Criton – 1963-12-14 – Chou en Laï en Afrique

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Le Courrier d’Aix – 1963-12-14 – La Vie Internationale

 

Chou en Laï en Afrique

Désormais indépendante de Moscou, la Chine de Pékin fait son entrée officielle sur la scène internationale : Chou en Laï et son Ministre des Affaires étrangères, Cheng Hi, entreprennent une tournée en Afrique. Au Caire d’abord, où aux côtés de Nasser se trouvera Che Guevara le bras droit de Fidel Castro, à Alger ensuite, puis au Mali, au Ghana, en Somalie et en Guinée, c’est-à-dire partout où l’Union soviétique avait, avec plus ou moins de succès, exercé son influence. Les Chinois jusqu’ici n’avaient visité que l’Asie où déjà les Russes les avaient précédés, l’Indonésie en particulier. Mais sauf dans ce dernier pays, l’agression contre l’Inde et le rejet des offres de médiation des Ministres asiatiques du groupe de Colombo avaient jeté quelques suspicions sur leurs desseins. L’Afrique moins exposée les accueillera sans méfiance.

 

Les Communistes à Alger

C’est à Alger que Chou en Laï trouvera la meilleure audience. Ici les Russes ne s’étaient pas montrés très entreprenants : le Parti communiste algérien faisait porter sa propagande sur les revendications sociales et Ben Bella, n’y pouvant satisfaire, le tenait à l’écart. Krouchtchev voulait ménager le Gouvernement français trop utile pour disloquer l’Alliance Atlantique. Ce n’est que tout récemment, voyant les Chinois à l’œuvre, qu’il s’est décidé à entrer en jeu avec un prêt à l’Algérie de 50 milliards d’anciens francs. Les Chinois de leur côté n’en apportent que la moitié mais à des conditions telles qu’il équivaut à un don. La pénétration communiste en Algérie, prédite dès que l’indépendance fut en vue, se fera donc sous le signe de la rivalité des deux Puissances, la Russe et la Chinoise.

L’entrée en scène de la Chine en Afrique n’apportera pas grand changement aux conditions matérielles ni aux rapports politiques des pays visés. Elle a, par contre une grande valeur symbolique et c’est dans ce but que Chou en Laï se manifeste pour leur dire : l’U.R.S.S. a trahi la cause des peuples qui se débarrassent des séquelles de la colonisation. Elle pactise avec les « impérialistes », son communisme est un faux semblant, suivre son exemple et se lier à elle équivaudrait à se faire l’instrument d’un nouvel asservissement. Les méthodes chinoises sont les seules qui conviennent à l’affranchissement définitif des peuples de couleur. Partout où l’U.R.S.S. a posé des jalons, la Chine offrira ses services pour la supplanter.

Pour l’Amérique latine, où Pékin ne s’est pas encore suffisamment manifesté, l’alliance avec Castro servira d’accès. Et Castro est de plus en plus disposé à entrer dans le jeu. Il vient d’installer une ambassade en Albanie, et les techniciens chinois remplacent les Russes à Cuba. Il sent en effet que Krouchtchev n’ayant pu se servir de lui pour faire pression sur les Etats-Unis, l’abandonnerait volontiers à son sort. La charge est lourde pour les Russes, un million de dollars par jour, les satellites européens se refusent à en faire les frais et malgré ce tribut, l’économie cubaine continue de sombrer. Dans la presse soviétique, on célébrait l’an passé Cuba, l’ « Île de la liberté ». Aujourd’hui, c’est le silence, Castro craint, non sans raison, d’être le prix du rapprochement russo-américain. La Chine peut, au moins, retarder sa chute. Car, depuis l’échec de ses partisans au Vénézuéla, ses derniers discours trahissent un homme menacé.

 

Nationalisme et Affairisme

Les Occidentaux européens se sont refusés à croire, pendant trois ans, au schisme russo-chinois qui se développait. Aujourd’hui, ils y voient surtout l’occasion d’intrigues diplomatiques et de fructueuses affaires. Les délégués, hommes d’affaires ou hommes politiques, se succèdent en Chine pour offrir leur marchandise à crédit et en même temps faire pièce aux Américains. La France n’est pas en reste, comme on sait. Une mission commerciale siègera en permanence à Pékin. Le nationalisme étroit et l’esprit mercantile y trouveront-ils leur compte ? La Chine n’a pas grand-chose à échanger et le danger de fortifier cette puissance frénétique est immense. Peu importe. La diplomatie et l’affairisme du XIX° siècle continuent à pousser leurs combinaisons.

 

L’Énigme Chinoise

De plus, il y a une énigme chinoise insoluble pour nos esprits. Nous avons dit souvent ici comme les impressions des voyageurs diffèrent du tout au tout. Nous tenions pour acquis que les peuples demeurent ce qu’ils sont, quelque régime qu’on leur impose. L’expérience montre que, malgré les apparences, il n’y a pas d’exception. Et cependant cette Chine inconsistante, où les hommes de régions voisines ne se comprennent même pas, retournant toujours à l’anarchie après de courtes reprises d’autorité paraît aujourd’hui se souder autour de l’empereur Mao. Le peuple chinois serait-il le seul d’une pâte si pétrissable qu’une volonté implacable serait capable de le transformer jusque dans ses mœurs et ses appétits. Certains faits tendraient à le faire croire. Ce serait alors la seule révolution authentique que le monde ait connue. Les Russes mieux placés que nous pour en juger commencent à le craindre et plus avisés que les Occidentaux, tout occupés de leurs mesquines querelles, changent leurs plans en conséquence avant qu’il ne soit trop tard.

 

Paul VI en Palestine

L’annonce du voyage du Pape en Palestine a constitué la sensation de la semaine. Le secret avait été bien gardé. Sauf au Caire, l’événement est accueilli avec enthousiasme ; même à Moscou, on s’abstient de toute critique, on s’en félicite au contraire. Ce pèlerinage est la conséquence normale de l’ « aggiornamento » de l’Église auquel ont été consacrées les deux sessions du Concile. C’est aussi l’affirmation que, en dépit de réserves et de réticences, un pas décisif a été franchi vers le rapprochement des Chrétiens de toutes obédiences, et au-delà même vers la tradition juive. L’écueil du voyage, qu’il faudra une extrême adresse pour éviter, c’est qu’il prenne une signification politique au lieu de conserver un caractère strictement religieux.

En passant de la Jérusalem arabe à la Jérusalem juive, il faut franchir la frontière des deux Etats qui sont théoriquement en guerre et qui, par moments, le sont en fait. Heureusement, la Jordanie n’est ni l’Egypte, ni la Syrie, sans quoi un pèlerinage officiel du Souverain Pontife eut été impossible. On s’accorde à penser que ce premier voyage d’un pape hors d’Italie est le prélude à d’autres. Ainsi, d’intemporelle et d’absolue qu’elle était, l’autorité pontificale va se mêler au siècle. Des contacts seront pris, peut-être à Jérusalem même avec les patriarches des églises séparées d’Orient. Ce retour aux sources, que le pèlerinage souligne, soulève dans le monde un intérêt considérable. Certains s’inquiètent de ce renouvellement qui brise des traditions qui mettaient l’Église à l’abri des vicissitudes du monde. Mais les masses chrétiennes et non-chrétiennes l’approuvent : Vox Populi.

 

Krouchtchev au Comité Central

A Moscou, Krouchtchev, devant les 6.000 fonctionnaires du Comité Central, a prononcé le discours fleuve attendu pour annoncer et préciser les moyens qui doteront l’U.R.S.S. de l’industrie chimique que les plans antérieurs avaient négligée et dont l’insuffisance a contribué aux résultats désastreux de la production agricole. Il a, lui aussi, constaté que l’âge de l’acier avait pris fin, que l’ère de la chimie commençait. Il était temps en effet après tant de proclamations donnant la priorité à l’industrie lourde. Au passage, Krouchtchev a rappelé que du temps de Staline et de Molotov, l’U.R.S.S. exportait du blé quand des provinces entières manquaient de pain et des milliers de gens mouraient de faim, à Koursk notamment. Il y a longtemps que nous le savions, Krouchtchev aussi, qui alors courtisait le tyran. Et l’on évoquait Lénine pour exalter cette révolution faite par le peuple, pour le peuple.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1963-12-07 – L’Élection Vénézuélienne

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Le Courrier d’Aix – 1963-12-07 – La Vie Internationale

 

L’Élection Vénézuélienne

L’élection du successeur du président Betancourt au Vénézuéla était attendue comme un test de l’influence du castrisme sur les masses du continent sud-américain. Les terroristes qui s’appellent « Forces armées de libération nationale », avaient multiplié les attentas avant le scrutin, mitraillé les passants, jeté des bombes sur les édifices publics, saboté les installations pétrolières, ravagé les bâtiments des sociétés des Etats-Unis dont ils venaient de kidnapper un des colonels de la mission militaire. Ils voulaient intimider les électeurs en menaçant de tirer sur ceux qui se présenteraient aux urnes.

