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Le Courrier d’Aix – 1963-12-07 – La Vie Internationale
L’Élection Vénézuélienne
L’élection du successeur du président Betancourt au Vénézuéla était attendue comme un test de l’influence du castrisme sur les masses du continent sud-américain. Les terroristes qui s’appellent « Forces armées de libération nationale », avaient multiplié les attentas avant le scrutin, mitraillé les passants, jeté des bombes sur les édifices publics, saboté les installations pétrolières, ravagé les bâtiments des sociétés des Etats-Unis dont ils venaient de kidnapper un des colonels de la mission militaire. Ils voulaient intimider les électeurs en menaçant de tirer sur ceux qui se présenteraient aux urnes.
Dans ces conditions, c’est avec surprise qu’on a appris que 95% des inscrits avaient voté, que les nombreux candidats avaient eu leur compte de voix et que celui qu’avait présenté le Parti gouvernemental, Raul Leoni, l’emportait. Pour une République sud-américaine, c’était réalisée l’image d’une parfaite démocratie. C’était surtout une réponse massive au terrorisme, une réprobation qui témoignait d’un certain courage puisque le F.A.L.N. a fait ce dimanche quelques victimes dans la rue. Le meurtre du président Kennedy n’est sans doute pas étranger à cette manifestation populaire. Même si, comme probable, l’assassin a agi seul, son acte n’en apparait pas moins comme l’aboutissement d’une campagne de haine contre les Etats-Unis et leurs institutions. Les castristes et ceux qui les soutiennent ne s’y sont pas trompés et ont cherché, par des hommages au disparu, à dégager leur responsabilité. Les Vénézuéliens leur ont répondu que, même s’ils n’étaient pas directement en cause, leur culpabilité morale demeurait.
L’Exemple sera-t-il suivi ?
Sans doute les populations du continent latino-américain sont particulièrement émotives et par-là versatiles. Le succès des forces civiques au Vénézuela ne préjuge pas de ce qui peut se passer ailleurs. Il y a, au surplus, trop de tensions politiques et d’inégalités sociales et économiques pour qu’on puisse prévoir que s’installera partout, peu à peu, une représentation populaire ordonnée et apte à promouvoir les réformes nécessaires. Le test vénézuélien a cependant une signification exceptionnelle. Le Mexique avait éprouvé aussi bien des soubresauts violents et il a réussi à s’en dégager et à se développer dans l’ordre. D’autres peuvent le faire.
Deux Poids, Deux Mesures
Notons à propos du Vénézuéla combien les passions politiques obnubilent dans des esprits pourtant cultivés, le sens élémentaire de l’équité. Voilà un groupe de terroristes qui incendie et qui tue, non pas pour renverser un dictateur – le président Betancourt, de par la Constitution, ne se représentait pas – mais pour bouleverser le fonctionnement d’une consultation populaire dont les résultats montrent clairement qu’elle était sincère. A-t-on lu quelque part qu’un groupe de personnalités et d’intellectuels s’est élevé contre leurs agissements ? Mais qu’à la suite des grèves des Asturies quelques mineurs aient été maltraités par la police de Franco, des quatre coins du monde des comités se forment, des signatures plus ou moins illustres s’alignent pour protester. En ce sens, la réaction populaire est plus saine. Elle condamne la violence d’où qu’elle vienne.
La Cassure du Bloc Communiste
Le meurtre du Président Kennedy a déterminé un autre test. Il a révélé et précipité la cassure non plus seulement politique, mais morale du Bloc communiste. Au Congrès mondial de la Paix à Varsovie, les délégués ont observé une minute de silence en hommage au disparu. Seuls les Chinois et leurs satellites s’y sont refusés. De violentes discussions ont suivi et l’on parle d’une scission du mouvement. Bien sûr, il y avait, dans cette manifestation de sympathie, d’autres raisons que sentimentales, mais, sans doute aussi la détermination de marquer les distances d’avec un esprit révolutionnaire qui ne respecte rien. Cela a plus de poids que des monceaux de polémiques plus ou moins idéologiques. Qu’ils l’aient ou non voulu, ceux qui se sont associés à cette marque de déférence à l’égard des U.S.A. ont opté pour la solidarité morale de l’Occident. Les Russes ont donné l’exemple non seulement parce qu’ils y avaient intérêt, mais parce qu’ils ont de plus en plus à tenir compte du sentiment populaire.
