Criton – 1961-10-21 – Les Grandes Manoeuvres

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Le Courrier d’Aix – 1961-10-21 – La Vie Internationale.

 

LES  GRANDES  MANŒUVRES

 

L’automne est redevenu, comme au temps jadis, celui des grandes manœuvres militaires. Les Américains ont éprouvé, avec les Canadiens, leur système de défense et envoyé dans l’air plus de six mille appareils ; l’Angleterre et les Alliés européens ont sur terre et dans l’espace, mesuré leur chance de survivre à une attaque nucléaire. Les Russes, après avoir fait exploser vingt bombes en annoncent une de 50 mégatonnes, et plus de 700.000 hommes se sont exercés dans les pays satellites, ce qui a provoqué un incident significatif : la population allemande de l’Est voyant défiler des troupes inconnues, a cru que les Américains arrivaient et s’est précipitée vers eux avec des fleurs. C’étaient des soldats Tchèques.

 

L’Objectif des Manœuvres Militaires

Ces manœuvres par elles-mêmes n’ont aucune signification que d’intensifier l’intimidation réciproque. Mais en fait, elles entourent la tension internationale d’une atmosphère nouvelle. On croyait jusqu’ici, comme on le croyait déjà en 1914, que l’arsenal de destruction mutuelle était devenu tel qu’une guerre était impossible. Aujourd’hui, on en doute et il ressort d’un récent sondage d’opinion que les trois-quarts des Américains estiment qu’elle aura lieu. La raison évidemment se refuse à y croire. Mais les précédents sont là. A un certain point de son évolution, une nation exaltée par sa puissance se lance à la conquête du monde. Les peuples eux-mêmes n’y sont pour rien et maudissent la guerre que leurs maîtres leur font faire, mais ils sont pris dans une tourmente incompréhensible, une exaltation obscure d’un instinct collectif dont l’histoire des espèces animales nous offre maints exemples analogues. Il s’agit là d’un phénomène organico-social qu’aucune science ne saurait expliquer, aucun appel à la sagesse réprimer.

Heureusement, il n’est pas certain que la Russie en soit venue à ce point-là. Son degré de croissance est encore loin de son apogée et surtout la cohésion interne de cet empire disparate où tant de groupes nationaux coexistent en état de suspicion et d’inimité, ne résisterait peut-être pas à une épreuve aussi violente qu’une guerre thermonucléaire. C’est en d’autres termes ce que disait MacMillan au Congrès du Parti Conservateu qui prévoit un état de guerre froide pour toute une génération. D’ici là, la face du monde aura sans doute changé.

 

L’Interview de Gomulka

Le journal « Le Monde » a publié récemment, à des fins qu’il n’est pas difficile de deviner, une interview de Gomulka « accordée » à son directeur. Ce raccourci de propagande communiste ne manque cependant pas d’intérêt. En effet, Gomulka se refuse à envisager une forme de désengagement militaire qui s’étendrait, sinon de l’Atlantique à l’Oural, du moins du Rhin à la Biélorussie, avec contrôle réciproque. Il ne conçoit, conformément au plan Rapacki, qu’une zone dite désatomisée qui ne comprendrait que les deux Allemagnes, la Pologne et la Tchécoslovaquie. Il n’est même pas question de la Hongrie, dont les frontières ne sont pas plus éloignées du Rhin que celles de l’actuelle Pologne.

Cela dit pour ceux qui paraissent accorder quelque intérêt au plan Rapacki, il n’aurait pour effet et d’ailleurs pour objet que de neutraliser l’Allemagne  Fédérale et la détacher de l’O.T.A.N. sans que la menace orientale en soit diminuée, puisqu’il n’est question que d’une zone désatomisée et non démilitarisée. Il est bien clair que l’armée soviétique ne se risquerait pas à évacuer l’Allemagne de l’Est et la Hongrie, même pas la Pologne.

 

Le 22ème Congrès du Parti Communiste à Moscou

Le 22ème Congrès de Moscou s’est ouvert par un déluge de discours pour exalter les mérites du plan de vingt ans proposé par le Parti aux peuples soviétiques. Ce plan présenté comme la charte du bonheur futur a été minutieusement analysé et l’étude en vaut la peine, car on y découvre sous de fallacieuses promesses bien des restrictions.

Voyons le texte de près : le parti proclame « la génération actuelle des Soviétiques vivra sous le communisme », mais on ne dit pas quelle génération ; est-ce celle qui naît aujourd’hui, ou celle qui a vingt ou quarante ans ? Pour le moment, le programme affirme que « les Soviétiques ont réalisé le socialisme ». Or, il suffit de lire les journaux russes pour s’assurer qu’il n’en est rien : une bonne moitié des échanges se fait encore entre particuliers et, loin de diminuer, cette part augmente. Sans parler du marché noir qui est universel, les marchés kolkhoziens qu’alimentent les paysans avec des produits de leur lopin de terre, ravitaillent les citadins bien plus que les magasins publics. Ce qui est plus intéressant, c’est que le programme comporte encore deux phases avant l’avènement du communisme : l’une qui va de 1961 à 1970 « devra créer la base matérielle et technique du communisme » au cours de la seconde décennie « cette base matérielle et technique sera créée » autrement dit  la première ne sera encore que préparatoire, et ce n’est qu’au bout de la seconde que « l’abondance des biens matériels et culturels sera assurée à tous » et ce n’est qu’alors, dit le texte, que « l’on abordera (sic) de près l’application du principe de la répartition selon les besoins ».

On sait que ce que le parti appelle l’ère du communisme, celle où ce ne sera plus le travail fourni qui donnera droit à la satisfaction des besoins, mais où ces besoins le seront pour tous sans considération de ce travail. Ce n’est donc qu’après 1980 que, dit le programme, « ce qui sera réalisé servira de base pour la transformation graduelle (nous soulignons le mot) des rapports socialistes de la société, en rapports communistes ». Reconnaissons la bonne foi du parti. Il ne précise pas le terme de cette longue évolution.

Un autre point mérite attention : « Au terme des vingt prochaines années, les fonds sociaux de consommation seront à peu près égaux (à peu près) à la moitié du montant des revenus réels de la population ». Ce qui veut dire qu’en 1980, la moitié du salaire serait payée sous forme de salaire direct, l’autre sous forme de salaire indirect. Mais cela ne nous mène encore qu’à moitié chemin du communisme et chose plus grave, cela mène les Soviétiques de 1980 environ, au point où en sont aujourd’hui les travailleurs des pays capitalistes, car si, comme le programme le dit expressément, on compte dans ce salaire indirect, l’instruction gratuite, la sécurité sociale, les allocations familiales, les services publics, les allocations-logement, les cantines d’usine, les soins hospitaliers, nous arrivons en France, à un chiffre qui est à peu près égal au salaire même. Voyez, chers lecteurs, nous étions communistes sans le savoir.             

 

                                                                                       CRITON

P.-S. – Nous ne résistons pas à rapporter une plaisanterie qui a cours dans les pays de l’Est. Des journalistes se présentent à la maison de Gagarine ; ils ne trouvent que les enfants : Où est Papa ? Il est dans le cosmos. Quand reviendra-t-il ? Dans une demi-heure ; et Maman ? Elle fait la queue chez le boulanger. Quand reviendra-t-elle ? Hum, dans quatre ou cinq heures, peut-être…..

 

 

Criton – 1961-10-14 – Gros et Petits Nuages

 

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Le Courrier d’Aix – 1961-10-14 – La Vie Internationale.

 

Gros et  Petits Nuages

 

Comme on pouvait s’y attendre, les entretiens Rusk-Gromyko et l’entrevue Gromyko-Kennedy sur Berlin n’ont donné aucun résultat ; si bien que l’énoncé des concessions que les Etats-Unis étaient disposés à faire pour arriver à une négociation n’ont fait qu’inquiéter les Berlinois et déconcerter l’opinion allemande. On veut croire que la diplomatie américaine n’avait adopté cette attitude que pour faire preuve de bonne volonté, sachant que cela ne l’engageait pas, puisqu’elle devait savoir que les Soviets ne cèderaient sur rien et ne cherchaient pas de compromis.

 

Le Bellicisme Soviétique

La preuve c’est qu’ils poussent à fond la tactique d’intimidation, sinon de terreur : 19 explosions atomiques dans l’atmosphère, depuis la reprise des expériences au 1er septembre, au mépris de toutes les protestations ; trois ou quatre fusées géantes dans le Pacifique, la photographie avec force détails explicatifs du sous-marin atomique plus rapide et plus redoutable que ceux des U.S.A. ; enfin les grandes manœuvres des armées dites du pacte de Varsovie qui se répandent dans toute l’Allemagne de l’Est.

Cet étalage de puissance militaire ne va pas, pour les dirigeants russes, sans inconvénients. Si le monde libre a lieu d’être inquiet, le peuple russe ne l’est pas moins, qui, bien qu’on lui cache tout ce qu’il ne doit pas savoir, l’apprend quand même. Pour la première fois on a vu, à l’Université de Moscou et même sur la Place Rouge, des manifestations populaires assez véhémentes pour que les officiels aient jugé prudent de les laisser s’exprimer. La masse se doute bien que puisque les explosions nucléaires ont lieu sur le sol russe, les retombées ont plus de chance de les atteindre que les autres peuples. La psychose atomique est contagieuse et a bon droit.

 

La Fin du Mythe Nassérien

En regard de ce redoutable problème, le reste de l’actualité est bien anecdotique ; on peut cependant s’arrêter sur le dégonflement du nassérisme en Orient. Nasser qui avait su transformer en victoire la défaite du Sinaï de 1956 a, du jour au lendemain, capitulé devant la résolution des Syriens. Son prestige est fort atteint, même en Egypte. Mais l’affaire syrienne, pourrait par contre coup, atteindre les autres matamores de l’arabisme. Bourguiba après l’échec de Bizerte n’est plus aussi populaire et il vient d’être obligé de liquider Masmoudi qui avait inspiré un article assez violent paru dans « Afrique Action » contre le pouvoir personnel.