Dans ces conditions, c’est avec surprise qu’on a appris que 95% des inscrits avaient voté, que les nombreux candidats avaient eu leur compte de voix et que celui qu’avait présenté le Parti gouvernemental, Raul Leoni, l’emportait. Pour une République sud-américaine, c’était réalisée l’image d’une parfaite démocratie. C’était surtout une réponse massive au terrorisme, une réprobation qui témoignait d’un certain courage puisque le F.A.L.N. a fait ce dimanche quelques victimes dans la rue. Le meurtre du président Kennedy n’est sans doute pas étranger à cette manifestation populaire. Même si, comme probable, l’assassin a agi seul, son acte n’en apparait pas moins comme l’aboutissement d’une campagne de haine contre les Etats-Unis et leurs institutions. Les castristes et ceux qui les soutiennent ne s’y sont pas trompés et ont cherché, par des hommages au disparu, à dégager leur responsabilité. Les Vénézuéliens leur ont répondu que, même s’ils n’étaient pas directement en cause, leur culpabilité morale demeurait.

 

L’Exemple sera-t-il suivi ?

Sans doute les populations du continent latino-américain sont particulièrement émotives et par-là versatiles. Le succès des forces civiques au Vénézuela ne préjuge pas de ce qui peut se passer ailleurs. Il y a, au surplus, trop de tensions politiques et d’inégalités sociales et économiques pour qu’on puisse prévoir que s’installera partout, peu à peu, une représentation populaire ordonnée et apte à promouvoir les réformes nécessaires. Le test vénézuélien a cependant une signification exceptionnelle. Le Mexique avait éprouvé aussi bien des soubresauts violents et il a réussi à s’en dégager et à se développer dans l’ordre. D’autres peuvent le faire.

 

Deux Poids, Deux Mesures

Notons à propos du Vénézuéla combien les passions politiques obnubilent dans des esprits pourtant cultivés, le sens élémentaire de l’équité. Voilà un groupe de terroristes qui incendie et qui tue, non pas pour renverser un dictateur – le président Betancourt, de par la Constitution, ne se représentait pas – mais pour bouleverser le fonctionnement d’une consultation populaire dont les résultats montrent clairement qu’elle était sincère. A-t-on lu quelque part qu’un groupe de personnalités et d’intellectuels s’est élevé contre leurs agissements ? Mais qu’à la suite des grèves des Asturies quelques mineurs aient été maltraités par la police de Franco, des quatre coins du monde des comités se forment, des signatures plus ou moins illustres s’alignent pour protester. En ce sens, la réaction populaire est plus saine. Elle condamne la violence d’où qu’elle vienne.

 

La Cassure du Bloc Communiste

Le meurtre du Président Kennedy a déterminé un autre test. Il a révélé et précipité la cassure non plus seulement politique, mais morale du Bloc communiste. Au Congrès mondial de la Paix à Varsovie, les délégués ont observé une minute de silence en hommage au disparu. Seuls les Chinois et leurs satellites s’y sont refusés. De violentes discussions ont suivi et l’on parle d’une scission du mouvement. Bien sûr, il y avait, dans cette manifestation de sympathie, d’autres raisons que sentimentales, mais, sans doute aussi la détermination de marquer les distances d’avec un esprit révolutionnaire qui ne respecte rien. Cela a plus de poids que des monceaux de polémiques plus ou moins idéologiques. Qu’ils l’aient ou non voulu, ceux qui se sont associés à cette marque de déférence à l’égard des U.S.A. ont opté pour la solidarité morale de l’Occident. Les Russes ont donné l’exemple non seulement parce qu’ils y avaient intérêt, mais parce qu’ils ont de plus en plus à tenir compte du sentiment populaire.

 

Le Progrès de la Détente

De toute façon, la détente y a largement gagné. Il y a longtemps qu’elle fait son chemin et nous ne manquons pas d’en recueillir tous les indices, même minimes. Ils se multiplient.

Du côté allemand, depuis le départ d’Adenauer, on tâte le terrain pour rapprocher les deux Allemagnes, Erik Mende, le nouveau vice-Chancelier libéral propose à Ulbricht des crédits en échange d’adoucissements au régime de l’Est ; ballon d’essai repoussé bien entendu, mais peut-être plutôt pour la forme. Avec la Hongrie, Bonn vient de conclure un échange d’étudiants. Il en est question avec la Tchécoslovaquie jusqu’ici obstinément hostile à toute relation avec la République fédérale. Les contacts avec la Pologne s’élargissent. Quant à la Roumanie, elle est maintenant à mi-chemin du neutralisme à l’entente avec Tito qui vient de s’entretenir longuement avec le premier Georgiou Dej, les Soviets n’ont pas réagi. Le commerce de la Roumanie se développe avec l’Occident au détriment des échanges entre partenaires du Comecon. Cette organisation malgré la fondation récente d’une banque commune demeure inopérante. Les nationalismes et les particularismes se renforcent en Europe centrale, comme d’ailleurs dans notre Occident où le Marché Commun ne se défend plus que par ses bureaucrates. L’attrait du Monde libre est plus fort que tous les dogmes.

 

L’U.R.S.S. et la Tchécoslovaquie

Krouchtchev est conscient du péril et s’efforce de tenir les positions les moins fragiles. Le premier tchécoslovaque, Novotny, qui se cramponne à son poste, malgré l’opposition intérieure est allé à Moscou chercher appui. Les Russes ne veulent plus le sacrifier mais profiter de la fragilité de son pouvoir pour en exiger davantage. Les tensions en Tchécoslovaquie ont surtout pour cause le lourd tribut qu’elle doit payer, grâce à son potentiel industriel, à la cause du communisme. Les livraisons à Cuba ont aggravé le malaise et la disette se fait durement sentir. En prolongeant les accords commerciaux tchéco-russes, Novotny a acheté le soutien des Soviets. Si le prix se révèle trop lourd, le marché se retournera contre lui et son maître.

 

Les Querelles Militaires

La politique menée par les politiciens, à quelque bord qu’ils appartiennent est souvent, sinon toujours en retard sur les événements. On disait naguère que les militaires préparaient la précédente guerre. Les hommes d’Etat d’aujourd’hui se querellent sur celle qui ne peut avoir lieu. Pas plus d’ailleurs que le désarmement, également impossible, pour les Russes surtout qu’un article de l’ « Etoile Rouge » vient de nous apprendre que l’Armée Rouge déploie à l’Est du Lac Baïkal, c’est-à-dire sur les milliers de kilomètres qui vont de là au Pacifique, des unités dotées de tout un armement moderne. Cela ne nous surprend guère. En face des Chinois, qui, si faibles qu’ils soient, disposent d’un avantage stratégique énorme, il faut faire face et cela ne s’improvise pas. L’Etat-major de Moscou a du travail là-bas pour de longues années. Si comme on le laisse croire, on a vraiment le sens de l’histoire, il y aurait une belle occasion pour nous de réduire des dépenses militaires sans objet pour se consacrer à d’autres tâches.

 

Les Élections Australiennes

D’autres élections ont eu lieu qui méritent mention. En Australie, Robert Menzies en place depuis quatorze ans a remporté sur les Travaillistes une victoire qui dépasse les prévisions, hommage de l’électeur à un homme d’État qui a su assurer la prospérité et la sécurité du continent. En face des menaces de l’Indonésie dans cette partie du monde, le maintien de Menzies au pouvoir signifie la résistance aux ambitions de Soekarno, par la force si besoin, et l’étroite alliance avec les U.S.A. En cas de victoire travailliste en Angleterre, l’Australie s’éloignerait encore de son ancienne métropole. Déjà les intérêts qui les liaient ont perdu beaucoup de leur poids tandis que ceux qui touchent au Pacifique et par-delà aux Etats-Unis, sont devenus essentiels. Voilà, en une semaine beaucoup de renforts à M. Johnson.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1963-11-30 – Le Meurtre du Président Kennedy

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Le Courrier d’Aix – 1963-11-30 – La Vie Internationale

 

Le Meurtre du Président Kennedy

Le meurtre du Président Kennedy a provoqué dans le monde une extraordinaire émotion : Surprise, indignation, inquiétude, compassion tout à la fois. La réaction par son intensité, sa spontanéité a dépassé ce qu’on pouvait attendre d’un évènement de cet ordre. Elle constitue un test de la conscience universelle, celle du Monde libre, comme celle d’au-delà du rideau de fer. Les Américains peuvent s’en trouver réconfortés car cette sympathie à laquelle ils tiennent tant et qu’ils ont si vainement recherchée, ils ont pu voir que par-delà les critiques et les mauvais procédés dont ils étaient l’objet, elle se manifestait avec éclat à l’occasion d’un deuil national. S’ils n’étaient pas généralement compris, du moins un élan d’affection populaire auquel ils ne croyaient plus, a jailli des profondeurs. Et pour ceux qui sont souvent sévères pour les hommes et ceux qui les guident, c’est une raison de confiance et d’optimisme.

 

L’Importance des Etats-Unis

On a pu aussi mesurer l’importance que les peuples attachent à la présence et à l’influence des Etats-Unis et, par-dessus tout, à la garantie qu’ils apportent à la paix du monde qui, sans eux, ne serait pas longtemps maintenue. Une défaillance de leur part et ç’en serait fait de la quiétude d’un chacun. C’est à la nation même plus qu’à l’homme qui la représentait, que le témoignage est allé. On croit à la volonté pacifique des Etats-Unis et l’on a confiance en eux pour la faire respecter. Quel que soit l’homme au pouvoir, cette politique ne changera pas.

 

L’œuvre de Kennedy

Il est naturel que l’on exalte la personne et l’œuvre de l’homme frappé d’un si cruel destin. Mais le panégyrique, clamé par tous les moyens de la publicité moderne, a sans doute passé la mesure. Les pouvoirs réels d’un président des Etats-Unis sont plus limités que ceux que la Constitution lui attribue. La Chambre des Représentants et surtout le Sénat sont plus que partout ailleurs des freins puissants aux initiatives contestables. Ce fut particulièrement le cas pour Kennedy.

