Criton – 1962-08-25 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-08-25 – La Vie Internationale

 

La Crise de l’Alliance Atlantique

On parle depuis longtemps de la crise de l’Alliance atlantique. La démission du général Nordstad suivant de peu celle du général Gavin, ambassadeur des Etats-Unis à Paris, en ont révélé le sérieux. D’une part, les divergences inter-américaines opposant les chefs d’Etat-Major du Pentagone et l’administration Kennedy au commandant suprême de l’O.T.A.N. en Europe ; de l’autre, la vieille querelle franco-américaine sur la défense autonome de la France, la force de frappe et la communication des secrets nucléaires.

Nous évitions d’en parler d’abord parce que ces questions où la technique joue un rôle important, sont très compliquées et surtout parce que heureusement elles n’ont aucun caractère urgent, et par conséquent, peuvent avec le temps se résoudre d’elles-mêmes. Cependant aujourd’hui l’opinion jusqu’ici peu attentive, s’émeut et pas seulement en France où elle a d’autres soucis, mais en Allemagne fédérale et même en Angleterre. Elle déborde le plan militaire. Ce sont les relations Europe-Etats-Unis dans leur ensemble qui sont discutées.

 

L’Incident du Mur de Berlin

Un incident vient de cristalliser le malaise. Un jeune maçon de Berlin-Est voulant sauter le mur a été abattu par les Vopos qui l’ont laissé agoniser sur place. Les Américains qui ont le droit de se rendre à Berlin-Est, ne se sont pas portés à son secours. Le général commandant s’est contenté, une fois de plus, d’une protestation auprès des autorités russes. Il n’en fallut pas plus pour que la colère populaire dégénère en émeute. On lapida les Soviétiques et les troupes américaines furent prises à partie pour leur inertie.

De l’autre côté de la Manche, le nouveau ministre anglais de la défense, rompant avec la réserve de son prédécesseur à l’endroit des conceptions françaises de défense européenne, semble disposé à envisager une action commune de l’Angleterre avec ses voisins. Le Ministre allemand Strauss s’oriente dans le même sens.

 

Les Conceptions en Présence

Quel est par-delà les considérations stratégiques le mobile profond de cette évolution ? On se rend à l’évidence que Russes et Américains se ménagent : la neutralisation du Laos, l’accord hollando-indonésien sur la Nouvelle-Guinée n’ont pu se faire qu’avec leur consentement. Au Sud-Vietnam, les Russes ne font rien pour s’opposer au soutien des Etats-Unis à Ngo Din Diem. Alors, se demande-t-on, pourquoi demain Berlin et l’Allemagne ne feraient-ils pas l’objet d’un règlement analogue ? Et surtout si après, l’U.R.S.S., mise en appétit par ces succès limités, cherchait à assujettir un peu plus ce qui reste de l’Europe ? Les Américains attendraient-ils de voir la tournure que prendrait ce conflit limité avant de courir le risque d’une guerre nucléaire totale ? N’ont-ils pas attendu Pearl Harbour pour jeter, en 1941, leur épée dans la balance ? S’en remettre aux Etats-Unis complètement de la défense de l’Europe, n’est-ce pas courir le risque, sinon d’une destruction totale, du moins de sérieux dégâts qui affaibliraient à nouveau l’Europe reconnaissante, ce dont les Américains ne seraient sans doute pas tellement affectés. Il faut donc que l’Europe, Angleterre comprise, soit assez forte pour inspirer le respect à l’Est, et dispose d’une arme nucléaire dont elle aurait le contrôle exclusif de façon, en cas d’attaque russe, à obliger les Etats-Unis à se servir des leurs, perspective qui ferait réfléchir les Soviétiques. On en reviendrait ainsi à une communauté européenne de défense dont on n’a pas voulu ici en 1954 et dont il n’est pas sûr qu’on veuille, pour le moment du moins. Par contre, les militaires de Washington et le Président Kennedy sont hantés par la crainte d’une guerre nucléaire déclenchée en Europe en dehors de leur contrôle et où ils seraient entraînés avant d’avoir pu l’éviter par entente directe avec Moscou.

 

Le Malaise à Washington

La mauvaise humeur du gouvernement Kennedy est manifeste depuis l’échec des négociations de Bruxelles. Il avait compté sur l’adhésion de l’Angleterre au Marché Commun et l’extension progressive de celui-ci à l’ensemble du monde atlantique. Il accuse la France de l’avoir fait échouer et de vouloir faire du Marché Commun un ensemble protégé, fermé à la concurrence américaine. C’est ainsi qu’il vient de menacer la France et l’Italie, au cas où le Marché Commun serait interdit aux exportations américaines de fruits, d’user de représailles douanières.

 

Erhard et le Marché Commun

Sur ce point d’ailleurs, l’opposition n’est pas seulement entre les Etats-Unis et la France : elle vient d’éclater entre la France et l’Allemagne fédérale. Selon le vice-chancelier Erhard soutenu par la Chambre de Commerce de l’Allemagne fédérale favorable à l’entrée de l’Angleterre au Marché Commun suivie par ses partenaires de la zone de libre-échange, la Communauté européenne ne doit pas être un groupement regardant vers l’intérieur, mais au contraire tourné vers l’extérieur, de façon à développer une pratique commerciale élargie aux Etats-Unis et à d’autres nations.

Il y a longtemps que ces conceptions s’affrontent non seulement dans l’Europe des Six, mais en Allemagne même, l’industrie cherchant des débouchés étendus au monde entier, tandis que les milieux agricoles attendent du Marché Commun le maintien des hauts prix dont ils jouissent à présent.

 

L’Extension de la Planification Française

Mais Erhard a trouvé un autre terrain de lutte : le planisme français, que ses auteurs voudraient imposer aux autres membres de la Communauté est en opposition avec les principes libéraux admis à Bruxelles. L’Allemagne comme l’Italie se sont relevées sans plan et l’ont fait aussi bien, sinon mieux, que la France : d’autre part, le plan français qui n’a jusqu’ici qu’un caractère d’orientation tend à devenir impératif et à fausser ainsi le jeu normal de la concurrence : en mêlant le gouvernement et les Syndicats à son élaboration, on arriverait vite à une socialisation de l’économie dont les milieux industriels allemands ne veulent pas. La planification, disent-ils, est contraire à l’esprit comme à la lettre du traité de Rome.

La querelle est avant tout politique. Sous couleur de planification démocratique, c’est bien à une réglementation autoritaire de l’économie que songent certains planistes français, et ils ne s’en cachent pas. Or, ni à Bonn, ni à Bruxelles, ni à la Haye, on ne s’engagerait dans cette voie. Même à Rome on hésiterait. Le Marché Commun ne résisterait pas si la France s’engageait à fond dans ce sens.

Il y a d’ailleurs un autre aspect non politique de cette question de planification. Nous n’avons jamais dit que la notion était à rejeter en bloc. Mais il y a des domaines où la prévision étant possible il convient d’établir une politique économique qui y réponde. On sait à peu près de combien la consommation d’électricité ou de pétrole augmentera dans les prochaines années et il est nécessaire de construire les centrales et les raffineries pour la satisfaire. Mais le domaine de la prévision approximative est très limité. Le danger de la planification est de donner à des techniciens irresponsables les moyens et les encouragements fiscaux et autres, de procéder à des investissements énormes dont on ne sait pas s’ils répondront aux besoins futurs. C’est aux chefs d’entreprises qui eux ont la responsabilité des capitaux qu’ils gèrent de s’adapter au jour le jour aux fluctuations souvent déconcertantes de la demande. S’ils se trompent, c’est leur affaire et non celle de la collectivité tout entière qui en souffre et avec elle la monnaie et la capacité concurrentielle d’une nation, car tout ici se tient et s’enchaîne. Dans ce domaine, le libéralisme n’est pas une doctrine, c’est une nécessité.

 

                                                                                      CRITON

Criton – 1962-08-18 – Le Nouvel Exploit Cosmique

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Le Courrier d’Aix – 1962-08-18 – La Vie Internationale.

 

Le Nouvel Exploit Cosmique

Les Soviets avaient grand besoin d’un exploit cosmique pour ranimer le moral de la population. Il était temps. Des émeutes sanglantes s’étaient produites à Novotcherkassk soulevées par la pénurie alimentaire. Aussi le vol spatial d’hier a-t-il été accompagné d’un battage exceptionnel. Dans ce pays où presque tout est anonyme et collectif, l’apparition des deux héros de l’espace libère les imaginations, et l’orgueil national dissipe les humeurs chagrines.

En Occident, par contre, ces prouesses scientifiques qui ne diffèrent des précédentes que par des détails techniques, inquiètent plus qu’elles ne passionnent. On pense aux incidences militaires possibles de ces engins qui s’inscrivent naturellement dans la course aux armements. L’avance soviétique dans ce domaine est incontestable. Les Américains devront redoubler d’efforts.

 

L’Affaiblissement Economique de l’Est

Cependant ces performances, si brillantes soient-elles, ne modifieront pas le cours des choses humaines. Au-delà du rideau de fer, les difficultés s’accumulent. Les dirigeants, l’un après l’autre, ne peuvent en faire mystère. Cet affaissement de la capacité productrice est d’ailleurs surprenant et difficilement explicable. Si déficient que soit un régime économique et social, on pouvait croire qu’à la longue il trouverait un certain équilibre et fonctionnerait moins mal. C’est tout le contraire qui se produit.

