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Le Courrier d’Aix – 1963-12-14 – La Vie Internationale
Chou en Laï en Afrique
Désormais indépendante de Moscou, la Chine de Pékin fait son entrée officielle sur la scène internationale : Chou en Laï et son Ministre des Affaires étrangères, Cheng Hi, entreprennent une tournée en Afrique. Au Caire d’abord, où aux côtés de Nasser se trouvera Che Guevara le bras droit de Fidel Castro, à Alger ensuite, puis au Mali, au Ghana, en Somalie et en Guinée, c’est-à-dire partout où l’Union soviétique avait, avec plus ou moins de succès, exercé son influence. Les Chinois jusqu’ici n’avaient visité que l’Asie où déjà les Russes les avaient précédés, l’Indonésie en particulier. Mais sauf dans ce dernier pays, l’agression contre l’Inde et le rejet des offres de médiation des Ministres asiatiques du groupe de Colombo avaient jeté quelques suspicions sur leurs desseins. L’Afrique moins exposée les accueillera sans méfiance.
Les Communistes à Alger
C’est à Alger que Chou en Laï trouvera la meilleure audience. Ici les Russes ne s’étaient pas montrés très entreprenants : le Parti communiste algérien faisait porter sa propagande sur les revendications sociales et Ben Bella, n’y pouvant satisfaire, le tenait à l’écart. Krouchtchev voulait ménager le Gouvernement français trop utile pour disloquer l’Alliance Atlantique. Ce n’est que tout récemment, voyant les Chinois à l’œuvre, qu’il s’est décidé à entrer en jeu avec un prêt à l’Algérie de 50 milliards d’anciens francs. Les Chinois de leur côté n’en apportent que la moitié mais à des conditions telles qu’il équivaut à un don. La pénétration communiste en Algérie, prédite dès que l’indépendance fut en vue, se fera donc sous le signe de la rivalité des deux Puissances, la Russe et la Chinoise.
L’entrée en scène de la Chine en Afrique n’apportera pas grand changement aux conditions matérielles ni aux rapports politiques des pays visés. Elle a, par contre une grande valeur symbolique et c’est dans ce but que Chou en Laï se manifeste pour leur dire : l’U.R.S.S. a trahi la cause des peuples qui se débarrassent des séquelles de la colonisation. Elle pactise avec les « impérialistes », son communisme est un faux semblant, suivre son exemple et se lier à elle équivaudrait à se faire l’instrument d’un nouvel asservissement. Les méthodes chinoises sont les seules qui conviennent à l’affranchissement définitif des peuples de couleur. Partout où l’U.R.S.S. a posé des jalons, la Chine offrira ses services pour la supplanter.
Pour l’Amérique latine, où Pékin ne s’est pas encore suffisamment manifesté, l’alliance avec Castro servira d’accès. Et Castro est de plus en plus disposé à entrer dans le jeu. Il vient d’installer une ambassade en Albanie, et les techniciens chinois remplacent les Russes à Cuba. Il sent en effet que Krouchtchev n’ayant pu se servir de lui pour faire pression sur les Etats-Unis, l’abandonnerait volontiers à son sort. La charge est lourde pour les Russes, un million de dollars par jour, les satellites européens se refusent à en faire les frais et malgré ce tribut, l’économie cubaine continue de sombrer. Dans la presse soviétique, on célébrait l’an passé Cuba, l’ « Île de la liberté ». Aujourd’hui, c’est le silence, Castro craint, non sans raison, d’être le prix du rapprochement russo-américain. La Chine peut, au moins, retarder sa chute. Car, depuis l’échec de ses partisans au Vénézuéla, ses derniers discours trahissent un homme menacé.
Nationalisme et Affairisme
Les Occidentaux européens se sont refusés à croire, pendant trois ans, au schisme russo-chinois qui se développait. Aujourd’hui, ils y voient surtout l’occasion d’intrigues diplomatiques et de fructueuses affaires. Les délégués, hommes d’affaires ou hommes politiques, se succèdent en Chine pour offrir leur marchandise à crédit et en même temps faire pièce aux Américains. La France n’est pas en reste, comme on sait. Une mission commerciale siègera en permanence à Pékin. Le nationalisme étroit et l’esprit mercantile y trouveront-ils leur compte ? La Chine n’a pas grand-chose à échanger et le danger de fortifier cette puissance frénétique est immense. Peu importe. La diplomatie et l’affairisme du XIX° siècle continuent à pousser leurs combinaisons.
