, où Togliatti revient de sa visite à Tito, que Krouchtchev, pour s’assurer le succès en France, liquiderait en bloc Thorez, Duclos et ses acolytes pour leur substituer une nouvelle équipe, l’ancienne étant jugée incapable de réussir l’unité. On les accuserait de stalinisme et l’affaire serait réglée. La polémique entre Tito et « l’Humanité » serait assez révélatrice à cet égard.

Nous verrons bien. Ce qui est sûr, c’est qu’avec Krouchtchev et Chepilov on peut s’attendre à des initiatives vigoureuses. Dictature pas morte, disait l’autre.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1956-06-02 – Les Faiblesses de l’Occident

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Le Courrier d’Aix – 1956-06-02 – La Vie Internationale.

 

Les Faiblesses de l’Occident

 

Dans une discussion récente entre éducateurs, quelqu’un notait cette vérité d’évidence : le Monde libre qui représente les valeurs spirituelles se comporte en matérialiste et le Monde totalitaire qui est matérialiste par doctrine est animé par une idéologie. En fait, le Monde occidental, et particulièrement sa jeunesse, avec le déclin du patriotisme, n’a rien à opposer au nationalisme des uns et au collectivisme des autres ; ce n’est pas que les valeurs morales et religieuses aient disparu, mais elles ne regardent que la vie intérieure ; elles ont pour une large part perdu leur puissance d’idée-force. Le déclin de l’Occident s’explique pour beaucoup par cette carence.

 

L’Enjeu Économique

De telle sorte que la lutte actuelle entre les deux Mondes se trouve placée, par nous-mêmes, sur le seul plan économique : quel système est susceptible d’obtenir l’élévation la plus rapide du niveau de vie ? Jusqu’ici, il n’est pas contestable que ce soit celui de l’économie des marchés et de libre entreprise. Il ne faut pas se dissimuler cependant que la partie est loin d’être définitivement gagnée.

 

Accroc aux Etats-Unis

Ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis est à cet égard hautement instructif. Il n’y a pas plus d’un mois, la conjoncture était à son sommet ; les marchés financiers d’Amérique avaient battu tous les records de leur histoire. Les économistes étaient unanimes, comme les industriels, à prévoir pour 1956 une activité sans précédent. Sans doute, on ne croyait pas que le rythme de la progression serait aussi rapide qu’en 1955 ; on savait qu’il y avait des points faibles, l’automobile et le matériel agricole en particulier. Néanmoins, on ne se préoccupait guère que de combattre l’inflation. Les augures avaient à plusieurs reprises relevé le taux d’escompte pour freiner les demandes de crédit.

Et voilà qu’en quelques jours, une chute brutale s’est produite ; le chômage s’est accentué dans l’automobile et a gagné plusieurs autres secteurs. Certaines matières premières ont plongé ; la bourse a brusquement reculé de plus de 10%. Une fois de plus, les techniciens de l’économie et de la finance s’étaient trompés. La récession ne sera sans doute pas très profonde ni très durable, mais le fait seul est grave. L’expansion continue n’est pas assurée.

 

Les Défauts de Structure

Ce qui nous permet de toucher du doigt les défauts de structure de toute économie de marché, et particulièrement celle des Etats-Unis. Nous en relèverons trois principaux :

 

Le Gigantisme des Entreprises

D’abord le gigantisme de certaines entreprises qui préoccupe les autorités et le Sénat : des affaires mondiales comme la « General Motors » pour l’automobile ou la « Standard Oil » de New Jersey pour le pétrole, remuent des sommes fantastiques de par le monde ; leur chiffre d’affaires dépasse le revenu national d’Etats importants ; leurs bénéfices portent sur des centaines de nos milliards. Ayant des intérêts partout qu’il faut défendre, ces entreprises commandent, dans une certaine mesure, l’action politique du Gouvernement qui est obligé de les appuyer. Sinon, l’économie même du pays serait en péril. Ce sont, par la force des choses, des états dans l’Etat et les deux puissances ont partie liée.

 

La Pression Syndicale

Le second point faible qui n’est pas particulier aux Etats-Unis – qui est même plutôt récent chez eux – c’est cet autre état dans l’Etat qu’est la puissance syndicale. Depuis la fusion des deux grandes centrales américaines A.F.L. et C.I.O., ces organismes exercent sur les entreprises une pression auxquelles elles sont de moins en moins capables de s’opposer. Elles poussent constamment aux augmentations de salaires. A un certain moment, le dilemme se présente, ou bien la hausse des prix et l’inflation, ou l’affaiblissement sinon la faillite des organismes producteurs. C’est actuellement le drame anglais qu’a souligné dans son dernier discours le Chancelier de l’Echiquier, MacMillan. De nouvelles revendications de salaires précipiteraient la catastrophe. L’Angleterre ne pourrait plus exporter assez de vivres, et la monnaie serait indéfendable. Nous en sommes, en France, au même point. On lutte désespérément pour empêcher le jeu de l’échelle mobile qui emporterait le Franc.

