Criton – 1957-09-07 – Vicissitudes du Pouvoir

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Le Courrier d’Aix – 1957-09-07 – La Vie Internationale.

 

Vicissitudes du Pouvoir

 

Cette semaine a vu la consécration de l’échec de la Conférence du Désarmement ; échec provisoire, bien entendu. La discussion reprendra : le sujet n’est pas près d’être épuisé. On ne se faisait guère d’illusion sur les chances que comportait le plan occidental enfin mis au point, d’être accepté par les Russes comme base de discussion. On a été cependant surpris de la rapide et brutale réponse de Zorine, qui a coupé les ponts sur ordre de Moscou. On pensait plutôt, qu’à des fins de propagande, les Russes auraient évité de donner l’impression qu’ils étaient responsables de la rupture. Leur intention est manifestement de changer de forum. De Londres, on portera la question devant l’O.N.U. Est-il besoin de dire que les chances d’accord sont encore plus faibles à New-York. Cependant, les Etats-Unis ne se refuseront pas à discuter du désarmement sur cette place publique. Au contraire, ils estiment que la contre propagande à opposer aux Soviets y sera plus facile et aura plus d’échos. Cela est à voir. De toute façon, ce changement d’air donnera un nouvel intérêt à cette discussion devenue à Londres véritablement oiseuse.

 

Le Sort de la « Détente »

Depuis le coup d’état en Syrie et le communiqué soviétique sur l’arme dite absolue, on est cependant un peu inquiet sur le sort de la fameuse détente. La politique stalinienne de la peur semble ressuscitée, si tant est qu’elle avait disparu, et l’on s’interroge une fois de plus : Que se passe-t-il à Moscou ? Des rumeurs qui circulent, il est difficile de faire le point : essayons cependant avec toutes les réserves d’usage.

 

Les Chances de Krouchtchev

L’opinion qui prévaut, c’est que les jours du pouvoir de Krouchtchev sont comptés. Nous pensions pour notre part qu’ils seraient révolus plus tôt ; l’homme paraissait si peu qualifié pour la tâche immense et complexe de guider les destins de l’Empire russe. Son dynamisme et sa volonté lui ont permis de se débarrasser de ses plus puissants adversaires politiques, mais il ne l’a pu qu’avec l’appui de l’armée, en particulier de Joukov. On est tenté de croire que celui-ci s’est servi de Krouchtchev pour éliminer, sans se compromettre, la vieille garde molotovienne qu’il aurait été plus difficile de supprimer si Krouchtchev avait été renversé par elle, au lieu du contraire.

Aujourd’hui, beaucoup d’observateurs sont convaincus que l’heure d’une dictature militaire ne tardera pas à sonner pour la Russie. Ce serait dans la logique de l’histoire, s’il y en a une, et dans une certaine mesure, nous le croyons. Il y a à cela une raison majeure : le déclin, pour ne pas dire la débâcle, de l’idéologie communiste depuis le drame hongrois, ne peut à la longue permettre au Parti, dont c’est la raison d’être, de conserver sa toute puissance.

 

Les Risques d’une Dictature Militaire

Et il est intéressant de noter que devant cette perspective d’une dictature militaire, les commentateurs se posent une question que nous avons débattue ici depuis longtemps : lorsque le masque de l’idéologie ne fera plus illusion à personne, sauf à ceux qui ont intérêt comme les Chinois à s’en servir, que l’impérialisme soviétique apparaîtra sans équivoque possible, ce qu’il a toujours été, un impérialisme comme tous ceux du passé, un pur instrument de conquête et de domination, conduit cette fois par des militaires authentiques, alors cette éventualité, loin d’être rassurante, ne fera qu’aggraver la tension internationale et redoubler la peur de la guerre. En réalité, il n’y aura rien de changé. Mais, si absurde que cela paraisse, l’idéologie du marxisme-léninisme avait, pour beaucoup quelque chose de rassurant.

 

La Continuité de la Politique Russe

Autre considération à l’ordre du jour qui n’a rien pour nous surprendre. On commence seulement à s’apercevoir que la politique soviétique n’est pas et n’a peut-être jamais été l’œuvre d’un homme, mais d’une sorte de ministère mystérieux et anonyme qui en aurait élaboré les plans. Nous l’avons remarqué souvent, et cela grâce à l’étude patiente du style et des méthodes de l’action diplomatique russe. Il y a eu quelques à-coups, quelques ruptures que nous avons notés, mais ils ont été épisodiques et de courte durée, l’interrègne Chepilov par exemple, mais on est aussitôt revenu à la ligne dont Vichinsky, Gromiko, Zorine et autres ont été les porte-paroles automatiques. Il y a fort peu de chances pour que cela change même si nous assistons à un nouveau règlement de comptes au Kremlin.

