Criton – 1963-11-02 – Le Conflit Algéro-Marocain

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Le Courrier d’Aix – 1963-11-02 – La Vie Internationale

 

Le Conflit Algéro-Marocain

Le conflit algéro-marocain apparait plus sérieux qu’une manœuvre de politique intérieure pour affermir des pouvoirs discutés. Il a pris le caractère désormais classique d’une croisade idéologique couvrant des ambitions territoriales. Le socialisme de Ben Bella sert de machine de guerre pour ébranler le trône marocain et, en cas de succès, la dictature de Bourguiba. Nasser et les Soviets, Castro et les Chinois rivalisent pour pousser l’Algérie à l’hégémonie du Maghreb. Les Américains ne s’y trompent pas. L’Ambassadeur des Etats-Unis à Alger, Porter, au courant des débarquements de matériel de guerre soviétique de retour de Cuba dans le port d’Oran et de l’envoi de bateaux de guerre et de parachutistes égyptiens, a mis Ben Bella en garde contre une extension internationale du conflit auquel les Etats-Unis ne resteraient pas indifférents.

Il est peu probable qu’on en vienne là dans l’immédiat. On discutera beaucoup autour de tables de conférence. On se battra par intermittence. Mais il est non moins probable qu’il s’agit d’un conflit à long terme dont l’évolution dépendra de la situation intérieure des protagonistes. Nasser, comme Krouchtchev, ont trouvé là une occasion trop tentante de prendre une revanche de leurs échecs ; l’Egyptien en Syrie, en Irak, et au Yémen, le Russe à Cuba et en Chine. L’un et l’autre trouveront toujours des fonds pour attiser le feu partout où l’on peut coller sur un gouvernement l’étiquette « fasciste » ou « vendu aux impérialistes ».

 

Le Débordement par l’Afrique du Nord

Le dessein remonte loin. Dès que la guerre d’Algérie eut marqué un tournant décisif, Nasser et les Soviets ont pris position, les Russes avec prudence pour ne pas compromettre les possibilités d’une dislocation de l’Alliance Atlantique par la diplomatie française. Maintenant, il s’agit de tenter de transformer l’Afrique du Nord en tête de pont du communisme pour tourner éventuellement les défenses occidentales. La manœuvre a été préparée de longue date et nous l’avions indiquée ici à plusieurs reprises comme inévitable au cas où l’extrêmisme l’emporterait en Algérie et serait assez fort pour surmonter l’anarchie latente et chronique du pays. Pour le moment, Ben Bella a poussé le collectivisme à l’extrême. En principe, et même en fait, il est plus communiste que ses acolytes puisque non seulement il nationalise les entreprises, mais il leur accorde l’autogestion. Les pétroles étant exclus, du moins provisoirement.

 

Les Miracles du Communisme

Il y a heureusement beaucoup de chances pour que l’entreprise suive le cours de ses congénères. Le communisme fait des miracles : en Russie, après 46 ans de régime, le pays du blé connaît le rationnement du pain. A Cuba, en moins de cinq ans, on rationne le sucre dans le pays qui en vendait au monde entier. A parier que s’il s’entaillait en France on en viendrait à la carte de vin. En Algérie, le comble serait d’y rationner un jour le pétrole si les Compagnies étrangères en étaient chassées. Nous pensions que Ben Bella hésiterait à suivre cette voie insensée ; c’était sous-estimer le fanatisme aveugle et l’astuce irréfléchie, le mépris des obstacles dont certains chefs arabes sont capables quand ils croient tenir à leur merci des adversaires par trop complaisants, pris comme des otages. Les Etats-Unis cependant, s’ils le voulaient, s’ils n’étaient pas aussi irrités par les coups d’épingles qu’on leur lance d’ici, pourraient y mettre bon ordre, car ce sont eux, ne l’oublions pas, qui par leurs fournitures de céréales, nourrissent le peuple algérien dont la situation déjà critique serait intenable sans eux. Et ce ne sont pas les Russes, les Egyptiens ou les Chinois qui pourraient actuellement leur en livrer.

 

Krouchtchev renonce à la Lune

Krouchtchev nous a réservé une surprise : il renonce à conquérir la lune où ses astronautes trop pressés se donnaient récemment rendez-vous. L’opération coûte très cher et il y a, on s’en doutait, plus pressé. Le slogan des journaux russes porte sur le développement de l’industrie chimique : plus de spoutniks, des engrais. Il n’est question que de cela. Dans les plans successifs, on avait oublié la chimie ; non seulement les engrais mais les textiles et caoutchoucs synthétiques et les plastiques. Jusqu’au dernier plan en date, la priorité allait à l’industrie lourde de l’acier pour dépasser l’Amérique. Et puis, comme nos planistes, ils s’aperçoivent que l’âge du fer est dépassé. Heureusement chez nous, comme en Amérique et partout en Europe, l’industrie chimique s’est développée à pas de géant. Les Soviets vont tenter de combler le retard, ce qui implique d’énormes investissements. La conquête de l’espace devra être ralentie, sinon abandonnée. Cela avait été pourtant un bien bel instrument de propagande, tel qu’on n’en trouvera jamais de pareil. La chimie n’éblouit personne.

 

Les Chinois et l’Occident

Depuis que les Chinois sont en querelle avec Moscou, tout l’Occident fait sa cour à Mao. Les Anglais, les Allemands de Bonn, les Italiens y vont placer des commandes que les Russes n’acceptent plus. Par ailleurs, les commandes russes à l’Occident sont actuellement suspendues parce que les réserves soviétiques d’or et de devises sont entièrement absorbées par les contrats de blé au Canada, à l’Australie, à l’Argentine et en tous pays où l’on en peut trouver. La Chine, si elle était solvable, serait un marché grandiose. La France n’est pas en reste, mais là, il ne s’agit plus seulement de la course aux débouchés, mais de politique. Il y a eu d’abord la mission George Picot qui avait des allures plutôt commerciales que diplomatiques ; depuis, ce fut le voyage d’Edgar Faure qui a joué le rôle d’ambassadeur in partibus de l’Elysée. On parle d’une reconnaissance officielle de la Chine communiste par la France. Les Anglais, dit-on, l’ont bien fait. Aux Etats-Unis, ces démarches sont considérées comme un mauvais procédé de plus. L’affaire venant après les intrigues françaises à Hanoï, le gouvernement Kennedy y voit l’ébauche d’un complot et l’on s’inquiète.

 

La Situation au Vietnam

Car la situation au Vietnam ne s’éclaircit guère. Comme toujours – ce mot revient irrésistiblement sous notre plume – les militaires et les civils ne sont pas d’accord aux Etats-Unis sur la conduite à suivre. Et qui pis est, les services secrets, le C.I.A. se trouvent au milieu, vilipendés par les deux Partis. Les militaires croient tenir en main la victoire sur les Viêt-Cong, c’est leur rôle. Ils considèrent Diem et les Nhu indispensables au succès, et réclament de l’argent, des canons et des munitions. Les civils et en particulier l’ambassadeur Cabot Lodge, veulent couper les crédits à Diem et peut-être, si l’on ne peut renverser Diem, trouver une autre solution à la guerre sans savoir au juste laquelle. C’est exactement ce qui s’est passé en Corée entre 1950 et 1953. Truman avait démissionné Mac Arthur qui voulait qu’on lui concède les grands moyens pour aboutir, Eisenhower qui publie en ce moment ses mémoires avait à son tour hésité, louvoyé. La guerre de Corée fut bel et bien perdue … sans que Syngman Rhee, lui abdiquât. L’histoire se répète.

 

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