Nous avons dit en son temps que l’attaque contre Bizerte avait indisposé l’opinion tunisienne. L’échec lui a donné l’occasion de se manifester. L’homme de la rue à Tunis se sent proche de l’Occident et toute aventure qui l’en éloigne l’inquiète. Bourguiba l’a senti peut-être trop tard.

 

Réflexions sur la Conférence de Belgrade

A ce propos, faisons un pas en arrière pour revenir à la Conférence des Neutralistes de Belgrade. Nous avons eu la patience – et il en faut- de lire les discours que les quelques 25 chefs de délégation ou d’Etat ont prononcés et cette peine, contrairement à ce que nous pensions, n’était pas inutile. Derrière les thèmes de propagande habituels comme l’anticolonialisme, on peut déceler deux préoccupations. D’abord la crainte qu’inspire l’U.R.S.S. dont on ose à peine, à quelques exceptions près, critiquer l’attitude, même les explosions atomiques ; la peur et la révérence que la force inspire. Et ce qui est plus révélateur, un mépris qui ne va pas sans crainte non plus, de ce que représente en Occident la démocratie.

Si les Américains et d’autres ont pu croire que l’exemple de la démocratie parlementaire, c’est-à-dire l’influence des partis sur le pouvoir, pouvait avoir quelque attrait pour le tiers monde, ils devraient perdre toute illusion. Et cela n’est pas vrai seulement des dictateurs du genre Tito ou Nasser, ce qui irait de soi, mais de presque tous les dirigeants : la démocratie occidentale est pour eux le signe de la faiblesse et surtout la menace contre leur autorité qu’ils savent précaire.

L’expression populaire est pour eux le plus redoutable des périls et même si beaucoup d’entre eux comme Nehru, se sentent plus près des Occidentaux que du communisme, ils penchent plutôt pour celui-ci à cause de l’autorité qu’il impose. S’ils disaient ce qu’ils pensent et cela se devine entre les lignes, ils s’exprimeraient avec la même vigueur que le Général de Gaulle sur le règne des partis.

 

La Visite du Premier du Québec à Paris

On n’a pas cherché la signification de la visite à Paris de M. Lesage, le Premier ministre de la Province de Québec. Il était pourtant assez curieux qu’on accordât les honneurs réservés aux Chefs d’Etat à un simple représentant de l’une des dix provinces canadiennes. Or ce pays qu’on conçoit volontiers comme particulièrement uni et solide est travaillé de l’intérieur par de graves dissensions. Une sécession du Québec n’est peut-être pas possible, mais n’est nullement hors de question. Entre Ottawa et Québec la querelle est sérieuse et c’est pourquoi M. Lesage, sans doute par calcul politique, est venu à Paris marquer la solidarité des Canadiens d’origine et de langue française (32% de la population) avec l’ancienne mère-patrie qui, jusqu’à ces derniers temps, était quelque peu oubliée. C’était surtout l’anticléricalisme de la troisième république qui avait éloigné de nous le Canada français profondément religieux.

Depuis l’arrivée au pouvoir du parti conservateur de M. Diefenbacher et aussi des progrès d’un certain socialisme dans les provinces du centre, régions de langue anglaise, les Canadiens du Québec ont vu leurs intérêts sacrifiés et pour reprendre de l’autorité, il est normal qu’ils cherchent des appuis extérieurs. Et puis, il y a la querelle du Marché Commun et de l’éventuelle adhésion de l’Angleterre, à laquelle Diefenbacher est violemment hostile. La question est trop complexe pour que nous l’exposions ici. Mais cette visite, par son caractère assez insolite, méritait une explication.

 

Un Afro-Asiatique Secrétaire de l’O.N.U.

La confusion continue de régner à l’O.N.U. comme prévu on cherche parmi les Afro-asiatiques un Secrétaire Général qui soit vraiment neutre. L’oiseau rare paraît être M. U. Thant, le représentant de la Birmanie, fidèle associé du moine bouddhiste Unu qui gouverne le pays et dont nous avons ici indiqué la personnalité assez curieuse et vraiment hors-série dans le monde actuel dominé par les passions nationalistes. Tout le monde serait d’accord pour le choisir, sauf les Russes. Il se peut qu’ils finissent par céder, s’ils croient pouvoir encore tirer quelque profit de l’institution.

 

Les Agrovilles en Cochinchine

Terminons par une petite ironie de l’histoire. Au Sud du Viet-Nam où sévit la guérilla communiste contre Ngo Din Diem, les Américains prenennt de plus en plus l’affaire en main. Pour protéger les paysans du Delta du Mékong contre les sévices des Viets-Congs, comme on les nomme, ils ont commencé à créer des agrovilles, c’est-à-dire rassembler les cultivateurs dispersés dans leurs fermes au milieu des rizières dans des villages construits pour eux. Voilà un hommage des Américains auquel Krouchtchev ne s’attendait pas, lui qui avait entrepris – sans succès d’ailleurs- de réunir les paysans dans des agrovilles, non pour les protéger, mais pour mieux les asservir au régime. Et voilà que les Yankees en bâtissent en Cochinchine. A la prochaine détente, si elle vient, voilà le lieu choisi pour la rencontre des deux K.

 

                                                                              CRITON

 

 

Criton – 1961-10-07- Le Chemin de Damas

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Le Courrier d’Aix – 1961-10-07 – La Vie Internationale.

 

Le  CHEMIN  de  DAMAS

 

En ces temps plutôt sombres, la déconfiture de Nasser et la libération de la Syrie est une nouvelle agréable. Sans doute l’événement est trop récent pour qu’on en tire des conclusions définitives. La Syrie a toujours été divisée en factions politiques et militaires, ce qui fait douter de la stabilité du nouveau pouvoir. Ce qui est sûr, c’est que la République arabe dite unie est bien morte. Elle a duré trois ans et dès sa proclamation nous étions sûrs qu’elle serait éphémère. Mais depuis l’affaire de Suez, grâce aux Etats-Unis et à l’O.N.U., le prestige de Nasser avait été si bien gonflé, qu’on pouvait craindre que les Syriens ne retrouvent pas sitôt leur indépendance.

 

Les Résistances au Nassérisme

Le mouvement a été rendu possible parce que les ambitions de Nasser pour dominer le monde arabe s’étaient heurtées à des résistances invincibles de la part de ses voisins. Il n’avait pu annexer le Soudan dont le Maréchal Abboud a su préserver l’intégrité. En Irak, la révolution qui a porté Kassem au pouvoir a fait de celui-ci un rival de l’Egyptien. Mais surtout la courageuse opposition du jeune roi Hussein de Jordanie, avait empêché Nasser de jeter un pont entre les deux parties de sa République arabe ; la séparation géographique ainsi maintenue a rendu possible la sécession.

 

La Force des Nationalismes

L’évènement montre, s’il en était besoin, la force des courants nationalistes dans le monde actuel qui triomphent partout où ils ne sont pas subjugués par une force irrésistible, comme en Russie et en Chine. Ce siècle qui devait être, selon les prophètes, celui des fédérations et des grands ensembles politiques et économiques, est caractérisé, au contraire, par l’accentuation des particularismes régionaux. Par un singulier paradoxe, ce sont les Nations-Unies, grâce à la voix qu’elles donnent à chaque entité nationale, qui poussent à l’affirmation de ces unités ethniques indépendantes. L’O.N.U. les consacre et leur garantit, autant qu’elle le peut, l’existence.

Le premier soin de la Syrie libérée est de demander sa réadmission aux Nations-Unies. Nous en serons à la 101ème nation indépendante et la liste n’est pas close. Une fois la délégation installée au palais de verre, il est impossible de l’en chasser. La Mauritanie, dès qu’elle aura obtenu ce droit, se sentira à l’abri des revendications marocaines. C’est pourquoi tous les dictateurs ambitieux se montrent solidaires de Moscou pour paralyser l’institution.

 

N’Krumah et l’Angleterre

Tel est en ce moment le cas du Ghana. N’Krumah, comme Nasser, rêve de devenir le chef d’une fédération : celle de l’Afrique noire. Il a échoué jusqu’ici, même à s’associer avec la Guinée et le Mali qui pourtant avaient au début paru désireux de constituer avec lui un ensemble. C’est la raison qui le pousse de plus en plus à s’aligner sur Moscou.

Les Anglais s’en inquiètent et aussi les Américains qui sont en train de réviser leur programme d’aide économique au Ghana. La crise est si sérieuse qu’on parle même d’exclure ce pays du Commonwealth. Tous les ministres modérés ou pro-occidentaux ont été démissionnés ; le général anglais Alexander qui commandait l’armée a été renvoyé brutalement et sans délai ; la visite de la Reine d’Angleterre prévue pour novembre est remise en question ; le ministre britannique Duncan Sandys est à Accra pour tenter de ramener N’Krumah dans la voie du neutralisme. Souhaitons que les mécomptes de Nasser le rendent conciliant.

 

La Syrie et les Soviets

Pour le moment du moins, la libération de la Syrie est un échec pour les Soviets. Le parti communiste syrien était le plus important en pays arabe et Nasser qui ne tolérait d’autre influence que la sienne, l’avait non seulement interdit mais persécuté. Certains militants de Damas avaient été emprisonnés et malmenés. Les relations de Nasser avec l’U.R.S.S. en avaient souffert, comme on le sait. Mais le parti communiste syrien avait, dans la clandestinité, largement contribué à dresser l’opinion contre l’Egypte. L’U.R.S.S. avait, en outre, prodigué son aide à la Syrie et muni l’armée syrienne qui vient de réussir le coup d’Etat, d’un armement moderne important.

