Criton – 1962-06-02 – La Baisse des Marchés Financiers

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Le Courrier d’Aix – 1962-06-02 – La Vie Internationale

 

Si l’on exempte le drame qui accable la France, les nouvelles d’ordre politique dans le monde sont de plus en plus négligeables. Les deux grands s’accordent une trêve et les querelles des petits en subissent l’effet.

 

La Baisse des Marchés Financiers

Par contre, dans l’ordre économique on ne peut négliger la tourmente qui secoue les marchés financiers, celui de New-York en particulier, imité ou suivi par tous les autres. Une tradition bien établie fait de la bourse des valeurs un baromètre. Lorsqu’il est comme aujourd’hui à la tempête, cela signifie que les progrès de l’économie sont remis en question et que les plans les mieux établis devront être révisés avant même d’être mis en train. Cela signifie aussi que l’on ne dirige pas à volonté le développement de la production et des échanges et cela quel que soit le régime économique. S’il y avait une bourse à Moscou et à Pékin on peut être sûr qu’elles plongeraient comme les autres.

Comme toujours en pareil cas, il est intéressant de suivre l’avis des augures : tous étaient optimistes il y a à peine un mois. Pris de surprise, leurs prévisions sont embarrassées et leurs explications plus encore. Aux Etats-Unis, on s’efforce de montrer que les affaires demeurent favorables, qu’il s’agit d’une panique du public provoquée sans doute par la querelle de Kennedy avec les dirigeants des aciéries, que tout rentrera dans l’ordre après les élections de novembre. Il se peut. Mais il serait puéril de croire qu’un mouvement de ce genre n’a pas des causes plus profondes.

La moins discutable, comme nous l’avons répété ici, c’est que l’élan frénétique donné à la production en vient maintenant à dépasser les débouchés possibles. Les usines américaines ne tournent qu’à 70% de leur capacité. Les européennes qui avaient un fort retard, butent l’une après l’autre sur cet excès de possibilités. C’est l’Allemagne fédérale qui a été la première touchée, les autres suivront. Le Japon déjà serre les freins. Le résultat le plus concret de cet état de choses est l’exaspération de la concurrence, c’est à qui déversera sur le voisin, fut-ce à perte, le trop plein qu’il ne peut placer.

A cela, les optimistes répondent : les besoins sont illimités. Certainement, mais il leur faut le temps de prendre conscience et forme, et surtout d’assurer leur financement. A moins de s’abandonner à une inflation sans frein, ce qui ne ferait que reculer l’heure des catastrophes comme on le voit dans les pays à essor désordonné, le Brésil par exemple, il ne faut pas anticiper sur les capacités d’absorption de la production qui sont irrégulières et imprévisibles.

 

Les Mouvements Sociaux en Europe

On s’est interrogé aussi sur les raisons des mouvements de grève qui s’étendent un peu partout. Raisons politiques sans doute, comme en Espagne et au Portugal, au moins pour une part. Mais ailleurs ? N’est-ce pas plutôt que les organisations syndicales sentent qu’il est urgent de profiter de la haute conjoncture pour s’assurer des avantages irréversibles avant que le vent n’ait tourné lorsque  le ralentissement du progrès rendra les revendications impossibles à satisfaire.

 

Les Grèves en Espagne

Même en Espagne, le caractère politique des grèves a été exagéré. La condition des travailleurs y était particulièrement défavorable, mais cela ne tient pas au régime. Elle l’était avant et l’est restée parce que la productivité y est basse, les capitaux rares, le pays isolé des grands courants commerciaux par la médiocrité de ses ressources et surtout par la qualité des hommes, les cadres plus encore que la main-d’œuvre.

C’est seulement depuis quelques mois que le monde extérieur financier s’est intéressé à l’Espagne. Après une longue stagnation, le progrès l’a gagnée, modeste mais certain. Il est normal que les travailleurs en exigent leur part. Il aurait été plus sage d’attendre un peu pour ne pas décourager un afflux de capitaux étrangers qui commençaient à prendre confiance. C’est ce qui explique les hésitations du gouvernement de Franco qui avait fondé sa politique économique récente sur cette ouverture vers l’extérieur, qu’il espérait même voir aboutir une association de l’Espagne au Marché Commun, et pour cela il venait de multiplier les décrets de libéralisation financière : rapatriement libre des capitaux et des bénéfices, possibilités pour les étrangers d’acheter et de vendre des valeurs espagnoles, etc.

Il serait à craindre que les grèves, si elles prenaient de l’ampleur, ne compromettent cette tentative. C’est certainement ce que les agitateurs, ennemis du régime, cherchent à provoquer. Il ne semble pas qu’ils y parviendront. Les Espagnols conservent trop vivement le souvenir des drames de 1936 pour donner au mouvement revendicatif un caractère révolutionnaire. Le problème pour le régime est de céder à cette pression – ce qui est inévitable – sans compromettre le redressement amorcé. Mais il est entouré de tant de suspicions qu’il lui sera difficile d’y parvenir. Il est aussi empêché, pour décréter les réformes nécessaires, par les féodalités qu’il a maintenues ou créées et qui ne cèderont pas aisément. Le rôle de l’Eglise est ici capital et elle l’a senti. C’est d’elle que dépend que soient évitées les secousses plus graves que des grèves qui n’affectent au plus que 3  ou 4% de l’effectif total des travailleurs.

 

Pankow Demande un Prêt à Bonn

On a été surpris, et les Allemands de l’Ouest plus que les observateurs étrangers, de la requête du gouvernement de Pankow pour un prêt de quelques 400 milliards d’anciens francs. Il est à première vue plutôt étonnant qu’en pleine crise de Berlin, Ulbricht sollicite de son adversaire une telle libéralité. En réalité – nous le disons ici – les discussions avec Krouchtchev sur l’aide soviétique à la D.D.R. n’ont pas abouti. Les besoins du régime d’Allemagne orientale sont énormes, les exigences russes, de leur côté ne peuvent être satisfaites par les fournitures assez maigres que les Soviets mettent à sa disposition. Force est donc de se tourner vers l’Occident et d’essayer un marchandage, un prêt contre quelque prolongement du statuquo berlinois.

Au moment où l’économie de l’Allemagne fédérale bat de l’aile, ses industriels verraient arriver avec satisfaction des commandes que leur gouvernement financerait et c’est là-dessus qu’Ulbricht compte pour ne pas payer trop cher (en contrepartie politique), les matières premières, les machines-outils, et aussi les vivres pour la population. On compte justement, pour faire passer l’affaire, sur la compassion des Allemands de l’Ouest comblés à l’égard de leurs frères démunis de l’Est. Il sera curieux de voir comment aboutira cette singulière négociation.

 

L’Amérique et l’Europe

Les articles de Walter Lipmann dans le « New-York Herald » sur les relations des Etats-Unis et de l’Europe continentale ont fait quelque bruit. Il soutient que le gouvernement des Etats-Unis a eu raison de refuser à la France les moyens de se construire un arsenal atomique, bien qu’il l’ait fait pour l’Angleterre. Au surplus, dit-il, les Anglais ont déjà renoncé à suivre la course des fusées et engins spatiaux parce que trop onéreuse et le temps est proche où leur armement nucléaire, bien que considérable, sera démodé et cela avant même que la France en arrive au stade où en sont les Anglais aujourd’hui. Au reste, dit-il encore, une faible force nucléaire en Europe, met la paix en danger bien plus qu’elle ne l’assure, car elle serait susceptible de provoquer une guerre sans être capable de la gagner et ce sont les Etats-Unis qui seraient entraînés et contraints de l’achever. Aussi déconseille-t-il à MacMillan d’échanger à Paris ses secrets atomiques contre l’accession de l’Angleterre au Marché Commun. Ces arguments ont leur valeur, car il est sûr que tôt ou tard, les Européens engagés contre tout bon sens dans la course atomique seront obligés financièrement d’y renoncer.

 

Les Etats-Unis et le Marché Commun

Par ailleurs, Lippmann révèle, s’il en était besoin, le dessein des Etats-Unis d’étendre le Marché Commun à une zone aussi vaste que possible de bas tarifs, indispensable pour que les Etats-Unis gagnent les dollars nécessaires pour financer leurs engagements dans le monde. Si Paris et Bonn persistent à faire du Marché Commun une zone réservée et protégée, les Etats-Unis ne pourront plus assurer la défense du Continent européen à cause du déficit persistant de leur balance des paiements.

Nous ne pensons pas que le gouvernement Kennedy présente le marché aussi brutalement : ou bien l’accès au Marché continental européen, ou le retrait des forces américaines ; car la défense de l’Europe est aussi vitale pour les Etats-Unis que la leur propre. Par ailleurs, l’élargissement du Marché Commun à l’Angleterre et au Commonwealth ne résoudrait nullement le problème du déficit américain. Peut-être l’atténuerait-il ? Peut-être au contraire, l’intensification de la concurrence entre européens aboutirait-elle au résultat contraire. On aurait tort de se quereller pour des situations futures que personne, on le voit une fois de plus, n’est capable de prévoir même approximativement.

 

                                                                                                CRITON

Criton – 1962-05-26 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-05-26 – La Vie Internationale

 

Si étonnant que cela semble à la réflexion, le problème le plus débattu est aujourd’hui celui de notre Europe. Crise des relations germano-américaines, conflit intérieur en France entre partisans de l’Europe intégrée et des alliances traditionnelles.

 

Les Différends entre l’Europe et les Etats-Unis

A première vue, ces controverses paraissent académiques et le Chancelier Adenauer en deux phrases lapidaires a bien résumé la situation : « Il n’y a pas de grande puissance en Europe : sans les Etats-Unis, nous cesserions tous d’exister ». Cela dit, les polémiques ne sont, pour retourner le mot, que des sautes d’humeur car l’Europe demeurera pour un temps indéfini sous la protection des U.S.A. ; quant à l’intégration européenne, si elle doit un jour se faire, ce n’est peut-être que l’œuvre d’une ou plusieurs générations, car si les problèmes économiques évoluent rapidement, les esprits et les mœurs suivent avec beaucoup de retard et l’Europe fédérée, à la manière de la Suisse, devra être imposée par les peuples aux gouvernants qui par eux-mêmes n’y parviendraient jamais, si tant est qu’ils le veuillent.