Les deux propositions de loi qu’il tenait pour essentielles, celle qui concerne l’égalité raciale et l’autre qui demandait une réduction des impôts et un déficit plus large du budget n’étaient pas encore discutées ; la seconde avait peu de chances de passer, la première devait subir le feu des amendements ; le programme d’aide à l’étranger avait été singulièrement réduit. Sauf la constitution et le financement du « corps de la paix » – les jeunes gens envoyés pour aider au progrès des pays sous-développés – toutes ses initiatives avaient été accueillies sans chaleur. Et l’échec de l’invasion de Cuba au début de son mandat pesait sur son prestige. L’ « Alliance pour le progrès » destinée à resserrer les liens avec l’Amérique latine avait été décevante.

Pour ce qui est de Cuba, malgré le retrait des fusées russes en novembre dernier qui fut le principal succès de Kennedy, le régime castriste demeurait et avec lui le foyer de l’agitation communiste contre le continent américain. Même la politique de détente avec l’Union Soviétique n’était pas approuvée sans réserve. Comme la menace cubaine, le mur de Berlin édifié en 1961 restait debout. Aucune concession concrète n’avait été obtenue pour mettre pratiquement fin à la guerre froide.

 

Le Nouveau Président

Dans ses relations avec le Parlement, le nouveau président Lyndon Johnson est infiniment mieux placé : au Sénat, il est parmi les siens. Il est écouté par les représentants des deux Partis. Politicien chargé d’expérience, juriste et homme d’affaires parvenu par ses propres moyens, il représente le type traditionnel du premier magistrat que les parlementaires aiment voir diriger le pays. On ne peut attendre de lui des plans hardis, ni même des initiatives imprévues. Il ne proposera que ce qu’il sait acceptable par la majorité. Sénateurs et représentants lui sauront gré surtout de n’être pas entouré et conseillé, comme son prédécesseur, par des intellectuels dont tous les politiciens souvent avec raison, se défient ; Johnson apparaît, comme le chancelier allemand Erhard, l’homme du juste milieu, ce qui ne signifie pas qu’il aura la tâche facile à onze mois d’une élection présidentielle qui, par la disparition de Kennedy s’annonce particulièrement ouverte.

En politique extérieure, il devra se montrer assez ferme pour ne pas donner trop de chances aux plus conservateurs des Républicains, assez conciliant pour ne pas susciter d’adversaires dans son propre Parti. Et il y a le problème noir toujours suspendu où la position de Johnson est difficile. Démocrate du Sud, il était déjà considéré par ses collègues des Etats du Sud comme trop acquis aux thèses antiségrégationnistes. Il avait sur ce point soutenu loyalement Kennedy et sa popularité dans ces régions en souffrait. Il lui faudra trouver un compromis difficile entre les plus libéraux et les plus réticents. C’est là-dessus plus qu’en politique étrangère que sa carrière va se jouer.

 

La Prochaine Élection Présidentielle

En août 1964, la Convention démocrate désignera son candidat à la Présidence. Le délai est court pour faire d’un homme apprécié une physionomie capable de conquérir les suffrages. C’est le climat pré-électoral qui va peser sur l’autorité des Etats-Unis dans le monde. Tout indique cependant qu’à Moscou on est acquis à l’idée d’une trêve. En dehors des incidents habituels pour tenir la propagande en éveil, il est peu probable que Krouchtchev se livre à de sérieuses provocations. Le peuple soviétique a montré, à l’occasion du drame d’hier, son attachement à la coexistence pacifique. Pour conserver ce qui lui reste de prestige, Krouchtchev a tout intérêt à s’appuyer sur ce sentiment. Et comme le conflit avec la Chine, malgré ses efforts, n’est nullement en voie d’apaisement, il ne peut compromettre ses relations avec l’Occident dont il a besoin.

 

La Pause Actuelle

L’émotion provoquée par le meurtre du Président américain a en quelque sorte frappé d’inertie toutes les controverses éparses dans le monde. Depuis quelques temps déjà, aucune ne méritait d’ailleurs une attention particulière ; comme nous nous limitons ici à l’essentiel, nous étions en peine de faire un choix. Cette sorte de pause ne manque pas de signification. La tendance générale se porte vers l’apaisement. Les agitateurs, Castro, Nasser, Ben Bella, Soekarno, les Baathistes de Syrie et d’Irak ne trouvent guère d’appuis encore moins d’encouragement. Les communistes eux-mêmes baissent le ton. Adoula a pu expulser non sans vigueur toute la délégation soviétique à Léopoldville dans les plus brefs délais. Moscou s’est contenté d’une protestation bénigne et va tout simplement remplacer les indésirables par d’autres. S’il est un signe des temps, on n’en pourrait trouver de meilleur, ni de plus clair.

 

                                                                                                       CRITON

Criton – 1963-11-23 – L’Affaire Barghoorn

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Le Courrier d’Aix – 1963-11-23 – La Vie Internationale

 

L’arrestation par les Russes du professeur américain Barghoorn fut une telle erreur psychologique que certains ont prétendu qu’elle fut l’œuvre d’adversaires de Krouchtchev. Elle porte cependant bien sa marque et, toutes proportions gardées, ressemble à celle qu’il commit à Cuba l’an passé et qu’il dût, comme cette fois-ci en relâchant le professeur, corriger précipitamment au risque de perdre la face.

 

L’Arrière-Plan Psychologique de l’affaire Barghoorn

L’affaire est intéressante, non par ses répercussions qui seront brèves, mais précisément parce qu’elle révèle l’abîme psychologique qui sépare les dirigeants russes de l’opinion américaine. Krouchtchev a cru, en faisant arrêter un Américain, s’emparer d’un otage pour l’échanger ensuite contre l’un des espions soviétiques que les Américains venaient de prendre sur le fait – la chose est courante -. Il ne lui est pas venu l’idée qu’un savant respecté, membre d’une université réputée, n’était pas pour les Américains un touriste quelconque mais une personnalité à laquelle on ne pouvait toucher sans offenser toute une nation. Les Soviets eux ont souvent laissé exécuter au Moyen-Orient les chefs du Parti qu’ils patronnent, sans même protester quand leur intérêt politique leur conseillait le silence. Un homme pour eux ne compte que dans la mesure où il sert leurs desseins. Sinon, ils l’abandonnent ou l’échangent s’il peut encore être utilisable.

 

Pénurie d’Alcool en U.R.S.S.

Le moment était mal choisi pour irriter les Etats-Unis. Krouchtchev a préféré relâcher le professeur que de compromettre les négociations en cours. Il y a d’abord le blé dont l’achat aux Américains devient urgent et aussi une autre spécialité russe, l’alcool de bouche. La vodka va manquer et elle est aussi nécessaire que le pain pour ranimer les courages et dissiper les mécontentements. Les Russes négocient l’achat aux Etats-Unis de 170 millions de litres d’alcool, pas loin d’un litre par habitant. C’eut été pourtant l’occasion de réduire l’alcoolisme que les gouvernants se promettent toujours de combattre.

 

L’U.R.S.S. en Somalie

En dépit de ses difficultés alimentaires, l’U.R.S.S. poursuit ses desseins en Afrique, toujours à l’affût d’un moyen de pénétration. Une occasion nouvelle se présente en Somalie. Cette république est composée de la réunion des anciennes colonies italiennes et anglaises. A peine formée, avant même d’avoir pu asseoir son unité, elle revendique plusieurs territoires devant former la Grande Somalie, à savoir : la Côte française avec Djibouti, la Province de l’Ogaden qui appartient à l’Ethiopie et la partie Nord du Kenya qui doit accéder à l’indépendance le 12 décembre. Pour réaliser ces ambitions, les Somaliens, ne peuvent compter sur des négociations, il leur faut une armée. Ils se sont adressés à l’Occident, c’est-à-dire aux Etats-Unis qui leur ont offert de quoi équiper une police forte de six à sept mille hommes. Les Soviets ont aussitôt proposé de former une armée de vingt mille, munie d’armes modernes et naturellement de fournir les techniciens pour en apprendre l’usage aux indigènes, le tout avec le plus parfait désintéressement, comme il convient.

L’affaire n’a pas traîné : les instructeurs russes sont déjà à l’ouvrage. On peut mesurer l’importance de ce point d’appui pour enflammer l’Afrique : créer au Négus, rangé  parmi les réactionnaires depuis qu’il a limité l’aide soviétique, un problème militaire, menacer les colonialistes français et ébranler par surcroît le nouvel Etat du Kenya divisé en parties hostiles, le Kadu et le Kanu, où résident encore de nombreux colons britanniques. De quoi compenser les échecs au Congo ex-belge, en Guinée, et en Angola. Il y a en Somalie un potentiel de conflit de frontières plus aisé à exploiter que le conflit algéro-marocain où les Africains ne peuvent, sans mettre leurs principes en défaut, laisser s’interposer des puissances étrangères au Continent.