Mais le gouvernement Kusbari n’est pas du tout ce que Moscou espérait. Il représente ce que l’on appelle là-bas la réaction, c’est-à-dire l’élite industrielle et commerciale qui a fait dans le passé la richesse et la prospérité de la Syrie. Ce pays va devenir un nouveau champ de lutte entre les influences russes et américaines, un champ particulièrement propice aux renversements de situation. L’U.R.S.S. a déjà sur place nombre de techniciens et d’agents de toutes sortes. Les Etats-Unis ne voudront pas compromettre le nouveau régime.

 

Berlin et le Désarmement

La crise de Berlin, malgré les multiples contacts Rusk-Gromyko, reste au point mort. Pour tromper l’attente, on continue de polémiquer sur l’inépuisable thème du désarmement. Il ne vaudrait pas la peine d’en parler, si ce n’était pour remarquer la position contradictoire de l’U.R.S.S.

On sait que le thème favori de la propagande, c’est le désarmement universel total et contrôlé. Mais en même temps Moscou fait une réserve : le contrôle ne devra s’exercer que sur les armes à détruire et non sur celles qui restent par crainte, dit-on, d’espionnage ! Or aucun délégué, pas même un occidental, n’a fait à l’U.R.S.S. cette objection de sens commun : Si vous êtes d’accord avec les Etats-Unis pour un désarmement total, à quoi servirait un espionnage sur des équipements ou installations que vous vous engagez vous-mêmes à supprimer dans les plus brefs délais possibles ?

Cette réserve des Soviets rend évidente leur mauvaise foi. Si l’on n’en dit mot, c’est que personne ne prend la question au sérieux, pas plus à l’Est qu’à l’Ouest. Mais la tromperie, quand même, a des limites.

 

Les Bons de Repas en Chine Rouge

Pour finir, une anecdote qui vaut son pesant d’or : on sait que la famine sévit en Chine et que Pékin, faute d’aide des Russes, cherche par tous les moyens à se procurer les devises nécessaires pour payer ses achats de blé en Australie et au Canada. Voici le dernier expédient : le Gouvernement Chinois a fait imprimer des bons qui sont vendus à Hong-Kong parmi la population chinoise de l’île, pour que ceux qui ont des parents ou des amis sur le continent puissent les leur envoyer, grâce à quoi les bénéficiaires pourront obtenir un repas copieux. Les bons nécessaires à ces agapes représentent quelques 200.000 anciens francs. Le communisme mène à tout, même aux bonnes affaires.

 

                                                                              CRITON

 

 

Criton – 1961-09-30- Répit

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Le Courrier d’Aix – 1961-09-30 – La Vie Internationale.

 

Répit

 

Comme il est de règle, à la tornade passée, succède une certaine détente sans que les problèmes soient résolus pour cela.

 

L’Avenir de l’O.N.U.

Au contraire, la mort tragique d’Hammarskoeld en pose un nouveau dont l’avenir des Nations-Unies dépend. Un point est acquis, comme on pouvait le prévoir ; le futur Secrétaire Général sera africain ou asiatique, si toutefois l’on parvient à en désigner un.

Les Soviets y feront obstacle, parce que, comme nous l’avons expliqué, ils savent que tôt ou tard l’O.N.U. prendra des résolutions contraires à leur intérêt et Krouchtchev a dit explicitement qu’il n’en tiendrait pas compte. Mais il préfèrerait rendre l’organisation impuissante pour ne pas se trouver en conflit avec les neutralistes.

Les Etats-Unis au contraire, feront toutes les concessions aux pays non engagés dans l’espoir, jusqu’ici illusoire, qu’ils finiront par s’appuyer sur Washington, et que la balance redeviendra égale entre les deux blocs alors que, comme on l’a vu à Belgrade, il y a toujours eu deux poids, deux mesures, le communisme étant ménagé et les « impérialistes » accusés. Pour arriver à leurs fins, les Américains n’hésiteront pas à donner aux afro-asiatiques la direction de l’O.N.U., à y laisser entrer la Chine de Pékin en sacrifiant Formose, à s’associer enfin à toutes les entreprises contre les restes du « colonialisme » comme ce fut le cas dans l’affaire du Katanga. Ils sont persuadés que lorsque les blancs auront été dépouillés de toute autorité dans les pays d’Outre-mer, où ils assuraient l’ordre et le progrès, on aura enlevé au bloc communiste son principal moyen d’influence. Alors il n’y aura plus que les Etats souverains et ceux-ci reconnaîtront dans les Etats-Unis le garant de leur indépendance et l’appui fondamental pour leur développement économique. Les Américains ne doutent pas du succès de cette politique. A notre avis, l’avenir leur réserve plus d’un mécompte, mais rien ne les détournera de cette voie.

 

L’Incident du Général Lucius Clay

Le Président Kennedy avait pris la sage mesure d’interdire à ses généraux de mêler les questions politiques à leurs discours, les civils suffisant pour embrouiller les choses. Or, il vient d’envoyer à Berlin l’ancien représentant des Etats-Unis à Berlin, Clay, qui s’est empressé de faire savoir confidentiellement aux Allemands que les Etats-Unis, dans un compromis éventuel, accepteraient de reconnaître de facto le Gouvernement de Pankov et la frontière de l’Oder Neisse.

Malgré les démentis, on conçoit que les Allemands se soient alarmés d’entendre énoncer les concessions que l’Amérique était prête à faire avant même qu’on ait commencé à négocier. Ils en ont conclu, non sans raison, que, malgré toutes les promesses, ce serait sur leur dos que se ferait un accord éventuel et que les concessions étant déjà acquises, on n’y parviendrait qu’en en faisant d’autres. Cela ressemble à toutes les proclamations que le « pouvoir ne reculera pas » ce qui ne manque jamais de signifier qu’il reculera toujours.

 

Les Elections du 17 Septembre en Allemagne Fédérale

Cet incident Clay ajoute à la confusion suscitée par les élections allemandes du 17 septembre. Comme on le prévoyait, le Chancelier Adenauer a perdu la majorité absolue sans que les Socialistes aient sensiblement progressé, autrement que par la disparition des petits partis définitivement éliminés ; le vainqueur des élections a été le parti libéral et il devient l’arbitre d’une coalition devenue indispensable. Mais il ne veut pas d’Adenauer comme Chancelier ; par contre, il est prêt à entrer dans un Gouvernement Erhard. Pour les faire revenir sur leur véto, Adenauer fait mine de négocier avec son principal adversaire Willy Brandt. Les pronostics sont difficiles. Il nous paraît cependant probable que le vieux Chancelier conservera le pouvoir à condition qu’il s’engage à ne demeurer en place que jusqu’à la fin de la crise de Berlin, si fin il y a.

 

L’Evolution de l’Affaire Algérienne

La tournure prise par les événements d’Algérie incite la presse étrangère à de nombreuses spéculations. On fait remarquer que le Gouvernement français, ayant perdu le contrôle de la situation et étant hors d’état d’imposer une solution et qu’au surplus il n’en propose aucune qui soit réalisable, la sécession algérienne devient peu à peu un fait. Dès lors, c’est entre les deux parties en présence, l’O.A.S. pour les européens et le G.P.R.A pour les musulmans, qu’une négociation pourrait s’engager. Certains propos prêtés au F.L.N. à Tunis sembleraient le donner à penser. Une négociation avec le Gouvernement français, dit-on, n’a plus de sens puisqu’il serait incapable d’en faire appliquer les résolutions.

Ces hypothèses sont hasardées et pour le moins prématurées. On ne saurait cependant les exclure, car on croit savoir que les Etats-Unis seraient prêts à prêter leur concours à une solution du drame algérien où la France métropolitaine n’interviendrait pas. C’est à voir.

 

Le Congo ex-Belge

Le drame de l’ex-Congo belge devient un film à épisodes et l’on n’a pas fini de se contredire en en parlant. Il  faut en prendre son parti. L’échec, bien mérité, des Nations-Unies au Katanga a pour l’instant sauvé Tchombé. Les deux instigateurs de l’expédition d’Elisabethville, ordonnée par Hammarskoeld et approuvée par les U.S.A. ont été N’Krumah et Nehru. L’un et l’autre n’ont pas dissimulé leur fureur de l’échec et ce sont les Britanniques qui ont servi de bouc émissaire. On les a même accusés d’avoir provoqué la chute de l’avion d’Hammarskoeld. On a parlé d’un complot où étaient mêlés pêle-mêle, Tchombé, son ministre Nrunungo, Sir Roy Welensky, premier ministre de Rhodésie et Lord Lansdowne. Ces absurdités donnent une idée de la cohésion du Commonwealth.

 

La Conférence d’Accra

Au reste, on a vu à la Conférence d’Accra, qui réunissait les ministres du Commonwealth venus discuter de l’éventuelle adhésion de l’Angleterre au Marché Commun, ce qui peut demeurer d’intérêt commun dans cette association. Le malheureux ministre britannique s’est heurté à une hostilité générale même de la part des pays que l’on croyait jusqu’ici assez favorables à l’association avec les Six comme l’Inde, la Malaisie, le Nigéria et le Pakistan.

Nous avons toujours été sceptiques sur le succès des négociations à ce sujet. Elles vont cependant commencer, parce que les Anglais en ont décidé et qu’ils ne renoncent pas volontiers. Mais l’hostilité du Commonwealth ajoute beaucoup de difficultés à un règlement qui déjà en comportait beaucoup. Les nations désunies ne sont pas assemblées seulement au palais de verre de New-York. Où  la force a cessé de s’imposer, les intérêts économiques s’opposent, qui sont difficiles à concilier dans un monde qui produit plus qu’il ne peut vendre et s’industrialise à tout prix sans tenir compte de la rentabilité des entreprises et de la position des concurrents étrangers. Aucun groupement de nations ne résiste à cette pression. Les rivalités des personnages politiques font le reste.

