Criton – 1961-09-30- Répit

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Le Courrier d’Aix – 1961-09-30 – La Vie Internationale.

 

Répit

 

Comme il est de règle, à la tornade passée, succède une certaine détente sans que les problèmes soient résolus pour cela.

 

L’Avenir de l’O.N.U.

Au contraire, la mort tragique d’Hammarskoeld en pose un nouveau dont l’avenir des Nations-Unies dépend. Un point est acquis, comme on pouvait le prévoir ; le futur Secrétaire Général sera africain ou asiatique, si toutefois l’on parvient à en désigner un.

Les Soviets y feront obstacle, parce que, comme nous l’avons expliqué, ils savent que tôt ou tard l’O.N.U. prendra des résolutions contraires à leur intérêt et Krouchtchev a dit explicitement qu’il n’en tiendrait pas compte. Mais il préfèrerait rendre l’organisation impuissante pour ne pas se trouver en conflit avec les neutralistes.

Les Etats-Unis au contraire, feront toutes les concessions aux pays non engagés dans l’espoir, jusqu’ici illusoire, qu’ils finiront par s’appuyer sur Washington, et que la balance redeviendra égale entre les deux blocs alors que, comme on l’a vu à Belgrade, il y a toujours eu deux poids, deux mesures, le communisme étant ménagé et les « impérialistes » accusés. Pour arriver à leurs fins, les Américains n’hésiteront pas à donner aux afro-asiatiques la direction de l’O.N.U., à y laisser entrer la Chine de Pékin en sacrifiant Formose, à s’associer enfin à toutes les entreprises contre les restes du « colonialisme » comme ce fut le cas dans l’affaire du Katanga. Ils sont persuadés que lorsque les blancs auront été dépouillés de toute autorité dans les pays d’Outre-mer, où ils assuraient l’ordre et le progrès, on aura enlevé au bloc communiste son principal moyen d’influence. Alors il n’y aura plus que les Etats souverains et ceux-ci reconnaîtront dans les Etats-Unis le garant de leur indépendance et l’appui fondamental pour leur développement économique. Les Américains ne doutent pas du succès de cette politique. A notre avis, l’avenir leur réserve plus d’un mécompte, mais rien ne les détournera de cette voie.

 

L’Incident du Général Lucius Clay

Le Président Kennedy avait pris la sage mesure d’interdire à ses généraux de mêler les questions politiques à leurs discours, les civils suffisant pour embrouiller les choses. Or, il vient d’envoyer à Berlin l’ancien représentant des Etats-Unis à Berlin, Clay, qui s’est empressé de faire savoir confidentiellement aux Allemands que les Etats-Unis, dans un compromis éventuel, accepteraient de reconnaître de facto le Gouvernement de Pankov et la frontière de l’Oder Neisse.

Malgré les démentis, on conçoit que les Allemands se soient alarmés d’entendre énoncer les concessions que l’Amérique était prête à faire avant même qu’on ait commencé à négocier. Ils en ont conclu, non sans raison, que, malgré toutes les promesses, ce serait sur leur dos que se ferait un accord éventuel et que les concessions étant déjà acquises, on n’y parviendrait qu’en en faisant d’autres. Cela ressemble à toutes les proclamations que le « pouvoir ne reculera pas » ce qui ne manque jamais de signifier qu’il reculera toujours.

 

Les Elections du 17 Septembre en Allemagne Fédérale

Cet incident Clay ajoute à la confusion suscitée par les élections allemandes du 17 septembre. Comme on le prévoyait, le Chancelier Adenauer a perdu la majorité absolue sans que les Socialistes aient sensiblement progressé, autrement que par la disparition des petits partis définitivement éliminés ; le vainqueur des élections a été le parti libéral et il devient l’arbitre d’une coalition devenue indispensable. Mais il ne veut pas d’Adenauer comme Chancelier ; par contre, il est prêt à entrer dans un Gouvernement Erhard. Pour les faire revenir sur leur véto, Adenauer fait mine de négocier avec son principal adversaire Willy Brandt. Les pronostics sont difficiles. Il nous paraît cependant probable que le vieux Chancelier conservera le pouvoir à condition qu’il s’engage à ne demeurer en place que jusqu’à la fin de la crise de Berlin, si fin il y a.