 

L’Angleterre et le Marché Commun

Ces différends entre Européens et Américains sont compliqués et même provoqués par la question centrale : l’admission de l’Angleterre au Marché Commun. Comme prévu, les négociations sont de plus en plus difficiles à mesure qu’on s’avance des principes aux détails. Il serait exagéré de prétendre, comme on le fait, que l’obstruction vient des politiques, c’est-à-dire surtout de la France et même de l’Allemagne, ou tout au moins de leurs chefs. Les structures économiques de l’Angleterre sont très différentes de celles des continentaux. Il est inutile d’énumérer une fois de plus tout ce qui les oppose. Pour les harmoniser, il faut que les unes et les autres s’adaptent, c’est-à-dire qu’une des parties, les Six ou l’Angleterre, bouleverse les siennes. Si MacMillan était de bonne foi en demandant l’adhésion de son pays au Marché Commun, il ne pouvait ignorer que même une bonne volonté réciproque ne suffirait pas. Une harmonisation faite de concessions réciproques non plus. Il ne s’agit pas d’un ajustage, mais d’une opération et, au point où en sont les accords entre les Six, c’est à l’Angleterre de la faire du côté du Commonwealth et du côté de son agriculture – sans préjudice, bien entendu de la question politique. Il ne saurait y avoir de politique commune européenne si l’Angleterre en fait partie, encore moins d’Europe fédérale. M. Spaak lui-même ne convient.

 

L’Intérêt des Etats-Unis

Mais ce n’est pas tout, et nous entendions enfin, ces jours-ci, des Anglais reconnaître que si les Etats-Unis ont poussé l’Angleterre à s’intégrer à l’Europe continentale, c’est parce que les pays du Commonwealth, une fois détachés de ce qui est encore économiquement leur Métropole, s’ouvriraient davantage au commerce et à l’influence des Etats-Unis qui, par ailleurs, par l’entremise d’une Angleterre attachée au Continent, n’auraient plus à redouter qu’il cherche à lui échapper.

En résumé, pour le moment, l’Angleterre reste et restera peut-être une île.

 

Le Débarquement Américain en Thaïlande

Les Américains ont donc débarqué sans encombre en Thaïlande et Krouchtchev a attendu la fin de son voyage en Bulgarie pour protester avec d’autant plus de vigueur que l’opération était chose faite. Or il n’ignorait rien, ni des préparatifs, ni des intentions des Etats-Unis. Ils étaient publics.

 

La Réaction de l’Opinion Américaine

A cet égard, il est intéressant de souligner que le public américain a accueilli sans émotion cette opération qui, quelques mois plus tôt, l’aurait secoué ; l’opinion américaine change très aisément. Il y a un an, c’était la fièvre des abris antiatomiques, qu’on faisait construire partout par peur d’une guerre nucléaire, et d’astucieux industriels comptaient y réaliser une fortune. Ils sont tous en faillite. Depuis l’exploit de Glenn, les Américains sont rassurés : quoi que fasse Kennedy en Asie, la guerre n’aura pas lieu et l’on accepte avec sérénité que les boys débarquent en Thaïlande. C’est passer d’un extrême à l’autre, car l’engrenage sud-asiatique n’est pas de tout repos, même si les Russes n’y font pas obstacle.

 

L’Enigme de Hong-Kong

La Chine de Pékin a protesté à retardement aussi. Sans doute pour d’autres raisons, car cette Chine toujours mystérieuse est plus que jamais une énigme. Depuis peu, un nouveau problème a surgi à Hong-Kong. On sait que cette petite île, colonie britannique, est la terre promise des réfugiés chinois. Un million s’y sont enfuis depuis trois ans qui y ont trouvé asile. Mais cette invasion présente de terribles difficultés : logement, ravitaillement, pénurie d’eau surtout. Jusqu’ici cependant, les arrivants, exténués et traqués, ne venaient qu’un par un ou en petit groupe. Depuis peu, c’est par milliers. Les autorités de Pékin qui montaient la garde aux frontières et sur mer, ont cessé de s’opposer aux départs. Même des soldats, par compagnie, tentent de pénétrer à Hong-Kong, et ce sont les Anglais qui doivent les refouler, 40.000 personnes campent devant les barbelés et ce sont des drames chaque fois que la police britannique leur refuse le passage.

Comme il s’agit surtout d’hommes jeunes et valides et qui ne paraissent pas comme les précédents avoir souffert la faim, on se demande si ce n’est pas à dessein que les autorités communistes les laissent faire pour obliger les Anglais à les repousser ; ou, s’ils ne le font pas, pour rendre la vie impossible à Hong-Kong même. On a émis une autre hypothèse : les provinces du Sud sont peu dociles au gouvernement de Pékin et l’on craint des révoltes. Il y en aurait eu déjà. Laisser partir les éléments les moins sûrs serait un moyen de s’en débarrasser ou de les décourager si la porte leur était fermée. Il se pourrait aussi tout bonnement qu’il s’agisse d’un mouvement spontané de migration qui s’empare des foules quand l’existence qu’on leur fait est trop difficile et que les autorités n’ont pas le pouvoir d’arrêter.

 

Israël et le Gabon

 

Tandis que M. Modibo Keita, chef d’Etat du Mali, ex-Soudan français est reçu en grande pompe à Moscou, avant d’aller à Prague et à Berlin-Est, c’est encore au curieux développement des relations d’Israël avec l’Afrique Noire que nous assistons avec le traité d’amitié perpétuelle signé ces jours-ci entre la petite République et Mme Golda Meir ministre des affaires étrangères d’Israël. On s’y promet de nombreux échanges économiques et culturels et en particulier l’envoi de jeunes Gabonais à Tel-Aviv pour s’y instruire. Le choix d’Israël pour l’éducation des noirs d’Afrique ne fait pas plaisir à Krouchtchev. Il y a fait allusion dans son dernier discours à sa manière, sans nommer personne mais il ne laisse aucun doute sur ceux qu’il vise. Les déboires de l’U.R.S.S. en Afrique noire l’ont vexé. On se rappelle le «  Rira bien qui rira le dernier » à propos du Congo ex-belge. Que les noirs lui préfèrent l’Amérique, passe encore, mais qu’on choisisse le socialisme israélien et la technique de ce petit peuple, plutôt que les siens, cela touche son amour propre. Il n’a pas caché que désormais ceux qui se réclament du socialisme sans adopter la formule soviétique, ne pourraient plus compter sur son assistance. Il semble bien que les intéressés ont déjà décidé de s’en passer.

                                                                                       CRITON

Criton – 1962-05-19 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-05-19 – La Vie Internationale

 

La rupture de la trêve au Laos et la poussée des forces communistes sur le Mékong aux frontières de la Thaïlande vont, dans les prochains jours, fournir un test des relations entre les Etats-Unis et l’U.R.S.S.

 

La Rupture de la Trêve au Laos

Il faut ici envisager deux hypothèses ; ou bien cette reprise des hostilités est un moyen de persuasion tacitement accepté par les deux puissances pour forcer les trois princes laotiens à former un gouvernement de coalition neutraliste – ce que jusqu’ici ils n’ont pas réussi à faire, – sans qu’on puisse savoir si ce sont les Occidentaux avec Boun Oum actuellement au pouvoir qui s’y sont refusés malgré les pressions des U.S.A., ou si ce sont les Communistes avec Souvanavong, appuyés par Pékin, qui ont fait échouer les pourparlers. L’autre hypothèse serait que l’offensive du Patet Lao se ferait contre le désir des Soviets, sous la seule instigation des Chinois avec l’aide volontaire ou forcée d’Ho Chi Min. Comme la politique dans cette région du monde est complexe à l’extrême et souvent contradictoire, il se pourrait encore que les Soviets laissent faire le Patet Lao pour compromettre les Etats-Unis et les contraindre à agir ; c’est-à-dire leur laisser le soin de contenir la poussée communiste, ce qui permettrait à leur propagande de crier à l’impérialisme tout en arrangeant leurs propres affaires.

 

L’Intervention Américaine

Ce qui pour l’instant est certain, c’est que les Etats-Unis ont pris la décision d’envoyer dans les parages leur flotte et leurs « marines ». Comme au Sud-Viet-Nam, la  puissance militaire américaine s’engage chaque jour un peu plus dans la guérilla d’Extrême-Orient, sans que les Russes de leur côté interviennent autrement qu’en parole et encore avec une relative discrétion. Sauf dans leur presse, à l’usage intérieur.

 

Les Contacts Russo-Américains

Pendant ce temps, les bons procédés se succèdent entre Russes et Américains. Titov, l’astronaute, poursuit sa tournée aux Etats-Unis. Le porte-parole de la Maison Blanche pour la presse, Pierre Salinger, est à Moscou, hôte de son homologue Adjoubeï, rédacteur en chef des « Izvestia » et gendre de Krouchtchev. Les trois hommes ont fait ensemble une partie de campagne et les conversations diplomatiques Rusk-Dobrynin sur Berlin, continuent à Washington.

 

La Querelle de la Nouvelle-Guinée

Troisième test si l’on peut dire : l’affaire Indonésie-Nouvelle-Guinée hollandaise. A part quelques escarmouches, les hostilités restent verbales ; cependant Subandrio, le ministre des Affaires étrangères de Soekarno, est allé à Moscou quérir de nouveaux armements et recevra, lui aussi, quelques pièces démodées de l’arsenal soviétique.