L’Angleterre, pour équilibrer son économie sacrifiera-t-elle ses liens avec le Commonwealth. On parle déjà à Londres de faire arbitrer le dilemme par les électeurs. Si bons démocrates qu’ils soient, comment les Anglais peuvent-ils croire que l’homme de la rue soit en mesure d’en décider?

 

                                                                                                                                 CRITON

Criton – 1961-09-23 – Les Otages

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Le Courrier d’Aix – 1961-09-23 – La Vie Internationale.

 

LES  OTAGES

 

Les Otages, selon le mot de Krouchtchev, ce sont les Européens. Ces pays, les Six, plus l’Angleterre et la péninsule ibérique, qui forment la petite pointe occidentale du continent eurasiatique aux mains du communisme ; ces pays, à la population trop dense pour un étroit espace, sont dans l’état présent ou seront dans un proche avenir absolument indéfendables, qu’ils possèdent ou non une force de frappe. C’est là une vérité d’évidence pour qui connaît, même sommairement, le niveau actuel de la technique militaire. Aussi Khrouchtchev nous a-t-il assénés avec sa grâce coutumière : « Vous serez anéantis ».

 

La Sauvegarde de l’Europe

Cela, jusqu’ici, faisait partie de la stratégie verbale d’intimidation et ne méritait pas qu’on s’en effraye. Aujourd’hui, il faut regarder l’hypothèse en face, ce qui est simple, et en tirer pratiquement des conclusions, ce qui l’est moins : essayons. En cas de guerre nucléaire donc, l’Europe pourrait être, dès l’abord annihilée par la masse compacte des fusées atomiques tirées de près ou de loin. Dès lors, l’O.T.A.N n’est-il pas inutile et même nuisible et ne faudrait-il pas envisager un plan hardi de désengagement de l’Europe, proposer quelque chose comme une neutralisation, si l’U.R.S.S. toutefois l’acceptait, étendue à toute l’Europe de l’Est, comme de l’Ouest ? Ne faudrait-il pas, en cas de conflit nucléaire, laisser en tête à tête les deux antagonistes, l’U.R.S.S. et les U.S.A., les autres n’étant que des « otages ».

Nous nous excusons de faire ici les Cassandre : si l’on ne repense pas dans les mois qui viennent, de fond en comble, la stratégie occidentale, on va assister à la désintégration par étapes, du système périmé de l’O.T.A.N. On a vu déjà ce qui se trame en Italie ; les démonstrations de Trafalgar Square nous préparent à d’autres coups et que prévoir de la Sixième République Française quand elle sera ? Le fond de l’objection sera simple : pourquoi nous exposer lors que notre concours est sans valeur, que les Américains sur notre sol seront comme nous sacrifiés inutilement alors qu’ils seraient précieux outre-Atlantique.

 

Les Arguments

Envisager le désengagement de l’Europe, c’est faire le jeu de Moscou, dit-on ; c’est justement à cela que tend Khrouchtchev par sa tactique d’intimidation et de menaces apocalyptiques. En réalité, il ne fera jamais la guerre atomique, sachant fort bien que le blessé ou le cadavre russe serait dévoré à bref délai par les fourmis bleues de  Pékin. Peut-être. Mais faut-il s’appuyer seulement sur le raisonnement et le bon sens ? Ne faut-il pas tenir compte aussi du Moujik ivre que porte en lui le russe militaire ou civil, et qui tient en sa main la bombe de cent mégatonnes.

Un désastre ce serait la désintégration progressive de l’O.T.A.N., par défection successive. Une révision de la stratégie militaire par contre, déterminée d’accord par l’ensemble des alliés de façon à offrir à l’adversaire éventuel la moindre cible, serait au contraire très opportune. Malheureusement nous n’y croyons pas, les institutions ont la vie dure et ne se réforment qu’insensiblement.

 

Les Abris Atomiques aux U.S.A.

Une dernière observation. Qu’ils croient ou non à la guerre nucléaire, les Américains s’y préparent ; 22% de la population dispose ou disposera bientôt d’abris contre les retombées radioactives, et les points stratégiques essentiels seront protégés des explosions elles-mêmes. Rien de semblable en Europe, ni en U.R.S.S. d’ailleurs. Le coût de l’opération la met hors de portée de nos Etats. Au surplus, les Etats-Unis souffriraient de l’anéantissement de l’Europe. Au cas où, comme nous le pensons, ils sortiraient vainqueurs de la lutte, ils auraient besoin d’une Europe préservée pour les aider à panser leurs blessures, ce qui serait assez vite fait.

Donc ce qui serait nécessaire, si l’on peut espérer négocier quelque chose avec l’U.R.S.S. ce n’est pas de traiter de l’affaire de Berlin seule, ni même du problème allemand, mais de l’ensemble du problème européen – Ouest et Est compris. Mais quel homme d’Etat actuel a assez de clairvoyance et d’autorité pour le faire ? Hélas… ce serait cependant plus important pour notre survie, que la reprise du sport politique, l’article 16 ou la motion de censure qui, dans les perspectives du drame des années 1960 rappelle trop Byzance ou Courteline.

 

Le Drame du Congo ex-Belge

On avait eu un moment d’optimisme au sujet de l’ex-Congo belge. Cette malheureuse affaire n’a pas fini d’inquiéter. L’action de l’O.N.U. qui avait pour mission de rétablir l’ordre, a provoqué la guerre au Katanga dans des circonstances aussi obscures qu’invraisemblables et a eu pour résultat de diviser les gouvernements qui la composent, au sein même de l’alliance atlantique. Les Etats-Unis et l’Angleterre, en effet, se sont trouvés en conflit ; la France qui se méfie de l’institution, appuyant le point de vue britannique.

Les Américains en effet, avaient deux objectifs : complaire à la majorité des afro-asiatiques en poussant l’O.N.U. et son Secrétaire Général à faire l’unité du Congo ex-belge sous l’autorité d’un gouvernement neutraliste celui d’Adoula et par là même mettre fin à la sécession de Gizenka qui aurait eu pour conséquence de mettre au cœur de l’Afrique un état d’obédience communiste. On avait réussi, au moins en principe, à accorder Gizenka et Adoula, le premier devenant ministre se ralliait de ce fait à un Congo unitaire ; mais cela ne pouvait durer que si l’on mettait Tchombé au pas et que la sécession du Katanga prenait fin ; l’intéressé n’ayant pas voulu se laisser convaincre, on eut recours à la force. Cette expédition militaire avait été appuyée par l’apôtre du pacifisme. M. Nehru lui-même dont les ambitions en terre d’Afrique orientale sont bien connues. Aux Gurkhas hindous, vaillants combattants, on avait adjoint des Irlandais et quelques Suédois. L’expédition a mal tourné et le sang coule. Les Britanniques hostiles à tout emploi de la force sont intervenus. Ils étaient légitimement inquiets d’un précédent qui aurait permis à la nouvelle majorité de l’O.N.U. d’intervenir par la force partout où les choses n’étaient pas de son goût, ce qui, comme nous l’avons dit précédemment, pouvait comporter des expéditions en Angola, au Mozambique portugais, voire en Rhodésie britannique, au Sud-Ouest africain sous contrôle de l’Union Sud-Africaine et dans le pays même en cas de trouble.

 

Violation de la Charte ?

Au surplus de quel droit l’O.N.U. pouvait-elle prétendre imposer le renvoi d’un gouvernement régulièrement élu ou tout au moins accepté, comme n’importe quel autre gouvernement africain, par la population du pays. L’argument selon lequel le reste du Congo ex-belge n’est pas viable sans l’apport des richesses du Katanga, est fallacieux. Le Congo ex-français, le Gabon et la République Centre Africaine sont des Etats qui vivent normalement indépendants et séparés et ne sont pas plus riches cependant que les provinces voisines du Congo ex-belge.

La sécession katangaise est parfaitement légitime en droit comme en fait. Le Congo ex-belge comme les autres territoires coloniaux avaient des frontières tracées au hasard de l’exploration et rien, ni ethniquement ni géographiquement, ne destinait le Katanga à être réuni à la Province de Léopoldville ou à quelque autre de l’immense Congo belge. On a parlé de violation de la Charte par l’O.N.U. même et non sans raison. Dans quel état moral se retrouvera l’O.N.U. après le drame ? Ne finira-t-on pas par accepter le système soviétique de la Troïka qui, au moins, a le mérite de paralyser l’institution. Sinon, après la disparition d’Hammarskoeld, on aura un Secrétaire Général de couleur, un hindou peut-être. On devine où cela mène.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1961-09-16- Les Contradictions de l’Histoire

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Le Courrier d’Aix – 1961-09-16- La Vie Internationale.

LES CONTRADICTIONS DE L’HISTOIRE

 

La tension monte entre l’Est et l’Ouest, sans que le point de rupture, ou au contraire d’apaisement, paraisse proche. Dans son discours au peuple polonais, Gomulka a prévu la signature de traité avec l’Allemagne de l’Est pour décembre. Il ne l’a pas dit sans y être autorisé. Normalement, rien de décisif ne devrait se produire auparavant. D’autre part, Nehru a eu avec Krouchtchev des entretiens particulièrement longs. Il n’en est rien sorti qui l’ait rendu plus optimiste et entre temps, les explosions nucléaires russes se sont poursuivies. Enfin, les Soviets annoncent pour les jours qui viennent une série de lancements de fusées dans le Pacifique d’une puissance encore inégalée. Comme l’a reconnu Krouchtchev, pour les vaisseaux spatiaux de Gagarine et de Titov, ces engins ont plutôt un objectif militaire que proprement scientifique. La conquête de l’espace est en réalité un moyen de propagande et de terreur. Personne n’en doutait.