Le Progrès de la Détente
De toute façon, la détente y a largement gagné. Il y a longtemps qu’elle fait son chemin et nous ne manquons pas d’en recueillir tous les indices, même minimes. Ils se multiplient.
Du côté allemand, depuis le départ d’Adenauer, on tâte le terrain pour rapprocher les deux Allemagnes, Erik Mende, le nouveau vice-Chancelier libéral propose à Ulbricht des crédits en échange d’adoucissements au régime de l’Est ; ballon d’essai repoussé bien entendu, mais peut-être plutôt pour la forme. Avec la Hongrie, Bonn vient de conclure un échange d’étudiants. Il en est question avec la Tchécoslovaquie jusqu’ici obstinément hostile à toute relation avec la République fédérale. Les contacts avec la Pologne s’élargissent. Quant à la Roumanie, elle est maintenant à mi-chemin du neutralisme à l’entente avec Tito qui vient de s’entretenir longuement avec le premier Georgiou Dej, les Soviets n’ont pas réagi. Le commerce de la Roumanie se développe avec l’Occident au détriment des échanges entre partenaires du Comecon. Cette organisation malgré la fondation récente d’une banque commune demeure inopérante. Les nationalismes et les particularismes se renforcent en Europe centrale, comme d’ailleurs dans notre Occident où le Marché Commun ne se défend plus que par ses bureaucrates. L’attrait du Monde libre est plus fort que tous les dogmes.
L’U.R.S.S. et la Tchécoslovaquie
Krouchtchev est conscient du péril et s’efforce de tenir les positions les moins fragiles. Le premier tchécoslovaque, Novotny, qui se cramponne à son poste, malgré l’opposition intérieure est allé à Moscou chercher appui. Les Russes ne veulent plus le sacrifier mais profiter de la fragilité de son pouvoir pour en exiger davantage. Les tensions en Tchécoslovaquie ont surtout pour cause le lourd tribut qu’elle doit payer, grâce à son potentiel industriel, à la cause du communisme. Les livraisons à Cuba ont aggravé le malaise et la disette se fait durement sentir. En prolongeant les accords commerciaux tchéco-russes, Novotny a acheté le soutien des Soviets. Si le prix se révèle trop lourd, le marché se retournera contre lui et son maître.
Les Querelles Militaires
La politique menée par les politiciens, à quelque bord qu’ils appartiennent est souvent, sinon toujours en retard sur les événements. On disait naguère que les militaires préparaient la précédente guerre. Les hommes d’Etat d’aujourd’hui se querellent sur celle qui ne peut avoir lieu. Pas plus d’ailleurs que le désarmement, également impossible, pour les Russes surtout qu’un article de l’ « Etoile Rouge » vient de nous apprendre que l’Armée Rouge déploie à l’Est du Lac Baïkal, c’est-à-dire sur les milliers de kilomètres qui vont de là au Pacifique, des unités dotées de tout un armement moderne. Cela ne nous surprend guère. En face des Chinois, qui, si faibles qu’ils soient, disposent d’un avantage stratégique énorme, il faut faire face et cela ne s’improvise pas. L’Etat-major de Moscou a du travail là-bas pour de longues années. Si comme on le laisse croire, on a vraiment le sens de l’histoire, il y aurait une belle occasion pour nous de réduire des dépenses militaires sans objet pour se consacrer à d’autres tâches.
Les Élections Australiennes
D’autres élections ont eu lieu qui méritent mention. En Australie, Robert Menzies en place depuis quatorze ans a remporté sur les Travaillistes une victoire qui dépasse les prévisions, hommage de l’électeur à un homme d’État qui a su assurer la prospérité et la sécurité du continent. En face des menaces de l’Indonésie dans cette partie du monde, le maintien de Menzies au pouvoir signifie la résistance aux ambitions de Soekarno, par la force si besoin, et l’étroite alliance avec les U.S.A. En cas de victoire travailliste en Angleterre, l’Australie s’éloignerait encore de son ancienne métropole. Déjà les intérêts qui les liaient ont perdu beaucoup de leur poids tandis que ceux qui touchent au Pacifique et par-delà aux Etats-Unis, sont devenus essentiels. Voilà, en une semaine beaucoup de renforts à M. Johnson.
CRITON