De leur côté, les Etats.Unis ont réveillé le pacte de l’Auzus, c’est-à-dire l’Alliance U.S.A.-Australie-Nouvelle-Zélande. Rusk et les ministres des deux nations ont discuté à Cambera et l’Australie enverra, pour marquer sa solidarité, un bataillon témoin du Sud-Viet-Nam. Bien entendu, c’est en échange du soutien américain dans l’affaire de Nouvelle-Guinée. On sait que l’Australie occupe la partie Sud-orientale de l’île la plus proche de son territoire et n’envisage pas de bon cœur l’installation des Indonésiens dans la partie Nord de l’Ile. Là, la position des Américains est plus difficile encore que sur le continent asiatique. Ils ne peuvent ouvertement soutenir les Hollandais et pas davantage s’attirer le ressentiment de Soekarno. Ils cherchent, sous couleur de médiation, à étouffer le conflit par des manœuvres indirectes et les Russes, sans doute d’accord sur le but, font tout ce qu’ils peuvent pour leur compliquer la besogne. Ce qui importe, c’est que tout ce jeu, qui en d’autres temps aurait mis le monde entier en émoi, n’inquiète plus personne.

 

Le Coût de la Course aux Armements

Pour expliquer le cours actuel des relations russo-américaines, une opinion est généralement émise : les Soviets seraient hors d’état de poursuivre indéfiniment la course aux armements, à moins de sacrifier encore un peu plus le niveau de vie de leurs peuples. Cette thèse s’appuie sur un fait : la progression vertigineuse du coût des nouveaux engins. Cette progression a été constante depuis l’Antiquité, mais depuis peu elle a pris des proportions inattendues. Certains dispositifs nucléaires et spatiaux valent cinq fois plus que ceux qu’on fabriquait il y a seulement deux ans et l’on prévoit davantage pour ceux de demain. Alors les moyens des Etats-Unis et ceux de l’U.R.S.S. deviennent inégaux. Si les U.S.A. ne peuvent plus se permettre de prodiguer les dollars à l’extérieur, chez eux, ils peuvent les gaspiller sans mesure et même avec avantage pour employer leur capacité excédentaire de production et leurs chômeurs. En U.R.S.S., contrairement à ce que l’on croit d’ordinaire, les coûts de production des engins militaires sont aussi élevés qu’aux U.S.A., tandis  que le revenu national atteint à peine le tiers, en étant optimiste. Il faudra donc un jour ou l’autre arrêter les frais et pour cela s’entendre avec les Américains sur une limitation des armements, et dès maintenant préparer les voies.

Nous donnons cette explication pour ce qu’elle vaut. On a déjà tellement usé dans le passé d’un argument de ce genre, qu’à première vue on est sceptique, la puissance germanique s’étant bien faite avec des ressources limitées ; mais la Russie n’est pas l’Allemagne et actuellement l’U.R.S.S., armement mis à part, doit faire face à des difficultés croissantes. On s’accorde à retenir que la progression industrielle en 1961 n’a été que de 4% ce qui est fort peu en regard de celle de l’Europe occidentale et cela malgré un budget qui, comme partout, s’enfle chaque année.

 

Le Nouveau Gouvernement Soviétique

On a remarqué également à propos de la constitution officielle du gouvernement soviétique, certaines nominations inattendues qui montrent un certain flottement dans la direction des affaires et sans aucun doute un affaiblissement du pouvoir personnel de Krouchtchev. Après les attaques dont il avait été l’objet, le vieux Maréchal Vorochilov a été rétabli, sinon dans ses fonctions, du moins dans ses honneurs. Krouchtchev lui a même donné publiquement l’accolade. Madame Furtseva qui avait été « écartée » aux élections du Conseil suprême, a retrouvé son poste de Ministre de la Culture et Ignatov,  exclu du Presidium en 1961, devient chef suprême de l’agriculture et reste vice-président du Conseil. Le comité des collectes agricoles qui selon Krouchtchev devait être supprimé, est maintenu. Ces petites anomalies dans la direction de l’Etat signifient que des compromis s’établissent entre des factions opposées et que les problèmes à résoudre sont assez difficiles pour qu’on soit obligé de faire des concessions à des vues divergentes.

La déstalinisation n’est pas un vain mot.                

 

                                                                                       CRITON

Criton – 1962-05-12 – La Conférence d’Athènes

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Le Courrier d’Aix – 1962-05-12 – La Vie Internationale.

 

La Conférence d’Athènes

 

Contrairement à ce qui se passe d’ordinaire dans les réunions de ce genre, la Conférence de l’O.T.A.N. à Athènes, a permis de faire le point des divergences existant au sein des alliances ; essentiellement de préciser la position des puissances du Continent européen en face de la « coexistence pacifique » qui s’établit entre l’U.R.S.S. et les U.S.A.

 

La Convergence Américano-Russe

Il y a plus d’un an déjà que, à travers des polémiques et des crises artificiellement entretenues, nous signalons ce rapprochement progressif des deux géants prenant de plus en plus conscience de leurs intérêts communs. Primitivement, le terrain d’entente se situait en Extrême-Orient. Américains et Russes craignaient que la Chine ne devînt  un troisième Grand et que ses ambitions, appuyées par une organisation industrielle et militaire, ne s’étendissent à l’Asie du Sud et du Sud-Est et qu’elle ne s’emparât des ressources en matières premières de ces riches régions. Depuis, les terribles difficultés où se débat la Chine, difficultés adroitement accrues par l’U.R.S.S., lui ont, au moins momentanément, fermé la marche en avant. Mais un autre facteur a joué : Russes et Américains ont vu leurs propres problèmes se compliquer et leur puissance devenir de plus en plus contestée.

 

Les Difficultés des Deux Grands

Côté soviétique, la profonde crise agricole, sa stagnation sinon le recul du développement des satellites, marquées récemment encore par les manifestations d’étudiants le 1er mai à Prague, en bref l’échec chaque jour plus évident de l’économie collectiviste, surtout en face du brillant essor des grands pays d’Europe continentale : l’Allemagne fédérale, la France et l’Italie et en conséquence  les doutes qui se répandent partout, en Russie même, sur la valeur du système dont se détournent l’une après l’autre les jeunes nations d’Afrique et même d’Asie. Perte de substance, perte d’influence, affaiblissement idéologique du côté soviétique auquel n’a pas peu contribué la polémique Moscou-Pékin.

Mais les Américains aussi ont perdu, depuis l’automne 1960 et la crise du dollar, beaucoup de leur prestige. Sans doute dans le domaine scientifique et militaire, ils ont assez brillamment remonté la pente. Mais ce facteur perd, à l’usage, de son éclat. On sait que dans ce domaine, tous les pays industriels sont capables de rivaliser. L’exemple de la France l’a montré. Dans l’ordre économique, par contre, les situations ne se rétablissent pas aussi aisément. Les Etats-Unis isolés par leur haut niveau de vie et leurs prix de revient qui en résultent, voient se rétrécir leur capacité de concurrence. Ils se sentent menacés par une crise ou à tout le moins par une stagnation prolongée. La reprise escomptée par Kennedy ne s’est pas accusée et l’espoir d’un progrès satisfaisant et continu s’estompe.

 

Les Pressions Américaines sur le Continent Européen

Mais pour tenter un redressement, Kennedy, constatant que les moyens dont il dispose à l’intérieur sont d’une efficacité très limitée, a cherché à freiner le développement de ses concurrents européens et c’est là qu’il faut chercher l’origine de ces discussions entre alliés atlantiques.

C’est l’Allemagne fédérale qui fut la plus touchée. On lui imposa la réévaluation du mark, une participation importante au financement des pays sous-développés et un réarmement coûteux, d’une valeur contestable. La Hollande, par contrecoup, en souffrit. La France mieux placée résista aux pressions américaines, mais on lui refusa les moyens de son armement nucléaire, et d’autres manœuvres politiques aussi bien qu’économiques de caractères divers ont détérioré les relations franco-américaines. C’est le ressentiment de tout cela qui a éclaté à Athènes. Pour le dire d’un mot : les Continentaux voient que l’accord russo-américain se fait peu à peu sur leur dos et qu’ils devront réviser leur attitude obligés qu’ils sont désormais de ne compter que sur eux-mêmes.

Russes et Américains se partagent le monde en zones d’influence fondées sur l’actuel statuquo, ce que les Continentaux craignaient depuis longtemps. Et surtout, ils s’arrangent pour qu’aucune troisième force, qu’elle soit d’Asie ou d’Europe, ne vienne troubler leur hégémonie ; faute de pouvoir, à cause de leurs difficultés présentes, espérer l’emporter l’un sur l’autre, Russes et Américains, tout en se querellant en tous points périphériques de leurs empires respectifs, éviteront de toucher à leurs positions réciproques. Ils s’accordent un répit et s’entendent pour empêcher d’autres d’en profiter. Tel est en gros le point de vue des Européens sur l’état présent du monde.

 

La Position Anglaise

Quant aux Anglais qui se tiennent à l’écart, leur position n’est pas facile. Elle est même inextricable. Resteront-ils attachés à l’alliance américaine, malgré le peu de profit qu’ils en peuvent attendre ou forceront-ils la porte de l’entente européenne, ce qui comporte des avantages, mais aussi des sacrifices auxquels le Britannique répugne ? Quoi qu’on en dise, et quoi que MacMillan en ait dit lui-même, la décision n’est pas prise. Les Continentaux de leur côté, méfiants, hésitent à accueillir l’Angleterre dans leur groupe. Le passé n’est guère encourageant et les apports d’une association britannique dans leurs affaires ne sont pas certains ; les risques au contraire, le sont.