 

L’Histoire Anecdotique

Nous pensons amuser nos lecteurs en racontant l’histoire qui circule, bien qu’elle ait un air feuilletonesque, mais elle a été en quelque sorte corroborée par une déclaration du chancelier Adenauer lui-même et, pour une fois, l’anecdote peut être vraie.

Récemment, une publication du Ministère russe de la Défense a réhabilité le maréchal Toukhatchevski, exécuté en 1937 par Staline, comme traître à la patrie. On sait quelle vaste épuration suivit alors dans l’armée, et Joukov lui-même, alors général de division, fut envoyé dans un camp de concentration en Sibérie, d’où il ne sortit qu’en 1939, quand les Japonais attaquèrent en Mandchourie. On a su depuis qu’Hitler, Goebbels et Himmler avaient fabriqué des lettres de Toukhatchevski qui aurait demandé aux Nazis leur appui pour renverser la dictature communiste. Hitler, qui projetait d’attaquer l’U.R.S.S. voulait par ce moyen décapiter l’armée russe. Il fit parvenir les lettres à Staline et le coup réussit à la perfection. A ce moment-là,  Krouchtchev, serviteur zélé de Staline fit le discours d’usage pour condamner les traîtres. Aussi s’est-il bien gardé de les réhabiliter quand il a dénoncé, l’un passé, les crimes de son maître Staline. Voilà depuis un mois environ, non seulement Toukhatchevski mais Blücher célébrés par « l’Étoile rouge » comme héros nationaux. Et Krouchtchev n’a pu empêcher la publication bien que, au début, les organes du Parti comme « La Pravda » aient tronqué les passages du discours de Joukov à Leningrad qui réhabilitait ses compagnons d’armes. Joukov aurait l’appui d’une large part de la population. L’armée, dit-on, a les mains propres. Elle a contribué à liquider Beria, puis Molotov, Malenkov et consorts ; au jour voulu, elle sortira son dossier sur les crimes de Krouchtchev et ses complicités. En tout cas, elle le tient. De là à croire que le dernier round est près de commencer, il n’y a qu’un pas. Nous nous garderons de le franchir. Attendons.

 

Tito et Gomulka

Le point névralgique pour la Russie est la Pologne. Gomulka va en Octobre visiter Tito qui, comme par hasard, fait la sourde oreille aux nouvelles avances de Krouchtchev. On pense que les militaires, s’ils venaient au pouvoir, particulièrement inquiets de l’insécurité que représente pour eux les satellites, n’hésiteraient pas à faire toutes les concessions politiques nécessaires pour maintenir leur glacis défensif en Europe. Ils ne s’embarrasseraient pas pour cela de considérations idéologiques.

 

                                                                                                       CRITON

 

 

 

Criton – 1957-08-31 – Tournant

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Le Courrier d’Aix – 1957-08-31 – La Vie Internationale.

 

Tournant

 

Le mois d’août consacré aux loisirs a été marqué par deux événements d’importance, la dévaluation du Franc, et le coup d’État en Syrie. A certains signes, on pourrait y voir aussi le début d’un tournant dans la conjoncture économique orientée depuis plusieurs années vers l’expansion. La raréfaction des capitaux et le retour sensible à la pénurie de devises fortes, en particulier de Dollars, la dépression des grands marchés financiers, la baisse persistante des matières premières, font peser des menaces sur la prospérité. Crise passagère, peut-être, mais contre laquelle les remèdes ne semblent pas sous la main.

 

La Dévaluation du Franc

Il faut être en contact avec l’opinion étrangère pour mesurer combien une manipulation monétaire comme celle du 11 août peut nuire au prestige d’un pays. Cette mesure inévitable et attendue, a produit cependant une impression pénible. La France, sauf en une courte période, de 1927 à la grande crise, est pratiquement sans monnaie depuis 1914. L’Angleterre, toutes proportions gardées est dans le même cas. On ne saurait sous-estimer l’importance de ce facteur dans la suite de déboires qui ont affaibli ces deux pays. Nous n’en donnerons qu’un exemple. Les deux plébiscites qui nous ont fait perdre la Sarre, à quelques années d’intervalle, le second surtout, ont été largement influencés par la crainte justifiée d’un avilissement de notre monnaie. Aujourd’hui encore, ce dernier épisode monétaire va accélérer le détachement de nos liens économiques avec ce territoire. Les Sarrois se tournent vers l’Allemagne pour obtenir des compensations à la perte qu’ils subissent.