 

Le Nihilisme russe

En apparence, les deux camps se sont mis dans l’impossibilité de reculer sans perdre la face, cependant les Russes n’ayant pas d’opinion à ménager, peuvent s’ils le veulent, laisser durer les choses sans les brusquer ; c’est ce que chacun espère et qui paraît plausible. Mais il serait imprudent de s’en remettre à la raison ou à l’intérêt pour conclure à la paix. Nous avons affaire à des Slaves et il est bon de relire l’histoire du Nihilisme russe au temps des Tsars, de ses théoriciens et de ses terroristes qui sont à l’origine de la révolution et du régime actuel. La passion de destruction s’y montre dans toute sa gratuité aveugle et irrésistible.

Rappelons la phrase de Karl Marx en réponse à l’appel aux Slaves de Bakounine : « La prochaine guerre mondiale fera disparaître de la surface de la terre non seulement des classes et des dynasties réactionnaires, mais des peuples réactionnaires entiers. Cela fait partie aussi du progrès ».

Singulier progrès en vérité, mais on ne peut négliger de tels avertissements.

 

La Conférence de Presse du Général de Gaulle

Cela nous relie, assez curieusement, à la récente conférence de presse du Général de Gaulle. Les commentateurs étrangers ont apprécié la fermeté de ton relatif au problème de Berlin, mais pour le reste, on sent que l’attitude française au cours du débat de l’O.N.U. sur Bizerte, a considérablement affaibli le prestige d’une personnalité qui jusque-là était particulièrement écoutée et admirée à l’extérieur. Le ton désabusé de la fin du discours a frappé de tristesse, car on y a vu l’aveu intime d’un échec. Le drame est profond et dépasse même la stature d’un homme. C’est la déception de tous ceux qui, comme lui, croient à l’efficacité de la raison, du bon sens, de l’intérêt bien compris sur le déroulement de l’histoire et l’action des meneurs de peuples. Or, si l’histoire nous instruit, ce n’est pas tout, parce que nous lui trouvons un sens, mais au contraire parce qu’elle en a plusieurs et contradictoires, parce qu’il s’y trouve autant de logique que d’absurde, autant de passions frénétiques et inconscientes que de calculs méthodiques. Ce qui est plus grave, c’est l’erreur de croire à l’unité de l’homme, à préjuger d’après nos habitudes mentales d’occidental de la réaction des meneurs d’autres races, noires ou sémitiques en particulier. Cet état d’esprit que l’on qualifie chez nous de cartésien – un mot galvaudé à tort et à travers – mais qui veut bien ici qu’un Français se comporte avec les autres hommes comme s’ils étaient français, cette attitude, qui a sa grandeur, peut être à l’origine des pires mécomptes.

En bonne logique, on a de toute évidence raison, en pratique, les événements vous donnent le plus souvent tort et les conséquences en sont désastreuses. On est victime au fond d’une certaine idéologie qui, si séduisante et estimable qu’elle soit, ne répond nullement aux réalités et les lendemains sont cruels.

 

Le Congrès des T.U.C. britanniques

Nous disions récemment ici combien nous avions été frappés de la brusque mutation de l’état d’esprit des Anglais après l’érection du mur de Berlin. Le Congrès des Syndicats anglais, qui s’est tenu à Portsmouth, en apporte la preuve. Revirement complet de l’assemblée des Trade-Unions sur les résolutions de l’an passé. A une très forte majorité, les syndicalistes ont désapprouvé tout désarmement atomique unilatéral de l’Angleterre, pour lequel ils avaient voté en 1960. Ils ont de même souscrit au maintien des bases de sous-marins atomiques américains en Ecosse. Auparavant, ils avaient expulsé du sein de la T.U.C. le syndicat des électriciens d’obédience communiste. Ce qu’on appelle la gauche du leader Cousins a été complètement défaite et l’autorité de M. Gaitskell, constamment combattue par ces éléments, a été rétablie sans contestation sérieuse. Ainsi le gouvernement MacMillan n’a eu aucune peine à régler son attitude en conformité avec Washington et Paris.

 

Conséquences à Rome

Ce redressement de la solidarité occidentale a eu ses répercussions à Rome. L’ex-ministre des Affaires Etrangères Martini, a eu le courage de dénoncer les intrigues assez obscures qui s’étaient nouées entre le Gouvernement italien et les Soviets, à la suite de la visite à Moscou de Fanfani et Segni et des messages de Krouchtchev que l’on s’est refusé à publier malgré les pressions des milieux pro-atlantiques. On avait cru que l’heure de l’ “ouverture à gauche” avait sonné, quand on a vu, à Palerme, désigner comme président de l’exécutif de Sicile, un démocrate-chrétien. D’Angelo, grâce aux voix des socialistes neutralistes de Nenni. Depuis on s’est efforcé à ce qu’on appelle là-bas, des « éclaircissements », ce qui en réalité veut dire rendre la situation plus obscure encore et les choses paraissent devoir rester en l’état et le ministère actuel dit de « convergence » demeurer en place.

 

L’O.N.U. au Congo ex-belge

L’Afrique noire continue d’être effervescente et l’action de l’O.N.U. au Congo ex-belge n’est pas faite pour apaiser les revendications. Alors que dans la région de Stanleyville l’attitude de Gizenga n’est pas claire, l’O.N-U. a entrepris de réduire Tchombé à l’obéissance et de mettre fin à la sécession katangaise. On a eu recours à tous les moyens de pression et jusqu’à des accusations contre le Ministre de l’Intérieur d’Elisabethville, Munungo, de vouloir massacrer les représentants des Casques Bleus. Les manifestations se multiplient et cette province du Congo jusqu’ici calme et prospère, peut d’un jour à l’autre être à son tour en proie à la guerre civile. Beau résultat en vérité.

 

Nouveau Volte-Face de Bourguiba

Bourguiba a fait à nouveau volte-face et le voilà revenu à la raison et à l’entente avec la France et l’Occident. Du moins on l’espère. Contrairement à ce qu’il croyait, le succès remporté à l’O.N.U. n’a pas renforcé son prestige. Bourguiba est allé à Belgrade frapper amicalement sur l’épaule de Nasser, mais l’accueil a manqué de chaleur. Les neutralistes l’ont regardé avec méfiance. Au surplus, comme nous le disions, l’opinion tunisienne avait subi sans approuver ni comprendre, l’explosion sanglante contre Bizerte et la France, et malgré les appels de clairon l’homme de la rue n’avait nul désir de nous combattre. En outre, la situation économique déjà peu brillante se trouvait compliquée par la perte des revenus du pipeline de la Skirra et le commerce intérieur souffrait de l’état de tension. Enfin, les Américains avaient fait savoir à Tunis que la prolongation de la lutte obligerait les Etats-Unis à reconsidérer on leur aide. La réaction de Bourguiba, typiquement arabe, ne s’est pas fait attendre. Il a fait mine de prendre les paroles assez dures du Général de Gaulle pour une invitation à parlementer et a renversé la vapeur et la Nation a applaudi la manœuvre géniale du combattant suprême. Une histoire, celle-là, pleine d’enseignements, mais qui vient un peu tard.

CRITON

 

 

Criton – 1961-09-09 – Vers l’Échéance

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Le Courrier d’Aix- 1961-09-09 – La Vie Internationale.

 

VERS  l’ECHEANCE

 

Rien de plus désagréable pour un chroniqueur que de passer pour pessimiste parce que le déroulement des événements –ceux du moins qui comptent- va presque uniformément de mal en pis. Faut-il renoncer à la recherche de la vérité, ce qui en politique n’est pas choses facile, pour se leurrer d’illusions ? Que la politique de l’Occident depuis la guerre ait justement voulu entretenir ces illusions est à l’origine de la série d’échecs qu’elle a subis. Aujourd’hui, nous sommes à l’extrême bord de l’abîme ? Faut-il le nier, parler de négociations ou autres formules magiques pour apaiser le monstre qui montre aujourd’hui toutes ses dents. Il y a pourtant quarante-quatre ans que nous avons eu le loisir de le connaître et de l’observer. Il n’a pas changé, mais aujourd’hui, l’homme au couteau entre les dents l’a remplacé par la bombe de 100 tonnes de T.N.T. ce qui change les perspectives.

 

La Crise Berlinoise

Avouons que nous avons pêché par optimisme en disant que la crise de Berlin, celle qui décidera de la guerre ou de la paix, n’était pas pour demain. Les jours qui nous en séparent sont comptés. Nous entendions discuter l’autre soir à la radio anglaise, deux hommes, socialistes et pacifistes convaincus mais aux jugements bien fondés : William Pickles et W.K. Hurebuter sur ce dilemme. Ou nous résistons à Berlin avec tout ce que cela comporte de risques, ou plutôt avec la certitude d’un risque, ou nous passons au communisme, car depuis Hitler, dont Krouchtchev a repris presque rigoureusement la méthode, on sait ce que vaut une concession ou une promesse. Céder, c’est céder indéfiniment. Là encore aucune illusion possible.

 

Comment Peut se Dérouler la Confrontation ?

Comment se présente donc le problème, non dans l’abstrait, mais dans la réalité stricte. Le nœud du débat c’est la question des corridors aériens ; Moscou entend que les appareils ne transportent plus d’Allemands, mais seulement du personnel allié et il sera décidé après la signature du traité de paix avec Pankow, prévu pour octobre, que les avions alliés allant à Berlin-Ouest devront atterrir sur l’aérodrome de Berlin-Est pour vérification.

Il est bien clair que les Occidentaux ne pourront se soumettre à ces exigences. Ils passeront outre. Les avions allemands de l’Est, ou ceux des russes, abattront les transports. Les Occidentaux riposteront. Première phase, le sang coule ; seconde, les Alliés pressés à  Berlin, sont obligés de recourir aux armes atomiques tactiques. On devine la suie. One ne peut se dissimuler que Krouchtchev soit décidé à aller jusque-là ; au-delà, on peut encore en douter. Mais où, comment arrêter un conflit déjà engagé ?