 

La Conférence d’Addis-Abeba

La Conférence d’Addis-Abeba est patronnée par le Négus qui joue sur cette affaire l’avenir d’une possible unité africaine. Il s’y emploie avec d’autant plus d’ardeur qu’il lui faut créer un précédent pour éviter un futur conflit avec la Somalie voisine. Sauf l’Egypte, tous les autres pays africains ont intérêt à maintenir leurs actuelles frontières et c’est pour cela que Ben Bella a accepté de signer une trêve à Bamako avec Hassan II, sûr d’obtenir de ses collègues noirs la consécration de l’intangibilité des frontières contre son voisin marocain. Ce qui ne veut pas dire que leur antagonisme sera surmonté. On ira d’Addis-Abeba à Lagos, de conférence en conférence sans obtenir un véritable règlement, mais on prolongera ainsi la trêve des hostilités ce qui, en fait, consolide les positions acquises.

 

Le Néo Néo-Colonialisme

Dans un article pénétrant, le célèbre historien anglais Arnold Toynbee marque de ce titre le farouche attachement des nouveaux Etats Africains aux frontières tracées au hasard de conquêtes par les Grandes Puissances. Le néo-colonialisme, dit-il, est un mot péjoratif par lequel les pays autrefois colonisés suspectent leurs anciens protecteurs et d’autres de perpétuer leur domination sous une forme déguisée par un contrôle financier sous forme d’aide économique. Cette suspicion, dit Toynbee, est normale mais peu fondée car les anciennes puissances coloniales se sont aperçu que leur intérêt était plutôt d’utiliser leurs ressources chez elles que de les gaspiller au-dehors.

Par contre, l’acharnement avec lequel les nouveaux Etats s’attachent à maintenir les frontières tracées par la colonisation est une des surprises majeures de notre temps. On aurait pu s’attendre à ce que leur premier soin eut été de réviser des limites qui ne correspondaient en rien aux données ethniques et aux exigences économiques des entités en formation. Or, on voit ces pays défendre les territoires dont ils ont hérité, comme s’il s’agissait d’un patrimoine national. Quant à ceux qui se sentent lésés par des partages consécutifs à d’anciennes rivalités de puissance, ils s’apprêtent à les recouvrer par la force. Ils ont hérité malheureusement de cette maladie des contestations de frontières qui fut la cause de tant de guerres entre pays évolués, mais pas de cela seulement. L’héritage de la colonisation est aussi le passeport indispensable pour être admis dans le concert des peuples, à savoir le système administratif, la législation et par-dessus tout la langue. Si bien, dit Toynbee, que les institutions contre lesquelles les champions des mouvements de libération avaient combattu sont soigneusement préservées par eux-mêmes dès qu’ils ont pris le pouvoir. Toynbee aurait pu cependant noter quelques exceptions : Ben Bella et Castro. Reste à savoir si la misère et le chômage auront raison de leur collectivisme.

 

                                                                                            CRITON

 

 

Criton – 1963-11-16 – L’Exploitation des Rivalités Commerciales

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Le Courrier d’Aix – 1963-11-16 – La Vie Internationale

 

« La détente aura duré moins que celle de Camp David », lit-on partout : les chicanes successives suscitées par les Russes aux convois américains sur la route de Berlin, l’arrestation à Moscou d’un professeur de Yale et quelques propos menaçants de Krouchtchev ont suffi à consterner ceux qui espéraient qu’un tournant décisif vers la paix était franchi. Ce désespoir est sans raison sérieuse. Répétons, puisque la grande presse ne fait pas la distinction, qu’il n’y a pas de rapport direct entre la politique de base du Kremlin et les gestes, discours et campagnes de presse, qui n’ont jamais changé et ne changeront pas tant que l’équipe actuelle tiendra le pouvoir. La politique de fond est imposée par la supériorité des Etats-Unis en armement, par les difficultés qui affectent l’économie soviétique et plus encore par la coïncidence d’intérêt entre les deux puissances, surtout depuis que la Chine est devenue l’ennemi de l’une et de l’autre. Des incidents comme ceux des convois vers Berlin sont de pure tactique : ils servent à montrer que l’U.R.S.S. ne se sent pas en position de faiblesse en face du Monde libre et, à l’égard des adversaires du camp communiste, qu’on ne pactise pas avec les « impérialistes ». Les critiques qui pleuvent sur Krouchtchev au sein du Parti, les échecs successifs de sa politique agraire lui imposent, pour tenir ses ennemis en respect, cette attitude de matamore. Comme le président Kennedy, nous pensons qu’il n’y a aucune raison d’y attacher plus d’importance.

 

L’Exploitation des Rivalités Commerciales

Cela d’ailleurs n’a pas empêché Krouchtchev de conclure avec les Etats-Unis l’accord sur le blé dont il ne peut se passer, ni de recevoir cordialement une délégation imposante d’hommes d’affaires et de capitalistes des Etats-Unis. Il faut reconnaître que les Russes et leurs semblables, Chine comprise, jouent avec dextérité de la rivalité commerciale des pays occidentaux. Les Américains ont réclamé en vain une coordination de la politique économique du Monde libre à l’égard du Bloc de l’Est. L’esprit mercantile du capitalisme occidental est son talon d’Achille. Pour conclure des affaires, pour s’ouvrir des marchés, il est prêt à tout, même à traiter avec le diable et, qui plus est, les Etats eux-mêmes encouragent leurs industriels dans cette compétition. Anglais, Français, Italiens, Allemands, Japonais, les délégués se succèdent à Moscou et à Pékin et offrent non seulement leurs marchandises mais des crédits et c’est à qui les fera les plus longs.

Des esprits naïfs ou trop intéressés proclament que par le lien des affaires, on rapprochera les peuples. Il en est de ce préjugé comme d’autres. Ce n’est pas parce que les peuples se visitent, qu’ils s’estiment davantage. C’est bien souvent le contraire. Ce n’est pas non plus par l’élévation rapide du niveau de vie qu’on affaiblit le communisme. En Italie, en France, en Espagne maintenant, la prospérité augmente plutôt le nombre des mécontents et stimule l’agitation sociale. Il y a aussi quelques idées toutes faites à réviser après expérience.

 

L’Élection de Luton

Les Anglais viennent d’en faire l’épreuve : dans la circonscription de Luton où se trouvent les usines d’automobiles Vauxhall, région particulièrement prospère où les salaires sont les plus élevés d’Angleterre, les électeurs ont voté Travailliste, contre leur propre intérêt : car le Labour au pouvoir s’intéressera aux régions moins favorisées plutôt qu’à eux et si la prospérité actuelle faisait place à une crise, ils en seraient les premières victimes. En  démocratie, la politique comme l’économie est affaire de psychologie : l’électeur, comme le consommateur a ses caprices, ses engouements et ses désaffections contre lesquels la raison, l’intérêt et le calcul n’ont aucun pouvoir. Il faut ou renoncer ou se soumettre. Quoiqu’il en soit, Sir Alexander Douglas Home, devenu « commoner » aura fort à faire pour remonter le courant défavorable aux Tories.

 

L’Agitation en Espagne

Nous faisions allusion à l’Espagne : C’est sur ce pays que la propagande subversive s’exerce de toutes ses forces depuis la grève des mineurs des Asturies et du Léon. Non seulement les communistes, mais les intellectuels et certains Phalangistes de gauche réclament une libéralisation du régime et le leader démocrate-chrétien Gil Roblès renonce à soutenir la monarchie qui devait en principe succéder à Franco. Cette agitation coïncide avec un relèvement rapide de l’économie espagnole.

L’Espagne devient le premier pays touristique d’Europe, un million de travailleurs espagnols sont employés à l’étranger. Ces deux facteurs apportent au pays des ressources de change considérables et le tourisme exige des efforts pour satisfaire les hôtes, ce qui crée beaucoup d’emplois. L’Espagne a reçu et continue de recevoir une aide importante des Etats-Unis et des crédits français, allemands et autres qui permettent d’accélérer le processus d’industrialisation. Mais la comparaison avec les pays industrialisés voisins demeure, malgré les progrès récents, défavorable à l’Espagne : les travailleurs émigrés, les touristes qui affluent soulignent ce retard. C’est ce qui explique, en principe du moins, l’agitation présente. Dans l’entourage de Franco les partisans d’une libéralisation étendue et les tenants d’un contrôle sévère s’affrontent. Malgré les résistances du Caudillo, une détente s’imposera. Elle sera bienfaisante, à condition que, comme le pays s’y prête, malheureusement, elle n’ouvre pas la voie à l’anarchie.

 

                                                                                            CRITON

 

 

Criton – 1963-11-09 – Le Coup de Force à Saïgon

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Le Courrier d’Aix – 1963-11-09 – La Vie Internationale

 

Le Coup de Force à Saïgon

Au Sud Vietnam, les événements n’ont pas tardé à nous donner tort. Les Américains que l’on croyait hésitants, divisés, à la recherche d’un compromis, ont brutalement mis fin au règne de Diem. Les militaires locaux ont fait la sanglante besogne. Sans doute, le dictateur et son frère, par leur orgueilleuse intransigeance, s’étaient-ils délibérément fermé toute autre issue. Il est cependant regrettable, pour l’honneur des Etats-Unis, que, ce coup de force accompli, on n’ait pas su ménager, un autre sort à ces hommes, à qui les Américains devaient d’être dans la place et qui les avaient, des années durant, loyalement servis. On peut toujours craindre chez les Anglo-Saxons que n’éclate, après bien des faiblesses et des atermoiements, ce que nous pourrions appeler le complexe d’Hiroshima ou de Mers-el-Kebir, un brusque accès d’inutile violence quand ils se sentent tout-à-coup à bout de ressources pour dominer une situation.