 

Une Mesure Injustifiée

Sans doute après une longue crise économique ou des guerres comme les deux précédentes, une dépréciation de la monnaie est un phénomène inévitable et par là même justifié. En temps de paix, d’expansion et de prospérité, il ne l’est absolument pas. Il est un signe d’indiscipline et d’impuissance qui se reflète sur l’estime de la force même d’une nation. A quoi bon tant d’autres sacrifices si l’on n’est pas capable de s’assurer dans le monde un crédit financier solide ? Ce jugement peut paraître sévère. Il est malheureusement universellement répandu. La banqueroute chronique, ou ce qui en tient lieu pour un pays, rendent stériles tous les efforts pour lui conserver son rang.

 

Incidences Internationales

Ce dernier avatar du Franc a des incidences complexes. Dans le domaine monétaire il a ébranlé un peu plus la confiance dans la Livre sterling, toujours discutée, et même d’autres devises comme la suédoise et la hollandaise dont la solidité est en question. Il n’est pas sans effet sur le renouveau d’isolationnisme aux Etats-Unis marqué par la réduction des crédits d’aide à l’étranger votée par les Chambres américaines. Il a précipité le déséquilibre entre les monnaies fortes – le Dollar et le Mark allemand – et les faibles, ce qui est susceptible de jeter un trouble dans le commerce international, comme cela s’est produit après la guerre. Et une nouvelle aide Marshall n’est plus à espérer. C’est la position même du Monde libre en face des nouveaux assauts qu’il subit de l’autre qui s’en trouve affaiblie.

 

Le Coup d’État en Syrie

Le coup d’état qui vient de faire de la Syrie, un semi satellite de l’U.R.S.S. n’est au fond qu’un épisode de plus dans les mouvements de bascule qui agitent le Proche-Orient. Est-il besoin de répéter que dans cette région, non seulement rien n’est définitif, mais que rien n’est durable. Les Américains avaient remporté un succès en Jordanie et dans une certaine mesure contre Nasser. Les Soviets ont riposté. Est-ce à dire que cet échec à Damas est sans contrepartie ? Non. Car en se liant ouvertement avec la Russie, la Syrie a pratiquement rompu ses attaches avec Nasser ; le bloc Égypto-syrien n’existe plus. D’autre part, les Pays Arabes et musulmans voisins de la Syrie sont en demi-rupture avec elle. Nasser se trouve donc un peu plus isolé, et l’inquiétude du Liban, de la Jordanie, de la Turquie et de l’Arabie Saoudite qui voient Moscou à leurs portes ne peut que les rapprocher des Occidentaux. C’est pourquoi Loy Henderson, l’envoyé américain est en conversation à Ankara avec les dirigeants des pays menacés.

La situation peut-elle prendre un caractère explosif et mettre la paix en cause, comme on semble le craindre ? Cela est peu probable. Les Soviets dont la politique n’a comme nous l’avons déjà fait remarquer, nullement changé depuis Staline, jouent le même jeu d’astuce et de prudence. Ils n’iront pas au-delà. La Syrie à elle seule n’est pas un atout suffisant pour renverser l’équilibre des forces en Orient. Et Nasser va peut-être reconsidérer sa position passablement difficile et se rapprocher des Occidentaux. Il y a nombre de signes qui permettent de le croire.

 

La Fusée Intercontinentale

En attendant, les Soviets, avec ou sans Molotov, conservent l’initiative. La Conférence du Désarmement ressemble à un match nul. Mais l’annonce par les Russes du lancement de leur première fusée intercontinentale, en avance sur les Etats-Unis qui ont manqué leurs essais, va réveiller les inquiétudes de la guerre froide.

Si la nouvelle était exacte – ce qui est loin d’être certain – l’équilibre des forces serait rompu à l’avantage de Moscou, au moins pour quelque temps. La nouvelle va relancer la course aux armements qui n’avait pas besoin de cela pour se poursuivre. Les Américains n’en seront pas affligés. Ce que la Russie gagne en effrayant le monde, elle le perd en force économique, ce qui est peut-être plus grave, et la peur resserre les rangs autour du protecteur d’outre-Atlantique.