La Tchécoslovaquie qui était le mieux équipé des Etats satellites, connaît une crise que le dernier rapport officiel expose. Les retards par rapport aux plans s’amplifient dans l’industrie, presque autant qu’en agriculture. En Allemagne orientale, la pénurie est telle que les habitants se réfugient en Pologne, faute de pouvoir passer en Occident. En Pologne, en effet, où le pouvoir est paralysé par la résistance passive populaire et où la collectivisation est plus nominale que réelle, l’ingéniosité de la population maintient et même développe une relative aisance. En Russie, la distribution est de plus en plus défectueuse malgré la répression brutale des délits économiques. Mais le record du désordre semble bien appartenir à la Yougoslavie. Près de 900 entreprises industrielles et coopératives sont en faillite, et le régime se débat au milieu d’une vaste corruption dont l’ampleur défie toute répression. Les prévisions les plus pessimistes sont dépassées par les faits ; on trouve toujours des explications mais aucune n’est convaincante.

Il s’agit là de phénomènes de psychologie collective qui échappent à toute analyse comme à toute prévision. La prospérité de l’Occident, l’élévation rapide de son niveau de vie provoquent sans doute, par une sorte de contagion à rebours, et sans que les individus en soient conscients, un affaissement de la volonté, un découragement intime qui se traduit par un rendement décroissant de l’activité. Autant qu’on en peut juger, il n’y a là rien de délibéré. Il y a longtemps que les peuples de l’Est sont résignés à leur sort : beaucoup même n’en conçoivent pas d’autre. Laissons au phénomène tout son mystère. Ceux qui prétendent faire la science de l’homme ont le loisir de le méditer.

 

Les Relations Russo-Américaines

  1. Thomson, qui fut pendant cinq ans ambassadeur des U.S.A. à Moscou et qui avait l’oreille de Krouchtchev, a déclaré en quittant son poste : « les relations bilatérales russo-américaines sont excellentes. Les difficultés ne surgissent qu’au sujet de pays tiers. » Cette opinion dans la bouche la plus autorisée qui soit, nous a d’autant plus impressionné qu’elle correspond exactement au sentiment que nous avons de ce tête à tête qui se prolonge et se répète tantôt à Moscou, tantôt à Genève ou à Washington. Au reste, il est difficile de croire que des gens qui ont chaque jour des entretiens de plusieurs heures, soient d’irréductibles  adversaires. Ils se marchandent la carte du monde, tandis que de part et d’autre la propagande fait paravent. Il est normal que le public s’y trompe d’autant que la presse de tous pays n’est pas faite pour l’éclairer.

Si aguerri que l’on soit, on est parfois ébranlé dans ses propres vues par l’ingéniosité des subterfuges diplomatiques et les manipulations de l’information. Mais les intérêts sont les intérêts : Russes et Américains, comme nous l’avons dit souvent, en ont trop en commun pour ne pas se concerter, si nécessaire. On aurait tort de s’en inquiéter ; loin de nous menacer, ce dialogue acharné nous protège.

 

La Résurrection du Nazisme

Autre phénomène, aussi déconcertant qu’imprévu. Le retour à l’actualité, la réanimation, si l’on veut, du nazisme international. On croit rêver lorsqu’on nous montre, en cet Août 1962, des gens d’apparence sérieuse, revêtus de l’uniforme des chemises brunes et s’assembler sous le portrait d’Hitler et de Hermann Hesse ; et qui mieux est, c’est en Angleterre, où l’on croyait évanoui le parti de Sir Oswald Mosby, que l’agitation national-socialiste prend des allures provocantes.

Qu’on s’indigne ou qu’on plaisante, le fait est là ; le racisme hitlérien n’est pas mort, au contraire. Là encore l’explication est trop facile pour être valable. On voit bien quelques causes.

En Angleterre, la population des grands centres industriels supporte mal l’afflux des Antillais, Hindous et Pakistanais. Les bagarres sont fréquentes. Aux Etats-Unis, il y a le problème noir. Mais par-delà, pour alimenter ce mouvement il y a une idée : que l’assaut est donné à la race blanche, qu’un complot fomenté à la fois par les nationalismes de couleur et l’action communiste, cherche à l’étouffer, à la refouler sous la pression du nombre, ce nombre qui est la loi fondamentale de la Démocratie. L’idée aussi que cet assaut n’est pas le résultat actuel de l’évolution, un mouvement irréversible de l’histoire comme certains le prétendent, mais une lâche abdication d’une civilisation supérieure devant la horde barbare. Il est normal que de telles opinions rassemblent, en divers pays des gens d’esprit aventureux facilement révoltés et disposés à la violence. Il est peu probable que le mouvement prenne de l’ampleur. On ne saurait cependant le traiter à la légère.

 

Le Problème du Katanga

Au surplus, le gouvernement britannique se sert de cette agitation qui trouve dans le public, sinon de la sympathie, du moins une certaine compréhension, pour défendre les intérêts de l’Angleterre contre les menaces que la majorité de l’O.N.U. appuyée par les Etats-Unis fait peser sur le Sud et le Sud-Est africains. Le Congo ex-belge demeure le point brûlant avec la dispute Tchombé-Adoula qui se prolonge.

Les Anglais cherchent à s’opposer aux sanctions économiques qui pourraient dégénérer en une troisième intervention armée des forces onusiennes au Katanga. C’est une grosse partie qui se joue en cette riche région du monde. Elle est loin d’être réglée. Le Portugal, l’Union Sud-Africaine, les deux Rhodésies soutiennent le rempart katangais. Les Belges espèrent conserver ce qui peut être sauvé de leurs énormes investissements. Le nationalisme noir, conjugué avec les appétits hindous et chinois, fait pression et les Américains partagés une fois de plus entre leurs principes et leurs intérêts, s’efforcent de satisfaire les premiers sans compromettre les autres. Là, comme ailleurs, les Etats-Unis qui aspirent à la sincérité en politique, sont condamnés au double jeu.

 

                                                                                                       CRITON

 

Criton – 1962-08-04 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-08-04 – La Vie Internationale.

 

Comme chaque semaine le confirme, l’actualité n’est plus occupée de grands événements. C’est dans l’ordre politique, économique et financier que les nations cherchent un équilibre et non plus sur l’échiquier international. La politique, elle, s’accorde des vacances. MacMillan reste sur un vote de confiance de politesse de son propre parti. La Chambre italienne a hâte d’ajourner le débat de nationalisation de l’électricité qui devait être conclu le 15 août. En Allemagne, il n’est pas besoin d’un grand effort pour distraire les partis de leurs querelles ; en France, le repos s’impose.

 

Le Marché Commun Agricole

Le 30 juillet 1962 est cependant une date en son genre, celle où les Six pays du Marché Commun vont tenter de mettre en application le laborieux accord de janvier sur les échanges agricoles. Nous ne suivrons pas ici l’exemple de ces héros de l’information qui ont tenté d’expliquer au public le mécanisme de ces monstrueux règlements. Malgré leur apparence extravagante, nous ne les raillons pas. C’est la première tentative pour organiser par-delà les frontières jalousement fermées, un ensemble agricole prospère en dépit des disparités énormes que la nature et les hommes ont consacré. Malgré les difficultés que toute personne raisonnable et compétente considérait insurmontables, les Ministres des Six ont passé outre et construit un mécanisme bizarre, une sorte de machine-outil pour raboter les obstacles progressivement.

Personne, surtout pas les créateurs, ne se fait d’illusion sur les défauts du système, sur les avatars certains de son fonctionnement. La question est de savoir s’il tiendra le coup d’abord, et ensuite s’il  atteindra son but ou, au contraire si derrière une apparence de novation, comme il arrive souvent pour les règlements administratifs, l’ancien état de chose continuera à peine modifié. Quoi qu’il advienne, le courage, l’obstination et l’imagination de notre ministre de l’agriculture, Pisani, sans qui rien n’eut été fait, mérite une estime sans réserve. S’il réussissait, même partiellement, ce serait la première fois qu’un vaste plan agricole n’aboutirait pas à un échec, comme aux Etats-Unis ou en U.R.S.S., ou à un désastre comme en Chine. Souhaitons le miracle.

 

L’Impasse des Négociations de Bruxelles

Les problèmes agricoles sont coriaces ; une preuve de plus dans l’impasse où viennent de buter les négociations de Bruxelles pour l’adhésion de l’Angleterre au Marché Commun. A l’heure où nous écrivons, on ne voit pas d’issue. Les pourparlers vont reprendre, et comme personne ne veut rompre, il est probable qu’on trouvera une formule d’attente pour un ajustement ultérieur. Ce qui nous étonne, c’est que les Anglais qui ont eu tout le temps de mesurer les difficultés d’harmoniser leurs relations avec les pays blancs agricoles du Commonwealth, et les obligations que devaient leur imposer même une simple association avec les Six, se voient engagés à fond dans l’aventure. M. MacMillan, déjà plus que discuté chez lui, n’aurait plus qu’à démissionner et le projet d’intégration de l’Angleterre au Marché Commun serait définitivement enterré. L’opposition travailliste qui a mieux estimé les obstacles s’est déjà prononcée contre et l’opinion britannique les suivrait volontiers. Un de ses porte-parole, William Picklès, avait depuis longtemps conseillé d’attendre que le Marché Commun soit entré dans une phase de réalisation, qui commence à peine, pour juger de l’intérêt et des possibilités pour l’Angleterre d’y accéder.

On accuse Outre-Manche, la France de faire obstacle à la candidature britannique ; ce n’est que partiellement vrai. Les Allemands jusqu’ici favorables à cette participation sont aujourd’hui aussi fermes à Bruxelles contre toute concession qui risquerait de ruiner l’édifice encore si fragile et qui, surtout en agriculture, n’a pu faire ses preuves. Même pour l’industrie où l’Europe des Six a pris un bon départ, grâce avant tout à une conjoncture favorable, il convient d’attendre de voir comment elle résistera à des temps plus difficiles et à une concurrence déjà assez âpre. Quelle que soit la tournure des prochaines discussions, un délai assez long est inévitable avant de signer une convention définitive avec les Anglais et leurs partenaires.