 

Le Nouveau Régime

La page est tournée, une autre s’ouvre. D’autres difficultés apparaissent déjà : ce nouveau pouvoir, qu’il soit militaire, ou abrité derrière des civils désignés pour constituer une façade démocratique, aura-t-il la confiance et l’appui d’une population lasse de la guerre et des disciplines qu’elle impose ? Il est à craindre qu’après l’euphorie du changement, les mêmes tensions peu à peu ne reparaissent. Il n’y a pas au Vietnam un homme d’assez de prestige pour incarner l’unité et l’indépendance nationale tout en collaborant avec les Américains pour faire face au communisme. Tout au plus, les Etats-Unis auront-ils gagné du temps pour trouver une solution plus durable.

 

La Campagne Présidentielle aux Etats-Unis

A l’arrière-plan des événements de Saïgon, il y a déjà aux Etats-Unis une compétition électorale pour le scrutin présidentiel de novembre 1964. Kennedy ne peut rien négliger pour assurer sa réélection qui, à cause des troubles raciaux, paraît moins facile qu’on ne le croyait. Le problème noir demeure ; la loi sur les droits civiques aura beaucoup de peine à passer au Congrès sans amendements, malgré les concessions déjà faites aux Démocrates des Etats du Sud. Au surplus, une loi ne peut bouleverser les mœurs et l’accalmie présente n’est qu’une trêve, qu’il s’agit de prolonger le plus possible.

 

La Prépondérance retrouvée

Mais dans la décision américaine, il y a quelque chose de plus profond : le sentiment d’une prépondérance retrouvée après les années difficiles où les Américains s’étaient sentis humiliés par les succès russes dans l’espace. Deux faits dominent l’actuelle situation : l’affaiblissement de l’U.R.S.S. illustré par le schisme d’avec Pékin, l’achat massif de céréales par suite de la désorganisation de l’agriculture, le ralentissement de la course au cosmos qui en est la conséquence. De ce côté, la supériorité retrouvée est pour les Etats-Unis incontestable. Mais il y en a une autre sur laquelle nous attirons particulièrement l’attention car elle nous concerne. C’est la rapide perte de vitesse de l’expansion européenne ; il n’est pas exagéré de dire, le déclin de l’Europe continentale en face des pays anglo-saxons : Etats-Unis, Angleterre, Canada, Australie, qui eux sont pour le moment dans une phase de redressement.

Il n’est que de se reporter à la côte des bourses de valeurs pour s’en convaincre : baisse profonde en Europe continentale ; hausse plus ou moins record au-delà des mers. Toute l’Europe est affectée, pour des raisons diverses d’ailleurs.

Le pays le plus atteint est l’Italie ; la monnaie est en question, le déficit de la balance commerciale de plus de mille milliards de lires ; l’instabilité politique, les risques de la participation des socialistes nenniens au pouvoir, l’essoufflement de la production par suite de la hausse des coûts, etc…

Ensuite, la France avec une balance commerciale qui se détériore rapidement, un pouvoir d’achat de la monnaie qui fond, l’agitation sociale qui s’exaspère, un budget qui s’enfle démesurément en face de ressources qui se développent plus lentement.

En Allemagne aussi pour des raisons toutes différentes, la situation s’obscurcit. L’économie allemande présente un point faible qui l’a toujours été aussi bien sous Guillaume II que sous le III° Reich : l’esprit d’entreprise dépasse les moyens financiers, autrement dit, l’expansion industrielle a des assises financières trop étroites pour ses ambitions et ses capacités. Depuis quelques temps, les faillites commencent : Borgward, un des groupes Hugo Stinnes, et l’on parle des difficultés de trésorerie de Krupp lui-même. A l’aube de l’ère Erhard, le malaise est sensible.

La Hollande aussi, malgré de belles perspectives grâce aux découvertes de gaz de Groningue, est gagnée par l’inflation. Les Hollandais sont gens prudents et ordonnés, ils n’attendent pas, comme nous, que l’inflation galope pour mettre les freins. Mais un coup de frein est toujours douloureux en économie et les Hollandais le ressentent. Les Belges sont assez près d’une situation analogue et éprouvent encore le contrecoup du drame congolais.

Tout se passe comme si, sauf imprévu, les Etats-Unis allaient redresser la position du Dollar et les Anglais celle de la Livre dont les faiblesses avaient si péniblement offensé leur amour-propre. Le moyen de pression que les Européens possédaient par leur position de créditeur ne tardera pas à disparaître. Et il est à craindre, si l’on en juge par les récentes déclarations du sénateur Fulbright, que de sérieux règlements de comptes ne se posent avec la France et son régime. On reparle des dettes de la guerre de 1914 répudiées par feu Herriot.

 

La Question Algérienne

Il ne faut pas se dissimuler qu’il existe aux Etats-Unis et pas seulement dans les sphères gouvernementales, une sérieuse animosité à notre égard. Un récent article de Joseph Alsop dans le « New-York Herald » a fait quelque bruit. La mansuétude du Gouvernement français à l’égard de Ben Bella aurait pour explication qu’une série d’expériences atomiques souterraines auraient eu lieu au Sahara en octobre, au su du Gouvernement algérien qui aurait, pour prix de son silence, procédé aux nationalisations que l’on sait et décrété un contrôle des changes qui risque de condamner les sociétés pétrolières au Sahara algérien à ne plus pouvoir rapatrier les profits de leur exploitation. Le pétrole-franc coûtera cher au moment où de nouvelles sources d’énergie vont se développer en Europe même, en Allemagne et en Hollande.

Le redoutable chantage auquel la France est soumise en Algérie n’est évidemment pas pour déplaire aux Américains qui ont contre notre politique des griefs bien fondés.

 

Guy Mollet à Moscou

De son côté, Krouchtchev, dont les déboires n’ont pas altéré la bonne humeur, cherche une revanche en Europe. Depuis ses démêlés avec Mao, auxquels il a mis depuis peu une sourdine, ses espoirs vont, comme nous l’avions précédemment indiqué, à un rapprochement avec les Sociaux-démocrates occidentaux pour tirer les Partis communistes affaiblis de leur isolement et rendre possible l’avènement futur d’un nouveau front populaire en Italie et en France. Ces Sociaux-démocrates, jadis comme Tito, traitres et renégats, sont entourés de prévenances et de sollicitations. Les longs entretiens que Krouchtchev eut avec Guy Mollet ont-ils comblé ses espoirs ? On en saura peut-être quelque chose. Bien que les oppositions soient sérieuses, on ne peut exclure l’hypothèse d’alliances tout au moins tactiques pour renverser le pouvoir actuel. Les tentatives sont sérieuses. Mais la prudence de l’autre côté n’est pas moins en éveil. Attendons la suite avec curiosité. D’ailleurs, pour faciliter un rapprochement, les pays de l’Est, les uns après les autres, lèvent le rideau de fer. Après la Hongrie, la Tchécoslovaquie a ouvert sa frontière aux touristes autrichiens qui peuvent sans formalité compliquée visiter leurs amis à Bratislava. Les Américains vont aider la Roumanie à construire une aciérie à Galati. Seul le mur de Berlin demeure impénétrable. Il y a pour cela de solides raisons.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1963-11-02 – Le Conflit Algéro-Marocain

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Le Courrier d’Aix – 1963-11-02 – La Vie Internationale

 

Le Conflit Algéro-Marocain

Le conflit algéro-marocain apparait plus sérieux qu’une manœuvre de politique intérieure pour affermir des pouvoirs discutés. Il a pris le caractère désormais classique d’une croisade idéologique couvrant des ambitions territoriales. Le socialisme de Ben Bella sert de machine de guerre pour ébranler le trône marocain et, en cas de succès, la dictature de Bourguiba. Nasser et les Soviets, Castro et les Chinois rivalisent pour pousser l’Algérie à l’hégémonie du Maghreb. Les Américains ne s’y trompent pas. L’Ambassadeur des Etats-Unis à Alger, Porter, au courant des débarquements de matériel de guerre soviétique de retour de Cuba dans le port d’Oran et de l’envoi de bateaux de guerre et de parachutistes égyptiens, a mis Ben Bella en garde contre une extension internationale du conflit auquel les Etats-Unis ne resteraient pas indifférents.

Il est peu probable qu’on en vienne là dans l’immédiat. On discutera beaucoup autour de tables de conférence. On se battra par intermittence. Mais il est non moins probable qu’il s’agit d’un conflit à long terme dont l’évolution dépendra de la situation intérieure des protagonistes. Nasser, comme Krouchtchev, ont trouvé là une occasion trop tentante de prendre une revanche de leurs échecs ; l’Egyptien en Syrie, en Irak, et au Yémen, le Russe à Cuba et en Chine. L’un et l’autre trouveront toujours des fonds pour attiser le feu partout où l’on peut coller sur un gouvernement l’étiquette « fasciste » ou « vendu aux impérialistes ».