 

L’Influence d’Israël en Afrique Noire

Un dernier cas, le plus intéressant peut-être : Israël. On annonce pour les prochains mois une impressionnante série de visites de chefs d’Etat africains en Israël : Quatre de l’ancien empire français et Tubman du Libéria. D’autres des Etats anglophones sont venus ou viendront. Il y a plusieurs années déjà, pratiquement dès leur accession à l’indépendance, que les pays d’Afrique noire ont fait l’objet de l’attention des Israéliens et l’exemple de leurs méthodes et de leurs réalisations a fait grande impression sur les dirigeants noirs. Des techniciens israéliens ont été appelés et ils sont un peu partout à l’œuvre. S’ils avaient pu être appuyés par les gros crédits dont les nouveaux Etats ont besoin, il est probable que les Israéliens auraient en Afrique noire une situation plus importante que les Russes et les Américains qui s’y livrent à une rivalité coûteuse et peu efficace. Un exemple presque comique : ce sont des militaires israéliens qui vont instruire les recrues de l’armée de la Côte d’Ivoire ! Ce qui joue en faveur des Israéliens, outre leur habileté, c’est qu’ils sont un jeune peuple menacé et qui ne peut nourrir d’ambitions politiques, comme les Grands. C’est aussi ce mélange de pragmatisme et de socialisme unique en son genre que pratique Israël, et ce sont surtout les Russes qui accusent la concurrence à la fois économique et idéologique. On attribue à tort ou à raison, les récentes persécutions du gouvernement de Moscou contre les Juifs à ces progrès marqués par Israël dans les pays où les Russes avaient des visées. Ce qui est sûr, c’est qu’ils cherchent à discréditer sous le vocable de Sionisme les initiatives israéliennes en pays sous-développés, mais la confiance de ceux-ci dans les méthodes dudit Sionisme n’en est nullement altérée.

                                                                                                 CRITON

Criton – 1962-05-05 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-05-05 – La Vie Internationale.

 

Si l’on s’en tenait aux informations de la presse, on dirait qu’il ne s’est pas passé grand-chose au cours de ces semaines pascales ; les éternelles Conférences de Genève, les visites d’hommes d’Etat suivies des communiqués habituels, les réunions des divers pactes militaires de l’Occident. Cependant l’évolution se poursuit souvent peu visible dont de rares signes émergent et qui trahissent au contraire que beaucoup de choses ont ou vont changer.

 

Le Reprise des Essais Américains

Comme prévu, la Conférence de Genève sur l’arrêt des expériences nucléaires n’a abouti à aucun résultat et les essais américains de bombes A et H ont repris au jour fixé, accompagnés des protestations rituelles. Les Russes auraient pu les arrêter ou les retarder s’ils l’avaient voulu, en faisant rebondir la discussion par quelque offre de compromis. Il est aisé de comprendre pourquoi ils ne l’ont pas cherché et les Américains, de leur côté, rien tenté pour se prêter à un moratoire.

Ces expériences, en effet, sont aussi précieuses pour l’adversaire qui les observe que pour l’autre qui les exécute. Les récents essais russes ont permis aux Américains de savoir où en étaient les Soviets et ceux-ci sont très intéressés de connaître par les essais américains où ceux-ci en sont de leur préparation, ce qui est relativement facile avec les moyens actuels de détection. Rien ne peut arrêter cette course, justement parce que les états-majors, comme les savants, craignent par-dessus tout d’ignorer les progrès des autres.

 

Les Pourparlers sur Berlin

L’autre affaire chronique, celle de Berlin, revêt un aspect assez analogue. Les Russes s’en servent pour tenir tendus les nerfs des Occidentaux. S’ils font montre d’optimisme en ce moment comme Gromyko le laissait entendre, c’est que les conversations entre l’ambassadeur à Washington Dobrynine et M. Rusk leur permettent de juger jusqu’où les Américains consentent à aller dans la voie des concessions ce qui provoque, et l’inquiétude du Gouvernement de Bonn, et le malaise des Berlinois. Entretenir l’espoir d’un règlement c’est aussi accentuer la confusion dans les dispositions de l’O.T.A.N. et les divisions entre Alliés qui vont se manifester à la prochaine réunion de cet organisme à Athènes. La crise de Berlin est trop précieuse pour que les Russes veuillent y mettre fin. Les Américains, semble-t-il, n’ont plus là-dessus d’illusions.

 

L’Annexion Economique de la D.D.B. par les Soviets

Un fait passé inaperçu montre que la politique allemande des Soviets suit un plan qui se réalise par étapes. L’érection du mur de Berlin n’en était que la première phase : sceller la division de l’Allemagne de façon aussi hermétique que possible ; la seconde, c’est une récente et secrète décision de transformer la zone orientale en une dépendance économique de l’U.R.S.S. : le ministère de la planification et les organismes de contrôle de la D.D.R. passent sous l’autorité de la Commission soviétique du plan. Cette décision a été prise à la suite de l’entrevue Krouchtchev-Ulbricht du 28 février dernier. Cela revient en fait à reprendre sous une autre forme les réparations de l’immédiate après-guerre. Depuis, ladite République Démocratique allemande travaillait à façon pour les Russes, ceux-ci fournissant les matières premières, et les ouvriers allemands l’équipement et les machines-outils dont les Soviets avaient besoin. Cependant une part de l’activité de la zone était réservée aux besoins de la population. : Quelques automobiles, des produits textiles, des appareils domestiques. Cette légère marge d’autonomie va disparaître. Ce sont les Russes qui fixeront cette portion qui va être encore réduit pour, aurait dit Ulbricht, ramener le niveau de vie des allemands de l’Est à celui des soviétiques.

Ces mesures équivalent à une annexion pure et simple. Les Russes auront ainsi réalisé le type parfait du colonialisme que les Colonialistes d’Occident, depuis près d’un siècle, avaient peu à peu abolie : l’exploitation intégrale des ressources et de la main-d’œuvre d’un peuple au profit d’un autre. Cela, au surplus, rendra plus que jamais impossible, non seulement la réunification de l’Allemagne, mais les échanges et les contacts entre les deux tronçons de la nation.

 

Le Déclin de l’Economie Tchécoslovaque

A la lumière d’autres faits, on peut se demander si cette nouvelle pression des Soviets sur l’Allemagne de l’Est répond uniquement à des vues politiques et si elle n’est pas commandée plutôt par des besoins d’ordre économique de plus en plus pressants des pays de l’Est en général, et de l’U.R.S.S. en particulier. En dépit des statistiques fabriquées à l’usage des spécialistes, on constate un affaiblissement de la productivité dans les régions les plus industrialisées du bloc oriental et au premier chef en Tchécoslovaquie qui, jusqu’à ces derniers mois, était la vitrine du bloc.

Il y a d’abord la crise agricole qui, comme en Russie, s’est beaucoup aggravée. Les Tchèques, de l’aveu même des dirigeants, ont eu de tristes fêtes de Pâques : œufs, viande, légumes, pommes des terre, tout a été rare et les queues se sont allongées devant les boutiques. L’industrie aussi qui était relativement la plus productive des pays de l’Est, est loin d’avoir réalisé les plans qu’on lui avait assignés. Les usines tournent au ralenti faute de matières premières, l’absentéisme s’accroit dans les mines. L’affaissement du moral des travailleurs est général et les gouvernants n’y peuvent rien. Or l’arsenal tchèque était jusqu’ici le plus important fournisseur de machines et d’armes du bloc. Il travaillait non seulement pour l’U.R.S.S., mais pour tous les pays que celle-ci fournissait d’équipement industriel à des fins politiques : Cuba, la Guinée, l’Egypte, le Maroc, la Tunisie, entre autres. Les besoins ne cessaient de s’accroître et depuis un an les livraisons tardent. L’Allemagne orientale peut, peut-être, y suppléer.

 

La Crise du Système Collectiviste

D’une façon générale d’ailleurs, l’économie collectiviste est en crise, aussi bien agricole qu’industrielle. Ne parlons pas de la Chine où les dirigeants aux abois, qui viennent de se réunir en secret, ne publient même pas de rapports ni de statistiques et son contraints, comme nous l’avons exposé ici, de substituer un bond en arrière au bond en avant qu’ils avaient eu la présomption de publier.

Sauf la Pologne et la Hongrie qui vont plutôt mieux après les secousses des années passées, et la Roumanie qui suit un progrès modeste mais continu, la situation s’est détériorée encore en Bulgarie, comme en Tchécoslovaquie et aussi en Albanie, pour d’autres raisons que l’on sait.

 

En Yougoslavie, les Difficultés de Tito

Mais la Yougoslavie aussi, bien qu’elle ait échappé à l’orthodoxie du Kremlin, subit à son tour les effets du système : malgré les dollars prodigués par les Etats-Unis, Tito est obligé de serrer la vis qu’il avait cru pouvoir relâcher. Dans un discours d’une franchise inaccoutumée, le ministre de l’économie, Todorovic a, devant l’assemblée nationale, jeté le cri d’alarme : l’augmentation de la consommation, et la hausse inquiétante des prix montrent que le pays vit au-dessus de ses moyens. Un retour à l’austérité s’impose, a-t-il dit. De son côté, l’autre responsable politique Kardeli, n’a pas caché dans une sorte d’autocritique, que l’on avait trop détendu l’autorité de l’Etat et qu’il fallait la rétablir et resserrer la discipline. Ce qu’avoue Kardeli – et ses précédents discours le faisaient prévoir – c’est l’échec de ces fameux conseils ouvriers, de l’autogestion des entreprises que le communisme yougoslave, adepte du dépérissement de l’Etat selon la doctrine de Marx et de Lénine, avait voulu opposer à l’Etatisme stalinien. Moscou, en effet, triomphe, et contre les dogmatistes chinois qui, comme vient de le dire Krouchtchev, ont voulu brûler les étapes du communisme, et contre les révisionnistes obligés de restaurer l’autorité qu’ils avaient prématurément relâchée. Si les choses allaient mieux en U.R.S.S., on pourrait effectivement lui donner raison.