 

En Pologne

Le communiqué russe sur la fusée intercontinentale a d’autres buts : inquiéter les Allemands qui vont voter le 15 septembre, et si possible affaiblir la position d’Adenauer dont la victoire semble assurée jusqu’ici. Mais aussi impressionner les satellites qui donnent beaucoup de soucis à Krouchtchev. En effet, si le sort de la Hongrie se trouve scellé par la répression de plus en plus brutale de Kadar, la situation en Pologne demeure dans la balance : Gomulka réussira-t-il à conserver la confiance populaire ? Les grèves récentes surtout à Lodz, en font douter. En cas d’échec, l’U.R.S.S. pourrait-elle imposer le retour au pouvoir du groupe Natolin fidèle au stalinisme ?

Les Américains ont hésité à sauver Gomulka par des crédits substantiels. L’opinion s’opposait à une aide massive. Eisenhower s’est limité à des secours d’urgence sous forme de produits alimentaires prélevés sur les surplus. Beaucoup pensent que ce fut une erreur et qu’il fallait s’engager à fond, d’autant que le collectivisme imposé à la Pologne s’est désintégré spontanément depuis octobre. La terre a été reprise par les paysans, les fermes d’État ont presque disparu et fait place à des coopératives de type occidental, les livraisons autoritaires de récoltes ont été fortement réduites, l’artisanat a reparu partout et avec lui le commerce libre. Dans l’industrie, les Conseils d’ouvriers se sont multipliés et s’efforcent d’enlever le contrôle des entreprises aux bureaucrates. La production agricole s’est accrue rapidement et la disette alimentaire atténuée. Mais le pays manque de tout, d’équipement et de matières premières, et il faudra des années pour que le niveau de vie s’élève. La patience des travailleurs illusionnés par les rêves conçus pendant le mouvement d’octobre semble s’épuiser. On assiste aux alternances de découragement et de révolte. L’occasion peut s’offrir aux Russes de reprendre leur domination, Gomulka représentait, malgré tout, une chance pour l’Occident, on l’a peut-être laissé passer.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1957-07-27 – Mirages

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Le Courrier d’Aix – 1957-07-27 – La Vie Internationale.

 

Mirages

 

La scène politique en Extrême-Orient, toujours mouvante, nous apporte un nouvel épisode qui risque de remettre en jeu les récentes positions : la révolte des tribus d’Oman contre le Sheik du lieu. Ici, Ibn Saoud est de connivence avec Nasser. Déjà au cours des dernières semaines, un certain rapprochement des deux hommes était sensible. On ne savait s’il s’agissait d’assurances verbales de solidarité ou de la préparation d’un plan. On est fixé.

 

La Question d’Oman et de Mascate

Le choix de ce point de friction est habile car il peut mettre à l’épreuve les relations anglo-américaines, alors que l’accord entre les deux pays sur cette partie du monde paraissait tant bien que mal établi. Rappelons l’histoire :

Depuis longtemps le roi Saoud a une querelle avec les Anglais au sujet de l’oasis de Baraïmi qui se trouve approximativement à mi-chemin entre les sultanats de Koweit et de Katar d’où les Britanniques tirent une large part de leur pétrole et les forages de Fahoud, en plein désert, où ils sont occupés à en chercher. Le sultan de Mascate et d’Oman fidèle allié de l’Angleterre (il est le seul souverain arabe à l’avoir soutenue dans l’affaire de Suez) affirme sa souveraineté sur Baraïmi, que Saoud revendique. Lors des entretiens des Bermudes, Eisenhower avait cherché en vain à faire céder les Anglais, leur faisant valoir l’importance d’avoir Saoud dans le jeu occidental. Les Anglais ne voulaient pas abandonner un fidèle allié, ni surtout donner un signe de faiblesse dans une région où la force et l’argent comptent seuls. Tout le désert de la côte arabe du Golfe Persique est, de plus, un vaste réservoir de pétrole que les Britanniques ne veulent pas abandonner aux convoitises des sociétés américaines qui tiennent Saoud par leurs redevances. Il ne faut pas d’ailleurs exagérer, comme on tend à le faire à Londres même, les rivalités des Compagnies pétrolières. Elles savent s’entendre quand il y a péril, comme c’est le cas, de voir surgir des troubles préjudiciables à leurs intérêts communs.