 

L’Instabilité du Prix des Matières Premières

Le troisième point qui n’est pas moins grave dans la lutte économique entre l’Est et l’Ouest, c’est l’instabilité du prix des matières premières : prenons le cuivre, par exemple, qui après avoir doublé en deux ans vient en quelques mois de s’effondrer de plus de 400 livres la tonne, à moins de 300 ; le café et le cacao, de première importance pour beaucoup de pays sous-développés, ont connu des vicissitudes semblables. On conçoit quelle gêne peut apporter aux prévisions budgétaires des Etats, des entreprises et des particuliers producteurs, de pareils soubresauts. La stabilisation des prix des matières premières est constamment à l’ordre du jour. En fait, aucun progrès sérieux n’a jamais été réalisé dans ce sens.

 

Ils n’existent pas en U.R.S.S.

Ces trois points de faiblesse n’existent pas pour l’U.R.S.S. et ses associés : 1° l’Etat est maître de la production. Il n’a que ses intérêts propres à défendre ; 2° le syndicalisme y est pratiquement inexistant puisqu’il n’a aucun pouvoir, surtout pas celui de grève ; 3° l’Etat fixe lui-même le prix des produits de base pour une durée absolument illimitée tant à l’intérieur que dans ses contrats avec l’extérieur dont il a le monopole.

Ces différences ne sont pas nouvelles. Mais elles prennent une importance capitale au moment où la lutte s’engage entre les deux Mondes sur le terrain économique.

 

Tito à Moscou

Revenons à l’actualité spectaculaire. Tito se rend à Moscou. Boulganine a affirmé toute l’importance que la Russie attache à cette visite ; la veille même du voyage, le leader communiste italien Togliatti s’est rendu à Belgrade et a conféré avec le Maréchal. L’événement a constitué pour beaucoup une surprise. L’explication est pourtant claire. Nous l’avons donnée ici par avance : le but de la politique de la détente et du sourire est la formation en Europe occidentale de fronts populaires. C’est même son objectif essentiel. C’est pourquoi l’U.R.S.S. a fait tant de cadeaux, de concessions et de platitudes à Tito depuis un an. C’est lui qui peut exporter la formule collectiviste qui venue de la Russie fait peur aux Socialistes qui voient leurs idéaux menacés et leurs troupes absorbées par le redoutable parti frère. Mais le Titisme n’est pas le Bolchévisme. Il représente, en apparence bien entendu, un compromis entre la démocratie et le totalitarisme que les pays très évolués ne pourraient supporter sans contrainte. Et cette contrainte, les Soviets n’ont pas les moyens de l’exercer.

Le jeu à Moscou entre Tito et Krouchtchev va être très serré. Si ce dernier veut laisser le Maréchal étendre ses ambitions, le Titisme peut gagner à la fois l’Occident libre et aussi les satellites européens de l’U.R.S.S. qui n’y sont que trop disposés. Les Russes risquent de perdre le contrôle de leurs annexions, sans pour cela s’assurer de l’obédience des pays encore libres. Il s’agit pour Krouchtchev de désagréger l’Occident politiquement et socialement, sans lâcher trop la bride en Pologne et ailleurs où des remous sont déjà sérieux.

Sur quelles bases les deux confrères vont-ils s’entendre ? Nous ne le saurons pas tout de suite. Ce n’est que par recoupement et à mesure que l’action de Tito s’exercera que nous devinerons ce que sont au juste ses relations avec le Kremlin. Ni l’un, ni l’autre ne se font d’illusions. Ils se connaissent trop bien pour se laisser mutuellement « rouler ». Il ne s’agit plus pour Tito de capter des Dollars … ou des Francs.

 

                                                                                            CRITON

 

 

Criton – 1956-05-26 – L’Équilibre Difficile

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Le Courrier d’Aix – 1956-05-26 – La Vie Internationale.

 

L’Équilibre Difficile

 

Nous avons constamment observé que l’opinion est lente à prendre conscience d’un changement historique. Les Américains commencent à peine à réaliser que les Etats-Unis ont cessé d’être la puissance dominante dans le monde. Nous avons suivi ici la dégradation progressive de cette prépondérance depuis dix ans. L’opinion européenne elle-même, mieux avertie, cherche à adapter son attitude à cette situation nouvelle. Quelle sera la position de chacun entre les deux compétiteurs, les U.S.A. et l’U.R.S.S., qui disposent maintenant de moyens égaux, militaires et politiques ? L’immense avantage économique de l’Amérique étant en partie équilibré par la faculté qu’ont les Russes de disposer de leurs ressources à n’importe quel prix sans se soucier d’en priver leurs concitoyens.

