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Le Courrier d’Aix – 1963-11-30 – La Vie Internationale
Le Meurtre du Président Kennedy
Le meurtre du Président Kennedy a provoqué dans le monde une extraordinaire émotion : Surprise, indignation, inquiétude, compassion tout à la fois. La réaction par son intensité, sa spontanéité a dépassé ce qu’on pouvait attendre d’un évènement de cet ordre. Elle constitue un test de la conscience universelle, celle du Monde libre, comme celle d’au-delà du rideau de fer. Les Américains peuvent s’en trouver réconfortés car cette sympathie à laquelle ils tiennent tant et qu’ils ont si vainement recherchée, ils ont pu voir que par-delà les critiques et les mauvais procédés dont ils étaient l’objet, elle se manifestait avec éclat à l’occasion d’un deuil national. S’ils n’étaient pas généralement compris, du moins un élan d’affection populaire auquel ils ne croyaient plus, a jailli des profondeurs. Et pour ceux qui sont souvent sévères pour les hommes et ceux qui les guident, c’est une raison de confiance et d’optimisme.
L’Importance des Etats-Unis
On a pu aussi mesurer l’importance que les peuples attachent à la présence et à l’influence des Etats-Unis et, par-dessus tout, à la garantie qu’ils apportent à la paix du monde qui, sans eux, ne serait pas longtemps maintenue. Une défaillance de leur part et ç’en serait fait de la quiétude d’un chacun. C’est à la nation même plus qu’à l’homme qui la représentait, que le témoignage est allé. On croit à la volonté pacifique des Etats-Unis et l’on a confiance en eux pour la faire respecter. Quel que soit l’homme au pouvoir, cette politique ne changera pas.
L’œuvre de Kennedy
Il est naturel que l’on exalte la personne et l’œuvre de l’homme frappé d’un si cruel destin. Mais le panégyrique, clamé par tous les moyens de la publicité moderne, a sans doute passé la mesure. Les pouvoirs réels d’un président des Etats-Unis sont plus limités que ceux que la Constitution lui attribue. La Chambre des Représentants et surtout le Sénat sont plus que partout ailleurs des freins puissants aux initiatives contestables. Ce fut particulièrement le cas pour Kennedy.
Les deux propositions de loi qu’il tenait pour essentielles, celle qui concerne l’égalité raciale et l’autre qui demandait une réduction des impôts et un déficit plus large du budget n’étaient pas encore discutées ; la seconde avait peu de chances de passer, la première devait subir le feu des amendements ; le programme d’aide à l’étranger avait été singulièrement réduit. Sauf la constitution et le financement du « corps de la paix » – les jeunes gens envoyés pour aider au progrès des pays sous-développés – toutes ses initiatives avaient été accueillies sans chaleur. Et l’échec de l’invasion de Cuba au début de son mandat pesait sur son prestige. L’ « Alliance pour le progrès » destinée à resserrer les liens avec l’Amérique latine avait été décevante.
Pour ce qui est de Cuba, malgré le retrait des fusées russes en novembre dernier qui fut le principal succès de Kennedy, le régime castriste demeurait et avec lui le foyer de l’agitation communiste contre le continent américain. Même la politique de détente avec l’Union Soviétique n’était pas approuvée sans réserve. Comme la menace cubaine, le mur de Berlin édifié en 1961 restait debout. Aucune concession concrète n’avait été obtenue pour mettre pratiquement fin à la guerre froide.
Le Nouveau Président
Dans ses relations avec le Parlement, le nouveau président Lyndon Johnson est infiniment mieux placé : au Sénat, il est parmi les siens. Il est écouté par les représentants des deux Partis. Politicien chargé d’expérience, juriste et homme d’affaires parvenu par ses propres moyens, il représente le type traditionnel du premier magistrat que les parlementaires aiment voir diriger le pays. On ne peut attendre de lui des plans hardis, ni même des initiatives imprévues. Il ne proposera que ce qu’il sait acceptable par la majorité. Sénateurs et représentants lui sauront gré surtout de n’être pas entouré et conseillé, comme son prédécesseur, par des intellectuels dont tous les politiciens souvent avec raison, se défient ; Johnson apparaît, comme le chancelier allemand Erhard, l’homme du juste milieu, ce qui ne signifie pas qu’il aura la tâche facile à onze mois d’une élection présidentielle qui, par la disparition de Kennedy s’annonce particulièrement ouverte.
En politique extérieure, il devra se montrer assez ferme pour ne pas donner trop de chances aux plus conservateurs des Républicains, assez conciliant pour ne pas susciter d’adversaires dans son propre Parti. Et il y a le problème noir toujours suspendu où la position de Johnson est difficile. Démocrate du Sud, il était déjà considéré par ses collègues des Etats du Sud comme trop acquis aux thèses antiségrégationnistes. Il avait sur ce point soutenu loyalement Kennedy et sa popularité dans ces régions en souffrait. Il lui faudra trouver un compromis difficile entre les plus libéraux et les plus réticents. C’est là-dessus plus qu’en politique étrangère que sa carrière va se jouer.
La Prochaine Élection Présidentielle
En août 1964, la Convention démocrate désignera son candidat à la Présidence. Le délai est court pour faire d’un homme apprécié une physionomie capable de conquérir les suffrages. C’est le climat pré-électoral qui va peser sur l’autorité des Etats-Unis dans le monde. Tout indique cependant qu’à Moscou on est acquis à l’idée d’une trêve. En dehors des incidents habituels pour tenir la propagande en éveil, il est peu probable que Krouchtchev se livre à de sérieuses provocations. Le peuple soviétique a montré, à l’occasion du drame d’hier, son attachement à la coexistence pacifique. Pour conserver ce qui lui reste de prestige, Krouchtchev a tout intérêt à s’appuyer sur ce sentiment. Et comme le conflit avec la Chine, malgré ses efforts, n’est nullement en voie d’apaisement, il ne peut compromettre ses relations avec l’Occident dont il a besoin.
La Pause Actuelle
L’émotion provoquée par le meurtre du Président américain a en quelque sorte frappé d’inertie toutes les controverses éparses dans le monde. Depuis quelques temps déjà, aucune ne méritait d’ailleurs une attention particulière ; comme nous nous limitons ici à l’essentiel, nous étions en peine de faire un choix. Cette sorte de pause ne manque pas de signification. La tendance générale se porte vers l’apaisement. Les agitateurs, Castro, Nasser, Ben Bella, Soekarno, les Baathistes de Syrie et d’Irak ne trouvent guère d’appuis encore moins d’encouragement. Les communistes eux-mêmes baissent le ton. Adoula a pu expulser non sans vigueur toute la délégation soviétique à Léopoldville dans les plus brefs délais. Moscou s’est contenté d’une protestation bénigne et va tout simplement remplacer les indésirables par d’autres. S’il est un signe des temps, on n’en pourrait trouver de meilleur, ni de plus clair.
CRITON