Cependant, les Américains ne peuvent mécontenter Ibn Saoud et si les Anglais, comme il est bien probable, sont obligés d’entreprendre une action militaire pour soutenir leur sultan contre les rebelles, la politique commune anglo-saxonne redeviendra impossible. Ce sera un nouveau Suez. Foster Dulles est très embarrassé. Il comptait exploiter ses succès en Proche-Orient, au plus vite, en essayant de régler l’affaire des réfugiés palestiniens de Jordanie et même de pousser Nehru à servir de médiateur entre Israël et les pays arabes. L’affaire avait été secrètement engagée et Nasser avait peur de voir la paix rétablie contre lui en Orient. L’affaire d’Oman permet de faire rebondir le conflit. Israël, avec une sagesse exemplaire, avait docilement suivi les directives de Washington, sans grandes illusions sans doute, sur les chances d’un règlement final. La paix entre Israël et les Pays arabes est du domaine de la chimère. Il y a trop d’intérêts et de passions attachés à perpétuer les hostilités.

Quelle que soit l’issue du présent conflit à Oman, il peut y avoir un vaincu, soit Saoud, soit l’Angleterre. Et ce sera pour les Arabes en tous cas, un nouveau lien de solidarité ; le mieux serait d’étouffer l’affaire sans effusion de sang. Cela ne dépend pas des Anglais mais des véritables intentions de Saoud qui restent énigmatiques. Il a malgré les redevances énormes qu’il reçoit, de perpétuels embarras d’argent. Il entend peut-être se procurer ainsi de nouveaux subsides américains. S’il en est ainsi, l’affaire ne sera pas grave, sinon ….

 

La Crise du Communisme

Des renseignements, difficiles à contrôler, qui parviennent des pays d’au-delà du rideau de fer, il ressort que la crise du communisme n’est pas résolue, tout au contraire. Les Chinois, après avoir amorcé une détente analogue à la déstalinisation se sont trouvés devant les mêmes conséquences. L’hostilité au régime était plus profonde qu’ils ne pensaient et la doctrine des « cent fleurs » n’a pas eu longue vie. La corde est à nouveau tendu et les déviationnistes condamnés.

En Hongrie, la répression, de l’aveu même de Kadar, plus que jamais féroce, ne réussit cependant pas à étouffer l’opposition. Après la Roumanie, les purges s’étendent à la Bulgarie. Gomulka en Pologne raidit sa politique de peur d’être entraîné trop loin dans les réformes et d’être en difficulté avec Moscou.

De nouveaux procès s’annoncent en Allemagne orientale où la direction du parti est divisée. Tout cela ne signifie nullement qu’un  bouleversement est imminent, mais simplement que la solution des problèmes nouveaux qui se posent apparaît jusqu’ici impossible.

 

Un Article de M. Bevan

La raison profonde – unique même – de la crise du communisme, est comme nous l’avons exposé souvent ici, l’adaptation d’une économie totalitaire, dont la structure s’est établie sur des pays sous-développés aux exigences d’une économie moderne en expansion. Nous venons d’avoir la surprise de lire dans la revue sud-africaine « Optima » un article de M. Aneurin Bevan lui-même intitulé : « L’Angleterre peut-elle devenir communiste ? » la réponse est intéressante venant de l’homme le plus marqué à gauche du Travaillisme anglais :

« Une dictature politique et l’industrialisation moderne sont une contradiction dans les termes», dit-il, « L’industrie moderne distribue et disperse les responsabilités économiques à mille et un points différents et se trouve par conséquent incompatible avec la centralisation politique qui est au cœur de la philosophie communiste. La doctrine personnelle et même collective sont des institutions qui ne conviennent qu’à des pays arriérés, c’est la leçon que les communistes apprennent à contrecœur. »

 

La Décentralisation

C’est, ajoutons-nous, l’explication de l’actuelle tentative de Krouchtchev pour décentraliser la machine soviétique, malgré tous les risques soit de désintégration et d’anarchie, soit de démocratisation et de particularisme que cela comporte en pays totalitaire. Cela explique aussi la résistance du groupe Molotov, des doctrinaires et des bureaucrates qui ne croient pas l’adaptation possible et voudraient maintenir coûte que coûte l’ancien système qui a, sous des formes diverses mais au fond analogues, régi la Russie depuis des siècles. En réalité, Krouchtchev ne fait que subir une pression qui a son origine dans les conditions matérielles de l’industrie russe dont il a pu voir dans ses voyages toutes les défectuosités. C’est le mauvais rendement et le gaspillage des efforts qui ont fait éclater, parmi l’élite des « managers » soviétiques, ce sentiment de révolte et l’appel à des réformes nécessaires, sentiment qui s’est étendu aux masses sous forme de malaise et de revendications. L’amélioration récente, toute relative, des conditions de vie, a, comme toujours, suscité plus d’appétits que de satisfactions et, de proche en proche, l’attente d’un grand changement est devenue de l’impatience.