 

L’Arme Atomique

Nous avons répété ici, à intervalles, que la paix du monde ne serait vraiment menacée que le jour où les Soviets auraient les moyens d’écraser les marchés du Monde libre et par là, de les acculer à une crise qui déséquilibrerait leur économie ; ce jour est encore lointain. On l’aperçoit cependant à l’horizon.

 

Les Diamants Soviétiques

Les Russes ont annoncé récemment la découverte en Sibérie, à Yakoutie d’immenses gisements de diamants. Il est difficile de contrôler, mais le fait n’est pas invraisemblable. Or, le monopole du diamant, jusqu’ici aux mains de l’Occident, réside en Afrique du Sud. C’est un des piliers de l’économie capitaliste ; c’est aussi dans ce pays que l’on extrait 60% de l’or du monde ; sans jouer le même rôle qu’autrefois, l’or est encore un des fondements de l’économie libre. Or, l’Afrique du Sud est un pays où couvent les risques d’une explosion sociale. Deux millions et demi de blancs, d’ailleurs divisés entre eux, dominent neuf millions d’hommes de couleur. Malgré la vigilance des autorités, les Soviets sont particulièrement actifs dans cette région. Ils sont alliés, comme en Afrique du Nord, au racisme et au nationalisme indigène. La situation est encore relativement calme, mais on peut mesurer quelles répercussions aurait une désorganisation de la production dans cette région du monde, toute proche par ailleurs, des réserves essentielles de cuivre et d’uranium qui elles, alimentent pour une large part les industries de l’Occident.

 

L’Effritement de l’Empire Britannique

Pour l’heure, c’est l’Angleterre qui a, après la France, à faire face aux difficultés majeures suscitées par le nationalisme et le communisme alliés. Après Chypre et Ceylan, c’est Singapour et Aden – les deux bases qui demeurent de la grande ligne impériale – qui sont en cause.

 

Singapour

Singapour, après la Malaisie, avait reçu de la part des Anglais des promesses d’indépendance ; les difficultés ont surgi quand il s’est agi de les définir ; le Premier ministre David Marshall est venu avec les représentants des autres partis discuter à Londres. Les pourparlers ont échoué. Les Anglais veulent conserver le contrôle des installations militaires et aussi s’assurer le cas échéant du maintien de l’ordre. Singapour est une ville à majorité chinoise et les communistes y sont nombreux. Une crise va s’ouvrir, car David Marshall ne bénéficie que d’un soutien précaire de ses alliés chinois dont l’attitude est ambigüe. L’Australie et la Nouvelle-Zélande sont directement intéressées au sort de Singapour. Les Anglais et leurs Dominions du continent austral vont avoir à jouer une partie difficile, et peut-être un jour sanglante, pour éviter une main-mise communiste sur ce point vital en Extrême-Orient.

 

Aden

La forteresse d’Aden, le Gibraltar de l’Océan Indien, est aussi menacée, cette fois par les tribus Yéménites et Saoudites qui l’entourent. Nasser d’un côté et Ibn Saoud de l’autre organisent la rébellion. On n’en est encore qu’aux accrochages, mais l’affaire mûrit lentement. L’axe Moscou-Le Caire poursuit son plan.

 

Évolution des Neutres

Il n’y a d’ailleurs pas que les Occidentaux à s’en émouvoir. Les nations non engagées s’inquiètent déjà d’une rupture possible de l’équilibre entre les deux Blocs qui fait leur propre force. Le nouveau Premier ministre de Ceylan, neutraliste et qui entend liquider la base anglaise de Trincomalee chez lui, a déclaré contre toute attente, qu’il était intéressé au maintien de Singapour dans l’orbite du Commonwealth. Les Français ont appris, d’autre part, avec quelque surprise, les propositions de règlement de l’affaire algérienne faite par le Pandit Nehru. A rapprocher également de la visite que fait à Washington où il est reçu avec cordialité et honneurs, le président Soekarno d’Indonésie et ses déclarations très nettes d’un neutralisme vigilant, ce qui peut surprendre si l’on se rappelle les relations étroites que le Parti de Soekarno entretient avec les communistes.

Une évolution nouvelle se dessine donc et qu’il faudra observer dans le groupe de Bandoeng, le camp Nasser lié à Moscou contre l’Occident, et le camp Nehru qui veut demeurer à l’écart des deux Blocs et n’en favoriser aucun ; la position d’équilibre est toujours la plus difficile et se maintient rarement longtemps. A mesure que la balance penchera en faveur du  Bloc, Le Caire – Moscou – Pékin, Nehru et ses suivants seront obligés de faire contre-poids, sous peine d’être écrasés. Nous avons toujours pensé d’ailleurs que Nehru, par-delà son attitude de grand politique, était de sentiment pro-occidental.