 

La rupture de la trêve nucléaire

Les commentateurs sont unanimes. En rompant la trêve nucléaire, Krouchtchev a commis une faute majeure sur le plan diplomatique et donné aux Etats-Unis un argument de propagande d’un grand poids –sans doute- car l’opinion mondiale est particulièrement sensible aux expériences nucléaires à cause des retombées radioactives et leurs effets sur la santé et la postérité des peuples.

Krouchtchev a frappé la corde la plus sensible et les protestations ont fusé de toutes parts. Au surplus, comme il avait solennellement promis il y a deux ans devant l’ONU, qu’il me reprendrait jamais les expériences le premier, il s’est trahi et ce peu de confiance qu’on pouvait accorder à ses engagements disparait tout à fait, en particulier quand il jure aujourd’hui qu’il ne se servira pas le premier de l’arme atomique (ce qui est d’ailleurs possible, car il compte obliger les autres à le faire, grâce à l’énorme supériorité des Russes en nombre et en armes conventionnelles). D’ailleurs, il suffit d’écouter les porte-paroles communistes qui s’adressent au monde libre en diverses langues pour remarquer l’embarras où ils sont et le luxe d’arguments qu’ils emploient pour convaincre leurs auditeurs, que la reprise des expériences atomiques n’a en vue que la défense de la paix !

 

Influence sur la Conférence de Belgrade

Cette déclaration de Krouchtchev et l’explosion nucléaire qui a suivi juste au moment où s’ouvrait la Conférence de Belgrade, a été considérée par les participants comme un affront personnel. Ils ont même eu le courage de le dire. Ce mépris des Russes pour l’opinion neutraliste est d’ailleurs assez surprenant, et s’explique difficilement. Comment concilier cette attitude avec l’obstination de la propagande pour la captiver ? Quelles raisons pressantes ont poussé les Soviets à faire à nouveau éclater leurs bombes ? Exigences des militaires ou simplement maniement plus brutal de la terreur pour désagréger l’alliance occidentale ? L’une et l’autre sans doute, mais certainement l’intention de disloquer l’Alliance Atlantique ; l’Angleterre n’ayant pas répondu aux espoirs russes depuis l’établissement de la muraille de Berlin-Est, c’est l’Italie qui a été choisie comme le pays le plus sensible au terrorisme nucléaire.

D’ailleurs, les courants neutralistes n’ont jamais disparu de la politique italienne et la diplomatie de ce pays, on le sait par expérience, n’est jamais sûre. Les déclarations récentes de Segni sont plutôt équivoques : la nouvelle offensive socialiste pour amener la Démocratie Chrétienne à réaliser « l’ouverture à gauche », c’est-à-dire à intégrer les Nenniens dans la majorité, ceux-là neutralistes, est aussi un signe des temps. Krouchtchev, en invitant Fanfani et Segni à Moscou, savait ce qu’il pouvait en attendre : le « sauve qui peut » des moins résolus devant la terreur atomique.

 

Le ton à Belgrade

Sur d’autres points, la Conférence des neutralistes à Belgrade n’a pas manqué d’intérêt ; on a vu arriver Adoula et Gizenka du Congo ensemble, ce qui implique le passage de l’ex-colonie belge au camp de Tito-Nasser. D’ailleurs, le thème dominant, en dépit même des réactions provoquées par le défi russe, a été l’anticolonialisme passionnel des participants, particulièrement déchainé contre la France. C’est la France, avec ses pauvres expériences nucléaires au Sahara qui a poussé (Tito dixit) les Russes à reprendre les leurs. C’est la France qui a commis à Bizerte l’agression que l’on sait sur l’innocent Bourguiba.

Au lieu de plaindre la France qu’on l’ait mise dans ces situations ridicules, on l’accuse « d’impérialisme colonialiste ». Cette hargne presque universelle chez les Afro-Asiatiques est-elle sincère ? Il voudrait mieux croire qu’elle est feinte et que c’est un moyen commode et sans risque de s’entendre entre eux, car s’ils étaient sincères, ce serait à désespérer de trouver jamais une faculté de raisonnement commune entre les hommes.

 

Birmanie

La Birmanie, dirigée par le sage U Nu, lui-même moine bouddhiste, vient d’être proclamé Etat religieux. A la Conférence de Belgrade, U Nu a été le seul à déplorer la haine des races. La Birmanie au surplus est le seul pays sous-développé qui ne se laisse pas entraîner dans l’expansionnite et refuse plus ou moins l’aide offerte par les deux camps. L’attrait du bien-être passe après le salut des âmes et l’état de sous-développement convient mieux, selon les dirigeants birmans, à l’assurer que la course au progrès matériel. Américains, Russes et Chinois sont surpris du dédain que rencontrent leurs offres d’assistance. Un Etat qui veut demeurer neutre doit éviter que le pays ne soit l’objet et le théâtre des rivalités étrangères. La pureté et la sagesse se trouvent ainsi conciliées. Exemple unique qui prend tout son relief des conflits de l’heure présente.

 

                                                                                                       CRITON

Criton – 1961-08-26 – L’Échiquier Soviétique

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Le Courrier d’Aix – 1961-08-26 – La Vie Internationale.

 

L’Échiquier Soviétique

 

Comme prévu la coupure entre les deux Berlin, n’a pas provoqué du côté occidental que des protestations verbales. Les Berlinois en sont irrités. Point n’était besoin, dit-on, de tant de colloques pour aboutir à de simples notes diplomatiques. En réalité, il n’était pas possible de faire plus sans employer la force, ce qui eut entraîné des contre-mesures en chaîne auxquelles il eut fallu riposter, et cela n’aurait pas empêché les communistes de fermer le passage. On attendra donc de nouvelles provocations pour agir.

Le second acte de l’affaire sera la conclusion du Traité de paix entre Moscou et le Gouvernement de Pankow, contre quoi les Alliés ne peuvent rien. Nous ne pensons pas que les Russes aillent plus loin pour le moment. Il y a pour cela de bonnes raisons. En effet, si Ulbricht cherchait à bloquer l’accès de Berlin-Ouest aux Occidentaux, Adenauer dénoncerait le traité de commerce entre les deux Allemagnes et les Alliés en feraient sans doute autant, ce qui dans l’état présent de l’économie de la D.D.R. provoquerait des troubles encore plus graves de ravitaillement auxquels les Russes n’ont ni les moyens ni le désir de remédier. Quelques chicanes, quelques escarmouches de temps en temps se produiront, mais rien de sérieux, tant que l’Allemagne orientale ne sera pas remise sur pied, ou que les Russes n’auront pas les moyens de subvenir à ses besoins, ce qui sera certainement long. A notre avis, la véritable crise de Berlin n’est pas pour demain, comme on parait le croire.

 

Les Réactions des Britanniques

Les barbelés et les murs de pierre édifiés devant la porte de Brandebourg ont eu un effet assez inattendu sur les Anglais, jusque-là peu soucieux du sort des Allemands. Ils ont vu sur les écrans de la télévision, le spectacle du chemin de la liberté se fermant sur des millions d’hommes, et leur indignation a été vive. Au pays de l’Habeas Corpus on est profondément sensible à cette atteinte au droit des gens ce qui, sur le plan politique, facilitera la tâche de la diplomatie britannique obligée de tenir compte d’une opinion très réticente jusqu’ici à courir des risques pour défendre les Berlinois.

 

L’Exposition Française à Moscou

Pendant ces fâcheux incidents, s’ouvrait à Moscou l’exposition française. C’est à peine si les journaux russes en ont parlé. Pas un commentaire, pas la moindre description. Une brochure assez malveillante circulait devant les portes pour mettre en garde les Moscovites contre cette présentation « fardée » de la vie française et les cartes d’entrée ont été rationnées, si bien que le tiers à peine des visiteurs a pu pénétrer. Si les Soviets consentent à ce genre de manifestations, c’est qu’elles leur permettent de s’emparer à bon compte des réalisations techniques que les Occidentaux exposent et leur vendent. Il est alors aisé de copier les modèles les plus perfectionnés de l’industrie occidentale. Cet avantage compense l’inconvénient pour les Russes de montrer aux foules avides de connaître le monde extérieur, le genre de vie qu’on y mène. Une contre-propagande habile et toutes sortes de restrictions d’accès permettent en outre aux dirigeants soviétiques de limiter les effets de cette présentation du Monde libre.

On peut se demander, s’il était opportun de dépenser trois milliards pour ce qui n’est au fond qu’une manifestation de vanité et aussi de mercantilisme. Car non seulement notre outillage le plus perfectionné est mis à la disposition de l’U.R.S.S., mais même certaines de nos réalisations lui sont cédées avant même d’avoir été utilisées en France ; nos machines les plus puissantes, nos fabrications les plus poussées servent ainsi au renforcement de la puissance adverse. En contre-partie, nous ne recevons que des matières premières dont il serait facile et plus profitable de se fournir ailleurs. Cela n’est pas particulier à la France ; aucune considération politique ne prévaut contre cette avidité de trouver des clients à l’extérieur, où qu’ils se trouvent. Il ne faut à aucun prix compromettre l’expansion industrielle.