 

La Question Monétaire

Aucun problème complexe n’est plus fondamental : la question monétaire. Disons-le sans ambages, le monde libre n’a plus de monnaie. Nous l’avons déjà expliqué. Le dollar est discuté. On le défend chaque jour avec des moyens de fortune. Sa faiblesse protège les autres monnaies : la livre d’abord en position toujours précaire, et les monnaies en apparence plus fortes. Si le dollar retrouvait son équilibre, les autres devises seraient discutées à leur tour. Tout cela parce qu’aucune n’a d’assise fixe. L’or jouait autrefois ce rôle. Il est trop rare aujourd’hui pour supporter l’immense édifice de crédits qui s’élève chaque jour. L’or est malheureusement irremplaçable d’abord parce qu’on ne lui voit pas de substitut et parce que son prestige, quoiqu’on en ait dit, demeure. En fait, les encaisses-or des différentes banques centrales, y compris celle des Etats-Unis, sont trop faibles pour corriger les véritables fluctuations des balances de compte entre Etats. Or, par la force des choses, une monnaie sans assise fixe est une monnaie fondante. Même celles qui en apparence en ont une. L’Allemagne fédérale, la Suisse, ne peuvent résister à l’affaiblissement général parce qu’elles ne font pas le poids en face des U.S.A. et de l’Angleterre qui contrôlent les deux tiers du commerce mondial.

En 1961, le mark a été réévalué, et malgré cette réévaluation il a perdu 8%. Notre franc, 6,5%, soit au total de 38% depuis le début de la V° République. Bien sûr, il n’y a pas à cette dérive des monnaies que des raisons monétaires. Elles perdraient de leur pouvoir d’achat même si elles étaient réellement convertibles, mais on pourrait toujours donner en temps voulu un coup de frein, ne fut-ce que pour ne pas courir plus vite que le voisin à la dépréciation. Le problème est d’autant plus préoccupant qu’on ne peut espérer sans une monnaie saine, poursuivre un développement économique sans récession.

En ce moment, les Etats-Unis hésitent à relancer leur économie qui plafonne, de peur d’aggraver la crise du dollar : on presse le Président Kennedy de réduire les impôts. Mais les réduire c’est aggraver le déficit budgétaire et accélérer la fuite devant la monnaie. Il ne sait à quoi se résoudre. On le comprend.

La dégradation rapide des monnaies présente un autre danger ; celui de tarir l’épargne disposée à s’investir. Les Allemands plus avertis que d’autres des catastrophes monétaires, hésitent à alimenter le marché ; on nous offre du 6% mais nous en perdons 8%. C’est là un impôt forcé sur le capital disent-ils, et l’économie allemande est en perte de vitesse. Les choses en sont là. Chaque jour des systèmes plus ou moins ingénieux sortent des bureaux des spécialistes. Aucun n’a pu être retenu ; alors on emprunte à droite pour rembourser à gauche. Les pays libres ont constitué une sorte de caisse mutuelle où ceux qui sont temporairement les plus riches avancent leurs excédents aux démunis. Cela n’est qu’expédient. Si l’on veut poursuivre vers une prospérité durable, il faudra réviser à la base le système monétaire. Mais comment ?

         

                                                                                      CRITON

Criton – 1962-07-28 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-07-28 – La Vie Internationale.

 

Le plus important événement du moment peut être ce nouveau franchissement de l’espace par l’image, grâce au satellite « Telstar » si elle pouvait, comme déjà le fait la voix, dépasser le rideau de fer et donner aux peuples de l’Est la vision du monde libre. En dépit des brouillages, des murs et des champs de mines, le rideau de fer est de plus en plus perméable ; il le serait bien davantage encore.

 

L’Accord sur le Laos

Côté diplomatique on a paraphé l’accord sur le Laos à Genève. Les opinions varient sur sa portée. Les uns ne croient pas qu’il garantisse la neutralité du pays et pensent que le traité ne fait que voiler la pénétration communiste. En effet, dans le ministère composite des trois princes, plusieurs positions clefs, comme l’information et l’économie, appartiennent à des sympathisants. D’autres au contraire, estiment qu’il maintiendra un statuquo un peu vacillant, mais suffisant pour garantir une neutralisation de fait, grâce à l’accord tacite des Américains et des Russes qui ont un égal intérêt à la conserver.

Notre avis serait plus nuancé : ces laotiens, princes ou politiciens, sont évasifs et insaisissables. Ils ont un art inimitable de se moquer des situations dangereuses et excellent à entretenir l’équivoque avec le sourire. Ils sauront maintenir une certaine indépendance, même si les événements semblent les en empêcher. Une barrière de coton, ce Laos, mais barrière, quand même.

 

Le Replâtrage Ministériel Anglais

Depuis que nous avons parlé de l’Angleterre, le Premier MacMillan a procédé à un remaniement ministériel sans précédent dans l’histoire britannique par sa brutalité et son ampleur. La principale victime fut Selwin Lloyd qui avait imposé au pays une politique d’austérité impopulaire. L’opération a été mal accueillie tant de l’opposition que des Conservateurs eux-mêmes. Bien que l’Angleterre n’ait pas de Constitution écrite, l’usage consacrait jusqu’ici la solidarité ministérielle au sein du Cabinet. En cas de désaccord, on démissionnait en bloc et l’électeur aussitôt consulté tranchait. MacMillan a désavoué la moitié de son équipe, sans en référer au pays. Les Anglais jugent le procédé peu démocratique.

Si MacMillan a cru rajeunir son ministère et présenter à la nation des hommes plus susceptibles de lui plaire, il s’est trompé, si l’on en juge par l’accueil glacial qui lui fut fait aux Communes et l’ovation qui salua sa victime mal résignée, Selwin Lloyd. L’important n’est peut-être pas là, mais dans la désignation de Butler comme vice-Premier ministre, c’est-à-dire comme éventuel successeur. En cas d’échec conservateur aux prochaines élections, Butler est tout indiqué pour tenter une coalition avec les libéraux et même avec les travaillistes. Comme en Allemagne, si  le concours des libéraux est indispensable pour former une majorité, ils seront ainsi sollicités par Butler et par Gaitskell. Selon les circonstances, ils pourront choisir et poser leurs conditions à l’un ou l’autre.

 

L’Avenir de l’Etat Algérien

L’Algérie, ayant cessé le 3 juillet d’être un problème français, est entrée dans la société internationale en attendant de figurer à l’O.N.U. Le moins qu’on puisse dire est que sa physionomie n’apparaît pas clairement et les observateurs s’interrogent.

Deux sortes d’opinions se font jour. Les uns voient se prolonger l’état présent, c’est-à-dire l’anarchie pour un temps indéterminé. Ils font état et de l’opposition entre les masses du Bled pour qui cette anarchie ne change pas grand-chose, et les travailleurs urbains que le désordre condamne au chômage et à la misère, et de l’opposition, celle-là ethnique plus que politique, entre berbères et arabes en conflit dès que l’ennemi commun est parti.

D’autres, au contraire, voient le triomphe de Ben Bella, c’est-à-dire l’arrivée au pouvoir absolu d’un disciple de Nasser chargé en Algérie d’appliquer le nouveau socialisme arabe proclamé par le Bichachi, avec pour programme l’expropriation des grands propriétaires fonciers et le partage des terres, la nationalisation des entreprises industrielles, l’élimination de toute influence étrangère prépondérante ou privilégiée et encore le développement d’une puissance militaire chargée de la contrainte à l’intérieur et aussi comme on vient de le voir déjà à Tindouf, d’une expansion territoriale aux dépens des voisins maghrébins.

Cette perspective algérienne, fort plausible, éveille l’inquiétude de la Tunisie et du Maroc. La première, politiquement forte mais militairement faible, l’autre militairement solide mais politiquement fragile, ont peu de chances de résister à un Nasser algérien disposant d’une armée disciplinée à laquelle l’Egypte et l’U.R.S.S. s’empresseraient de fournir les engins qui lui manquent et d’une éloquence révolutionnaire capable de soulever les masses. Hassan II et Bourguiba seraient en fâcheuse posture. Tout cela n’est qu’hypothèse. Il est cependant difficile d’écarter l’alternative, anarchie ou dictature en pays arabe. Aucun n’y échappe et l’espoir d’une Algérie qui serait le Liban de l’Occident arabe est pure chimère

Inutile de dire que les Chancelleries du monde entier suivent la question avec vigilance et anxiété. Pensons-y toujours, n’en parlons jamais, semble jusqu’ici la règle à l’Est comme à l’Ouest.

 

La  Course aux Armements

Et pendant ce temps, à Genève, on discute toujours désarmement, tandis que la course s’accélère. Après les expériences nucléaires russes de l’automne et les expériences américaines récentes, les Soviets à leur tour, annoncent une nouvelle série. La partie devient dure parce que les Américains mettent les bouchées doubles, obligeant les Russes à en faire autant. Répétons, encore une fois, que par-delà toutes les hypocrisies diplomatiques, la course effrénée aux armements est le moyen le plus sûr pour les Américains d’empêcher les Soviets de relever le niveau de vie de leurs peuples. On l’a vu par la hausse récente des prix alimentaires en U.R.S.S. Quelques chiffres illustreront bien le fait.

 

Les Dépenses Militaires en U.R.S.S. et aux U.S.A.