Les Américains qui ont perdu la guerre froide vont peut-être y gagner quelque chose. Chaque  événement a deux aspects, mais tant qu’ils étaient les plus forts, ils vont retrouver des sympathies à mesure que l’on doutera de leur supériorité. Le camarade Krouchtchev vante ses succès avec trop de cynisme. C’est ce qui ressort de plus intéressant du voyage de nos deux ministres à Moscou. Staline maniait la peur à bon escient et ne s’en flattait pas. Krouchtchev parle trop et son jeu est transparent. La politique du sourire pourrait avoir son revers, susciter plus de méfiance que d’approbation.

 

La Querelle des Trois Armes

Pendant ce temps, reprend à Washington la traditionnelle querelle des trois armes. Qui de l’Aviation, de l’Armée de terre ou de la Marine aura la plus large part des dotations budgétaires ? Chacune a son argument. Pour l’Aviation, la guerre moderne dépend de l’arme aéro-atomique et les forces aériennes doivent être au centre de toute conception stratégique ; effectivement, elles ont obtenu la part du lion dans les crédits. Mais l’Armée réplique que les armes atomiques rendent impossible une guerre mondiale. C’est l’impasse. Les seules guerres possibles sont limitées, comme en Corée ou en Indochine, et pour les soutenir, il faut une armée adéquate, celle qui a manqué dans ces deux cas. Il faut la mettre sur pied et l’équiper à neuf. Pour la Marine, ce sont les engins téléguidés qui sont l’arme de l’avenir. Ce sont eux qui anéantiront l’aviation et les bases terrestres où elle s’appuie. La stratégie future reposera sur une flotte nucléaire qui, seule, a la mobilité nécessaire pour fuir l’attaquant et frapper à son tour l’ennemi au sol. Reste à savoir si les grands porte-avions sont invulnérables ; les aviateurs ne le croient pas. Heureusement, le désarmement est à l’ordre du jour.

 

                                                                                                       CRITON

Criton – 1956-05-19 – New-Look en U.R.S.S.

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Le Courrier d’Aix – 1956-05-19 – La Vie Internationale.

 

New-Look en U.R.S.S.

 

A mesure que se développe le “New-look” soviétique et que les contacts se multiplient entre l’U.R.S.S. et l’Occident, on assiste de ce côté du rideau de fer à un phénomène inverse qui surprend et irrite les dirigeants russes : un raidissement des Partis démocratiques à l’égard du communisme. Cela a commencé par les Travaillistes anglais ; socialistes français et même italiens ont suivi. On a l’impression qu’ils prennent conscience du danger que la doctrine moscovite représente pour la réalisation de leurs propres idéaux. Même la réception du maréchal Tito dont la version du communisme est assez différente de celle du Kremlin, n’a pas soulevé à gauche beaucoup de sympathie et d’intérêt.

Le phénomène vaut d’être noté, car il est très général. Il ne s’explique pas complètement par la rivalité électorale entre partis soutenus par des clientèles voisines. Il y a, semble-t-il d’une façon plus profonde, une crise de conscience de la solidarité qui existe par-delà la lutte des classes, entre des hommes qui bénéficient d’une civilisation commune à laquelle l’idéologie orientale est fondamentalement opposée et peut-être définitivement hostile. A cet égard, la conférence que M. André Philip, socialiste français, a pu pour la première fois depuis 1917 tenir devant un auditoire universitaire soviétique est pleine d’enseignement ; la suppression du capitalisme ne suffit pas pour édifier une démocratie sociale.

 

Les Réformes civiles en U.R.S.S.

Les raisons concrètes de cette défiance ne manquent d’ailleurs pas. Les Russes ont récemment réformé leur Code Pénal et donné à leurs concitoyens des garanties contre une justice militaire et des condamnations pour des motifs idéologiques ou des infractions à l’ordre social ; mais il reste toujours la réserve de cas exceptionnels, cas de sabotage par exemple, dont l’interprétation est toujours extensible et la définition vague. De même pour les délits de manquement à la discipline du travail.

 

La Discipline du Travail

Précisons ce point : jusqu’ici, l’indiscipline était punie de prison ; cette sanction vient d’être abolie. Auparavant, celui qui quittait son usine sans autorisation était privé de son logement et contraint à une période de service obligatoire à salaire réduit. En octobre 1940, la peine fut aggravée d’une détention de prison, même pour des retards au travail injustifiés et répétés. Aujourd’hui, celui qui veut quitter son emploi peut le faire sans permission ; l’autorité judiciaire ne le poursuivra plus. Mais cet ouvrier perd tout droit d’ancienneté acquis dans l’établissement où il travaillait, il cesse de bénéficier pendant les six premiers mois accomplis dans son nouvel emploi des secours de maladie. Or comme en ce cas, il ne perçoit aucun salaire ni indemnité, ce secours était sa seule ressource. Il perd également ses droits à pension et congés acquis dans le premier établissement. Quant aux absences ou retards répétés, ils sont sanctionnés désormais : 1° par une amende et une réduction de salaire ; 2° par la suppression des primes d’ancienneté (qui s’ajoutent normalement au salaire) ; 3° – ce qui est plus grave – par un licenciement pur et simple avec inscription sur le livret de travail des infractions commises à la discipline ; cela naturellement sans aucune indemnité. On conçoit que dans un pays où tout emploi est donné par la bureaucratie de l’État, le malheureux n’a guère de chance de s’employer ailleurs, sinon à des besognes pénibles dont les autres se déchargent sur lui, et comme il n’existe pas en U.R.S.S. d’indemnité de chômage, l’ouvrier en question devra obligatoirement accepter tout emploi qui lui sera proposé.