Mais la crise est générale, même si les causes diffèrent. Dans une économie planifiée à la manière collectiviste, ou bien l’administration paralyse les initiatives et si le plan est mal conçu provoque des étranglements en chaîne qui paralysent le corps tout entier, ou bien le contrôle se détend et les initiatives particulières dans les branches favorisées, aboutissent à former des monopoles qui abusent à leur profit des pouvoirs dont on les a laissé disposer. Comme dit un proverbe russe que Krouchtchev connaît bien : « De façon ou d’autre, tu ne peux échapper à ton sort. »

 

                                                                                                       CRITON

Criton – 1962-04-14 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-04-14 – La Vie Internationale.

 

Pour suivre l’actualité pas à pas, il faudrait faire une place à ce qu’on peut appeler les faits divers de la politique internationale, comme la série de coups et contrecoups d’Etat en Syrie, les marches et contre-marches des militaires et des civils pour tenir le pouvoir en Argentine, et même les combinaisons de Fidel Castro pour tirer des dollars des prisonniers capturés l’an passé. Il faudrait aussi aligner les hypothèses sur les résultats problématiques des entrevues De Gaulle-Fanfani et Fanfani-Adenauer ; tout cela nous ferait plutôt perdre le fil des questions sérieuses que de contribuer à les éclaircir.

 

Les Etats-Unis et l’O.N.U.

Il n’en manque cependant pas. En particulier, la controverse qui s’est élevée aux Etats-Unis au sujet de l’influence de la diplomatie à l’O.N.U. sur la politique extérieure globale des U.S.A. L’intérêt du débat, c’est qu’il a été soulevé aussi bien par les amis démocrates Kennedy-Rusk à la Maison Blanche et par les républicains. Le gonflement de l’O.N.U. et ses prétentions à juger de tout conflit dans le monde, ont contraint les Américains à mener conjointement deux politiques et d’avoir par là-même deux porte-paroles, Stevenson au Palais de Verre et Kennedy-Rusk à la Maison Blanche. L’une et l’autre si difficiles à harmoniser qu’on a parlé de conflit entre le Président et son représentant aux Nations-Unies. Les critiques sont cependant d’accord sur deux points. – quelques extrémistes mis à part -, les Etats-Unis ne doivent pas quitter l’O.N.U. quoique l’O.N.U. ne fonctionne pas à notre satisfaction, et que son évolution nous inquiète.

D’abord, l’O.N.U. a deux poids, deux mesures. Elle n’a rien fait pour la Hongrie en 1956 ou le Tibet en 1959, mais elle a condamné l’action franco-anglaise à Suez et intervint au Congo avec ses mercenaires dans les conditions que l’on sait. Mais il y avait jusqu’ici le Conseil de Sécurité qui, grâce au veto soviétique utilisé 99 fois, bloquait les initiatives, ou ne laissait passer par le biais de la majorité que celles que les Occidentaux pouvaient accepter. Il n’en est plus de même depuis que, forte de 104 membres, l’O.N.U. dispose d’une majorité afro-asiatique, et que l’Assemblée peut aisément constituer un bloc des deux tiers des voix pour passer outre aux décisions ou aux refus de décision du Conseil. Ainsi la politique des Etats-Unis, ses intérêts essentiels, peuvent être condamnés sans qu’ils y puissent rien ; pour l’éviter, le chef de la délégation américaine doit se livrer à un véritable marchandage des voix, à des concessions, compromis et promesses indignes d’un grand pays et ces engagements doivent être acceptés par le Président et son Ministre, même s’ils contredisent la ligne que ceux-ci entendent suivre.

 

Le Conflit Israélo-Syrien

On vient de le voir quand les incidents israélo-syriens des bords du Lac de Tibériade sont venus devant l’O.N.U. Peu importe qui a ouvert le feu, qui est responsable des combats. Israël a toujours tort et les Américains ont dû retirer une résolution que les afro-asiatiques ne jugeaient pas assez hostile à Israël pour en formuler une plus sévère. Or, on sait quelles répercussions peuvent avoir une attitude préjudiciable aux intérêts israéliens sur les 15 millions d’électeurs juifs aux U.S.A. Il y a plus, et le sénateur Jackson l’a bien précisé, « notre politique à l’O.N.U. comme dans l’affaire de Goa ou de l’Angola, pour ne parler que des plus récentes, nous oblige à sacrifier les intérêts de nos vieux alliés du Monde occidental pour complaire à des pays qui ne nous en sauront aucun gré, et s’allieront avec l’U.R.S.S. quand nos intérêts vitaux seront en jeu. Notre solidarité avec l’Europe doit avoir la priorité et notre ligne politique ne doit pas être brouillée par les incidences d’une majorité capricieuse et instable. »

Il est certain, en effet, et les Américains le sentent, que la politique onusienne des Etats-Unis a largement contribué à relâcher leurs liens avec l’Europe et à ébranler une Alliance Atlantique à laquelle d’autres, d’ailleurs, sur notre continent n’ont pas ménagé les coups. En fait, cette politique mondiale des U.S.A. menée à l’O.N.U. et la politique de solidarité du Monde libre sont et seront de moins en moins conciliables. Déjà isolés économiquement par leur haut niveau de vie, les Etats-Unis risquent de l’être politiquement en donnant à l’O.N.U. le pas sur l’Alliance Atlantique, qui, elle, doit se traduire par des actes, non par le vote de résolutions. Il y a là un choix difficile sinon impossible à faire. Comme pour d’autres, il est sans doute trop tard, et les U.S.A. continueront à louvoyer.

 

Les Préférences Africaines dans le Marché Commun

La Communauté Européenne aussi a des choix à faire. Les Six ont à passer le cap africain après celui de l’agriculture. Il s’agit de savoir si l’on maintiendra au sein du Marché Commun la préférence accordée aux pays d’Afrique et si l’on accroîtra la dotation du fonds européen du développement outre-mer, comme le désire la France. Les autres Cinq et surtout l’Allemagne ne souscrivent que pour des raisons politiques à cette discrimination qui nuit à leurs relations économiques avec les pays d’Afrique noire non associés au Marché Commun comme le Ghana et le Nigéria. Les Etats d’expression française, de leur côté, tiennent sérieusement à ces liens, qui leur garantissent des débouchés et un soutien financier considérable, surtout depuis que l’on prévoit l’entrée de l’Angleterre qui voudra, ce qui est normal, que ses anciennes colonies jouissent des mêmes avantages que les nôtres.

On ne peut se dissimuler : nous demandons et nous avons déjà obtenu de nos cinq partenaires, des contributions qui ne leur sont d’aucun avantage, au contraire. Par ailleurs, l’avenir de nos relations avec les 16 Pays d’Afrique et Madagascar dépend pour une large part des facilités que l’Europe du Marché Commun leur consentira. Car depuis leur indépendance et avec une rapidité qui les déconcerte, ces Pays africains d’expression française sont assiégés par les offres pressantes des Etats-Unis et de l’U.R.S.S., celle-ci surtout par l’intermédiaire de ses satellites – le Mali par exemple – a déjà confié son apprentissage, de ses ouvriers à l’U.R-S.S. et son enseignement technique aux U.S.A. Et aussi les Allemands de l’Ouest et de l’Est rivalisent d’efforts pour pénétrer au Cameroun et au Togo jadis allemands. La place laissée vide est prise d’assaut – et elle le sera aussi ailleurs.

 

Les U.S.A. et le Marché Commun

Des précisions intéressantes ont été données par George Ball, le délégué personnel du président Kennedy pour les affaires économiques, sur les vues américains dans les relations avec l’Europe. Les Etats-Unis, a-t-il dit, ne comptent pas proposer une union douanière ou même une zone de libre-échange avec le Marché Commun. Ils ne cherchent pas non plus à conclure avec lui un quelconque accord d’exclusivité. Leur intention est de pousser à la libéralisation des échanges internationaux dont tous les pays pourront tirer avantage.

L’unité européenne à laquelle se joindrait l’Angleterre est vue avec faveur aux Etats-Unis et correspond à son idéalisme politique parce qu’il pourra y avoir collaboration d’égal à égal entre l’ancien et le nouveau monde, ce qui était impossible entre une puissance de la taille de la nôtre et dix-sept petites ou moyennes nations.

Cette précision vaut d’être notée car elle met fin aux craintes ou aux rêves de certains qui voyaient l’actuelle ou la future Europe économique se diluer dans un vaste ensemble aux dimensions du Monde libre. On devine d’ailleurs très bien derrière les propos idéalistes de M. Ball, l’avantage que les Etats-Unis espèrent d’un Marché Commun étendu à toute l’Europe : empêcher qu’une ou plusieurs nations, sous la pression des circonstances politiques ou financières ne ferment leur marché aux produits américains. En outre, grâce aux concessions réciproques que devront se faire tous les participants, les exportateurs U.S.A. pourront profiter des points les plus faibles, c’est-à-dire des taux les plus bas du tarif extérieur sur lequel ils se seront accordés.

 

                                                                                            CRITON

         

Criton – 1962-04-07 – Relations entre Gouvernements

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Le Courrier d’Aix – 1962-04-07 – La Vie Internationale.

 

Les relations entre Gouvernements sont partout plus ou moins tendues et le désaccord est universel ; entre l’Est et l’Ouest, entre Occidentaux comme entre communistes, les litiges demeurent sans solution. Certains comme ceux qu’on débat à Genève, désarmement, arrêt des expériences nucléaires, sont chroniques et ne valent pas qu’on s’y arrête. D’autres au contraire, moins spectaculaires sont en réalité plus graves.

 

L’Entrevue De Gaulle-Fanfani

Celui d’abord qui concerne l’avenir de l’Europe. Les Italiens attachent de l’importance à la rencontre De Gaulle-Fanfani, non pas qu’ils espèrent modifier en quoi que ce soit l’attitude du chef de l’Etat Français, mais ils comptent sur leur habileté diplomatique pour éviter que la construction européenne ne s’enferme dans l’impasse actuelle, ce qui pourrait signifier la ruine définitive de l’œuvre si patiemment poursuivie par de Gasperi, Schuman et Adenauer et aujourd’hui reprise par Spaak. On se souvient encore de la défaite de la C.E.D. obtenue par Mendès-France, passionnément appuyé par les hommes aujourd’hui au pouvoir en France. Le rejet d’une communauté de défense a pesé lourd et il faudrait éviter que l’hostilité présente des Pays du Benelux et de l’Allemagne aux plans français ne ferme l’avenir à une fédération de l’Europe. Pour le moment, il s’agit de trouver une formule d’attente qui marque un progrès symbolique et laisse la porte ouverte à de nouveaux pourparlers quand les temps seront favorables. On compte pour cela sur Fanfani.

