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Le Courrier d’Aix – 1962-03-24 – La Vie Internationale.
La nouvelle phase de l’évolution algérienne domine évidemment tout autre problème et les commentaires étrangers abondent, scrutant l’avenir dans les perspectives les plus variées.
Les Russes à Genève
Sur le plan proprement international, la reconnaissance « de jure » par la Russie du gouvernement Ben Khedda est considérée à la fois comme une tentative de main mise sur l’Algérie future et aussi comme un acte de représailles diplomatiques contre la France que les Soviets veulent accuser de faire échec au désarmement. Cette reconnaissance de la République algérienne est à rapprocher en outre du voyage du Maréchal Malinovski à Rabat. A vrai dire, ces manœuvres russes ont de moins en moins d’effet. L’actuelle conférence de Genève ne présenterait pas plus d’intérêt que les précédentes, si l’on ne pouvait précisément y mesurer le niveau du crédit des Russes auprès des neutres et du tiers-monde. Il est au plus bas depuis Budapest. En dépit du souci d’impartialité dont sont entourées les formules proposées par les non-engagés, il est clair que les sympathies vont à l’Occident. Le travail de sape poursuivi par les Chinois a mis en relief l’évidente mauvaise foi des Soviets. En outre, l’achèvement par la France de la décolonisation par la liquidation de l’affaire algérienne a produit une grande impression. L’isolement de la Russie qui tient son empire dans une main de fer marque la réunion de Genève.
Les Elections en Argentine
Les élections en Argentine ont été une désagréable surprise pour le gouvernement Frondizi. Les Péronistes alliés aux communistes, ont remporté un succès qu’on tenait pour invraisemblable. Cela n’a été possible que par cette étroite alliance entre les fascistes et les marxistes à laquelle ceux-ci ne répugnent pas quand il s’agit de briser le pouvoir établi. Mais ce qui est peut-être plus instructif et il faut le dire, bien affligeant, c’est le prestige que conservent dans l’esprit des masses populaires ces tyrans démagogues plus ou moins anormaux et corrompus de surcroît, dont Péron est un des plus tristes exemples. Il n’empêche que comme pour les autres, vivants ou morts leur culte demeure et leurs partisans restent fanatiques.
La Disette à Cuba
Il en sera sans doute de même pour Fidel Castro lorsqu’il aura été liquidé. Plus fou certainement que ses confrères, mais plus sincère, ce qui sera sans doute sa perte. Car après un silence relativement long pour un homme si éloquent, il n’a pas caché à la foule qu’il était très affligé de n’avoir pu remplir les promesses qu’il lui avait faites d’apporter l’abondance avec la liberté. Jamais un de ses semblables n’avait eu un pareil scrupule. Il est vrai qu’on ne peut pas dissimuler au peuple de La Havane, abondamment nourri naguère par les dollars américains, la pénurie qui règne aujourd’hui. Les murmures se font sensibles depuis que les cartes de rationnement ont paru. Après la Chine et l’Allemagne de l’Est, Cuba connaît la disette et les autres pays du bloc de l’Est n’en sont pas bien loin, Russie comprise ; à tel point qu’on pourrait changer l’emblème du parti : à la place de la faucille et du marteau, graver une carte d’alimentation.
L’Avarice des Soviets
Ce qui étonne, c’est que les Soviets pour lesquels Cuba est devenu, surtout depuis que Castro s’est déclaré communiste, une affaire de prestige de première importance, ne mettent pas le prix afin d’en faire une vitrine acceptable pour étayer la propagande. Sans doute les Russes n’ont-ils pas de nourriture à offrir aux Cubains, mais ils ont de l’or plein leurs coffres et il y a assez de denrées alimentaires de par le monde que leurs détenteurs s’empresseraient de vendre. Mais les Russes sont d’âpres marchands : gaspilleurs chez eux, ils sont particulièrement avares pour les autres. Ils ne font de cadeau dans aucun domaine, rançonnent leurs propres sujets et ne concluent que des affaires très avantageuses comme l’achat récent de bœuf français. Il n’empêche que si l’économie cubaine s’effondre et que Castro est renversé, ou, ce qui est possible, retourne sa veste, les Russes subiront là un échec de première grandeur. Ils n’ont pas eu jusqu’ici beaucoup de succès en Afrique, si l’Amérique latine leur échappait, Washington pourrait pavoiser.
Israël et la Syrie
Voici que les escarmouches entre Israël et les Arabes recommencent, ce qui inquiète ceux qui voient dans le Moyen-Orient la poudrière la plus exposée. Comme toujours en pareil cas, il est difficile de savoir à qui la faute. Le nouveau gouvernement syrien avait certainement besoin de montrer aux pays arabes qu’il n’était pas moins hostile qu’eux à Israël. D’où des harcèlements sur le lac de Tibériade qui ont exaspéré Tel-Aviv et provoqué les sanglantes représailles que l’on sait. Il y a eu tant d’incidents de ce genre qu’on finit par s’accoutumer. Le moment ne paraît pas venu d’une crise plus grave.
Le Ralentissement dans l’Industrie de l’Acier
Nous reviendrons une fois de plus sur cette question si sérieuse de la prévision économique et du planisme en général. Que l’on ne croie pas que c’est par esprit de système que nous avons si souvent critiqué cette méthode. C’est parce qu’elle serait pleine de dangers si on l’appliquait sérieusement.
On sait que le nouveau plan français prévoit pour les quatre années qui viennent un accroissement de la production d’acier de 17 à 24 millions de tonnes, soit plus de quarante pour cent. Or ce chiffre déjà ambitieux par lui-même était à peine fixé que les signes d’une crise de l’acier se faisaient jour, non seulement en France, mais chez les Six. Aux U.S.A. elle est ancienne … Crise accidentelle et temporaire pour les uns, durable pour les autres, on ne sait. Toujours est-il que brusquement les investissements dans cette branche ont fortement baissé, le bulletin de la C.E.C.A. nous l’apprend : alors qu’en 1960 et au cours des trois premiers trimestres de 1961 le montant des programmes atteignait 488 et 467 millions de dollars par trimestre, on n’a totalisé au cours du quatrième trimestre que 144 millions. Ce qui montre que les industriels, sans se soucier des prescriptions du plan, ont senti le vent et freiné les travaux. Ainsi Usinor ralentit la production et le complexe en voie de mise en route à Dunkerque subit des retards significatifs.
En sera-t-il de l’acier comme du charbon ? Il y a longtemps que nous le disons ici : l’économie d’acier pour une même fabrication, le développement des alliages qui en augmentent la résistance, et surtout l’invasion des plastiques dans le domaine où régnait la métallurgie, tout aurait dû faire prévoir que l’accroissement de la production d’acier pourrait être sinon stoppé, du moins sérieusement ralenti, même si l’expansion devait se poursuivre au rythme prévu, ce qui n’est pas davantage assuré ; heureusement dans une économie de marché comme la nôtre, les industriels responsables de leurs entreprises prennent, comme nous venons de le voir, les mesures appropriées en temps voulu. Si c’était un organisme d’Etat irresponsable, il en serait tout autrement.
CRITON