Voilà en quoi consiste exactement la « normalisation » des rapports entre ouvriers et la bureaucratie et les chefs du personnel. On voit que pratiquement la suppression de la peine de prison ne change pas grand-chose au sort réel de ceux qui cherchent à se soustraire au règlement du travail soviétique.

 

Les Camps de Travail

De même pour les camps de travail forcé qui vont être progressivement liquidés. Ils sont remplacés par des établissements de rééducation au travail dont quelques-uns fonctionnent déjà. Ils sont effectivement moins durs que les mines de Kolyma en Sibérie orientale, mais plus que ne le sont en France les travaux de détenus de droit commun. On conçoit que les membres de la Société des Droits de l’Homme ne soient pas encore convaincus des libertés dont les travailleurs jouissent en Russie.

 

Le Communisme Titiste

A l’occasion du voyage de Tito en France, la question s’est posée de savoir si le communisme titiste donnait à ses sujets plus de satisfactions ; la principale différence consiste en ceci : que les établissements industriels, au lieu d’être soumis comme en U.R.S.S. à une direction centrale qui nomme les directeurs et agents responsable, les révoque s’ils ne satisfont pas au plan imposé ; en Yougoslavie les usines jouissent d’une certaine autonomie, et les ouvriers en principe participent à la nomination et même au contrôle des responsables. En fait, c’est un clan qui s’impose en accord plus ou moins direct avec les bureaux. Mais cette forme d’autonomie des entreprises, si elle permet souvent une certaine liberté aux participants, leur confère aussi une sorte de petit monopole local avec tous les privilèges que permet la dissimulation des méthodes et des profits au détriment de la collectivité. De petits états se constituent dans le grand.

Toute forme de socialisme aboutit d’ailleurs à créer des féodalités dès que la concurrence disparaît. Nous en savons quelque chose chez nous. Dans un pays moins évolué, les abus sont moins étendus mais infiniment plus marqués. De là à constituer une caste de privilégiés, il n’y a qu’un pas. C’est bien ce qui se passe dans les républiques yougoslaves. Finalement, la hiérarchie sociale est beaucoup plus rigide et plus manifeste que dans les pays les plus capitalistes, même aux Etats-Unis où l’éventail des rémunérations est, l’impôt personnel aidant, réduit et parfois inversé.

 

Le Problème du Désarmement

Nous avions raison de penser l’autre jour que le problème du réarmement allait rebondir. En effet, les Russes vont démobiliser douze cent mille hommes, et les Américains vont présenter de nouvelles suggestions. Reste à savoir si c’est bien de désarmement qu’il s’agit ou simplement d’une conversion de l’armée moderne à des conceptions stratégiques nouvelles imposées par les engins atomiques. C’est bien plus probablement parce que les grands effectifs n’auraient plus d’emploi dans une guerre future.

Néanmoins, cette réduction va mettre dans l’embarras les Occidentaux, et particulièrement l’Allemagne de Bonn qui jusqu’ici persiste à vouloir organiser une armée de 500.000 hommes. C’est évidemment elle que les Soviets visent, et il est probable qu’ils vont en entretenir MM. Mollet et Pineau à Moscou. Les Américains aussi qui avec leurs bases dispersées à travers le monde, également visées par les Russes, et la proportion énorme d’auxiliaires que comportent leurs effectifs militaires par rapport aux combattants proprement dits. Et les Anglais et les Français avec la dispersion imposée par leurs obligations Outre-Mer.

Les Occidentaux prendront acte de la démobilisation soviétique, mais exigeront pour suivre le mouvement un contrôle effectif des armements et particulièrement des engins nucléaires. C’est là-dessus que les Soviets devront tôt ou tard se prononcer. Sinon, le « New-look » militaire ressemblera aux autres aspects de la réforme, comme il est dit ci-dessus. De tout cela, l’opinion en Occident est plus avertie qu’auparavant, et cela est fort rassurant.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1956-05-12 – Le Énigmes de l’Âge Atomique

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Le Courrier d’Aix – 1956-05-12 – La Vie Internationale.

 

Les Énigmes de l’Âge Atomique

 

La Conférence sur le Désarmement qui siège depuis des mois à Londres vient de s’achever. Un communiqué des Occidentaux constate, comme le souligne l’ensemble de la presse, son échec complet. Personne ne s’en étonne ; les points de vue, comme l’on dit, ne paraissaient guère conciliables.