 

Les Etats-Unis et l’Europe

Cette exaspération des égoïsmes nationaux est particulièrement sensible dans les rapports des Etats-Unis avec les différents pays européens. Le président Kennedy a eu beaucoup de déceptions depuis son avènement. Son optimisme a été trompé et pas toujours par sa faute. Il avait sous-estimé les difficultés : la reprise économique aux U .S.A. marque le pas, le chômage reste élevé et la balance des paiements ne s’améliore pas. Or, pour exercer leur rôle de leader du monde libre, il faut que les Etats-Unis disposent sans restriction de leurs capacités financières, que chaque dépense à l’étranger ne se traduise pas par une sortie d’or.

 

Américains et Anglais

C’est autour de cela que se manifeste en ce moment la mauvaise humeur entre Américains et Anglais. Les Britanniques eux aussi, jaloux de leur prestige, entendent que livre et dollar s’équivalent. C’est pourquoi l’Angleterre vient de faire sortir 100 millions de dollars d’or du trésor américain en échange de dollars et cela au moment où l’on croyait entendu que l’on éviterait ces transferts de métal précieux et même que Londres se chargerait d’équilibrer le marché de l’or pour le compte commun de tous les grands pays d’Occident. Anglais et Américains trouvent même moyen de se quereller à Genève sur la question de Berlin et du désarmement, ce qui vraiment n’en vaut pas la peine.

La position américaine reste aussi rigide que celle des Russes qui doivent faire le premier pas ; les Anglais voudraient que l’Occident fasse un geste symbolique, comme la signature d’un pacte de non-agression entre l’O.T.A.N. et le Groupe de Varsovie pour montrer au Tiers Monde, à l’opinion et aux pacifistes à tout prix que l’Occident est prêt à des sacrifices pour détendre l’atmosphère. Mais par un paradoxe auquel on finit par s’habituer, les autorités militaires anglaises, de leur côté, ont mal accueilli le général Le May, le conseiller de Kennedy, qui voulait faire renoncer les Britanniques à leur indépendance nucléaire pour adopter une stratégie commune. Ils tiennent, comme les Français, à assurer eux-mêmes leur sécurité.

 

Hausse de Certains Tarifs Douaniers aux U.S.A.

Mais l’éclat est venu du côté des tarifs douaniers. On sait qu’un accord était intervenu entre le Marché Commun et les Etats-Unis par lequel ceux-ci, en échange de concessions des Six, devaient abaisser leurs barrières au profit des produits européens. Cet arrangement faisait préface à une politique plus hardie d’élargissement du commerce international par réduction progressive des droits que le Président Kennedy va demander au Congrès d’approuver. Sans doute, pour affaiblir les résistances qui se manifestent, pour montrer aux représentants des intérêts industriels qu’il saura protéger ceux qui ont besoin de l’être, Kennedy a décidé de relever les droits d’entrée sur certaines catégories de verre et de tapis et enfin sur les cotonnades. Du côté de l’Europe et du Japon les protestations ont fusé ; si bien que sur le verre et les tapis, la mesure a dû être différée jusqu’en juin pour permettre aux Belges et aux Japonais de livrer les commandes reçues. La commission des industries textiles du Marché Commun de son côté doit aviser Kennedy des risques de contre-mesures que son geste comporte. Comme préface au désarmement douanier, on pouvait en effet trouver mieux.

Une grande obscurité entoure les négociations entre l’Angleterre et les Six pour l’entrée de celle-ci dans le Marché Commun. Les choses ne vont pas aisément, on s’y attendait. L’opposition en Grande-Bretagne et dans le Commonwealth s’en trouve renforcée. On a l’impression que MacMillan qui a fait son affaire personnelle de cette adhésion au Marché Commun, regrette de s’être engagé surtout depuis que, comme les élections partielles récentes l’ont montré, son parti n’est pas en brillante posture. Il lui est difficile maintenant de reculer bien qu’il se soit ménagé une porte de sortie au cas où la négociation se révèlerait stérile. Ce serait quand même un échec dont son autorité souffrirait. Il est difficile de savoir qui des continentaux se retranche derrière les obstacles. On accusait communément la France, mais il semble que depuis que l’Allemagne voit baisser ses exportations, elle n’est pas non plus très enthousiaste.

 

Récriminations au Sein du Marché Commun

Mais au sein du Marché Commun, voici d’autres récriminations. C’est le Dr Erhard qui n’est pas content de la France dont l’acier est 10% moins cher que l’allemand, à cause de la hausse des salaires plus forte en Allemagne fédérale encore que chez nous, et surtout de la réévaluation du Mark de 5% effectuée l’an passé. L’acier français enlève les marchés extérieurs et vient même concurrencer l’acier allemand jusque dans la Ruhr. Concurrence déloyale d’après Erhard ; normale répondent les Français !

 

La Visite à Bonn de George Ball

Là-dessus, ce même Erhard recevait Georges Ball envoyé de Kennedy pour les affaires économiques. Il venait demander à l’Allemagne un nouvel effort en faveur des pays sous-développés et l’augmentation des commandes d’armement aux Etats-Unis pour la Bundeswehr. Ball aussi tombait mal. Les milieux d’affaires allemands en ont assez des pressions américaines qui ont dégonflé en quelques mois le « miracle allemand ». Comme nous le disions plus haut, la réévaluation du mark et la hausse de 10% et plus des salaires, ont réduit la capacité concurrentielle de l’industrie d’Outre-Rhin. Les commandes sont plus rares, la qualité des produits moins bonne, les marges bénéficiaires réduites. Cela au profit des Français et des Italiens actuellement moins chers. Quant aux pays sous-développés, l’Allemagne n’entend pas leur faire de cadeaux. Des prêts, certes, mais à un taux normal et avec garanties de remboursement. Ces garanties en effet sont plus que jamais nécessaires.

 

Les Pays Sous-Développés et les Entreprises Etrangères

A peine Kennedy avait-il signé avec les pays d’Amérique latine son alliance pour le progrès, que le bouleversement en Argentine remettait en question le plan conçu en accord avec Frondizi et, ce qui est plus fâcheux, au Brésil, deux des gouverneurs de province dont le fameux Lacerda, qui fit choir Quadros, nationalisent des entreprises privées : une filiale de l’ « American Telegraph and Telephone » des Etats-Unis et l’autre de la « Brazilian Traction » canadienne. Comme préface à une collaboration internationale où les capitaux privés doivent jouer un rôle essentiel, cela est plutôt fâcheux et ne facilitera pas au Congrès des Etats-Unis, les demandes de crédits proposés par Kennedy.

 

Le Lit en Or

Et puis, il y a l’affaire du lit en or qui a jeté un froid sur les fervents de l’aide aux pays africains : l’épouse de M. Edusei, ministre de l’éducation nationale du Ghana, n’a pu résister à Londres, à acheter un lit recouvert d’or pour la modeste somme de 4 millions ½  d’anciens francs. Cette acquisition cadre mal avec la politique d’austérité du président NKrumah, et a fait scandale. Cependant, malgré les prières de son époux, Mme Edusei tient à son lit et va le faire transporter à Accra. Cette affaire n’est qu’un symbole un peu plus voyant que les autres du développement rapide, sinon du pays du moins du portefeuille des nouveaux maîtres qui l’ont libéré du colonialisme. Leurs administrés en tireront peut-être de la fierté, mais les contribuables américains ou autres, la trouveront sans doute un peu forte.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1962-03-31 – Pourquoi fabriquer la Bombe A et H

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Le Courrier d’Aix – 1962-03-31 – La Vie Internationale.

 

Si l’on devait tirer une conclusion de cette nouvelle Conférence de Genève, qui va se traîner encore au niveau des suppléants et des experts, c’est que la course aux armements nucléaires va devenir plus vive. Les U.S.A. inaugureront une série fin avril et les Russes suivront de peu. Seuls se montrent optimistes les Ministres anglais pour plaire à leurs électeurs qui commencent à s’interroger sur ce qu’ils font dans cette arène.

 

Pourquoi Fabriquer la Bombe A et H ?

En effet, la possession d’armes nucléaires de gros calibre n’a de sens que pour une nation qui dispose de grands espaces. Pour un pays à population dense, le risque de destruction l’emporte sur la menace qu’il peut exercer sur un éventuel adversaire, qui est d’autant moins vulnérable qu’il peut disperser ses populations et ses dispositifs militaires. Pourquoi dans ces conditions engloutir des sommes énormes à la confection de bombes A et H qui font double emploi avec celles des Américains et peuvent servir de prétexte aux Russes pour nous anéantir. Le raisonnement vaut aussi bien pour les pays du continent européen, maintenant surtout qu’aucun d’eux n’a plus de possession outre-mer, qui comporte d’espaces libres. Si les Anglais hésitent à renoncer, c’est évidemment pour des raisons de prestige. Le prestige coûte cher et l’on peut se demander s’il vaut son prix.