 

Le Débordement par l’Afrique du Nord

Le dessein remonte loin. Dès que la guerre d’Algérie eut marqué un tournant décisif, Nasser et les Soviets ont pris position, les Russes avec prudence pour ne pas compromettre les possibilités d’une dislocation de l’Alliance Atlantique par la diplomatie française. Maintenant, il s’agit de tenter de transformer l’Afrique du Nord en tête de pont du communisme pour tourner éventuellement les défenses occidentales. La manœuvre a été préparée de longue date et nous l’avions indiquée ici à plusieurs reprises comme inévitable au cas où l’extrêmisme l’emporterait en Algérie et serait assez fort pour surmonter l’anarchie latente et chronique du pays. Pour le moment, Ben Bella a poussé le collectivisme à l’extrême. En principe, et même en fait, il est plus communiste que ses acolytes puisque non seulement il nationalise les entreprises, mais il leur accorde l’autogestion. Les pétroles étant exclus, du moins provisoirement.

 

Les Miracles du Communisme

Il y a heureusement beaucoup de chances pour que l’entreprise suive le cours de ses congénères. Le communisme fait des miracles : en Russie, après 46 ans de régime, le pays du blé connaît le rationnement du pain. A Cuba, en moins de cinq ans, on rationne le sucre dans le pays qui en vendait au monde entier. A parier que s’il s’entaillait en France on en viendrait à la carte de vin. En Algérie, le comble serait d’y rationner un jour le pétrole si les Compagnies étrangères en étaient chassées. Nous pensions que Ben Bella hésiterait à suivre cette voie insensée ; c’était sous-estimer le fanatisme aveugle et l’astuce irréfléchie, le mépris des obstacles dont certains chefs arabes sont capables quand ils croient tenir à leur merci des adversaires par trop complaisants, pris comme des otages. Les Etats-Unis cependant, s’ils le voulaient, s’ils n’étaient pas aussi irrités par les coups d’épingles qu’on leur lance d’ici, pourraient y mettre bon ordre, car ce sont eux, ne l’oublions pas, qui par leurs fournitures de céréales, nourrissent le peuple algérien dont la situation déjà critique serait intenable sans eux. Et ce ne sont pas les Russes, les Egyptiens ou les Chinois qui pourraient actuellement leur en livrer.

 

Krouchtchev renonce à la Lune

Krouchtchev nous a réservé une surprise : il renonce à conquérir la lune où ses astronautes trop pressés se donnaient récemment rendez-vous. L’opération coûte très cher et il y a, on s’en doutait, plus pressé. Le slogan des journaux russes porte sur le développement de l’industrie chimique : plus de spoutniks, des engrais. Il n’est question que de cela. Dans les plans successifs, on avait oublié la chimie ; non seulement les engrais mais les textiles et caoutchoucs synthétiques et les plastiques. Jusqu’au dernier plan en date, la priorité allait à l’industrie lourde de l’acier pour dépasser l’Amérique. Et puis, comme nos planistes, ils s’aperçoivent que l’âge du fer est dépassé. Heureusement chez nous, comme en Amérique et partout en Europe, l’industrie chimique s’est développée à pas de géant. Les Soviets vont tenter de combler le retard, ce qui implique d’énormes investissements. La conquête de l’espace devra être ralentie, sinon abandonnée. Cela avait été pourtant un bien bel instrument de propagande, tel qu’on n’en trouvera jamais de pareil. La chimie n’éblouit personne.

 

Les Chinois et l’Occident

Depuis que les Chinois sont en querelle avec Moscou, tout l’Occident fait sa cour à Mao. Les Anglais, les Allemands de Bonn, les Italiens y vont placer des commandes que les Russes n’acceptent plus. Par ailleurs, les commandes russes à l’Occident sont actuellement suspendues parce que les réserves soviétiques d’or et de devises sont entièrement absorbées par les contrats de blé au Canada, à l’Australie, à l’Argentine et en tous pays où l’on en peut trouver. La Chine, si elle était solvable, serait un marché grandiose. La France n’est pas en reste, mais là, il ne s’agit plus seulement de la course aux débouchés, mais de politique. Il y a eu d’abord la mission George Picot qui avait des allures plutôt commerciales que diplomatiques ; depuis, ce fut le voyage d’Edgar Faure qui a joué le rôle d’ambassadeur in partibus de l’Elysée. On parle d’une reconnaissance officielle de la Chine communiste par la France. Les Anglais, dit-on, l’ont bien fait. Aux Etats-Unis, ces démarches sont considérées comme un mauvais procédé de plus. L’affaire venant après les intrigues françaises à Hanoï, le gouvernement Kennedy y voit l’ébauche d’un complot et l’on s’inquiète.

 

La Situation au Vietnam

Car la situation au Vietnam ne s’éclaircit guère. Comme toujours – ce mot revient irrésistiblement sous notre plume – les militaires et les civils ne sont pas d’accord aux Etats-Unis sur la conduite à suivre. Et qui pis est, les services secrets, le C.I.A. se trouvent au milieu, vilipendés par les deux Partis. Les militaires croient tenir en main la victoire sur les Viêt-Cong, c’est leur rôle. Ils considèrent Diem et les Nhu indispensables au succès, et réclament de l’argent, des canons et des munitions. Les civils et en particulier l’ambassadeur Cabot Lodge, veulent couper les crédits à Diem et peut-être, si l’on ne peut renverser Diem, trouver une autre solution à la guerre sans savoir au juste laquelle. C’est exactement ce qui s’est passé en Corée entre 1950 et 1953. Truman avait démissionné Mac Arthur qui voulait qu’on lui concède les grands moyens pour aboutir, Eisenhower qui publie en ce moment ses mémoires avait à son tour hésité, louvoyé. La guerre de Corée fut bel et bien perdue … sans que Syngman Rhee, lui abdiquât. L’histoire se répète.

 

                                                                                  CRITON

Criton – 1963-10-26 – Le Nouveau Cabinet Britannique

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Le Courrier d’Aix – 1963-10-26 – La Vie Internationale

 

Le Nouveau Cabinet Britannique

Les tractations au sein du Parti Conservateur britannique qui ont abouti à la désignation de Lord Home ont mis au jour, et les dissensions internes, et l’anxiété des Parlementaires devant le prochain verdict populaire. Pour la seconde fois, M. Butler a été écarté à la suite d’oppositions personnelles irréductibles et par l’autorité de MacMillan qui reste populaire au sein du Parti même. Le choix assez inattendu du Ministre des Affaires étrangères n’en soulève pas moins des réserves et un membre influent – Mac Leod – a refusé de faire partie de son équipe qui – à part lui – ne diffère pas sensiblement de celle du précédent Cabinet. La présence d’un Lord à la tête du gouvernement, constitue pour ses adversaires une cible de choix. Harold Wilson, le Leader travailliste, n’a pas manqué d’acrimonie à son égard : un aristocrate éduqué à la mode du XIX° siècle, peut-il être valablement désigné pour comprendre et orienter l’Angleterre d’aujourd’hui, les besoins et les aspirations des masses ? Lord Home a relevé le défi. Le renouveau incontestable de l’économie britannique qui doit se préciser dans les mois qui viennent représente un facteur essentiel pour le jugement populaire. La crainte de remettre en cause ce retour de prospérité peut rendre aux Conservateurs l’audience perdue par les récents scandales. Cependant, la pente à remonter est dure après douze ans de pouvoir ininterrompu et pas mal d’échecs.

 

L’Ere Erhard

En Allemagne, l’ère Erhard est ouverte. Au contraire de son collègue britannique, il ne s’est heurté à aucune opposition ostensible. Sa déclaration ministérielle tenant le juste milieu sur tous les problèmes intérieurs et extérieurs a reçu l’approbation de l’opposition socialiste elle-même. Erhard paraît vouloir préparer l’Allemagne fédérale, après les élections de 1965, à une coalition des trois Partis, à une union nationale qui, sans exclure des tendances diverses, ferait bloc sur les questions essentielles. Il ne paraît pas, pour le moment du moins, qu’il y ait place pour d’âpres controverses. Le maintien de prospérité, la ferme adhésion à l’Alliance Atlantique, l’élargissement des échanges avec l’ensemble du monde, l’Est compris, une collaboration prudente avec la France, autant de perspectives qui ne rencontrent pas d’adversaires, sauf quelques partisans irréductibles d’Adenauer.

 

Les Prochains Débats de Bruxelles

C’est à Bruxelles qu’Erhard va affronter ses premières difficultés extérieures. Les thèses allemandes et françaises sont déjà opposées, tant sur le problème agricole que sur celui du « Round Kennedy » et les échéances sont proches. Le Gouvernement français a fixé au 31 décembre la date ultime pour un accord sur les prélèvements agricoles, et les représentants allemands ont demandé qu’elle soit reculée. Ni en matière agricole, ni industrielle, Erhard ne veut d’un Marché Commun constituant une entité fermée. Il l’a dit avant d’être Chancelier, et répété depuis. L’Allemagne fédérale a besoin de vastes débouchés pour son industrie. Elle est assez armée contre la concurrence pour se placer sur tous les marchés du monde et pour que les échanges s’équilibrent, elle entend s’approvisionner en denrées agricoles là où elle peut placer en retour son outillage. Par contre, elle entend protéger son agriculture et maintenir des prix assez élevés à l’intérieur pour assurer aux agriculteurs un revenu comparable aux revenus industriels.

Cette double exigence est incompatible avec le fonctionnement du Marché Commun tel que le Gouvernement français l’entend. Il y a là une opposition de conception et d’intérêts irréductibles susceptible de déterminer un éclatement de l’association des Six. Une solution de compromis n’est même pas concevable et comme de part et d’autre on ne voudrait pas aboutir à une rupture officielle qui soulèverait l’indignation de tous ceux qui ont cru au Marché Commun, la seule solution est d’ajourner les questions litigieuses et de s’en tenir au peu qui est acquis : l’abaissement des tarifs industriels. C’est ce qu’Erhard souhaite et que ses autres partenaires, italiens, hollandais et belges accepteraient avec soulagement. Mais après les prises de positions catégoriques de Paris, cette absence de solution peut-elle se prolonger ? On en doute.