 

Le Problème du Désarmement et le Contrôle de l’Énergie Nucléaire

Il est cependant curieux de constater que les délégués américains et russes ne sont pas d’accord, même sur le résultat de ces pourparlers. Les Soviets rejettent naturellement sur les Occidentaux la responsabilité de l’impasse ; cela sert leur propagande, d’autant qu’ils ont, dit-on, l’intention de procéder, comme ils l’ont déjà fait à l’automne, à une réduction spectaculaire de leurs effectifs terrestres. Ils comptent exploiter ce geste unilatéral comme une preuve de leurs intentions pacifiques. Cependant, M. Stassen, Représentant américain a déclaré que des progrès importants avaient été réalisés à Londres. Si l’abîme entre les deux Blocs sur la question du désarmement est large de 16 kilomètres, nous en avons déjà réduit 7. Il en reste 9 à combler, et avec de la patience et de la bonne volonté, nous y parviendrons ; déclaration inattendue qui a provoqué de la part de Gromyko une affirmation en sens contraire.

Qu’est-ce à dire ? Remarquons tout d’abord que les Russes ont consenti à revenir sur leurs propositions primitives qui ne concernaient que les armements classiques et à lier cette question à celle des armements atomiques. Ils ont même admis que cette réduction comporterait un certain contrôle ; C’est sur cette question de contrôle que subsiste le désaccord, et particulièrement le contrôle aérien proposé par Eisenhower.

On n’a pas assez remarqué que sur le problème de l’armement atomique, Russes et Américains ont un intérêt commun. Celui de garder, avec l’Angleterre, le monopole de ces engins de destruction. Or, la production d’énergie atomique sera bientôt à la portée de tous les Etats, grands ou petits. Si l’on ne veut pas que l’un quelconque de ceux-ci ne fabrique clandestinement la bombe et à l’occasion ne s’en serve, il est indispensable de contrôler la fabrication de toute installation atomique.

Russes et Américains seront donc obligés de s’entendre pour assurer ce contrôle ; sinon, leur suprématie serait remise en cause, d’autant plus que dans une guerre éventuelle, les armées nombreuses seraient plutôt des cibles que des éléments de puissance. C’est d’ailleurs pour cela que les Soviets vont diminuer le nombre de leurs soldats qui coûtent cher à entretenir et à équiper et sont perdus pour la production. On peut conclure de là que la question du désarmement pourrait un jour constituer un terrain d’entente entre Russes et Américains, à condition que les Russes admettent chez eux le contrôle qu’ils sont disposés à imposer aux autres, c’est là que le bât les blesse. Ils veulent garder leurs secrets d’abord parce que c’est un trait de leur mentalité, et aussi parce que s’ils bluffent en la matière ils seraient découverts.

La question n’est donc pas enterrée. Il faudra tôt ou tard et même sans trop tarder instaurer un contrôle atomique, sinon le rapport des forces dans le monde pourrait être remis en question de façon inopinée.

 

La Paix en Orient

La mission du Secrétaire de l’O.N.U. Hammarskoeld est terminée. Il a obtenu un accord des Arabes et des Israéliens pour que les clauses de l’armistice soient respectées. Les déclarations cependant ne sont pas particulièrement optimistes. C’est aux gouvernements des Grands de faire en sorte qu’ils ne soient pas violés, a-t-il dit. Et en fait, à peine avait-il regagné son poste que les incidents de frontière réapparaissaient. Selon toute apparence ni les Russes, ni les Occidentaux ne souhaitent une guerre en Proche-Orient. Ces derniers ne voudraient pas avoir à lutter par les armes pour empêcher les Arabes de jeter Israël à la mer. S’ils étaient obligés de le faire, le Monde arabe tout entier se liguerait contre eux. De leur côté, les Soviets verraient se rapprocher de leurs frontières des forces occidentales qui auraient toute chance d’y demeurer. De plus, ils ne pourraient plus s’immiscer dans les affaires des Pays Arabes, ce qui est précisément leur but. Reste à savoir si les Arabes, emportés par la passion, passeront outre comme leurs journaux le proclament. Pour les tenir en respect, il faudra mettre en vigueur et exécuter l’embargo sur les armes destinées au Proche-Orient. Les Soviets y consentent volontiers. Mais les Anglais ne veulent pas renoncer à renforcer le potentiel militaire des pays du Pacte de Bagdad, nouvel impasse. Il est probable cependant que l’on arrivera à une solution de ce genre dans le cadre de l’O.N.U. On cherchera à tricher de part et d’autre, mais l’intérêt majeur du maintien de la paix dans cette zone est trop évident des deux côtés pour que Russes, Anglais et Américains ne fassent pas des sacrifices.

