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Le Courrier d’Aix – 1956-05-12 – La Vie Internationale.
Les Énigmes de l’Âge Atomique
La Conférence sur le Désarmement qui siège depuis des mois à Londres vient de s’achever. Un communiqué des Occidentaux constate, comme le souligne l’ensemble de la presse, son échec complet. Personne ne s’en étonne ; les points de vue, comme l’on dit, ne paraissaient guère conciliables.
Le Problème du Désarmement et le Contrôle de l’Énergie Nucléaire
Il est cependant curieux de constater que les délégués américains et russes ne sont pas d’accord, même sur le résultat de ces pourparlers. Les Soviets rejettent naturellement sur les Occidentaux la responsabilité de l’impasse ; cela sert leur propagande, d’autant qu’ils ont, dit-on, l’intention de procéder, comme ils l’ont déjà fait à l’automne, à une réduction spectaculaire de leurs effectifs terrestres. Ils comptent exploiter ce geste unilatéral comme une preuve de leurs intentions pacifiques. Cependant, M. Stassen, Représentant américain a déclaré que des progrès importants avaient été réalisés à Londres. Si l’abîme entre les deux Blocs sur la question du désarmement est large de 16 kilomètres, nous en avons déjà réduit 7. Il en reste 9 à combler, et avec de la patience et de la bonne volonté, nous y parviendrons ; déclaration inattendue qui a provoqué de la part de Gromyko une affirmation en sens contraire.
Qu’est-ce à dire ? Remarquons tout d’abord que les Russes ont consenti à revenir sur leurs propositions primitives qui ne concernaient que les armements classiques et à lier cette question à celle des armements atomiques. Ils ont même admis que cette réduction comporterait un certain contrôle ; C’est sur cette question de contrôle que subsiste le désaccord, et particulièrement le contrôle aérien proposé par Eisenhower.
On n’a pas assez remarqué que sur le problème de l’armement atomique, Russes et Américains ont un intérêt commun. Celui de garder, avec l’Angleterre, le monopole de ces engins de destruction. Or, la production d’énergie atomique sera bientôt à la portée de tous les Etats, grands ou petits. Si l’on ne veut pas que l’un quelconque de ceux-ci ne fabrique clandestinement la bombe et à l’occasion ne s’en serve, il est indispensable de contrôler la fabrication de toute installation atomique.
Russes et Américains seront donc obligés de s’entendre pour assurer ce contrôle ; sinon, leur suprématie serait remise en cause, d’autant plus que dans une guerre éventuelle, les armées nombreuses seraient plutôt des cibles que des éléments de puissance. C’est d’ailleurs pour cela que les Soviets vont diminuer le nombre de leurs soldats qui coûtent cher à entretenir et à équiper et sont perdus pour la production. On peut conclure de là que la question du désarmement pourrait un jour constituer un terrain d’entente entre Russes et Américains, à condition que les Russes admettent chez eux le contrôle qu’ils sont disposés à imposer aux autres, c’est là que le bât les blesse. Ils veulent garder leurs secrets d’abord parce que c’est un trait de leur mentalité, et aussi parce que s’ils bluffent en la matière ils seraient découverts.
La question n’est donc pas enterrée. Il faudra tôt ou tard et même sans trop tarder instaurer un contrôle atomique, sinon le rapport des forces dans le monde pourrait être remis en question de façon inopinée.
La Paix en Orient
La mission du Secrétaire de l’O.N.U. Hammarskoeld est terminée. Il a obtenu un accord des Arabes et des Israéliens pour que les clauses de l’armistice soient respectées. Les déclarations cependant ne sont pas particulièrement optimistes. C’est aux gouvernements des Grands de faire en sorte qu’ils ne soient pas violés, a-t-il dit. Et en fait, à peine avait-il regagné son poste que les incidents de frontière réapparaissaient. Selon toute apparence ni les Russes, ni les Occidentaux ne souhaitent une guerre en Proche-Orient. Ces derniers ne voudraient pas avoir à lutter par les armes pour empêcher les Arabes de jeter Israël à la mer. S’ils étaient obligés de le faire, le Monde arabe tout entier se liguerait contre eux. De leur côté, les Soviets verraient se rapprocher de leurs frontières des forces occidentales qui auraient toute chance d’y demeurer. De plus, ils ne pourraient plus s’immiscer dans les affaires des Pays Arabes, ce qui est précisément leur but. Reste à savoir si les Arabes, emportés par la passion, passeront outre comme leurs journaux le proclament. Pour les tenir en respect, il faudra mettre en vigueur et exécuter l’embargo sur les armes destinées au Proche-Orient. Les Soviets y consentent volontiers. Mais les Anglais ne veulent pas renoncer à renforcer le potentiel militaire des pays du Pacte de Bagdad, nouvel impasse. Il est probable cependant que l’on arrivera à une solution de ce genre dans le cadre de l’O.N.U. On cherchera à tricher de part et d’autre, mais l’intérêt majeur du maintien de la paix dans cette zone est trop évident des deux côtés pour que Russes, Anglais et Américains ne fassent pas des sacrifices.
La Visite à Paris du Maréchal Tito
Tito est à Paris : Il est reçu avec honneurs et louanges. Il ira du même pas à Moscou où les mêmes hommages lui seront rendus. Dommage qu’il n’y ait pas un grand cordon de l’habileté diplomatique ou un oscar pour récompenser le Maréchal yougoslave. Il y a droit. Un de nos quotidiens rappelait que son pays doit à l’épargne française quelques 500 millions de francs germinal qui n’ont été jusqu’ici l’objet que d’un remboursement infime largement dépassé par les crédits supplémentaires que nous avons généreusement octroyés à Tito lui-même. La balance serait d’une dizaine de milliards en faveur de la Yougoslavie depuis l’armistice. C’est peu, dira-t-on, en regard de ce que les Américains et les Anglais et depuis peu les Russes ont prodigués à l’économie de ce pays (qui entre parenthèse n’en est pas plus florissante pour cela). Mais on n’aura pas l’indélicatesse en ces jours de liesse de présenter la petite facture. L’épargne et le Trésor français en ont vu bien d’autres … On conçoit bien ce que les Soviets ont à gagner à fortifier la position de ce promoteur du neutralisme, et ils y attachent une importance grandissante. Ne viennent-ils pas d’offrir à Tito en plus d’installations nucléaires, un nouveau crédit de 300 millions de dollars ? C’est qu’ils le croient capable de rapprocher, grâce aux sympathies qu’il a su se concilier dans l’Europe libre, le communisme dont il se réclame du socialisme occidental. Ce qui effraye Moscou peut paraître acceptable à Belgrade. L’obstacle est moins évident, Tito a tout à gagner à ce rôle et il n’y manquera pas d’en tirer le plus large profit.
Les Réunions de l’O.T.A.N.
Comme nous le laissions prévoir, la réorganisation de l’O.T.A.N. n’a pas dépassé, au cours des récents entretiens de Paris, le stade de résolutions verbales et des commissions nommées ad-hoc pour futur rapport. Cependant, toutes les propositions, y compris celles de M. Pineau ont été retenues pour examen et accueillies avec intérêt. Au surplus, M. Selwynn Lloyd a déclaré que l’O.T.A.N. se portait très mal. Nous serions mal avisés d’en demander davantage.
CRITON