 

Les Valeurs Spirituelles

D’autres, et particulièrement chez nous, pour se consoler d’une puissance perdue, font des réflexions contraires : le rayonnement d’une nation n’est ni dans ses moyens militaires, ni dans la domination politique sur d’autres peuples, mais dans son autorité spirituelle et les qualités de sa civilisation. Il y a longtemps que l’on entend cet argument, à l’occasion d’un désastre militaire ou colonial. Malheureusement, l’évolution récente ne le justifie guère. Les deux grands de ce monde, L’Amérique et la Russie, pour des raisons toutes différentes, ne jouissent d’aucun rayonnement moral. La force ou la richesse les imposent. On les craint ou on les envie, on les exalte ou on les hait, mais tous comptent avec eux. Il faut avoir le courage de le reconnaître : toute l’évolution de ce XX° siècle a vu décliner les puissances spirituelles au profit des matérielles et rien ne fait prévoir que, dans un proche avenir du moins, la tendance doive se renverser. Ni les ignominies du nazisme, ni les crimes de Staline, n’ont compromis de façon irrémédiable l’audience de l’Allemagne ou de la Russie auprès des nations mineures.

 

Les Difficultés de l’Argentine

L’Argentine se débat dans une crise que le courageux président Frondizi s’est obstiné à vouloir résoudre démocratiquement. Il avait une telle expérience des situations désespérées qu’il n’avait plus rien à craindre et malgré toutes les pressions entendaient conserver le pouvoir qu’il a reçu de ceux qui l’ont élu. Devant tant d’adversaires il lui restait peu d’appuis. L’armée a voulu s’en débarrasser pour imposer sa dictature. En face, fascistes et communistes, rangés sous la même bannière, en appellent au président Perón qui n’a guère envie de quitter son agréable exil à Madrid pour descendre dans l’arène politique. On pouvait espérer qu’une fois de plus les extrêmes reculeraient. L’armée, et en particulier le général Aramburu, ne manque pas d’éléments modérés qui auraient pu, en conservant Frondizi, donner consistance à un gouvernement autoritaire sans être dictatorial et garder de démocratie ce qui peut l’être en Argentine, sans, comme les dernières élections l’ont montré, verser dans l’anarchie. Le cas de l’Argentine est crucial, assez évolué pour suivre les modes de vivre et de penser occidentales, pas assez cependant pour être à l’abri du désordre et de la démagogie. Son proche destin intéresse toute l’Amérique latine dont elle est en quelque sorte la nation pilote. Les Etats-Unis suivent la situation de près sans paraître s’y mêler, car il leur suffirait d’une de ces maladresses qui souvent leur échappent pour faire basculer l’Argentine dans le mauvais sens, tant les susceptibilités populaires sont vives dès qu’on soupçonne une immixtion étrangère.

 

La Guerre pour la Nouvelle-Guinée n’Aura Pas Lieu

La guerre pour la Nouvelle-Guinée occidentale n’aura pas lieu, semble-t-il. Bien que les Russes aient abondamment pourvu d’armes les soldats de Soekarno et bruyamment soutenu ses revendications, ils n’ont fait aucune opposition à la médiation que les Etats-Unis s’efforcent d’exercer entre l’Indonésie et la Hollande. Nous avons dit ici pourquoi nous ne croyions pas à un conflit qui profiterait surtout aux éléments prochinois du parti communiste indonésien. Là, comme au Laos et au Sud-Vietnam, les Soviets, tout en accablant les Etats-Unis des pires accusations, se gardent de faire quoi que ce soit pour les empêcher d’agir. Le but des deux grands étant le même, maintenir ou imposer dans ces pays un gouvernement neutraliste qui barre la route à la progression chinoise.

 

L’Exemple de Cuba

Revenons sur la situation à Cuba où la disette alimentaire est sévère. Nous rejoignons ici des remarques très pertinentes de René Vermont. Cuba était, avant Castro, l’exemple de la réussite de l’économie tropicale : elle reposait sur l’exportation d’un seul produit, le sucre (à 90%). Les Etats-Unis l’achetaient à un prix artificiellement élevé pour conserver la clientèle et maintenir la prospérité de l’île. Par contre, malgré les possibilités de l’agriculture et de l’élevage, les cultures vivrières étaient complètement négligées ; comptaient seuls le sucre, le tabac et le tourisme américain et voilà six millions d’hommes réduits aujourd’hui à la portion congrue. En remplaçant l’aide américaine par l’aide soviétique, Cuba n’a fait que changer de tuteur et de maître, mais le nouveau est pauvre et avare et à des milliers de kilomètres et, au surplus, ayant complètement échoué lui-même dans le domaine agricole, ne peut donner à Cuba ni leçon, ni exemple.

Mais le drame cubain est plus ou moins en germe chez la plupart des pays tropicaux ex-coloniaux. Ceux-ci sont en train de perdre ce qui était leur monopole, la fourniture aux pays industriels d’une ou plusieurs matières premières, en échange desquelles ils recevaient tout le reste, nourriture et produits de consommation. Les matières naturelles et surtout synthétiques que les grandes puissances industrielles développent chez elles, font concurrence aux produits tropicaux dont les marchés se réduisent. Et cependant, on continue à pousser la production, et la concurrence entre pays ex-coloniaux pour s’assurer des débouchés se fait de plus en plus intense.  Si l’on veut éviter que ces pays, sous une apparence de croissance n’accentuent leur sous-développement, il convient qu’ils se consacrent en priorité à produire leur nourriture et ensuite à pourvoir aux besoins élémentaires que peut satisfaire une industrie légère utilisant les ressources locales. L’expérience cubaine peut servir à toutes ces jeunes nations pour leur enseigner ce qu’il faut éviter de faire.

 

                                                                                                                  CRITON

Criton – 1962-03-24 – Évolution Algérienne

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Le Courrier d’Aix – 1962-03-24 – La Vie Internationale.

 

La nouvelle phase de l’évolution algérienne domine évidemment tout autre problème et les commentaires étrangers abondent, scrutant l’avenir dans les perspectives les plus variées.

 

Les Russes à Genève

Sur le plan proprement international, la reconnaissance « de jure » par la Russie du gouvernement Ben Khedda est considérée à la fois comme une tentative de main mise sur l’Algérie future et aussi comme un acte de représailles diplomatiques contre la France que les Soviets veulent accuser de faire échec au désarmement. Cette reconnaissance de la République algérienne est à rapprocher en outre du voyage du Maréchal Malinovski à Rabat. A vrai dire, ces manœuvres russes ont de moins en moins d’effet. L’actuelle conférence de Genève ne présenterait pas plus d’intérêt que les précédentes, si l’on ne pouvait précisément y mesurer le niveau du crédit des Russes auprès des neutres et du tiers-monde. Il est au plus bas depuis Budapest. En dépit du souci d’impartialité dont sont entourées les formules proposées par les non-engagés, il est clair que les sympathies vont à l’Occident. Le travail de sape poursuivi par les Chinois a mis en relief l’évidente mauvaise foi des Soviets. En outre, l’achèvement par la France de la décolonisation par la liquidation de l’affaire algérienne a produit une grande impression. L’isolement de la Russie qui tient son empire dans une main de fer marque la réunion de Genève.

 

Les Elections en Argentine

Les élections en Argentine ont été une désagréable surprise pour le gouvernement Frondizi. Les Péronistes alliés aux communistes, ont remporté un succès qu’on tenait pour invraisemblable. Cela n’a été possible que par cette étroite alliance entre les fascistes et les marxistes à laquelle ceux-ci ne répugnent pas quand il s’agit de briser le pouvoir établi. Mais ce qui est peut-être plus instructif et il faut le dire, bien affligeant, c’est le prestige que conservent dans l’esprit des masses populaires ces tyrans démagogues plus ou moins anormaux et corrompus de surcroît, dont Péron est un des plus tristes exemples. Il n’empêche que comme pour les autres, vivants ou morts leur culte demeure et leurs partisans restent fanatiques.

 

La Disette à Cuba

Il en sera sans doute de même pour Fidel Castro lorsqu’il aura été liquidé. Plus fou certainement que ses confrères, mais plus sincère, ce qui sera sans doute sa perte. Car après un silence relativement long pour un homme si éloquent, il n’a pas caché à la foule qu’il était très affligé de n’avoir pu remplir les promesses qu’il lui avait faites d’apporter l’abondance avec la liberté. Jamais un de ses semblables n’avait eu un pareil scrupule. Il est vrai qu’on ne peut pas dissimuler au peuple de La Havane, abondamment nourri naguère par les dollars américains, la pénurie qui règne aujourd’hui. Les murmures se font sensibles depuis que les cartes de rationnement ont paru. Après la Chine et l’Allemagne de l’Est, Cuba connaît la disette et les autres pays du bloc de l’Est n’en sont pas bien loin, Russie comprise ; à tel point qu’on pourrait changer l’emblème du parti : à la place de la faucille et du marteau, graver une carte d’alimentation.

 

L’Avarice des Soviets

Ce qui étonne, c’est que les Soviets pour lesquels Cuba est devenu, surtout depuis que Castro s’est déclaré communiste, une affaire de prestige de première importance, ne mettent pas le prix afin d’en faire une vitrine acceptable pour étayer la propagande. Sans doute les Russes n’ont-ils pas de nourriture à offrir aux Cubains, mais ils ont de l’or plein leurs coffres et il y a assez de denrées alimentaires de par le monde que leurs détenteurs  s’empresseraient de vendre. Mais les Russes sont d’âpres marchands : gaspilleurs chez eux, ils sont particulièrement avares pour les autres. Ils ne font de cadeau dans aucun domaine, rançonnent leurs propres sujets et ne concluent que des affaires très avantageuses comme l’achat récent de bœuf français. Il n’empêche que si l’économie cubaine s’effondre et que Castro est renversé, ou, ce qui est possible, retourne sa veste, les Russes subiront là un échec de première grandeur. Ils n’ont pas eu jusqu’ici beaucoup de succès en Afrique, si l’Amérique latine leur échappait, Washington pourrait pavoiser.