 

La Visite à Paris du Maréchal Tito

Tito est à Paris : Il est reçu avec honneurs et louanges. Il ira du même pas à Moscou où les mêmes hommages lui seront rendus. Dommage qu’il n’y ait pas un grand cordon de l’habileté diplomatique ou un oscar pour récompenser le Maréchal yougoslave. Il y a droit. Un de nos quotidiens rappelait que son pays doit à l’épargne française quelques 500 millions de francs germinal qui n’ont été jusqu’ici l’objet que d’un remboursement infime largement dépassé par les crédits supplémentaires que nous avons généreusement octroyés à Tito lui-même. La balance serait d’une dizaine de milliards en faveur de la Yougoslavie depuis l’armistice. C’est peu, dira-t-on, en regard de ce que les Américains et les Anglais et depuis peu les Russes ont prodigués à l’économie de ce pays (qui entre parenthèse n’en est pas plus florissante pour cela). Mais on n’aura pas l’indélicatesse en ces jours de liesse de présenter la petite facture. L’épargne et le Trésor français en ont vu bien d’autres … On conçoit bien ce que les Soviets ont à gagner à fortifier la position de ce promoteur du neutralisme, et ils y attachent une importance grandissante. Ne viennent-ils pas d’offrir à Tito en plus d’installations nucléaires, un nouveau crédit de 300 millions de dollars ? C’est qu’ils le croient capable de rapprocher, grâce aux sympathies qu’il a su se concilier dans l’Europe libre, le communisme dont il se réclame du socialisme occidental. Ce qui effraye Moscou peut paraître acceptable à Belgrade. L’obstacle est moins évident, Tito a tout à gagner à ce rôle et il n’y manquera pas d’en tirer le plus large profit.

 

Les Réunions de l’O.T.A.N.

Comme nous le laissions prévoir, la réorganisation de l’O.T.A.N. n’a pas dépassé, au cours des récents entretiens de Paris, le stade de résolutions verbales et des commissions nommées ad-hoc pour futur rapport. Cependant, toutes les propositions, y compris celles de M. Pineau ont été retenues pour examen et accueillies avec intérêt. Au surplus, M. Selwynn Lloyd a déclaré que l’O.T.A.N. se portait très mal. Nous serions mal avisés d’en demander davantage.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1956-05-05 – La Croisée des Chemins

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Le Courrier d’Aix – 1956-05-05 – La Vie Internationale.

 

La Croisée des Chemins

 

Ceux qui ont pu entendre le discours radiodiffusé que Krouchtchev a adressé à son peuple à son retour de Londres, ont été frappés par le ton rageur de l’apostrophe à l’encontre des Travaillistes anglais. Ceux-ci n’ont pas cru que la déstalinisation mettrait fin à la dictature soviétique. Que sont devenus les nombreux sociaux-démocrates emprisonnés dans les démocraties populaires ? Cette question indiscrète avait irrité Krouchtchev.

 

L’U.R.S.S. peut-elle se concilier la Social-Démocratie ?

On le conçoit : un des objets du voyage de Boulganine et Krouchtchev était justement de persuader les Travaillistes qu’ils pouvaient sans méfiance collaborer avec les communistes pour faire triompher le socialisme dans le monde. Ils croyaient la tâche facile. Les sociaux-démocrates ne se sont-ils pas toujours et partout laissé circonvenir ? C’est peut-être à cause de ces fâcheux précédents que la Sociale-Démocratie se défend aujourd’hui. Et pas seulement en Angleterre, mais en Allemagne et en France. Il faudra donc que les Russes donnent de nouveaux gages pour endormir les frères ennemis.

Les Socialistes du Monde libre ont pleinement conscience que le sort du Monde libre, comme l’équilibre des forces politiques, est entre leurs mains ; ralliés au bolchevisme, ils assureraient son triomphe. Ils s’y refusent. Mais ils se refusent également, sauf à la rigueur en Allemagne, à renoncer à certains principes doctrinaux comme la socialisation de la production et l’Etat Providence. S’ils achevaient leur programme, ils sentent confusément qu’il n’y aurait plus de barrière solide entre le totalitarisme soviétique et leur étatisme égalitaire. De la liberté qui leur est chère il n’y aurait plus grand-chose à défendre dans une société où la libre entreprise aurait disparu ou serait réduite à un rôle secondaire.

Il leur faudra donc attendre, s’accommoder de compromis, et surtout chercher des solutions nouvelles. M. Gaitskell en particulier n’a pas caché, l’autre soir, à ses auditeurs de la B.B.C. qu’il leur faudrait deux ans pour surmonter la crise interne qui les divise et pour élaborer un programme neuf susceptible d’entraîner l’assentiment des électeurs. On sentait son embarras : le drame du socialisme, c’est d’être attaché profondément à la liberté tout en instaurant un système économique qui la limite, et en dernière analyse, l’exclut. Et dans le monde actuel, cette contradiction prend toute son acuité selon que le Socialisme s’accommodera du libéralisme ou se résignera au communisme. L’accrochage avec Krouchtchev leur a fait toucher du doigt la gravité de leur responsabilité. Reste à savoir s’ils auront partout et toujours assez de résolution, de courage et d’unité pour ne pas s’abandonner, assez de fermeté et de constance pour suivre une voie moyenne. Souhaitons-le.