Les meilleurs observateurs de ce côté comme de l’autre du rideau de fer doutent que Krouchtchev, homme fruste et impulsif, soit capable de conduire la Russie et son emprise, dans cette phase difficile. Tout laisse prévoir une longue période d’instabilité souterraine, coupée d’épisodes violents en surface, comme ceux de ces dernières semaines. Il est impossible de prévoir la forme que prendra cette évolution, mais il est certain que la foi dans les anciens dogmes du marxisme en sera profondément ébranlée.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1957-07-20 – Seigneurs de l’Heure

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Le Courrier d’Aix – 1957-07-20 – La Vie Internationale.

 

Seigneurs de l’Heure

 

Le voyage à Prague de Krouchtchev accompagné, mais plus discrètement cette fois, de Boulganine, avait pour objet de faire entériner par le monde communiste la purge de Moscou. Dans quelle mesure a-t-il réussi ? En faisant reconnaître son pouvoir l’a-t-il affermi ? Nous en doutons.

 

Les Discours de Krouchtchev

Pour s’imposer comme le maître durable du Kremlin, Krouchtchev aurait dû renoncer à ses intempérances de langage, à ses contradictions verbales, à ses expressions grossières à l’égard des adversaires de l’intérieur et surtout du dehors, et de ne pas traiter Eisenhower d’imbécile. Il s’en est au contraire donné à plaisir. Des rumeurs qui continuent à circuler derrière le rideau de fer, on peut retenir que le Krouchtchévisme n’est pas accepté sans murmures. Joukov l’appuie mais on dit que des dissensions existent dans l’armée où Molotov a des amis ; l’exil de Malenkov a irrité ses partisans qui tremblent pour leurs postes. Et ils sont nombreux. Comment les plans de Krouchtchev en matière d’administration ne seront-ils pas sabotés par ses ennemis ? Ce sera d’autant plus facile que le bouleversement prévu est plus vaste. Même avec une collaboration entière et loyale, l’affaire n’irait pas sans mécomptes.

 

Russes et Tchèques

Par ailleurs, il est certain que le voyage en Tchécoslovaquie a été parfaitement organisé. Le pays passe avec raison pour le plus sûr et le seul relativement prospère des satellites. Les dirigeants qui craignent pour leurs situations se sont surpassés. Le succès de Krouchtchev a été orchestré partout. Cependant, il est indéniable que la visite du Maître russe n’a pas été mal accueillie par la foule. On n’a pas eu besoin de mesures de sécurité exceptionnelles. Il y a même eu quelque chaleur, sauf chez les ouvriers de Pilsen. Cela peut étonner, mais s’explique.

Ce n’est pas par amour des Russes ni du communisme que les Tchèques saluent Krouchtchev, mais parce que cette présence les rassure. Ils sont inquiets de la résurrection de l’Allemagne et ils se sentent menacés, à tort ou à raison, en cas de réunification de celle-ci, par le retour à leurs frontières d’une force qui les a écrasés et qui a avec eux le compte des Sudètes à régler.

Ce sentiment existe également en Pologne, mais les Polonais, plus légers, pensent davantage aux misères présentes qu’aux souffrances passées. Le seul lien solide entre Tchèques et Russes est donc cette méfiance à l’égard des Germains ; de plus, les Russes n’occupent pas réellement le pays. Ils ne l’ont pas envahi en 1945 et il n’y a pas entre les deux peuples d’inimitié séculaire. C’est pourquoi Krouchtchev l’avait choisi pour s’y sentir plus fort. A cet égard, il a dû être satisfait.

 

Pause du Désarmement

La scène internationale se vide un peu ; la Conférence du Désarmement, comme prévu, va s’ajourner. Les déclarations négatives de Zorine et les propos désobligeants de Krouchtchev préludent à une pause prolongée. On a l’impression que les Soviets occupés ailleurs, n’ont pas mis au point leur tactique pour la suite à donner aux débats. Zorine lui-même n’est pas sûr de rester en place. Les Alliés, de leur côté, ne sont pas d’accord et à Washington beaucoup d’influents cherchaient à torpiller Stassen. On désarmera plus tard. En attendant, Washington annonce un plan de dotation d’armes atomiques à l’O.T.A.N., cela pour éviter que d’autres en fabriquent.