L’Énigme Chinoise
De plus, il y a une énigme chinoise insoluble pour nos esprits. Nous avons dit souvent ici comme les impressions des voyageurs diffèrent du tout au tout. Nous tenions pour acquis que les peuples demeurent ce qu’ils sont, quelque régime qu’on leur impose. L’expérience montre que, malgré les apparences, il n’y a pas d’exception. Et cependant cette Chine inconsistante, où les hommes de régions voisines ne se comprennent même pas, retournant toujours à l’anarchie après de courtes reprises d’autorité paraît aujourd’hui se souder autour de l’empereur Mao. Le peuple chinois serait-il le seul d’une pâte si pétrissable qu’une volonté implacable serait capable de le transformer jusque dans ses mœurs et ses appétits. Certains faits tendraient à le faire croire. Ce serait alors la seule révolution authentique que le monde ait connue. Les Russes mieux placés que nous pour en juger commencent à le craindre et plus avisés que les Occidentaux, tout occupés de leurs mesquines querelles, changent leurs plans en conséquence avant qu’il ne soit trop tard.
Paul VI en Palestine
L’annonce du voyage du Pape en Palestine a constitué la sensation de la semaine. Le secret avait été bien gardé. Sauf au Caire, l’événement est accueilli avec enthousiasme ; même à Moscou, on s’abstient de toute critique, on s’en félicite au contraire. Ce pèlerinage est la conséquence normale de l’ « aggiornamento » de l’Église auquel ont été consacrées les deux sessions du Concile. C’est aussi l’affirmation que, en dépit de réserves et de réticences, un pas décisif a été franchi vers le rapprochement des Chrétiens de toutes obédiences, et au-delà même vers la tradition juive. L’écueil du voyage, qu’il faudra une extrême adresse pour éviter, c’est qu’il prenne une signification politique au lieu de conserver un caractère strictement religieux.
En passant de la Jérusalem arabe à la Jérusalem juive, il faut franchir la frontière des deux Etats qui sont théoriquement en guerre et qui, par moments, le sont en fait. Heureusement, la Jordanie n’est ni l’Egypte, ni la Syrie, sans quoi un pèlerinage officiel du Souverain Pontife eut été impossible. On s’accorde à penser que ce premier voyage d’un pape hors d’Italie est le prélude à d’autres. Ainsi, d’intemporelle et d’absolue qu’elle était, l’autorité pontificale va se mêler au siècle. Des contacts seront pris, peut-être à Jérusalem même avec les patriarches des églises séparées d’Orient. Ce retour aux sources, que le pèlerinage souligne, soulève dans le monde un intérêt considérable. Certains s’inquiètent de ce renouvellement qui brise des traditions qui mettaient l’Église à l’abri des vicissitudes du monde. Mais les masses chrétiennes et non-chrétiennes l’approuvent : Vox Populi.
Krouchtchev au Comité Central
A Moscou, Krouchtchev, devant les 6.000 fonctionnaires du Comité Central, a prononcé le discours fleuve attendu pour annoncer et préciser les moyens qui doteront l’U.R.S.S. de l’industrie chimique que les plans antérieurs avaient négligée et dont l’insuffisance a contribué aux résultats désastreux de la production agricole. Il a, lui aussi, constaté que l’âge de l’acier avait pris fin, que l’ère de la chimie commençait. Il était temps en effet après tant de proclamations donnant la priorité à l’industrie lourde. Au passage, Krouchtchev a rappelé que du temps de Staline et de Molotov, l’U.R.S.S. exportait du blé quand des provinces entières manquaient de pain et des milliers de gens mouraient de faim, à Koursk notamment. Il y a longtemps que nous le savions, Krouchtchev aussi, qui alors courtisait le tyran. Et l’on évoquait Lénine pour exalter cette révolution faite par le peuple, pour le peuple.
CRITON