 

L’Échec des Entretiens de Londres

Par ailleurs, la rencontre de Londres, quoi qu’on en ait dit, n’a donné aucun résultat d’importance. Eden n’a pas caché à ses visiteurs que le Moyen-Orient était pour l’Angleterre une question vitale et que s’ils souhaitaient une détente, il fallait que la course aux armements cessât dans cette région. Les Russes ont répondu : volontiers, mettons l’embargo sur les envois d’armes ; laissons agir Hammarskoeld et les Nations Unies, mais à condition que cela s’applique à tout le Moyen-Orient, c’est-à-dire aux Etats membres du Pacte de Bagdad dont il convient avant tout d’annuler les clauses militaires et tout ce qui parait dirigé contre nous. On comprend que les Anglais n’ont pu acquiescer.

Eden pourra tirer parti de cette intransigeance lors des prochaines conversations avec les Américains. Il pourra dire à Dulles : vous voyez où les Russes veulent en venir en manifestant leur présence en Orient. Si vous ne vous décidez pas à vous associer complètement à nous dans cette région où nos intérêts sont aussi considérables, si vous n’êtes pas membre à part entière du Pacte de Bagdad, la poussée russe fera sauter le verrou. Les Américains en cette année électorale sont embarrassés ; ils sont entrés dans le Pacte de Bagdad à petits pas comme observateurs d’abord, puis comme membres de deux commissions, celle qui s’occupe de l’assistance économique et celle qui veille à déjouer les actions subversives. Ils n’entendent pas se compromettre davantage en prenant des engagements militaires.

 

La Crise de l’O.T.A.N.

La réforme de l’O.T.A.N. est à l’ordre du jour. Il s’agit d’étendre sa compétence aux domaines politique et économique. M. Dulles y a fait allusion. Il vient à Paris pour sonder les intentions de ses partenaires. Cette question a été au centre des entretiens franco-italiens, à l’occasion de la visite du président Gronchi. Personne ne s’illusionne sur la crise que traverse l’organisation du Traité Atlantique depuis la démission du général Gruenther. La France engagée en Afrique du Nord n’y joue plus qu’un rôle nominal ; l’Allemagne dont le réarmement reste théorique  n’y est encore qu’un figurant. Les Anglais voudraient bien réduire leur participation, surtout si l’Allemagne fédérale se refuse désormais à payer l’intégralité des frais d’entretien de leurs quatre divisions, trop faible pour constituer une protection militaire efficace, source de frictions entre populations et troupes étrangères ; on se demande s’il est encore en mesure de jouer le rôle qui lui était assigné à sa fondation, surtout depuis que les conditions stratégiques ont changé.

 

L’O.T.A.N. Instrument d’Assistance Économique

Les Français et les Italiens voudraient en faire un instrument de répartition d’une aide mutuelle dont les Etats-Unis seraient invités à fournir la part essentielle, ce qui reviendrait à renouveler en leur faveur l’aide Marshall qui économiquement a cessé de jouer. La France pense à l’Afrique du Nord, l’Italie aux régions sous-développées du Mezzogiorno. La difficulté majeure est d’ordre technique. Comment dans son nouveau rôle, l’O.T.A.N. pourrait-il se substituer à l’O.E.C.E. ou s’associer à cette organisation dont la tâche est d’organiser l’économie européenne ? Mais des neutres, la Suisse et la Suède font partie de l’O.E.C.E. et ne peuvent être membres de l’O.T.A.N. Celui-ci, d’autre part, n’est nullement préparé à cette tâche politico-économique, n’ayant jusqu’ici que des attributions militaires.

On attend avec curiosité les solutions de M. Dulles. En effet, outre ces difficultés, on ne voit pas bien le président Eisenhower demander au contribuable américain une rallonge à la facture d’aide à l’étranger que le Sénat ne paraît pas déjà disposé à approuver intégralement. Il est probable que pour l’immédiat on se contentera de poser des résolutions de principe. Il y a d’ailleurs entre Français et Italiens des divergences de vue sur la procédure. M. Pineau voudrait semble-t-il faire passer toute aide par le canal de l’O.N.U. et y faire participer les Russes, si possible. M. Martino voudrait en faire une affaire européenne avec l’appui des Etats-Unis et du Canada. On comprend pourquoi : le Midi de l’Italie est territoire européen ; l’Afrique est en majeure partie dans la zone qui ne relève pas de l’O.T.A.N.

 

                                                                                            CRITON