 

Les Russes contre la C.E.E.

Les Russes comptent beaucoup sur une dislocation de la C.E.E. L’unité de l’Europe les gêne. Dans les transactions commerciales, ils craignent d’avoir à faire à un bloc homogène et voudraient traiter avec chacun des pays à part, et si possible, les opposer entre eux et les mettre en concurrence. L’offensive soviétique contre le Marché Commun est le mot d’ordre confié à ses partisans dans la Communauté : On vient de voir en France les mineurs du Nord s’en prendre à la C.E.C.A. comme responsable de la crise charbonnière.

 

Le Rôle de la C.E.C.A.

La C.E.C.A. n’y est pour rien. Fondée en 1950, on ne pouvait prévoir ce qui lui adviendrait. Le charbon et l’acier étaient considérés comme les fondements de toute l’activité industrielle. En établissant une Communauté européenne de ces produits-clefs circulant sans droits intérieurs, on pensait entraîner toute l’économie des Six dans une seule unité. C’était l’aimant de l’association. L’évolution est allée exactement en sens inverse. Charbon et acier, le premier en 1958, le second dès 1960, se sont révélés sur le déclin. Un déclin brutal, peut-être exagéré, mais certain.

Nous avons ici, à l’époque, souligné les ambitions extravagantes des sidérurgistes pour le quatrième plan. Force leur est maintenant de reconnaître que leurs espoirs étaient aberrants. Comme toujours, lorsqu’une matière première perd du terrain, la concurrence entre producteurs s’exaspère. On en est à demander à la C.E.C.A. un relèvement des tarifs douaniers pour l’acier, sinon la France défendra seule ses intérêts. Avec l’acier, le minerai lorrain est condamné. Il est trop pauvre pour affronter une concurrence de minerais riches dans un marché saturé où l’on se dispute les débouchés. Nos charbonnages rééquipés à coup de milliards dans le cadre du plan Monnet ne sont pas plus rentables, et le pétrole saharien est plutôt menacé.

Voilà des problèmes qui débordent le cadre internationale qui est le nôtre que nous soulignons parce que peu de Français en mesurent exactement l’ampleur, les technocrates moins encore que d’autres. Dans les années qui viennent et pour autant qu’on puisse prévoir, l’économie française va se trouver plus dépendante de l’étranger qu’elle ne l’a jamais été au cours de son histoire. Le moment nous semble d’autant plus mal choisi pour célébrer son indépendance. Si une certaine autarcie était encore concevable, il y a trente ans, elle ne l’est plus et bien plus qu’alors, politique et économie se conditionnent mutuellement. Les Russes sont en train d’en faire l’épreuve.

 

Le Conflit Algéro-Marocain

Le conflit algéro-marocain a pris un caractère démentiel. Ne voit-on pas Alger accuser Hassan II d’avoir fait capturer Ben Bella en 1956 et d’avoir été l’instigateur du meurtre de Lumumba au Congo ? Nasser a prêté son haut-parleur à son confrère en socialisme ; il lui a prêté des officiers que les Marocains ont capturés aussitôt : la guerre ne leur réussit pas.

Ce conflit qui prend le caractère d’une lutte idéologique est, à notre sens, un très mauvais calcul. Il est désastreux pour le Monde arabe, assez divisé sans cela ; il ne peut aboutir à aucun des résultats que Ben Bella et Nasser en attendent, et il nuit à la cause de l’Afrique dans son ensemble, que les troubles des deux Congos, les meurtres et les complots, commençaient déjà à discréditer dans l’opinion internationale. Le malheureux Congo ex-belge, en pleine banqueroute, rongé par la misère en est à recourir à la loi martiale et Adoula est obligé de demander le maintien des troupes de l’O.N.U., qui n’ont pourtant pas fait un bien beau travail là-bas. Les jeunes Etats africains avaient jusqu’ici bénéficié d’un crédit universel presque exorbitant. Ils sont en train de le perdre : les preuves ne tarderont pas.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1963-10-19 – Nature de la Détente

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Le Courrier d’Aix – 1963-10-19 – La Vie Internationale

 

Au moment où la détente s’affirmait, où le président Kennedy décidait de vendre à la Russie tout le blé qu’elle demande, un convoi américain était arrêté aux portes de Berlin pendant deux jours. Et les sceptiques y voient la preuve que rien n’a changé et que la troisième détente ne durera pas plus que les autres. Cependant, la Maison Blanche n’a pas pris l’incident très au sérieux. On a même feint d’y voir l’excès de zèle d’un sous-ordre. En réalité, si elle ne remet pas en question les relations russo-américaines, l’affaire a son sens. Humilié, comme son récent discours le trahit, d’avoir à quémander son pain aux capitalistes, Krouchtchev tient à affirmer qu’il ne capitule pas pour autant et que le problème allemand et la question de Berlin demeurent au point qu’il a lui-même fixé et qu’ils ne se résoudront qu’à ses propres conditions. Il fallait au surplus un geste de ce genre pour désarmer les critiques qui, dans tous les partis frères, suivent la ligne chinoise. Dans les deux camps, les durs ne désarment pas.

 

Nature de la Détente

Tout compte fait, il n’y a en apparence rien de changé : la détente, ou plutôt les points d’accord russo-américains se sont précisés en secret pour des raisons profondes que nous avons discutées ici. Ils sont venus au grand jour après maintes tractations, parce que les Américains ont exigé qu’ils prennent un caractère concret et officiel et que les Russes y avaient intérêt, mais la surface demeure de guerre froide. Il suffit de lire les « Izvestia » : les calomnies habituelles, les faits désagréables aux Américains, les caricatures outrageantes, ne manquent pas un seul jour. S’il n’est doué de sens politique et d’un discernement subtil, le citoyen soviétique ne s’aperçoit pas du changement des relations avec les « impérialistes ». On peut être certain qu’il en sera de même à l’avenir.

 

La Succession de MacMillan

A l’heure où nous écrivons, la succession de MacMillan est en suspens. Le Parti cherche son sauveur, mais ne sait sur qui porter son choix. On ne peut qu’admirer l’adresse avec laquelle le Premier britannique dont la majorité des députés conservateurs ne voulaient pas pour porter leur drapeau aux élections, a trouvé le prétexte, bien légitime, d’une opération chirurgicale, pour s’effacer sans paraître céder à des impératifs politiques, juste au moment où s’ouvrait le Congrès de Blackpool.

 

Le Discours de M. Butler

Butler, vice-premier ministre et successeur normal a, dans le discours de clôture que MacMillan aurait dû prononcer, soulevé quelques problèmes intéressants : Est-il indispensable, a-t-il dit, comme beaucoup semblent le croire pour que la démocratie ait un sens et fonctionne normalement, que le pouvoir change de titulaire à intervalles plus ou moins longs et qu’un parti succède à l’autre, même si celui qu’on expulse a bien mérité de la nation ? Et pour M. Butler les Conservateurs au pouvoir depuis douze ans, ont lieu d’être fiers de leur œuvre, en particulier de la décolonisation effectuée sans précipitation, avec prudence, en résolvant l’un après l’autre chaque cas, en particulier et aboutissant à transformer l’empire en un Commonwealth solidaire.

Le tableau que fait Butler est certes plus flatteur que la réalité : un fait cependant demeure : l’Angleterre bien que son rôle et son influence dans le monde se soient considérablement réduits, demeure une grande puissance. Elle conserve des intérêts dans le monde qu’elle peut être amenée à défendre, au besoin par la force. Ainsi, Aden contre les Yémeno-égyptiens, ou la Malaysia contre Soekarno, comme elle a été sur le point de le faire pour Koweit contre Kassem. Elle peut aussi aider l’Inde militairement à résister aux Chinois. En Afrique noire, elle joue un rôle d’arbitre au Kenya où s’affrontent des partis rivaux. Elle commande encore dans une certaine mesure en Rhodésie du Sud et ses liens avec les grands Dominions blancs, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, ne sont point brisés, pas même avec l’Afrique du Sud.

Evidemment, ce résultat doit autant aux circonstances qu’à l’habileté des politiques. Nous ne saurions malheureusement en dire autant pour nous : notre empire était plus vulnérable que l’Anglais, sans aucun doute ; il a été liquidé avec une désinvolture effrayante et sans aucune contre-partie, ne fut-ce que financière. M. Butler a quelque raison de trouver la comparaison favorable à l’Angleterre.

 

L’Interview de Chou en Laï

Les Chinois s’aperçoivent-ils qu’ils ont été un peu loin dans leur polémique avec l’U.R.S.S. ? On serait tenté de le croire en lisant l’interview de Chou en Laï. Il a bien précisé que le différend qui l’oppose à l’U.R.S.S. ne concernait que des problèmes idéologiques débattus entre les deux partis et que les relations entre Etats n’en étaient pas affectées. Il a pris soin de rappeler que le traité d’assistance mutuelle qui lie la Chine à la Russie, au cas d’attaque contre l’une ou l’autre, demeurait en vigueur. Chou a fait des déclarations apaisantes à l’égard de l’Inde, offert même de se rendre auprès de Nehru pour discuter des questions de frontières ; bref, il s’est déclaré l’ami du monde entier à l’exception des U.S.A.