Actuellement, les dépenses militaires des deux géants sont à peu près égales. Exprimons-les par le nombre 100, en regard, le revenu national des Etats-Unis représente 1.000, celui de l’U.R.S.S.400 (en étant optimiste). L’effort militaire est donc du quart du revenu national soviétique, du dixième seulement pour les Américains. Des trois autres quarts, les Russes doivent en consacrer deux au moins pour les investissements, l’amortissement et les dépenses civiles, reste pour la consommation un peu moins du dernier quart : 22%. Aux Etats-Unis en plus du dixième consacré aux armements, les autres dépenses correspondantes à celles des Soviets ne représentent que 26%, ce qui leur permet de laisser 64% environ du revenu national disponible pour la consommation. La proportion est du même ordre pour l’Europe des Six et l’Angleterre.

Si, comme c’est le cas, le coût de l’armement croit plus vite que le revenu national, les 22% qui restent pour l’entretien de la population russe s’abaisseront encore avec toutes les conséquences politiques que cela peut déterminer.

Krouchtchev est décidé à faire face coûte que coûte. Le désarmement n’est pas pour demain.

 

                                                                                      CRITON

P.S.- Les chiffres ci-dessus nous sont fournis par le travail de Sternberg et les analyses très précises de Lucien Laurat.

Criton – 1962-07-21 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-07-21 – La Vie Internationale.

 

Autour de ce 14 juillet 1962, les historiens de demain pourront sans doute situer le départ d’une phase nouvelle des relations internationales. Le choix d’une date précise est toujours arbitraire. Le tournant d’une orientation est une courbe plus ou moins ouverte et l’évolution des problèmes ne va pas en même temps du même pas. L’avantage de celle-ci est de coïncider avec le point final mis à la longue épopée coloniale de la France, au repli accompli de l’Europe sur elle-même. C’est le moment aussi où l’on commence à reconnaître la trêve de fait entre les deux blocs, et surtout entre l’U.R.S.S. et les U.S.A., bien qu’elle fut manifeste depuis bientôt un an, avec l’érection, sans opposition de l’Occident, du mur de Berlin.

La nouvelle phase qui, tournant le dos au grand conflit dont on avait la hantise, s’ouvre donc sur deux perspectives : l’ordonnance économique et les assises monétaires du monde libre dont nous avons amplement parlé déjà, et les transformations, peut-être les bouleversements, de politique intérieure qui se préparent dans les quatre pays d’Europe occidentale, vraisemblablement aussi dans le centre européen qui dépend de Moscou.

 

Les Conflits Politiques en Europe Occidentale

C’est donc du côté intérieur que quelque chose menace en France, en Angleterre, en Allemagne fédérale, en Italie. En France évidemment, on se demande comme la V° République survivra à l’abandon de l’Algérie ; comment, en cas de chute du régime, à travers quels soubresauts une nouvelle forme de gouvernement pourra s’établir. De la solution dépend dans une certaine mesure, l’orientation politique des pays voisins.

 

La Politique Intérieure Anglaise

Le cas de l’Angleterre moins dramatique en apparence, est plus obscur. A chaque élection partielle, le parti Conservateur perd du terrain. Récemment encore, il arrivait au troisième rang derrière le travailliste et le libéral. L’avènement d’un tripartisme en Angleterre bouleversera les assises politiques traditionnelles. A l’origine, un malaise diffus, un besoin de changement et une satiété du présent. L’Angleterre s’ennuie, comme on disait de nous jadis, sans savoir ce qu’elle veut ; elle veut autre chose et ce vague des aspirations est plus dangereux qu’une revendication précise.

Pour sauver une situation désespérée pour le parti conservateur, MacMillan a misé sur l’entrée de son pays dans le Marché Commun. Il en attend du renouveau. L’opinion le suit, plus ou moins, sans enthousiasme. Il semble acquis qu’il réussira à plus ou moins long terme. Le délai d’un an ou deux que l’Allemagne et la France lui imposent enlèvera beaucoup d’effet à cette « douche froide » qu’on en attend à Londres. D’ici là, d’ailleurs, rien ne garantit que les données actuelles demeureront en l’état, bref, ce n’est pas cela qui évitera à l’Angleterre d’autres secousses ni la chute des hommes au pouvoir.

 

En Allemagne Fédérale

L’Allemagne fédérale connaît une crise analogue. L’ère Adenauer est déjà finie, alors que le Chancelier se cramponne à sa tête. En retardant l’échéance, il a compromis l’avenir de son parti, la Démocratie Chrétienne. La coalition avec les libéraux, comme les élections du dimanche 9 juillet dernier l’ont montré, a entraîné le recul des uns et des autres au profit des socialistes. Ceux-ci s’approchent pas à pas du pouvoir qu’ils devront, bon gré mal gré, partager avec leurs adversaires. On sait par l’exemple de l’Autriche les difficultés d’une coalition rouge-noir.

Derrière ces remous politiques, il y a la masse, elle aussi à la fois saturée et déçue. Comblée d’aisance matérielle, elle aspire à ce que cette force se traduise, comme autrefois, par une expansion nationale. La Démocratie Chrétienne a apporté le bien-être, mais pas la réunification. En changeant de chefs, la voie s’ouvrirait-elle ?

 

Le Cas de l’Italie

En Italie, la crise est plus avancée ; on est entré dans le vif depuis l’orientation à gauche, mais rien n’est résolu, au contraire. Les troubles sanglants de Turin viennent d’en donner la preuve si besoin était. Les Socialistes de Nenni associés à la majorité n’ont pas rompu avec les communistes comme on l’espérait, et ceux-ci les retiennent par la surenchère sociale et les grèves en série. L’économie italienne montée en flèche s’essouffle parce que la confiance se dérobe et l’esprit d’entreprise hésite devant les incertitudes politiques. Dans un pays où l’on passe facilement à la violence, l’avenir est indéchiffrable. Fanfani ne peut reculer, il est trop engagé. Il ne peut davantage avancer sans risquer de briser le pays en deux clans. L’histoire de l’Italie abonde en affrontements violents de ce genre.

 

L’Evolution Sociale en Espagne

L’Espagne bouge aussi. Les grèves du printemps ont modifié le climat apathique de la péninsule. Le Caudillo a senti qu’il fallait faire quelque chose et s’y emploie de toute son habileté. Il a désigné implicitement son successeur Munoz Grande, au cas où il n’aurait pas le temps d’aménager la transition vers le retour de la monarchie qu’il redoute. Il a parlé de réformes sociales ; Il rêve d’intégrer l’Espagne à l’Europe nouvelle. Il sait à quel point dans ce pays explosif, il est difficile de mener une évolution pacifiquement ordonnée. Il sait aussi que l’isolement de l’Espagne ne peut cesser sans que sa structure sociale ne s’harmonise avec les progrès de ses voisins. La tâche de Franco est difficile et son succès aléatoire. Là encore beaucoup d’imprévisible.

En résumé, l’Europe occidentale est à la veille de larges transformations politiques dont il est absolument impossible de prévoir le sens.

 

La Crise Tchécoslovaque

Coïncidence curieuse que nous avons soulignée, le même phénomène, avec toutes les différences que les régimes actuels comportent, se dessine à l’Est. Après la crise albanaise encore sans solution, la crise tchécoslovaque. Le Gouvernement Novotny est aux prises avec Krouchtchev. Derrière le conflit idéologique qui identifiait Novotny avec Enver Hodja d’Albanie, il y a la crise économique dont nous avons parlé. A Prague, on est las de la tutelle russe, de l’effort qu’exige Moscou des travailleurs tchèques pour assurer l’aide à Fidel Castro, Sékou Touré et autres. La production baisse dans l’industrie, l’agriculture est déficitaire, le ravitaillement de la population difficile, l’appareil bureaucratique est grippé par l’antagonisme des clans qui se forment. L’affaire Barak emprisonné par Novotny rebondit.

Les Russes s’aperçoivent que la décolonisation en Occident menace leur empire. Les conférences et congrès sur le désarmement ne suffisent plus à détourner l’attention. Les Soviets ne peuvent compter que sur la force et le développement de cette force, au regard des progrès américains, devient de plus en plus coûteux et difficile. Ce qu’on appelait la guerre froide n’est plus qu’un jeu diplomatique, un nuage de fumée allumé par la propagande, c’est à l’intérieur des peuples que l’avenir prend forme

 

                                                                                                CRITON

Criton – 1962-07-07 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-07-07 – La Vie Internationale.

 

Les grands sujets tiennent toujours l’affiche sans évoluer beaucoup. Les réunions se succèdent à Bruxelles à la recherche d’une formule d’adhésion de la Grande-Bretagne au Marché Commun ; les difficultés demeurent mais l’optimisme est imperturbable ; on aboutira avant Septembre.

 

La Double Politique Américaine

  1. Rusk a fait sa tournée en Europe et mis tous ses soins à ne froisser personne à Bonn. Il a reconnu à la France son droit à la puissance nucléaire pourvu qu’elle coopère avec les Etats-Unis et l’O.T.A.N. pour en déterminer l’usage. Il a calmé les inquiétudes du Chancelier Adenauer en l’assurant qu’il avait épuisé toutes les concessions possibles à Moscou sur Berlin, dit enfin qu’aucune révision majeure de la politique atlantique n’interviendrait avant que l’Angleterre n’entre dans le Marché Commun. Mais aussitôt Kennedy a fait savoir que la France, en s’armant d’une force de frappe indépendante, faisait un geste inamical à l’égard de l’O.T.A.N.