 

Le Voyage de Mikoyan au Japon

Le voyage de Mikoyan au Japon, est un événement dont l’importance a été négligée. Quand Krouchtchev envoie l’habile arménien en mission, c’est que l’affaire est sérieuse. Personne, nous semble-t-il, ne s’est avisé du véritable but de ce voyage. On a cru qu’il s’agissait de détourner le Japon de l’Alliance américaine, et officiellement c’est ce que Mikoyan répète à chaque étape. Mais Krouchtchev sait fort bien qu’il n’a aucun moyen de changer actuellement la position nippone. Le Japon est dans une phase d’expansion la plus rapide du monde, son potentiel industriel devient énorme et il lui sera de plus en plus difficile de trouver à cette production des débouchés suffisants. Les Russes de leur côté, sont très préoccupés de l’équipement de la Sibérie orientale. Faute d’outillage, ils ne peuvent garnir cette frontière de 2.500 kilomètres qu’ils ont avec la Chine. Ce vide les inquiète. Le Japon ne pourrait-il pas leur fournir le nécessaire ?

 

L’Encerclement de la Chine

Il y a plus. Les Russes poursuivent en Asie, avec méthode, l’encerclement de la Chine. Nous avons vu qu’ils se sont substitués à celle-ci d’abord au Nord-Vietnam en passant des accords avec Ho Chi Minh ; puis au Laos où ils ont mené à la place des Chinois la guérilla du Patet Lao, sans d’ailleurs, comme prévu, pousser à fond leur avantage. Ils ont seulement cherché à verrouiller l’accès de Pékin au Sud-Est asiatique, puis en Corée du Nord, ils ont passé des accords avec Kir Im Sun, et en Mongolie extérieure, grâce à des remaniements ministériels, ils ont mis en place leurs créatures. En dernier lieu, ils ont pris la direction du Parti communiste japonais qui jusqu’ici suivait les mots d’ordre de Pékin et ce parti, peu nombreux mais actif, a subitement cessé de fomenter des manifestations anti-gouvernementales pour mieux préparer les voies à Mikoyan.

 

La Soumission d’Hodja

Dernier épisode qui n’est pas moins significatif, la rébellion albanaise a pris fin, paraît-il. Enver Hodja a fait sa soumission à Moscou, alors que Pékin (nous le savons officiellement par le Ministre canadien du commerce extérieur) venait d’envoyer à l’Albanie du blé acheté au Canada que Moscou refusait de fournir. On voit par là que l’impérialisme moscovite est aussi actif contre ses adversaires capitalistes que contre ses partenaires communistes si ceux-ci lui résistent. Les Chinois d’ailleurs savent de longue date à quoi s’en tenir sur l’affaire russe. Mais les difficultés dans lesquelles ils se débattent leur enlèvent tout moyen de défense, et Moscou en profite pour les étouffer. Les Américains n’ignorent pas davantage ces manœuvres : Kennedy avait l’intention d’envoyer en Mongolie un ambassadeur à Oulan-Bator pour suivre l’évolution des relations russo-chinoises ; il y a renoncé à cause, parait-il, de l’opposition de Tchang-Kaï-Chek. Nous avons pensé, lorsque Ikeda est allé conférer à Washington, que le Japon serait chargé de cette mission d’observation, l’hypothèse est vraisemblable, ce qui donnerait un motif de plus au voyage de Mikoyan à Tokyo.

 

Sagesse Orientale

C’est de l’Orient que nous vient ce remède à la crise agricole ; des techniciens de l’O.N.U. s’étaient établis dans un village pilote et avaient appris aux paysans à obtenir en un an deux récoltes de riz au lieu d’une. Émerveillés du résultat, ils firent aux agronomes des remerciements enthousiastes et leur dirent : « Grâce à vous, nous n’aurons pas besoin de planter du riz l’année prochaine ».

 

                                                                                  CRITON

 

Criton – 1961-08-12 – Controverses

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Le Courrier d’Aix – 1961-08-12 – La Vie Internationale.

 

Controverses

 

Deux questions d’importance alimentent la chronique : l’affaire de Bizerte et l’éventuelle adhésion de l’Angleterre au Marché Commun. Dans l’un et l’autre cas, les interprétations diffèrent parfois radicalement. Il faut donc faire le point de ce qui est assuré et de ce qui est controversé.

 

Bizerte

Le coup de tête de Bourguiba comme il le reconnaît lui-même en essayant de le justifier, n’a pas obtenu l’approbation générale qu’il attendait. D’abord parce qu’il a révélé sa faiblesse militaire et qu’en ce siècle où la force seule compte, ceux qui échouent ont toujours tort. Le peuple tunisien pacifique et plus évolué que ses frères maghrébins, souhaitait dans son ensemble de bonnes relations avec la France. Il n’a pas compris ce drame soudain et, malgré la popularité dont jouit Bourguiba, l’a désapprouvé. Les peuples d’Afrique noire qui se défient des ambitions arabes, n’ont apporté à l’action contre Bizerte qu’un assentiment verbal et réticent. Moscou même qui a vu avec dépit M. Hammarskoeld se mêler de l’affaire, n’a consenti qu’à demi aux demandes de Mokaddem envoyé par Bourguiba. A l’O.N.U même, beaucoup hésitent à charger l’institution, déjà engagée ailleurs, à prendre position. Si l’on veut exprimer un jugement moyen, c’est que Bourguiba aurait mieux fait de rester tranquille.

Voilà qui est clair ; ce qui l’est moins, c’est la suite ; Bourguiba continuera-t-il les hostilités si Paris, comme il semble, ne cède pas ? Ou bien tout en maintenant ouvert le conflit, le laissera-t-il traîner pour se donner le temps de remettre les choses sur d’autres bases ? C’est ce qui semble plus probable.

 

L’Attitude de l’Afrique Noire

Ce qui dans cette pénible affaire est plutôt rassurant, c’est que l’explosion d’hostilité à l’égard de la France et du « colonialisme » en général, ne s’est pas produite, comme nous le craignions la semaine passée. Il n’y a pas un courant dominant d’hostilité à l’égard des anciennes puissances coloniales. A côté des irréductibles, comme Nkrumah, il y a des hésitants, et cela même où l’on n’en attendait pas. Sékou Touré et Modibo Keita du Mali et Yaméogo de la Haute-Volta. Il paraît, en effet, que les populations noires avec lesquelles leurs nouveaux maîtres sont obligés de compter, n’ont pas fait bon accueil aux missions plus ou moins bruyantes que les pays de l’Est ont envoyées, pas plus qu’aux experts américains qui leur contestent la place. Mieux valait les Français qui étaient de bons patrons, dit-on couramment.

En vérité, l’anticolonialisme chez les Noirs, n’a pas été seulement affaire d’ambition, mais aussi d’amour-propre, n’être plus des hommes inférieurs, vouloir être traités en égaux et respectés dans leur personne. Ils s’aperçoivent que de tous les Blancs, les Français et à d’autres égards les Anglais, étaient les moins mal disposés à leur accorder cette dignité et comme ils s’aperçoivent à l’épreuve que par leurs propres moyens ils sont peu capables de faire leurs affaires, ils craignent de perdre au change et que leur liberté ne soit pas mieux assurée qu’auparavant. L’évolution future, étant donné la versatilité de l’âme noire, est évidemment impossible à préjuger.

 

L’Angleterre et le Marché Commun

Les Anglais ont sauté le pas : ils demandent aux Six de l’Europe continentale de s’associer à eux. C’est ici que les appréciations diffèrent. Est-ce pour diluer le Marché Commun et lui faire perdre son caractère et même le peu de réalité à quoi il pouvait prétendre ? Est-ce parce que, ne pouvant le supprimer, ils cherchent en s’y intégrant, à en tirer certains avantages ?  A notre avis, l’une et l’autre hypothèses ne sont pas inconciliables : ce qui est sûr, c’est qu’en faisant acte de candidature au moment où chez les Six les difficultés s’accumulent surtout à cause des problèmes agricoles, les Anglais vont donner un coup de frein aux progrès possibles de l’association européenne.

Il est bien évident que tant que dureront les négociations qui seront nécessairement longues, aucune décision d’importance ne pourra être prise par les Six. On profitera de ce délai pour ajourner les projets d’accélération du Marché Commun déjà fort problématiques. D’autre part, l’entrée de la Grande-Bretagne et de ses associés ou de certains d’entre eux, obligent les anciens partenaires à une refonte plus ou moins profonde de l’institution elle-même. Que les négociations réussissent ou échouent, le Traité de Rome n’aura plus le même caractère après qu’avant. La démarche des Britanniques aura donc pour effet certain, de rendre impossible une Europe continentale unifiée.

 

L’Angleterre et la Politique Française

Par un singulier paradoxe, c’est la politique française, en limitant l’association des Six à une fédération future à cette « Europe des patries » dont M. MacMillan a fait l’éloge, qui a permis à l’Angleterre de poser sa candidature ; ce qu’elle n’aurait pu faire si s’était établie une autorité supra-nationale du type confédéré. Mais c’est cette même politique aussi qui est considérée à Londres comme le principal obstacle à l’adhésion anglaise. Paris s’opposerait en effet à toute révision du Traité de Rome et voudrait une participation directe et totale ou bien refuserait.

Il est probable, pensent les Anglais, que dans l’état actuel on pourra passer outre à ce refus et qu’un accommodement sera trouvé auquel, en fin de compte, la France devra souscrire. Au surplus, il ne faut pas exagérer l’importance de ces questions. Des études approfondies ont été faites dont nous ne pouvons ici rendre compte, qui montrent qu’au point de vue économique, l’adhésion de l’Angleterre au Marché Commun et même du Commonwealth ne présentent pas d’obstacle majeur et, en fait, ne changeront pas grand-chose aux courants d’échanges internationaux. Politiquement, par contre, un Bloc continental européen, ne sera plus possible, mais l’a-t-il jamais été ?