 

Le Problème Algérien

C’est, il faut bien le dire, le problème algérien qui devient la première préoccupation internationale. De tous côtés, on sent le besoin d’en sortir et toutes les solutions sont pesées. Le Plan Jules Moch a fait grand bruit. Avec un système de double souveraineté, l’une française, l’autre algérienne, ce serait revenir sous une autre forme déguisée au système du partage, et, au fond, à une manière de ségrégation géographique au lieu d’être interne comme en Afrique du Sud.

Il ne nous appartient pas d’en juger ; disons que ce plan traduit une préoccupation essentielle : celle de l’accroissement rapide de la population musulmane d’Algérie qui fatalement un jour submergera la minorité européenne. Aucune solution ne vaut contre cette expansion démographique. Même résolu momentanément, le problème se reposerait à terme. Il semble donc que même si le plan Moch, comme il est certain, est sans lendemain, il n’en révèle pas moins une maturation des idées sur les relations franco-musulmanes.

Une pression extérieure s’exerce sur la France, encore discrète, mais insistante. Un problème ne peut pas traîner dans les mêmes termes indéfiniment. L’opinion internationale veut qu’on fasse quelque chose, de part et d’autre d’ailleurs. Car au Maroc où les positions évoluent, et même à Tunis, on reconnaît l’urgence d’une solution qui, si elle n’intervenait pas, laisserait en suspens une foule de questions de première importance.

A cet égard, la diplomatie américaine, à Rabat, à Tunis et aussi à Madrid n’est pas à sens unique comme on a tendance ici à le croire. Internationaliser le problème algérien – il y a tant de manières de le faire – n’est pas nécessairement prendre parti contre les intérêts français.

 

L’Inflation en France et en Angleterre

L’inflation demeure en Angleterre et en France le problème majeur. Des diverses formes qu’elle revêt, c’est surtout l’inflation des salaires qui montent plus vite que la productivité, qui domine. La situation de l’Angleterre en apparence moins altérée est plus grave que la nôtre bien que les difficultés des deux côtés soient énormes. Une rupture d’équilibre à Londres, ce n’est pas seulement la Livre qui s’effondre, c’est la zone Sterling tout entière qui se désagrège. La dévaluation ne serait pas un remède ; tandis que chez nous, on va se résigner peu à peu à un nouveau palier, après tant d’autres, où par la hausse des prix et la dépréciation de la monnaie, on épongera le pouvoir d’achat excédentaire créé par la montée des salaires.

L’opération ne sera pas aussi facile que par le passé, car il y a devant nous, au moins en théorie, les perspectives du Marché Commun et le palier qu’on cherche à établir ne devra pas être un nouvel échelon vers le bas, servant de pause avant une nouvelle chute. Un règlement du problème monétaire français doit être final. C’est en cela que le Marché Commun peut servir de garde-fou aux revendications extravagantes, sinon la solidarité européenne serait une fois de plus rompue, et la répétition d’expédients utilisés ici depuis près d’un demi-siècle isolerait peu à peu la France du marché mondial ; ce qui était possible hier, mais ne le sera certainement plus demain.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1957-07-13 – Règlement de Comptes

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Le Courrier d’Aix – 1957-07-13 – La Vie Internationale.

 

Règlement de Comptes

 

Le règlement de comptes intervenu au Kremlin nous semble avoir soulevé une émotion exagérée. Les quatre principaux personnages avaient été depuis longtemps mis à l’écart des premiers rôles, de même que Pervoukine et Sabourov ces derniers mois. Récemment, ils avaient essayé de relever la tête à la faveur du grand bouleversement administratif décidé par Krouchtchev. La fureur des bureaucrates moscovites leur offrait une occasion de regrouper une opposition. Mais le maréchal Joukov, lui, a vu là un moyen de discréditer un peu plus les politiciens, ce qui fait toujours plaisir aux militaires et de s’approcher du pouvoir suprême. Il s’est rangé au parti de Krouchtchev quitte à s’en débarrasser si la politique de celui-ci échoue, ce qui nous a toujours paru probable. Personne ne se lèvera pour sauver Krouchtchev, pas plus qu’on ne l’a fait pour Molotov et ses associés, pourtant moins impopulaires. La dictature Krouchtchev n’est qu’apparente. Elle ne ressemble pas à celle de Staline.

La Société russe est en pleine évolution. En s’attaquant à la bureaucratie, Krouchtchev ne fait qu’accélérer cette évolution. La nouvelle élite de technocrates et d’intellectuels sent fort bien que l’idéologie du marxisme léninisme est surannée et que pour que la Russie devienne une grande nation moderne, il est temps qu’elle s’occidentalise.