 

Israël et la Syrie

Voici que les escarmouches entre Israël et les Arabes recommencent, ce qui inquiète ceux qui voient dans le Moyen-Orient la poudrière la plus exposée. Comme toujours en pareil cas, il est difficile de savoir à qui la faute. Le nouveau gouvernement syrien avait certainement besoin de montrer aux pays arabes qu’il n’était pas moins hostile qu’eux à Israël. D’où des harcèlements sur le lac de Tibériade qui ont exaspéré Tel-Aviv et provoqué les sanglantes représailles que l’on sait. Il y a eu tant d’incidents de ce genre qu’on finit par s’accoutumer. Le moment ne paraît pas venu d’une crise plus grave.

 

Le Ralentissement dans l’Industrie de l’Acier

Nous reviendrons une fois de plus sur cette question si sérieuse de la prévision économique et du planisme en général. Que l’on ne croie pas que c’est par esprit de système que nous avons si souvent critiqué cette méthode. C’est parce qu’elle serait pleine de dangers si on l’appliquait sérieusement.

On sait que le nouveau plan français prévoit pour les quatre années qui viennent un accroissement de la production d’acier de 17 à 24 millions de tonnes, soit plus de quarante pour cent. Or ce chiffre déjà ambitieux par lui-même était à peine fixé que les signes d’une crise de l’acier se faisaient jour, non seulement en France, mais chez les Six. Aux U.S.A. elle est ancienne … Crise accidentelle et temporaire pour les uns, durable pour les autres, on ne sait. Toujours est-il que brusquement les investissements  dans cette branche ont fortement baissé, le bulletin de la C.E.C.A. nous l’apprend : alors qu’en 1960 et au cours des trois premiers trimestres de 1961 le montant des programmes atteignait 488 et 467 millions de dollars par trimestre, on n’a totalisé au cours du quatrième trimestre que 144 millions. Ce qui montre que les industriels, sans se soucier des prescriptions du plan, ont senti le vent et freiné les travaux. Ainsi Usinor ralentit la production et le complexe en voie de mise en route à Dunkerque subit des retards significatifs.

En sera-t-il de l’acier comme du charbon ? Il y a longtemps que nous le disons ici : l’économie d’acier pour une même fabrication, le développement des alliages qui en augmentent la résistance, et surtout l’invasion des plastiques dans le domaine où régnait la métallurgie, tout aurait dû faire prévoir que l’accroissement de la production d’acier pourrait être sinon stoppé, du moins sérieusement ralenti, même si l’expansion devait se poursuivre au rythme prévu, ce qui n’est pas davantage assuré ; heureusement dans une économie de marché comme la nôtre, les industriels responsables de leurs entreprises prennent, comme nous venons de le voir, les mesures appropriées en temps voulu. Si c’était un organisme d’Etat irresponsable, il en serait tout autrement.

                                                                                            CRITON

Criton – 1962-03-17 – La Patience des Négociateurs de Genève

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Le Courrier d’Aix – 1962-03-17 – La Vie Internationale

 

On ne peut qu’admirer la patience des négociateurs de Genève, les ministres des Affaires étrangères de Londres et de Washington, aux prises avec Gromyko après tant de conférences inutiles. Ils sont sans illusion sur les résultats des pourparlers, tant sur Berlin que sur l’arrêt des expériences nucléaires ou du désarmement. Leur but est de maintenir le contact de façon à éviter que les Russes ne prennent des initiatives dangereuses. Le brouillage des radars au-dessus des corridors de Berlin est déjà un avertissement. Le danger d’incidents graves dont l’adversaire ne serait peut-être pas maître de limiter les développements suffit à justifier une inlassable diplomatie.

 

La Position Russe à Genève

La position des Russes n’est pas aussi simple qu’il semble. Ils ne peuvent renoncer à maintenir la tension jusqu’en-deçà du point de rupture sous peine d’être accusés par les Chinois et par leur satellite allemand Ulbricht de se prêter à l’apaisement. Ils ne peuvent pas davantage pousser la provocation jusqu’à obliger leurs adversaires à des contre-mesures. C’est pourquoi Krouchtchev a envoyé Gromyko à Genève quand il a senti que sa grande réunion des chefs d’Etats n’avait aucune chance d’aboutir. Les positions ne varieront donc pas et le seul accord est sans doute que chacun compte s’en tenir aux siennes.

 

L’Interview d’Adenauer

Dans une interview accordée au directeur du « Monde », le Chancelier Adenauer a dit précisément : « Si l’on considère la situation actuelle et son développement prévisible, les relations entre la Chine et la Russie sont d’une très grande importance. Pour la Russie communiste, la Chine communiste représente le plus grand péril. Elle compte 700 millions d’habitants, la Russie soviétique 200. Il est très désagréable pour un Etat d’avoir un tel voisinage ».

Nous le pensons aussi. Toute l’activité des Soviets dans le monde, aussi bien en Europe qu’en Asie ou en Afrique, doit être considérée en fonction de cette rivalité des deux clans. Même les expériences nucléaires récentes et la bombe de 50 mégatonnes visaient plutôt à intimider les Chinois que les Occidentaux. Ils ne s’y sont pas trompés en préparant à leur tour, dit-on, leur bombe.

 

Le « Bond en Arrière » en Chine

Ce qui est curieux dans l’histoire présente des relations entre ces deux puissances, c’est qu’au moment où la rivalité s’accuse et que la controverse idéologique par le biais de l’Albanie, va jusqu’à l’injure, les Chinois, eux, après avoir lancé en 1958-60 le « grand bond en avant », et l’édification des « communes du peuple » sont en train d’opérer un grand bond en arrière qui paradoxalement va ramener le système chinois au modèle soviétique.

Le désastre agricole de 1961 en est la cause. Les communes du peuple, la forme la plus communiste de la gestion de la terre, ont été dissoutes. Le paysan, au lieu de travailler aux ordres des fonctionnaires du parti, aussi tyranniques qu’incompétents, a repris sa place, formant de petits groupes au niveau du village. On lui a rendu la libre initiative de la culture du sol. Le parti a ainsi reconnu son incapacité et s’en remet aux aptitudes millénaires du paysan chinois. On lui a rendu aussi le goût du travail ; on lui a restitué son lopin de terre individuel où il dispose à sa guise du produit. On laisse se rétablir un marché libre analogue au marché kolkhozien russe où les prix s’établissent en fonction de l’offre et de la demande. Le marché agricole s’est même étendu aux produits de l’artisanat rural. Ce qui n’est rien d’autre que le retour à une forme de gestion capitaliste.

Et cela au moment où Pékin accuse Moscou d’hérésie et entend lui donner des leçons d’orthodoxie marxiste-léniniste et au moment où les Chinois viennent de fonder un prix Staline pour venger la mémoire salie du père du collectivisme agraire. Une fois de plus, Russes et Chinois ne sont pas embarrassés par les contradictions. Mais cela en dit assez sur la sincérité les controverses idéologiques entre marxistes-léninistes.

 

Les Causes de la Crise Agricole en U.R.S.S.

Du côté russe, il n’est question que de la réforme de l’Agriculture et des moyens de faire produire davantage aux kolkhoses et aux sovkhozes. On dit couramment là-dessus des choses inexactes : la cause principale de l’échec de l’agriculture soviétique n’est pas la collectivisation des terres qui n’est d’ailleurs que partielle. Le paysan russe, au contraire du chinois, est accoutumé depuis des siècles, à une gestion plus ou moins communautaire du sol. Qu’on se rappelle le « Mir » tel qu’il existait sous les tsars. Alors le rendement, sans être élevé, était normal pour l’époque.

La cause de la pénurie actuelle réside davantage dans le système des prix : l’Etat paye aux paysans les produits très bon marché et les revend beaucoup plus cher au consommateur. Du temps de Staline, la viande, par exemple, était vendu dans les boucheries d’Etat, quarante fois ce qu’elle était payée aux kolkhoses. Depuis, l’écart a été atténué, mais il reste grand. Ainsi pour le blé, il est actuellement à peu près d’un à quatre. C’est pourquoi les paysans s’efforcent de dérober le plus possible à la réquisition et préfèrent la culture des herbages qui y échappe et leur donne des loisirs pour soigner leur lopin propre. Comme tous les travailleurs du monde, ils n’aiment pas se fatiguer pour l’Etat.

Au cours de l’actuel débat agricole, un des responsables l’a dit à Krouchtchev. Payez davantage et vous obtiendrez plus. Krouchtchev n’a pas répondu. Car tout l’édifice financier de l’U.R.S.S. repose sur cet impôt énorme prélevé sur le travail à la terre. Rien d’étonnant que le résultat soit maigre. Pour éviter de majorer les prix, on va essayer la méthode, bien peu orthodoxe en pays socialiste, de la prime de rendement. On donnera des récompenses en argent aux meilleurs agriculteurs et on décorera leurs dirigeants, mais le prix d’achat ne variera pas. D’autres orateurs ont fait entendre quelques vérités amères. Ainsi, au lieu de gaspiller des milliards dans le défrichement des terres vierges, il vaudrait mieux construire des usines d’engrais. Car si l’on doit, comme vous l’ordonnez, remplacer les herbages par des labours et semer du maïs, des betteraves et des fèves, il faut de l’engrais et nous en recevons à peine actuellement 10% du nécessaire (en Estonie) ; que sera-ce quand nous aurons doublé les emblavures ?

De mauvaise humeur, Krouchtchev a averti les agronomes qu’il ne fallait pas s’attendre à des largesses de l’Etat pour l’agriculture, la priorité restant à l’industrie et à la défense. On s’en doutait. Or, pour redresser l’agriculture, il n’est pas besoin ni de congrès, ni de nouveaux contrôles, il faut des investissements et diminuer en même temps l’impôt indirect sur les produits de la terre. Mais cela est impossible dans l’état des finances soviétiques. L’industrialisation de la Sibérie coûte très cher et on gaspille beaucoup. Quant à l’armement, le coût en serait augmenté cette année, dit-on, de près de 50% sur 1959, ce qui n’a rien de surprenant. Ce qui le serait, c’est que l’agriculture soviétique double sa production d’ici l’an prochain. Ces « bonds en avant » restent souvent sur le papier.

                                                                                                       CRITON