A Pékin aussi on voit que, en surface, les relations internationales des pays communistes ne varient pas. Même si l’on est à couteaux tirés avec les amis et qu’on négocie avec les ennemis dans les meilleurs termes, les conventions sur l’opposition entre les camps et les slogans destinés aux masses ne subissent aucune variation. Le mensonge officiel, quoi qu’il arrive, demeure un dogme intangible.

 

La Guerre Algéro-Marocaine

Il en est de même en pays arabe. Même quand ils s’entretuent, ils restent frères. Il serait facile d’ironiser sur leurs principes de fraternité, sur le Grand Maghreb, sur l’unité arabe, quand la discorde est partout entre eux. Y seraient-ils sensibles eux-mêmes ? Nasser s’indigne de voir le sang arabe versé entre frères algériens et marocains, alors qu’il le fait verser lui-même chaque jour au Yémen par ses propres troupes en lutte contre les fidèles arabes de l’émir El Badr. Le principe de contradiction n’a de sens et de valeur – et encore – que dans les langages occidentaux. Par ailleurs, les combats algériens et marocains peuvent difficilement se justifier par le seul enjeu des douars frontaliers que les deux nations se disputent. Le pouvoir de Ben Bella est précaire ; la révolte kabyle le prouve. Celui d’Hassan II pour des motifs différents n’est pas plus assuré. Les potentats dans ce cas sont tentés de refaire l’union autour d’eux en excitant les passions du patriotisme et en appelant leurs sujets au combat. Le moyen est vieux comme le monde. Nous voyons qu’il n’a rien perdu de son efficacité.

 

                                                                                  CRITON

Criton – 1963-10-12 – Les Deux Politiques Extérieures Américaines

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Le Courrier d’Aix – 1963-10-12 – La Vie Internationale

 

Dans tous les pays, il existe à l’intérieur des partis des traditions en politique extérieure comme en politique intérieure. Les hommes changent, leurs discours s’adaptent aux circonstances, mais ils héritent d’une mentalité qui ne change pas et à laquelle ils sont liés. On en dirait autant des hommes seuls parvenus à l’omnipotence et dont les idées arrêtées à leur maturité se retrouvent immuables quels que soient les événements, en dépit des échecs et des déconvenues. C’est le cas de Krouchtchev aujourd’hui pour ne citer que lui. Il est nécessaire de rappeler cette constatation car c’est précisément le fil directeur qui nous permet, dans la confusion présente des commentaires sur les relations Est-Ouest, d’en bien saisir le sens.

 

Les Deux Politiques Extérieures Américaines

Il y a en effet, aux Etats-Unis, deux doctrines en politique étrangère : celle des Républicains que représentait de 1952 à 1959 Foster Dulles et reprise aujourd’hui par Richard Nixon et le sénateur Goldwater candidat probable aux élections de l’an prochain, et celle des Démocrates qui s’exprima par Roosevelt et par Kennedy à présent.

Pour les premiers, l’U.R.S.S. c’est le communisme, c’est-à-dire le mal avec lequel aucun compromis n’est possible, avec lequel tout accord est un marché de dupes, toute détente un leurre. La seule politique possible est de le combattre sans trêve, soit pour le refouler et lui arracher les peuples qu’il asservit, si l’on peut, sinon le contenir pour l’empêcher de s’étendre.

Pour les Démocrates, au contraire, l’U.R.S.S. c’est la Russie de toujours avec laquelle les Etats-Unis ont des intérêts communs qu’il convient d’utiliser pour maintenir la paix du monde et préserver le statu quo. C’est l’esprit de Yalta, c’est celui du récent Pacte de Moscou : l’expansion du communisme n’est pas à craindre ; ses échecs de plus en plus évidents le contraindront à perdre de l’influence et peut-être à n’être qu’une façade verbale. La Russie, elle demeure. L’Europe d’aujourd’hui n’est certes pas satisfaisante, mais elle présente l’immense avantage de ne plus être un foyer d’incendie. Avec la Russie qui en contrôle la plus grande partie, avec l’Allemagne divisée et la France réduite à son hexagone, on ne risque plus un conflit qui pour la troisième fois entraînerait les Etats-Unis contre leur volonté dans une guerre. La Russie et les Etats-Unis ont donc tout intérêt à éviter tout bouleversement dans la carte de l’Europe.

 

Les Effets de la Politique de Kennedy

L’énoncé de cette politique suffit à expliquer, et l’agitation qui règne en Allemagne autour des dissensions entre Adenauer et Erhard, et l’isolement méthodique de la France qui avec sa force de frappe et ses rêves de grandeur pourrait, ou du moins aurait les moyens, de remettre le feu aux poudres.

Cette politique que ses adversaires taxent d’immobilisme a plus de partisans qu’on ne pense. En Allemagne même, il serait erroné de croire que la réunification est partout désirée. En Angleterre, les Travaillistes la soutiennent et nombre de Conservateurs s’en accommodent fort bien. Au surplus, tout ce qui prend allure d’une détente satisfait tous les égoïsmes nationaux des peuples prospères. Enfin et surtout, avec le conflit russo-chinois, la réapparition du péril jaune fait souhaiter une Russie forte pour protéger les pays occidentaux.

 

La Situation en U.R.S.S.

Les événements actuels donnent raison à cette politique rooseveltienne. Après 46 ans de régime, l’U.R.S.S., grenier du monde sous les tsars, envisage d’établir la carte de pain, malgré les achats massifs de farine française, de blé canadien, australien et sans doute américain. Les satellites sont dans le même cas, et négocient avec les Etats-Unis pour se nourrir. L’effondrement de l’économie cubaine que le récent cyclone va précipiter, montre suffisamment où mène le collectivisme agraire. Quel pays songerait à l’imiter ? Pas même l’Algérie qui semblait devoir le suivre. En tant que doctrine économique, le communisme est mort. Même, comme on le voit présentement en Espagne, sa capacité révolutionnaire est fort affaiblie.

 

Où va la Chine ?

Reste la Chine. Où en est-elle ? Un ami du paradoxe disait : Si vous voulez connaître un pays, surtout n’y allez pas. Bien des gens vont en Chine et les observations qu’ils en rapportent sont si radicalement contraires qu’il est impossible d’en tenir compte. On ne peut être affirmatif que sur deux points : la situation alimentaire s’est améliorée. De la quasi-famine on est revenu à une disette tolérable, c’est-à-dire que le minimum pour subsister est assuré. Second point, l’industrie est en déclin et les usines ne travaillent qu’à 30 ou 40% de leur capacité, faute de pièces de rechange et de matières premières. Enfin, le chiffre de population généralement admis est fort exagéré. La mortalité au cours des dernières années a été énorme. En conclusion, les craintes de voir la Chine communiste devenir une grande puissance industrielle sont, pour quelques années au moins, sans fondement. Elle peut harceler ses voisins, non les combattre faute d’armement moderne. Tout comme pour l’U.R.S.S., les esprits inquiets sont victimes d’un bluff dont les Chinois ont pris exemple sur leurs anciens amis.

 

Le Congrès Travailliste Anglais

Revenons aux traditions dont nous parlions au début. S’il est un Parti où elles sont solides, c’est le Parti Travailliste anglais qui vient de tenir ses assises sous la direction nouvelle d’Harold Wilson. A la veille des élections et d’un succès bien escompté, le Parti se devait de faire peau neuve pour attirer les suffrages indécis. Comment renouveler l’aspect de ce vieux socialisme qu’on peut qualifier de national-pacifisme car les deux mots s’accordent bien pour le décrire.

De socialisme à odeur collectiviste, il n’a pas été question au Congrès. Pas de nationalisations, pas davantage de nivellement des revenus, ce qui prouve à quel point le communisme soviétique fait effet de repoussoir. Même silence sur la politique extérieure. Aucun engagement sur le désarmement unilatéral, l’abandon de la force atomique, chers à l’aile gauche du Parti. Prudence même sur les relations avec l’Europe continentale aussi bien qu’avec les U.S.A.

Il fallait bien quelque chose de positif à offrir : ce fut un programme de développement scientifique intensifié qui ne peut qu’être approuvé et une application étendue de la planification économique que les Conservateurs se sont contentés d’esquisser sans s’engager. On planifiera donc. On réalisera une politique des revenus, invention française, qui consisterait, si les syndicats consentent à réduire leurs exigences de salaires, à contrôler et à taxer les profits de toute nature, dividendes des sociétés, revenus des personnes privées, etc… Les Conservateurs auront beau jeu à prétendre que cela conduit le peuple anglais tout droit à la multiplication de la bureaucratie, à la suppression des stimulants dans l’économie, au ralentissement de l’expansion que l’Angleterre depuis quelques mois commençait enfin à percevoir.

Malgré la confiance des Travaillistes dans leur succès prochain, la partie n’est pas jouée. Dans l’opinion, les Conservateurs sont assez déconsidérés, les Libéraux malgré leur retour en forme n’offrent pas de garantie suffisante, ni de personnalités d’envergure. De même, les Travaillistes n’ont pas gagné en popularité jusqu’ici sur la masse flottante plus que jamais indécise. Ce sont, comme toujours en démocratie, les gens sans opinion qui décident du succès final. Il faut peu de chose pour la porter d’un bord à l’autre et le verdict est encore loin. Mai ou Octobre prochain ? D’ici là…

 

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