Cette double politique américaine, l’une opportuniste, celle de Rusk, et l’autre tranchante, celle de la Maison Blanche, laisse les Européens perplexes. A laquelle se fier ? La méthode n’est pas nouvelle. Cette ambiguïté permet selon les circonstances, de choisir entre deux voies, l’une conciliante, l’autre dure, sans se compromettre à l’avance. Le Président Eisenhower, lui, nous avait habitués à plus de franchise. Mais rien de tout cela n’est bien grave en soi.

 

Le Rapprochement Russo-Yougoslave

Nous avons ici, à plusieurs reprises, marqué les étapes du rapprochement de l’U.R.S.S. et de la Yougoslavie. On peut dire que ce fut une préoccupation majeure de Krouchtchev depuis son arrivée au pouvoir. Après des interruptions et des temps morts, l’affaire depuis un an, a pris un tour plus vif. Les voyages de Krouchtchev en Bulgarie, puis en Roumanie, lui ont fourni l’occasion de faire l’éloge de Tito. Les visites réciproques des ministres et de délégations ont consacré ce retour à des relations normales. Tito avait jusqu’ici montré peu d’empressement à rentrer  dans l’orbite soviétique. Il avait peur d’y perdre son indépendance de neutraliste actif et surtout de mécontenter les Américains qui lui ont permis de survivre.

Mais nous avons dit que les difficultés économiques de la Yougoslavie avaient pris un tour aigu. La hausse des prix dans l’industrie rend impossible toute compétition avec l’Occident aussi bien dans ses marchés propres que sur ceux des pays tiers. Le Marché Commun auquel Tito ne peut s’associer rendra plus difficiles encore les exportations yougoslaves. Enfin, les Américains excédés –  le Sénat vient de le faire savoir – d’avoir tant aidé les pays communistes sans résultat, ni politique, ni économique, s’en tiendront désormais à l’envoi de surplus agricoles.

Tout cela rend presque nécessaire la conclusion d’accords à long terme avec l’U.R.S.S. et ses Satellites, pour lesquels la question prix est secondaire si l’enjeu politique en vaut la peine. Les Russes se sont montrés généreux. Ils fourniront des crédits et du matériel. Il est facile de deviner pourquoi ils y mettent le prix. Par l’intermédiaire de la Yougoslavie, les Russes peuvent ressaisir leur influence sur le tiers monde, où ils ont perdu beaucoup de terrain. En associant Tito à la lutte contre le Marché Commun, Krouchtchev espère montrer aux pays sous-développés, que cette association de pays riches est une forme de néo-colonialisme destiné à les asservir et qu’ils se doivent de s’en détourner et suivre l’exemple de la Yougoslavie qui préfère s’associer au Comecon des pays de l’Est.

 

L’Autriche et le Marché Commun

C’est aussi autour de la question du Marché Commun que se situe la visite du Chancelier autrichien Gorbach à Paris. Il s’agissait pour lui de trouver une formule d’association compatible avec la neutralité autrichienne et de la faire accepter par Moscou. Il ne pouvait aller à Rome à cause de la querelle pendante avec l’Italie, au sujet du Tyrol du Sud, ni à Bonn, pour ne pas réveiller le fantôme de l’Anchluss. Mais Paris est assez mal avec Moscou qui a rompu ses négociations commerciales avec la France, après que celle-ci avait renvoyé l’ambassadeur russe sous le prétexte que l’U.R.S.S.  avait reconnu le gouvernement algérien du G.P.R.A. ! Le Chancelier autrichien et son ministre des affaires étrangères Kreisky sont allés à Moscou pour essayer d’être autorisés à négocier avec le Marché Commun. Il est douteux que l’accueil ait été favorable.

 

Les Difficultés du Canada

Le Canada, comme nous l’avons vu, vit des jours difficiles. On lui a consacré beaucoup d’articles et d’études sans toucher au fond du problème. Le gouvernement Diefenbacher a commis une grosse erreur, celle d’encourager, pour se rendre populaire, le nationalisme canadien. Il a mécontenté les Américains en se substituant à eux dans le commerce avec Cuba, en traitant avec Pékin pour la livraison de céréales et surtout en exigeant que les Sociétés des Etats-Unis installées au Canada remettent  leurs filiales à des administrateurs canadiens. Par ailleurs, ce pays qui inspirait confiance aux investissements étrangers par son libéralisme et son attachement à la libre entreprise, s’est mis à parler de nationaliser certaines entreprises de service public, dont l’énergie électrique en Colombie Britannique et au Québec. Il n’en fallait pas plus pour stopper les initiatives et faire refluer les capitaux, précisément au moment où par suite de la surproduction, les richesses minières du Canada devenaient moins intéressantes. Les Canadiens, et d’autres aussi, n’ont pas compris que le nationalisme économique n’est plus viable aujourd’hui, même pour les grands pays à plus forte raison pour une nation de 18 millions d’habitants. Autant qu’on en peut juger, il leur sera difficile de changer d’orientation, tant qu’une crise grave ne les y aura obligés.

 

La Réunion du Comecon à Moscou

On commence à avoir quelques lueurs sur la réunion à Moscou de la conférence économique de l’U.R.S.S. avec ses satellites, dans le cadre de leur association dite Comecon. On sait qu’annoncée avec éclat, cette Conférence a tourné court, plus tôt que prévu. Les objections sont venues de partout, mais surtout de la Tchécoslovaquie. C’est elle qui supporte le plus lourd fardeau des livraisons de machines et d’équipement industriel aux pays sous-développés, en particulier l’Afrique noire et Cuba. Elle se plaint de ne recevoir en échange de ce précieux outillage que des bananes. Les bananes sont devenues le symbole du mode de paiement des pays tropicaux en difficulté. C’est sans doute un aliment de valeur pour des populations rationnées, mais cela ne fait pas rentrer beaucoup de devises dans les caisses de l’Etat et la Tchécoslovaquie en a grand besoin et préfèrerait accentuer ses échanges avec les pays d’Occident qui paient en monnaie forte.

D’autre part, les Russes veulent à nouveau imposer à leurs satellites européens une division du travail qui les rende dépendants les uns des autres, et cela en exécution d’un plan global de production dicté par les Soviets comme ils l’ont déjà fait pour l’Allemagne Orientale. Chaque pays, au contraire, voudrait fabriquer ce qu’il peut le mieux utiliser ou vendre à l’exportation en Occident. L’accord dans ces conditions n’est pas facile et, une fois de plus, sans doute, les règlements adoptés resteront lettre morte.

 

                                                                                      CRITON

Criton – 1962-06-30 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-06-30 – La Vie Internationale

 

Il apparaît de plus en plus que la trêve, de fait ou tacite, entre les deux grandes puissances enlève beaucoup d’intérêt aux disputes diplomatiques qui se poursuivent d’autant que l’U.R.S.S. et les U.S.A. voient grandir, au-delà de toute prévision, leurs difficultés respectives. La période que nous traversons a cela de curieux que si ces difficultés ne s’étaient pas présentées simultanément, l’équilibre aurait pu se rompre en faveur de l’un ou de l’autre. Celui qui aurait été prospère, tandis que l’autre s’enfonçait, aurait trouvé là une chance de l’emporter définitivement. Maintenant au contraire, ils sont obligés de consacrer tous leurs efforts à surmonter la crise qui les frappe.

 

La Crise Financière Américaine

Contrairement à ce qu’on espérait en général, la chute des cours des valeurs à New-York, n’a pas été un simple rajustement ou une correction à des excès d’optimisme. Après de courtes reprises, la baisse s’est accentuée et l’on ne peut prévoir à quel niveau elle s’arrêtera. Ce symptôme indique un mal profond auquel les remèdes classiques ne sont plus applicables et les experts désorientés, comme les autorités, proposent des mesures radicalement différentes pour ne pas dire contraires. Toutes présentent de tels inconvénients qu’on se demande si leurs avantages éventuels seraient positifs. Tel un relèvement des taux d’intérêt aux U.S.A. préconisé par les financiers européens, ou la dévaluation du dollar par relèvement du prix de l’or, ou encore un déficit budgétaire massif qui stimulerait sans doute les affaires, mais ébranlerait davantage la confiance dans la monnaie. Les méthodes du groupe d’économistes auquel Kennedy a fait confiance, déjà mal supportées par les milieux industriels, perdent tout crédit dans le public durement touché dans son patrimoine. Si la situation n’est pas redressée d’ici novembre, les conséquences politiques s’en feront sentir le jour des élections. Car aux Etats-Unis, bien plus qu’en Europe, le parti au pouvoir est jugé sur le degré de prospérité des entreprises. Une crise économique appelle un renversement politique.

Ce qui déconcerte les responsables aussi bien que l’homme de la rue, c’est que personne ne voit ce qu’il faut faire. On était persuadé que les progrès des connaissances économiques et de la technique financière étaient en mesure de maîtriser toute défaillance dans les mécanismes de la production et des échanges. On commence à en douter, ce qui explique le réflexe de panique de ces dernières semaines. Ce sévère rappel à l’ordre n’est pas mauvais en soi, car la présomption des augures et faiseurs de plan, aurait pu, en se développant, aboutir à une catastrophe analogue à celle de 1929-1932, ce qui semble, au point où l’on en est, encore évitable.

 

La Faiblesse du Dollar Canadien

La monnaie la plus discutée est aujourd’hui le dollar canadien. Après les élections où le parti conservateur au pouvoir a perdu la majorité, sans que son adversaire libéral ait pu la lui reprendre, la confusion politique aggrave les difficultés financières antérieures. Si M. Diefenbaker reste Premier ministre, il devra chercher des alliés pour former une coalition et en tout état de cause, de nouvelles élections ne devront pas tarder. D’ici là, il faut boucher les fissures par des mesures d’urgence : hausse de l’escompte à 6%, emprunt au Fonds Monétaire International et à divers groupes financiers pour empêcher la fuite devant le dollar canadien. En une semaine 400 millions de réserves ont fondu.