 

L’Evolution de l’Affaire Algérienne

La tournure prise par les événements d’Algérie incite la presse étrangère à de nombreuses spéculations. On fait remarquer que le Gouvernement français, ayant perdu le contrôle de la situation et étant hors d’état d’imposer une solution et qu’au surplus il n’en propose aucune qui soit réalisable, la sécession algérienne devient peu à peu un fait. Dès lors, c’est entre les deux parties en présence, l’O.A.S. pour les européens et le G.P.R.A pour les musulmans, qu’une négociation pourrait s’engager. Certains propos prêtés au F.L.N. à Tunis sembleraient le donner à penser. Une négociation avec le Gouvernement français, dit-on, n’a plus de sens puisqu’il serait incapable d’en faire appliquer les résolutions.

Ces hypothèses sont hasardées et pour le moins prématurées. On ne saurait cependant les exclure, car on croit savoir que les Etats-Unis seraient prêts à prêter leur concours à une solution du drame algérien où la France métropolitaine n’interviendrait pas. C’est à voir.

 

Le Congo ex-Belge

Le drame de l’ex-Congo belge devient un film à épisodes et l’on n’a pas fini de se contredire en en parlant. Il  faut en prendre son parti. L’échec, bien mérité, des Nations-Unies au Katanga a pour l’instant sauvé Tchombé. Les deux instigateurs de l’expédition d’Elisabethville, ordonnée par Hammarskoeld et approuvée par les U.S.A. ont été N’Krumah et Nehru. L’un et l’autre n’ont pas dissimulé leur fureur de l’échec et ce sont les Britanniques qui ont servi de bouc émissaire. On les a même accusés d’avoir provoqué la chute de l’avion d’Hammarskoeld. On a parlé d’un complot où étaient mêlés pêle-mêle, Tchombé, son ministre Nrunungo, Sir Roy Welensky, premier ministre de Rhodésie et Lord Lansdowne. Ces absurdités donnent une idée de la cohésion du Commonwealth.

 

La Conférence d’Accra

Au reste, on a vu à la Conférence d’Accra, qui réunissait les ministres du Commonwealth venus discuter de l’éventuelle adhésion de l’Angleterre au Marché Commun, ce qui peut demeurer d’intérêt commun dans cette association. Le malheureux ministre britannique s’est heurté à une hostilité générale même de la part des pays que l’on croyait jusqu’ici assez favorables à l’association avec les Six comme l’Inde, la Malaisie, le Nigéria et le Pakistan.

Nous avons toujours été sceptiques sur le succès des négociations à ce sujet. Elles vont cependant commencer, parce que les Anglais en ont décidé et qu’ils ne renoncent pas volontiers. Mais l’hostilité du Commonwealth ajoute beaucoup de difficultés à un règlement qui déjà en comportait beaucoup. Les nations désunies ne sont pas assemblées seulement au palais de verre de New-York. Où  la force a cessé de s’imposer, les intérêts économiques s’opposent, qui sont difficiles à concilier dans un monde qui produit plus qu’il ne peut vendre et s’industrialise à tout prix sans tenir compte de la rentabilité des entreprises et de la position des concurrents étrangers. Aucun groupement de nations ne résiste à cette pression. Les rivalités des personnages politiques font le reste.

L’Angleterre, pour équilibrer son économie sacrifiera-t-elle ses liens avec le Commonwealth. On parle déjà à Londres de faire arbitrer le dilemme par les électeurs. Si bons démocrates qu’ils soient, comment les Anglais peuvent-ils croire que l’homme de la rue soit en mesure d’en décider?

 

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