 

Les Lendemains qui Chantent

Les Soviets ont publié à grand renfort de propagande un mirifique programme du Parti pour les années 1961-80 : un plan au bout duquel le communisme règnera avec l’abondance et le bonheur universel ! Nous n’exagérons pas, ce sont les mots mêmes de la presse russe. Une caricature américaine fait le point : on voit un groupe occupé à lire ce programme affiché et deux vieillards mal vêtus à leur côté. « Quelle grande nouvelle » dit l’un ? « On nous annonce pour dans vingt ans, dit l’autre, la réalisation de ce que nous attendions il y en a trente ». Ce manifeste vaut d’être étudié, car les chiffres qu’il propose pour 1980 sont proprement extravagants, puérils même. Voit-on d’ici-là la production globale tripler et avec elle le niveau de vie des Soviétiques ? Alors que des études très rigoureuses nous montrent que les salaires en Russie (compte non tenu des avantages sociaux, inférieurs de beaucoup à ce qu’ils sont en Occident), que les salaires de 1961 ne sont pas supérieurs en moyenne à ceux de 1913 ! Et que la production agricole en 1960 était encore inférieure par tête d’habitant, qu’en 1961 le pouvoir d’achat d’un salarié russe varie selon les produits achetés entre 15% et 39% de celui du salarié français, de 5% à 28% de l’américain. Enfin, que le niveau de vie réel de 1928 de ce même salarié russe n’a pas été rejoint depuis la mort de Staline !

 

L’Évolution du Salaire Réel en U.R.S.S.

Voici à titre d’indication, l’évolution du salaire réel depuis 1913 en Russie : 1913 = 90 ; 1928 = 100 (1928, époque de la N.E.P. fut la meilleure de l’histoire du régime ; 1933 fut le plus bas après la collectivisation des terres, coefficient : 56 : en 1952 avant la mort de Staline, coefficient : 50 ; en 1957, 79 : en 1960, 89 ; au 15 avril 1961, l’indice de 1913 était atteint et dépassé depuis légèrement. En admettant que ce progrès continue, il n’arriverait pas même à suivre le développement des salaires occidentaux, tel que le traduit la courbe depuis 1950 ! Qui trompe-t-on ? Pas les Russes qui savent ce que valent les promesses, ni les satellites encore plus mal partagés. N’est-ce pas plutôt pour faire oublier, par un bluff énorme, les difficultés les plus pressantes de leur vie quotidienne ?

 

                                                                                  CRITON

Criton – 1961-08-05 – Les Étapes de l’Histoire

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Le Courrier d’Aix – 1961-08-05 – La Vie Internationale.

 

Les Étapes de l’Histoire

 

Les historiens distingueront sans doute trois phases jusqu’à ce jour dans le processus de décolonisation de l’Afrique française. La première, dont le signal se situe à Dien-Bien-Phu a abouti, le 1er novembre 1954 avant la révolte algérienne. La seconde, avec la tournée du général de Gaulle en octobre 1958 et le Référendum, le « non » de la Guinée qui préluda à la débâcle africaine. La troisième en juillet 1961 commence avec la bataille de Bizerte.

 

Les Trois Phases de la Décolonisation

Dans la première, la IV° République poursuivit avec ses protégés un marchandage serré où les concessions étaient accordées une à une dans le cadre diplomatique, sans drame majeur. Dans la seconde, deux camps se formèrent, l’un résolument hostile à la France, l’autre plus ou moins disposé à une collaboration amicale et fructueuse. Avec la rupture du Mali, le refus du groupe de l’Entente de constituer la « Communauté », ce dernier groupe s’effrita peu à peu. Aujourd’hui tous, à des nuances près, appuient Bourguiba.

La troisième phase qui vient de s’ouvrir est celle de l’hostilité. Cette rancœur, qui est comme une revanche mauvaise du protégé contre son bienfaiteur, n’est pas le fait seulement des ex-colonies françaises. En effet, le Ghanéen Nkrumah vient de signer à Moscou une déclaration officielle qui, si on la prend à la lettre, le rangerait dans le camp communiste. N’a-t-il pas admiré la colonisation soviétique de l’Asie musulmane ? Si lui, ou un de ses semblables, avait été Uzbek ou Kosak, Staline lui aurait d’emblée coupé la parole et il aurait disparu depuis longtemps. Mais Nkrumah semble l’ignorer. L’Occident est bien mal payé de son libéralisme.

 

La Puissance de l’O.N.U.

C’est l’O.N.U. qui est le point de cristallisation de cette vague anti-française ; le mépris affiché contre cette institution, si justifié qu’il soit, a eu et aura, comme nous l’avons vu dès l’abord, des conséquences de plus en plus sérieuses. Car c’est dans l’assemblée des Nations-Unies que tous les sous-développés se sentent forts et solidaires. Ils ont le nombre et ont les voix, ce qui leur donne l’illusion de représenter une troisième force capable de dicter sa volonté aux deux blocs hostiles. Et pour l’heure, tout en maintenant les distances, c’est sur le Bloc de l’Est qu’ils entendent s’appuyer pour achever de chasser l’autre de leur sphère. Et bien entendu, l’U.R.S.S. ne leur ménage pas son soutien.

Les Etats-Unis, malgré tous leurs efforts pour conserver une influence sur cet ensemble disparate, n’en sont pas moins, depuis le désastre du Cuba, associés au colonialisme franco-anglais et portugais. Les Soviets d’ailleurs ont depuis longtemps compris que cette agglomération de pays non engagés, si elle leur était profitable dans l’immédiat, était à long terme une menace à leur politique et ils ont essayé, sinon de détruire l’Institution, du moins de la rendre impuissante. D’où leur attitude dans l’affaire congolaise et depuis, leurs efforts pour renverser Hammarskoeld et lui substituer une « troïka » qui paralyserait les résolutions de l’O.N.U. Mais ni les coups de l’U.R.S.S., ni le boycottage français, n’auront raison de l’Institution dont l’influence sur la politique mondiale ne fera que grandir. Tout cela était, et a été effectivement facile à prévoir. L’O.N.U. est pour les petits Etats le symbole de leur puissance. Ils n’en ont pas d’autre. Ils la défendront farouchement. Se refuser à le reconnaître est pure folie. Personne aujourd’hui n’hésite plus à le dire.

 

Le Goskontrol en U.R.S.S.

Nous apprenons que le Gouvernement soviétique, pour renforcer la discipline relâchée, vient de constituer une commission de contrôle d’Etat : le Goskontrol, pour superviser de la base au sommet l’activité économique de l’U.R.S.S. Autrement dit, on revient à la centralisation par la création, ou plutôt le renforcement d’un organisme bureaucratique.

Lorsque Krouchtchev décida, il y a trois ans, de la décentralisation par la création des Sovnarkhozes par suite de la difficulté de régir de Moscou la multiplicité croissante des ensembles industriels régionaux, nous avions conclu que la mesure aboutirait à l’anarchie dans la production et qu’il faudrait, un jour ou l’autre, renforcer par une nouvelle bureaucratie centrale, celle qui existait avant la réforme, alors que celle-ci avait précisément pour objet de la réduire. Le déterminisme du régime est implacable, plus la machine se développe, plus il faudra d’appareils bureaucratiques pour la contrôler. Et plus il y aura de contrôles, moins on avancera. Impossible d’en sortir. Or, si l’on regarde de près (la place nous manque pour en donner des preuves), d’année en année les progrès de l’économie soviétique déclinent, sauf les secteurs privilégiés qui servent la propagande et l’action diplomatique auxquels on sacrifie tout. A titre d’indication, en 1960, l’avance n’a pas dépassé 6% alors qu’elle était de 13% en Allemagne, de 11 en Italie et de 10 en France, ce qui est considérable si l’on tient compte du point de départ beaucoup plus élevé en Europe occidentale.

 

L’Austérité en Grande-Bretagne

Comme prévu, le gouvernement MacMillan a annoncé des mesures d’austérité pour rétablir la position inquiétante de la Livre ; les mesures ont été plutôt mal accueillies en Angleterre, où de semblables ont été déjà appliquées précédemment sans succès durable.

A notre avis, ces décrets pénibles ne peuvent être qu’un moyen de gagner du temps et d’éviter une crise imminente. MacMillan a sans doute le dessein de négocier, comme il l’a d’ailleurs annoncé, une association avec les pays du Marché Commun qui ne serait pas une véritable adhésion, mais qui permettrait de dévaluer la Livre sans déconsidérer le Parti conservateur au pouvoir ; l’opération inévitable se ferait à froid dans le cadre d’accords internationaux, ce qui permettrait à l’Angleterre de retrouver des prix concurrentiels à l’exportation et de donner le temps à ses industriels, grâce au contact avec l’Europe continentale, de s’adapter à une protection douanière réduite, ses tarifs étant plus ou moins alignés sur ceux du Marché Commun.

La négociation avec les Six sera longue et difficile, car les Anglais voudront sauvegarder les intérêts du Commonwealth et les Européens voudront, eux, que ce soit tout ou rien : l’intégration ou l’isolement. Toutefois, les forces qui en Europe, en Allemagne et en Hollande surtout, pressent pour l’association britannique doivent l’emporter. Reste à savoir quelles seront les limites du compromis, si toutefois l’affaire aboutit.

 

Le Fromage et le Lait

Pour donner une idée des difficultés du problème agricole, relevons ce petit fait : les producteurs français de fromage accusent la Suisse d’exporter en France leurs produits et d’être responsables de la chute des cours. De son côté, la Suisse souffre d’une production laitière excédentaire et l’écoulement coûteux de ces surplus pose au Gouvernement fédéral des problèmes de plus en plus difficiles. Alors, il entend que les 200.000 hectos de vin qu’il importe de France soient compensés par une exportation de 5.000 tonnes de fromage. Malgré cela, les alpages de la Suisse, autrefois occupés de nombreux troupeaux sont en partie abandonnés.

Allons camarade Krouchtchev, achetez notre bon lait, les enfants de Moscou n’en manqueront plus et les parents ne feront plus la queue. Vous n’êtes pas obligé de le leur dire ; le lait n’est pas rouge …

 

                                                                                  CRITON