Criton – 1962-07-07 – La Vie Internationale

ORIGINAL-Criton-1962-07-07  pdf

Le Courrier d’Aix – 1962-07-07 – La Vie Internationale.

 

Les grands sujets tiennent toujours l’affiche sans évoluer beaucoup. Les réunions se succèdent à Bruxelles à la recherche d’une formule d’adhésion de la Grande-Bretagne au Marché Commun ; les difficultés demeurent mais l’optimisme est imperturbable ; on aboutira avant Septembre.

 

La Double Politique Américaine

  1. Rusk a fait sa tournée en Europe et mis tous ses soins à ne froisser personne à Bonn. Il a reconnu à la France son droit à la puissance nucléaire pourvu qu’elle coopère avec les Etats-Unis et l’O.T.A.N. pour en déterminer l’usage. Il a calmé les inquiétudes du Chancelier Adenauer en l’assurant qu’il avait épuisé toutes les concessions possibles à Moscou sur Berlin, dit enfin qu’aucune révision majeure de la politique atlantique n’interviendrait avant que l’Angleterre n’entre dans le Marché Commun. Mais aussitôt Kennedy a fait savoir que la France, en s’armant d’une force de frappe indépendante, faisait un geste inamical à l’égard de l’O.T.A.N.

Cette double politique américaine, l’une opportuniste, celle de Rusk, et l’autre tranchante, celle de la Maison Blanche, laisse les Européens perplexes. A laquelle se fier ? La méthode n’est pas nouvelle. Cette ambiguïté permet selon les circonstances, de choisir entre deux voies, l’une conciliante, l’autre dure, sans se compromettre à l’avance. Le Président Eisenhower, lui, nous avait habitués à plus de franchise. Mais rien de tout cela n’est bien grave en soi.

 

Le Rapprochement Russo-Yougoslave

Nous avons ici, à plusieurs reprises, marqué les étapes du rapprochement de l’U.R.S.S. et de la Yougoslavie. On peut dire que ce fut une préoccupation majeure de Krouchtchev depuis son arrivée au pouvoir. Après des interruptions et des temps morts, l’affaire depuis un an, a pris un tour plus vif. Les voyages de Krouchtchev en Bulgarie, puis en Roumanie, lui ont fourni l’occasion de faire l’éloge de Tito. Les visites réciproques des ministres et de délégations ont consacré ce retour à des relations normales. Tito avait jusqu’ici montré peu d’empressement à rentrer  dans l’orbite soviétique. Il avait peur d’y perdre son indépendance de neutraliste actif et surtout de mécontenter les Américains qui lui ont permis de survivre.

Mais nous avons dit que les difficultés économiques de la Yougoslavie avaient pris un tour aigu. La hausse des prix dans l’industrie rend impossible toute compétition avec l’Occident aussi bien dans ses marchés propres que sur ceux des pays tiers. Le Marché Commun auquel Tito ne peut s’associer rendra plus difficiles encore les exportations yougoslaves. Enfin, les Américains excédés –  le Sénat vient de le faire savoir – d’avoir tant aidé les pays communistes sans résultat, ni politique, ni économique, s’en tiendront désormais à l’envoi de surplus agricoles.

Tout cela rend presque nécessaire la conclusion d’accords à long terme avec l’U.R.S.S. et ses Satellites, pour lesquels la question prix est secondaire si l’enjeu politique en vaut la peine. Les Russes se sont montrés généreux. Ils fourniront des crédits et du matériel. Il est facile de deviner pourquoi ils y mettent le prix. Par l’intermédiaire de la Yougoslavie, les Russes peuvent ressaisir leur influence sur le tiers monde, où ils ont perdu beaucoup de terrain. En associant Tito à la lutte contre le Marché Commun, Krouchtchev espère montrer aux pays sous-développés, que cette association de pays riches est une forme de néo-colonialisme destiné à les asservir et qu’ils se doivent de s’en détourner et suivre l’exemple de la Yougoslavie qui préfère s’associer au Comecon des pays de l’Est.