Or, lorsqu’il y a deux ans, le gouvernement Diefenbacker décida de provoquer une baisse artificielle du dollar canadien qui faisait 5% de prime sur son voisin U.S., les spécialistes doutaient qu’il réussisse et nous pensions comme eux qu’il serait difficile d’empêcher le retour à la hausse, cela à cause du flot constant d’investissements étrangers qui rendait fortement excédentaire la balance des comptes. Au début, il en fut bien ainsi, puis tout changea ; le courant d’investissements a cessé, le déficit est apparu et maintenant il s’agit de défendre une monnaie qu’on s’était donné tant de peine à déprécier. Bel exemple à ajouter à d’autres, de l’incertitude des pronostics et de l’inefficacité des méthodes qui vont exactement à l’encontre de leur but. On comprend que les hommes responsables hésitent à proposer, là ou ailleurs, des plans d’action inédits.

 

L’Erosion des Monnaies

Du même coup, les financiers orthodoxes raillés par la nouvelle vague, reprennent crédit. Ils signalent à tour de rôle le mal qui ronge les finances de l’Occident tout entier : l’érosion – c’est le mot à la mode, – de plus en plus rapide des monnaies. Cette dépréciation du pouvoir d’achat des monnaies est aujourd’hui universelle et c’est justement parce qu’elle est universelle qu’elle est peu visible et d’autant plus grave. De plus, cette érosion est le plus souvent insidieuse, tandis que les statistiques, toujours confuses, portent sur un nombre limité d’articles et sur des prix officiels ou apparents. La réalité est tout autre et la baisse psychologique des monnaies se traduit par des hausses sur des points qu’on n’observe guère ; hausse des terrains, des objets d’art, des immeubles, par exemple. Or, s’il y a une règle bien établie en la matière, c’est qu’une monnaie à pouvoir d’achat à peu près constant est la condition essentielle d’un véritable progrès à long terme. C’est ce qui s’est vérifié jusqu’en 1960, dans des pays aussi différents que l’Allemagne fédérale, la Suisse, ou la Hollande. Depuis qu’ils ont roulé la mauvaise pente, la crise a commencé. Il faudrait peut-être renoncer au mythe de l’expansion et mettre la santé monétaire au premier plan. Beaucoup le proclament, mais qui a le pouvoir de l’imposer ?

 

La Controverse Nucléaire Franco-Américaine

La seule question politique qui mérite attention, c’est cette polémique qui se traîne entre l’Europe et les U.S.A., et particulièrement au sujet de la fameuse « force de frappe », c’est-à-dire l’indépendance atomique militaire. Polémique regrettable et au fond oiseuse, car il n’y a aucun risque actuel ou prochain de conflit nucléaire. La thèse américaine est dans son essence juste : la multiplication des armements nucléaires est inutile, et dangereuse et au surplus ruineuse ; trop faible pour effrayer le géant d’en face, elle lui fournirait seulement l’occasion de frapper pour la détruire, ceux qui la possèdent et les peuples avec, dans les espaces étroits où ils sont aujourd’hui enfermés. Mais les Américains ont tort d’en parler et surtout d’en faire un débat qui empoisonne les relations entre alliés. Ils sont, comme bien souvent ils l’ont été, mauvais psychologues. Un vieux pays comme le nôtre qui a subi depuis 22 ans tant d’humiliations et de revers a besoin de ces compensations, même illusoires, pour conserver confiance en lui-même. Bien qu’il n’y croie guère, il se sent réconforté quand on lui parle de sa grandeur et de son brillant destin. Le moment est mal choisi pour lui contester ce droit à une puissance militaire dont il sait bien qu’il n’aura que faire mais qui a une valeur morale peut-être même salutaire pour franchir une douloureuse étape. Polémique inutile donc et à laquelle un temps bien proche enlèvera tout fondement.

 

L’Eau-de-Vie dans les Cantines Soviétiques

Pour terminer sur une note plus anecdotique, signalons, car elle en vaut la peine, la dernière trouvaille des Soviets pour remplir leurs caisses. Ils vont vendre dans les cantines des usines de la vodka à un prix énorme, environ 5.000 anciens francs le litre. Ce n’est peut-être pas le moyen d’enrayer l’alcoolisme, mais à coup sûr, de réduire subrepticement le salaire des ouvriers. Après la hausse de la viande et du beurre, que diront les ménagères qui verront leurs compagnons induits en tentation par M. Krouchtchev lui-même ?

 

                                                                                      CRITON

Criton – 1962-06-23 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-06-23 – La Vie Internationale

 

L’évolution algérienne domine évidemment les autres problèmes, au demeurant sans grand relief. Pas de fait notable. La machine diplomatique autour de l’adhésion britannique au Marché Commun, tourne autour des mêmes obstacles. Il semble cependant que MacMillan a joué sur le succès des pourparlers de Bruxelles son avenir politique et celui de son parti, en posture assez difficile comme nous l’avons vu. En présentant aux électeurs, ce grand pas franchi, il espère leur apporter le renouvellement de leur destin auquel ils aspirent de façon confuse et dissiper leur mauvaise humeur. Reste à savoir si la voie choisie est bonne. Les avis sont partagés là-dessus.

 

L’Evolution de l’Afrique Noire

L’actualité immédiate laissant quelque répit, il est opportun de faire le point de l’évolution africaine, maintenant que la fièvre de l’indépendance s’est apaisée. Difficultés et désillusions n’ont pas manqué. Des groupements se sont essayés. Beaucoup d’idées ont été remuées pour définir les moyens d’arriver à un équilibre durable qui permettrait de sortir les Etats africains de leur sous-développement. La formule magique se fait attendre. En devenant indépendants, ils comptaient suivre la voie tracée par Tito, Nasser et Nehru, user de la rivalité des deux blocs et vivre de leur assistance en jouant de surenchères. Mais les pèlerinages à Moscou leur ont montré que, de ce côté, il ne fallait pas beaucoup attendre. Krouchtchev le leur a clairement dit. Les moyens des pays de l’Est sont désormais trop limités. A Washington, les chefs africains ont trouvé une audience attentive et favorable à une condition, qu’ils s’aident eux-mêmes et que dans ce cas seulement on leur fournira les moyens.

Car l’Occident a fini par reconnaître que l’aide aux pays sous-développés était gaspillée, voire stérile, à moins qu’elle ne suscite un effort correspondant des bénéficiaires. Et c’est toute la difficulté. Peu de cadres administratifs efficaces, une corruption sans borne, une masse routinière, peu portée à l’effort et dans l’ensemble sans aspirations. L’Africain est habitué à être dominé par la nature. Il en conjure les maléfices  par les incantations rituelles. Il ne conçoit pas qu’il doive faire l’effort de la dominer lui-même par des moyens techniques. L’essentiel du problème des sous-développés est donc l’éducation. Pour cela, il faut du temps et le temps presse si l’on ne veut d’ici là retomber dans la primitivité.

A travers la multiplicité des conférences, les palabres du Caire, les débats de l’O.N.U., on sent très bien que les pays africains ont pris conscience de leur état. L’anarchie congolaise n’est plus sanglante mais l’inflation, le déficit des échanges extérieurs, l’incohérence administrative demeurent ou s’aggravent. Au Ruanda-Urundi, territoire jusqu’ici administré par les Belges, le départ de ceux-ci devra être retardé, si l’on veut éviter une guerre d’extermination entre tribus. Au Nigéria, les dirigeants des trois provinces ne peuvent  s’accorder ; des troubles ont éclaté. Derrière la façade dictatoriale, au Ghana et en Guinée, le désordre économique et financier a fait baisser le niveau de vie. Presque seuls les anciens territoires français se défendent à peu près d’une régression. Dans cette confusion un sentiment de modération domine. La flamme de l’anticolonialisme ne jette plus d’éclat. On redoute même, sans l’avouer, à l’O.N.U., de voir de nouvelles indépendances allonger la liste des pays troublés.

 

L’Autonomie du Transkei en Afrique du Sud

Là-dessus, une délégation de l’O.N.U. a fait le voyage de Pretoria et a osé déclarer publiquement sa satisfaction des entretiens qu’elle eut avec Verwoerd et les Ministres sud-africains, les tenants de sa ségrégations dite « apartheid ». L’Afrique du Sud a entrepris une œuvre dont on est bien obligé de tenir compte surtout si elle réussit. Elle va accorder par étapes l’autonomie puis l’indépendance au premier des Etats noirs, le Transkei, peuplé d’un million et demi d’autochtones. Elle lui en fournira les moyens, de gros crédits et surtout de multiples formes d’assistance éducative et technique.

Il est certain que le premier pas vers une fédération d’Etats, les uns noirs, l’autre blanc, séparés mais solidaires dans une politique économique et internationale commune épargnerait à ce riche et vaste ensemble sud-africain, les convulsions dont il semblait menacé par les antagonismes raciaux. Après avoir été l’objet d’une malédiction unanime, la politique des dirigeants sud-africains est aujourd’hui suivie avec une attention pas encore bienveillante, mais objective. Il est regrettable que l’on n’ait pas cherché ailleurs une formule du même genre, bien des drames auraient peut-être été évités.