 

L’Autriche et le Marché Commun

C’est aussi autour de la question du Marché Commun que se situe la visite du Chancelier autrichien Gorbach à Paris. Il s’agissait pour lui de trouver une formule d’association compatible avec la neutralité autrichienne et de la faire accepter par Moscou. Il ne pouvait aller à Rome à cause de la querelle pendante avec l’Italie, au sujet du Tyrol du Sud, ni à Bonn, pour ne pas réveiller le fantôme de l’Anchluss. Mais Paris est assez mal avec Moscou qui a rompu ses négociations commerciales avec la France, après que celle-ci avait renvoyé l’ambassadeur russe sous le prétexte que l’U.R.S.S.  avait reconnu le gouvernement algérien du G.P.R.A. ! Le Chancelier autrichien et son ministre des affaires étrangères Kreisky sont allés à Moscou pour essayer d’être autorisés à négocier avec le Marché Commun. Il est douteux que l’accueil ait été favorable.

 

Les Difficultés du Canada

Le Canada, comme nous l’avons vu, vit des jours difficiles. On lui a consacré beaucoup d’articles et d’études sans toucher au fond du problème. Le gouvernement Diefenbacher a commis une grosse erreur, celle d’encourager, pour se rendre populaire, le nationalisme canadien. Il a mécontenté les Américains en se substituant à eux dans le commerce avec Cuba, en traitant avec Pékin pour la livraison de céréales et surtout en exigeant que les Sociétés des Etats-Unis installées au Canada remettent  leurs filiales à des administrateurs canadiens. Par ailleurs, ce pays qui inspirait confiance aux investissements étrangers par son libéralisme et son attachement à la libre entreprise, s’est mis à parler de nationaliser certaines entreprises de service public, dont l’énergie électrique en Colombie Britannique et au Québec. Il n’en fallait pas plus pour stopper les initiatives et faire refluer les capitaux, précisément au moment où par suite de la surproduction, les richesses minières du Canada devenaient moins intéressantes. Les Canadiens, et d’autres aussi, n’ont pas compris que le nationalisme économique n’est plus viable aujourd’hui, même pour les grands pays à plus forte raison pour une nation de 18 millions d’habitants. Autant qu’on en peut juger, il leur sera difficile de changer d’orientation, tant qu’une crise grave ne les y aura obligés.

 

La Réunion du Comecon à Moscou

On commence à avoir quelques lueurs sur la réunion à Moscou de la conférence économique de l’U.R.S.S. avec ses satellites, dans le cadre de leur association dite Comecon. On sait qu’annoncée avec éclat, cette Conférence a tourné court, plus tôt que prévu. Les objections sont venues de partout, mais surtout de la Tchécoslovaquie. C’est elle qui supporte le plus lourd fardeau des livraisons de machines et d’équipement industriel aux pays sous-développés, en particulier l’Afrique noire et Cuba. Elle se plaint de ne recevoir en échange de ce précieux outillage que des bananes. Les bananes sont devenues le symbole du mode de paiement des pays tropicaux en difficulté. C’est sans doute un aliment de valeur pour des populations rationnées, mais cela ne fait pas rentrer beaucoup de devises dans les caisses de l’Etat et la Tchécoslovaquie en a grand besoin et préfèrerait accentuer ses échanges avec les pays d’Occident qui paient en monnaie forte.

D’autre part, les Russes veulent à nouveau imposer à leurs satellites européens une division du travail qui les rende dépendants les uns des autres, et cela en exécution d’un plan global de production dicté par les Soviets comme ils l’ont déjà fait pour l’Allemagne Orientale. Chaque pays, au contraire, voudrait fabriquer ce qu’il peut le mieux utiliser ou vendre à l’exportation en Occident. L’accord dans ces conditions n’est pas facile et, une fois de plus, sans doute, les règlements adoptés resteront lettre morte.

 

                                                                                      CRITON