Au reste, la proclamation du principe de l’autonomie du Transkei a été très favorablement accueillie par les autorités noires locales. On mesurera le changement qui s’est fait dans les esprits en faveur de l’Union Sud-Africaine, si l’on se rappelle que l’agitateur noir, d’ailleurs fort modéré, Luthuli était allé à Oslo l’an passé, recevoir le Prix Nobel aux applaudissements  de tous les anticolonialistes, ex. colonisateurs compris.

 

Le Problème de l’Acier

L’évolution présente de l’économie des grands pays industriels présente une extrême importance en ce qu’elle déroute toutes les prévisions. Finira-t-elle par confondre les bâtisseurs de programmes ? Peut-être pas, car l’erreur est tenace et souvent intéressée.

Nous nous excusons de relater une expérience personnelle : elle est trop instructive pour la taire. Il s’agit de la production d’acier. Ici même et dans des conversations avec des économistes, des banquiers et aussi des spécialistes de la métallurgie, nous faisions valoir que le règne de l’acier était sur le déclin, que le temps n’était plus où la production d’acier était le symbole de de la puissance industrielle et que, bien au contraire, le ralentissement de sa progressions dans l’ensemble de la production était le signe même du progrès technique. On haussait les épaules. Les auteurs du quatrième Plan français n’ont-ils pas assigné à notre production d’acier un objectif en augmentation de 40% d’ici 1966, ce qui est proprement extravagant. Depuis l’automne dernier, les signes d’une régression sont apparus. Aux Etats-Unis, après une brève reprise due aux craintes d’une grève, la production est retombée. En France, la baisse est de l’ordre de 6%. En Angleterre, les aciéries travaillent à 70% de leur capacité. En Allemagne, en Autriche, en Belgique, au Luxembourg, le recul est du même ordre, sinon plus accentué qu’en France.

Crise passagère dit-on. Oui et non. Sans doute, les besoins en acier continueront d’augmenter, mais à une cadence beaucoup plus lente que celle d’autres produits. Il était facile de le prévoir pour deux raisons : la première est l’économie réalisée sur les tonnages employés jusqu’ici dans les fabrications qui l’utilisent grâce au progrès technique et aux alliages de plus en plus résistants. La seconde est la concurrence de plus en plus efficace d’autres matières, l’aluminium en particulier et surtout les plastiques qui envahissent tout, même le domaine de l’acier et de la fonte, construction et canalisations entre autres.

Or, malgré la contraction actuelle de la demande, les difficultés des producteurs, les hauts-fourneaux qu’on éteint, on voit la C.E.C.A. encourager la construction de nouveaux établissements. Ajoutons que le phénomène se produit dans une période de haute conjoncture moins brillante sans doute qu’au cours des précédentes années, mais encore ascendante dans l’ensemble. Si une crise, même modérée, intervenait prochainement, ce qui est fort possible, que ferait-on de ces plans d’expansion inconsidérés ?

 

                                                                                                         CRITON

Criton – 1962-06-16 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-06-16 – La Vie Internationale.

 

N’était le drame qui afflige notre pays, la situation internationale pourrait être regardée avec optimisme. Prise dans son ensemble, la position du monde libre est solide et le rapport des forces lui est de plus en plus favorable. Les divergences qui se manifestent entre alliés occidentaux en sont plutôt le signe. En effet, la cohésion qui se resserre devant le péril se détend à mesure qu’il s’éloigne. Il est normal que chacun revendique alors plus d’avantages au sein de la coalition. Autre symptôme favorable : les deux points que l’on a coutume d’appeler névralgiques, Berlin et le Sud-Est asiatique n’alarment plus autant. On a cessé de prendre au tragique les incidents autour du mur dit de la honte. Les pays satellites du plan de Varsovie, réunis en conférence, ont même approuvé la poursuite des négociations entre l’U.R.S.S. et les U.S.A. On ne parle plus d’échéance, encore moins d’ultimatum pour le règlement de la question allemande.

 

L’Accord des Trois Princes au Laos

Au Laos, les trois Princes à nouveau réunis, se sont enfin accordés du moins en principe, c’est-à-dire que les Etats-Unis ne leur laissaient pas d’autre choix, et leur aide financière au pays va reprendre. Les troupes américaines déployées en Thaïlande sont en mesure de franchir la frontière laotienne si la trêve n’était pas observée par les forces communistes. Leur présence sur les bords du Mékong doit assurer la permanence d’un Laos neutre. Cette menace de la part des Américains de faire respecter les accords, au besoin par la force, aurait paru dangereuse il y a quelques mois, téméraire même. Les difficultés économiques de l’U.R.S.S., la disette chez les satellites, les émeutes de Canton devant le spectre de la faim, ont brisé toute velléité d’aventure à l’Est. Les Etats-Unis vont de l’avant.

 

Krouchtchev et le Marché Commun

D’autre part, l’U.R.S.S. et ses satellites réunis à Moscou ont examiné leur politique économique dans le cadre de ce qu’on nomme le « Comecon », c’est-à-dire ce qui devrait être le Marché Commun de l’Est. On ne sait rien des délibérations. Les résultats ne doivent pas être d’importance puisque cette conférence a été écourtée. Mais elle a été l’occasion pour Krouchtchev, de s’en prendre au Marché Commun, instrument de l’impérialisme, a-t-il dit, dirigé contre les pays épris de paix, objet de la conjuration des monopoles capitalistes, etc… Il a même lancé l’idée d’une conférence économique internationale qui réunirait les deux mondes. Cette proposition n’a pas eu grand écho. Au train où vont les conférences, où l’Est et l’Ouest se rencontrent, on ne voit pas ce qui pourrait sortir de celle-là. Au surplus, on comprend mal pourquoi Krouchtchev s’en prend au Marché Commun qui ne le gêne guère dans ses relations commerciales, bien modestes avec les pays qui le composent. – Propagande, sans plus.

 

La Politique Pétrolière des Soviets

Un petit fait qui, d’ailleurs, va à l’encontre de ces diatribes khrouchtchéviennes ; l’U.R.S.S. se dispose à relever le prix du pétrole qu’elle vendait jusqu’ici en Occident, surtout en Italie et en Suède, sensiblement au-dessous du prix mondial. Voilà qui réjouit les grandes Compagnies inquiètes de la concurrence soviétique. Est-ce le prélude à un accord analogue à celui que l’U.R.S.S. a conclu pour le commerce des diamants avec le monopole De Beers ? Il se peut. Les Soviets ont besoin de devises fortes et se demandent s’ils n’ont pas intérêt à tirer le maximum du seul produit de grande utilisation dont ils ont à vendre, plutôt que de lutter contre le cartel international qu’ils n’ont aucune chance d’abattre. Et puis il y a ceux du tiers monde qui veulent vendre leur pétrole au mieux et qu’une guerre des prix indisposerait à l’égard de l’U.R.S.S.. Cela s’est déjà vu pour le marché de l’étain.

 

Les Crises Politiques dans le Monde

Si la position du monde libre vue sous l’aspect du rapport des forces s’affirme, il n’en est pas de même du politique, ni de l’économique. Rien de dramatique sans doute, mais beaucoup d’instabilité où qu’on regarde la situation politique des grands et des petits pays, on ne voit que nuages, Angleterre, Allemagne fédérale, Espagne, Portugal, Italie, France aussi, en Europe. Au-delà, la Turquie, la Syrie, le Nigeria, l’Argentine, le Brésil, partout l’autorité présente s’affaiblit et se discute. Aux Etats-Unis même, les critiques s’amplifient. On ne peut parler de toutes les crises ouvertes ou latentes.

 

Les Trois Partis Britanniques

C’est en Angleterre que le malaise actuel présente le plus d’intérêt pour nous, car, qu’on le veuille ou non, l’orientation politique anglaise affecte le Continent, surtout à l’heure où nos voisins débattent de graves décisions. L’Angleterre donc est divisée non plus en deux, mais en trois, ce qui est sans précédent. Le parti conservateur, usé par le pouvoir et ses contradictions internes. L’Angleterre donc est divisée non plus en deux, mais en trois, ce qui est sans précédent. Le parti conservateur, usé par le pouvoir et ses contradictions internes, perd du terrain comme le montrent amplement les élections partielles récentes. Le parti travailliste déchiré aussi et sans autorité reconnue souffre de la désaffection de sa clientèle. Celle-ci a changé, de classe pauvre elle est aujourd’hui classe moyenne et représente une majorité. C’est elle qui vient de donner au vieux parti libéral, après une longue éclipse, une vitalité nouvelle. Il s’affirme à chaque élection et a enlevé des sièges là où il avait presque disparu. Partout, il talonne les anciens leaders.

S’agit-il de votes de protestation qui se déroberont dans une élection générale où le candidat qui a le plus de voix l’emporte sans appel ? Ou bien l’Angleterre connaîtra-t-elle une compétition triangulaire ? La vie publique du pays en serait alors bouleversée. Il faudrait pour cela que le parti libéral rajeunisse un programme qui séduise la classe moyenne. Là réside la difficulté. Les libéraux optent pour le Marché Commun, mais l’opinion est très également partagée là-dessus. Quant aux remèdes à la stagnation économique on les a tous essayés et personne n’en conçoit de nouveaux qui soient efficaces, même en théorie. C’est le paradoxe de ce temps. Jamais on ne s’est tant proposé d’agir : plans et décrets se multiplient. L’évolution naturelle nivelle tout cela. Du reste les structures en Angleterre sont plus rigides encore qu’ailleurs et ne peuvent supporter que des corrections légères.

 

La Situation du Dollar

Les Américains sont, de leur côté, toujours préoccupés de la situation du dollar sur les marchés internationaux. La devise, jadis reine, demeure au point de soutien. Toute crise a été évitée de ce côté grâce à la coopération des banques centrales et des instituts monétaires. Une solidarité exemplaire s’est manifestée pour éviter les à-coups d’une monnaie ou d’une autre. On est ainsi armé contre ce que l’on est convenu d’appeler la spéculation, bouc émissaire de toutes les mauvaises politiques, mais le mal qui ronge le Dollar et aussi la Livre n’en est guéri pour autant. Là encore on se demande que faire. Les remèdes existent ; ils sont même incontestés. Mais ne seraient-ils pas plus graves que le mal ? Réduire l’aide extérieure, contrôler les investissements américains à l’étranger, élever le taux d’intérêt, etc…

  1. Douglas Dillon, le grand argentier, ne peut avec raison se résoudre à les appliquer. Il compte que grâce à un commerce international libéralisé, l’équilibre se rétablira peu à peu ; grâce aussi aux mesures fiscales envisagées par Kennedy pour l’an prochain ; réduction d’impôts, amortissements accélérés pour les sociétés des branches les moins favorisées. Peut-être, si…. Il y a un point que dans son tour d’Europe il a souligné, à notre sens avec une pleine justification. Il a critiqué le fonctionnement étroit et archaïque du marché des capitaux sur les places européennes, alors que le marché américain fonctionne largement et sans restriction. Pourquoi les entreprises et les organismes vont-ils emprunter sur la place de New-York, contribuant ainsi à provoquer des sorties de dollars, alors qu’elles pourraient le faire chez elles, si le marché des capitaux était libre et bien organisé et bien pourvu. Les monnaies européennes étant convertibles, les capitaux devraient circuler sans entraves. Nous en sommes loin. C’est là un très gros problème sur lequel justement on pourrait agir, si l’on voulait. Mais précisément veut-on ?

 

                                                                                                       CRITON

Criton – 1962-06-09 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-06-09 – La Vie Internationale

 

Comme pendant la précédente, cette semaine est dominée par les problèmes économiques. La politique, avec ses conférences, ses débats, ses discours et ses visites d’hommes d’Etat, suit son cours habituel sans marquer de changements notables.

 

Après l’Orage Boursier

Après les violents remous des bourses de valeurs, les échanges se sont plus ou moins équilibrés ; la panique était injustifiée, un retour à l’optimisme tout au moins prématuré. Les avis diffèrent à New-York, et sur les causes de cette alerte, et sur les moyens d’en prévenir le retour. L’administration Kennedy soutient, chiffres à l’appui, que la situation des Etats-Unis est saine, que les progrès sont modestes mais incontestables et qu’il ne s’est agi que d’une correction un peu brutale, mais normale, d’une hausse exagérée des cours que seule la perspective d’une inflation continue pouvait justifier. L’équilibre du budget, la stabilité des prix, la contraction des marges bénéficiaires des industries commanderaient une évaluation plus raisonnable du rapport entre les bénéfices à attendre et la capitalisation des affaires, ce qui s’est produit.

On admet cependant qu’il faut agir de quelque manière pour relancer l’expansion. Les démocrates préconisent une réduction des impôts directs, même au prix d’un déficit budgétaire et une politique plus hardie dans l’ordre social et des travaux publics. Mais le Gouvernement craint, avec raison, qu’un tel programme ne se traduise par un autres accès de faiblesse du dollar et de nouvelles sorties d’or, quand la monnaie américaine a encore besoin d’un soutien constant sur les places étrangères. Les républicains voient dans la faiblesse récente de Wall Street, l’expression d’une crise de confiance entre l’administration Kennedy et le monde des affaires et de la crainte d’une intervention perpétuelle de l’Etat dans la formation des prix, c’est-à-dire une atteinte au système de libre entreprise comme l’a montré l’opposition de Kennedy au relèvement du prix de l’acier. Il faut donc rétablir la confiance en laissant les entreprises définir leur politique comme elles l’entendent. La prospérité est à ce prix.

On voit par ces réactions reparaître un vieux débat, toujours le même, entre ceux qui croient à la règlementation et ceux qui la repoussent. Les uns et les autres ont à la fois tort et raison, chacun a un point de vue différent. Ce qui est sûr, c’est que les possibilités d’action du gouvernement sont actuellement très limitées, parce que l’essor de l’économie américaine est freiné d’un côté par la fragilité du dollar, de l’autre par l’écart considérable entre le niveau de vie aux Etats-Unis et chez leurs concurrents. Il faut le répéter, car dans les polémiques entre partis, on taît bien souvent l’essentiel.

 

La Hausse des Prix de l’Alimentation en U.R.S.S.

Comme pour faire pendant à la crise boursière américaine, l’U.R.S.S. a eu son coup de théâtre : la hausse par décret du prix de la viande de 30% et du beurre de 25% à partir du 1er juin. A en juger par les arguments embarrassés des dirigeants pour justifier pareille mesure, on devine quelle surprise désagréable elle a pu être pour les travailleurs soviétiques. Comme prélude à la réalisation du communisme annoncé à grand bruit par le XXII° Congrès, on attendait autre chose.

 

Aperçu du Prix de la Vie en U.R.S.S.

La hausse ainsi décrétée, met en fait les bas morceaux de bœuf à 1.100 anciens francs le kilo et le beurre à 2.000 au cours du change. Ces mesures ne toucheront, comme toujours, que les acheteurs les plus pauvres, car dans les magasins d’Etat, on ne trouve que la qualité inférieure, quand il y en a, avec le gras et les os. Les bons ne se trouvent qu’au marché kolkhozien ou au marché noir à des prix au moins doubles.

Si cela peut intéresser nos lecteurs, voici les prix pratiqués à Moscou, relevés au 1er juin par Arrigo Levi : veau sans os au marché libre 3.200 le kilo, sucre 560 qui a baissé de 5%, les tomates 5.500 le kilo, les œufs 70 francs pièce, les oranges 800 frs le kilo (et l’on faisait ce jour-là la queue pour en avoir), la salade 1.100 le kilo, les concombres 2.400. Ces prix à mettre en regard d’un salaire moyen mensuel – chiffre officiel – d’environ 38.000 anciens francs, (70 roubles à 538 anciens francs).

Pour faire accepter ces nouvelles hausses, Krouchtchev en rend responsable les Américains qui obligent les Russes à consacrer des sommes énormes à l’armement. Si ce n’est la faute des U.S.A., c’est bien, en effet, la course aux armements qui est la cause de cette décision, ce qui confirme ce que nous disions précédemment sur son coût croissant, pour ne pas dire vertigineux.

Les Américains peuvent s’offrir des canons et du beurre, les Russes pas.

 

Le Relèvement du Prix Payé aux Producteurs

L’autre raison invoquée par Krouchtchev pour justifier la hausse des prix de la viande et du beurre est la nécessité d’offrir aux paysans un prix plus élevé pour ces produits afin de les inciter à produire davantage et amener l’abondance promise, c’est-à-dire que l’Etat les payera plus cher, mais que le consommateur devra faire les frais de l’opération parce que l’Etat ne le peut pas, sans réduire ses dépenses pour l’industrie et l’armement. Reste à savoir si, comme le promet Krouchtchev, cette rémunération supplémentaire va développer la production au point de supprimer le marché noir. Jusqu’ici, en effet, au prix où les kolkhoses vendaient leurs produits à l’Etat, ils le faisaient à perte. Plus ils produisaient plus la perte était élevée, la quantité supplémentaire ne compensant pas le manque à gagner initial. Or, si maintenant les paysans peuvent augmenter leurs salaires en produisant davantage, il faut que l’Etat leur en donne les moyens, sous forme d’engrais et de machines agricoles et cela suppose des investissements considérables qu’il faudra faire au détriment des autres branches de l’industrie, sinon, il est à craindre que ce tour de vis supplémentaire, surtout si l’on tient compte de l’accroissement annuel de la population à nourrir, ne change pas grand-chose dans l’avenir proche.

 

Le Crépuscule des Grands Hommes

En tout état de cause, cet événement contribuera à l’affaiblissement du prestige de Krouchtchev, déjà sensible comme nous l’avons vu à d’autres signes. C’est d’ailleurs ce qui caractérise la phase actuelle de la politique internationale : le crépuscule des grands hommes, jeunes et vieux, atteints l’un après l’autre dans l’opinion éclairée par leur impuissance et leurs échecs. Kennedy, MacMillan, Adenauer, Krouchtchev pour n’en pas nommer d’autres.

 

Les Discussions en Chine

Il faut y ajouter les dirigeants Chinois que la tragique disette du pays a atteints et qui, dit-on, se déchirent entre eux : Mao Tsé Tung qui depuis longtemps déjà demeure une figure et un mythe mais ne paraît plus exercer grand pouvoir ; Chou en Laï qui représente la faction modérée et qui a imposé l’arrêt du bond en avant et Liou Shaï Chi, considéré comme un dur, qui a dû s’incliner devant les conséquences de l’échec des « communes du peuple ». Ces crises internes répétées dans le bloc de l’Est ont eu pour effet d’atténuer les soi-disant divergences doctrinales dont on ne parle plus que dans les discours officiels – pour ne pas les laisser oublier des militants. Krouchtchev vient de publier, sans réaction du côté chinois, sa réconciliation avec Tito qu’il a même invité à faire un séjour en U.R.S.S. tandis que les dirigeants albanais, qui se font plébisciter en ce moment, continuent tranquillement à invectiver les révisionnistes Tito et Krouchtchev toujours mis dans le même sac. La phraséologie coule à plein bord, le disque de la propagande continue de tourner mais les préoccupations sont ailleurs : que sera la récolte ? Mangeront-ils ?

 

                                                                                      CRITON