On se tromperait fort au reste si l’on pensait que les manifestations de comités – assez sinistres d’ailleurs – qui se répandent dans toute l’U.R.S.S. pour vilipender les victimes de Krouchtchev après les avoir adulées, sont un signe de ralliement au chef du Kremlin. Tout cela est réglé par les officiels qui tiennent à leurs postes et se rangent toujours du côté du plus fort. Ils acclameront invariablement le vainqueur du jour et forcent leurs subordonnés à faire chorus. Tout ceci d’ailleurs ajoute au discrédit du parti qui est très profond dans les masses. Il court une foule d’anecdotes sur B. et K. qui ressemblent, en moins indulgent, aux plaisanteries dont nous gratifions nos politiciens. En Russie, le régime tient par la force des armes et la passivité foncière du peuple. Sa définition séculaire tient toujours : une dictature tempérée par l’assassinat.

Si le bouleversement administratif de Krouchtchev aggrave l’anarchie économique, la Russie changera de maîtres. Nous n’aurons peut-être pas à nous en réjouir, l’impérialisme russe n’en serait probablement que plus vigoureux sous la botte militaire. Souhaitons plutôt que les révolutions de palais se prolongent, c’est grâce à elles qu’au cours des siècles, l’expansion russe a connu des replis.

 

La Grande Peur

De tous les récits plus ou moins dramatiques de la chute du quatuor, un seul paraît authentique. Kaganovitch aurait déclaré au moment où la chute de Krouchtchev allait être mise aux voix, que celui-ci avait fait appel à l’armée pour se maintenir. Ce simple mot retourna la situation ; tous les délégués, pris de peur, se rallièrent à Krouchtchev. Une autre peur parcourt l’échine des dirigeants tchécoslovaques qui ont toujours professé le plus scrupuleux stalinisme. Ils se sont précipités au-devant du nouveau maître, obligeant les malheureux tchèques qui les haïssent à accueillir avec des chants et des fleurs l’oppresseur du Kremlin.

Mais laissons ces tristes sujets.

 

Pause à la Conférence du Désarmement

Malgré les intentions proclamées de détente internationale, le règne de Krouchtchev commence par un refus, si règne il y a, (car la politique étrangère du Kremlin nous paraît bien dirigée par quelque tout puissant anonyme qui ne varie jamais son style et ses moyens). Donc le premier acte a été, ce qui, sauf avis contraire, paraît le torpillage de la Conférence du Désarmement. Zorine à son tour devient M. Niet.

Les choses en resteront-elles là ? C’est peu probable. Les Américains qui seront satisfaits d’un échec tiennent surtout à en faire retomber la responsabilité sur les Russes. Ceux-ci rouvriront-ils le débat pour l’éviter ? Ils ne doivent plus se faire beaucoup d’illusions sur leur prestige international après le drame de Hongrie et la dernière purge. Et peut-être Joukov qui tient les ficelles se soucie peu de désarmement.

Le Plan américain pour amener Nasser à la raison se poursuit méthodiquement. Après l’avoir coupé du groupe Jordano-Saoudien, Foster Dulles s’emploie, en réplique au nouveau chantage soviétique, à le presser du côté de l’Éthiopie et du Soudan.

On se souvient que l’Amiral des U.S.A., Arnold Karo, avait mis au point cet hiver un programme de mise en valeur du Lac Tana et du Nil bleu. Ces réservoirs gigantesques commandent le débit du Nil en Égypte. On se rappelle peut-être aussi le rôle que ces sources du Nil ont joué dans la lutte entre Mussolini et l’Angleterre, maîtresse alors de l’Égypte. Le Barrage d’Assouan que Nasser veut construire pour irriguer son désert n’est possible que si en amont des barrages ne viennent pas diriger l’eau vers d’autres terres à féconder.

On voit ainsi quel moyen de pression les Américains tiennent en Éthiopie contre Nasser et les motifs de leur refus de financer le barrage d’Assouan ; plus d’un milliard de dollars sont prévus pour l’exploitation du Haut-Nil. On en est pour le moment aux relevés topographiques, mais l’exécution des projets suivra sans délai. Tôt ou tard, si Nasser veut réaliser son barrage, il devra passer par les conditions américano-éthiopiennes et souscrire à une répartition équitable des eaux. Il le sait si bien qu’il n’a pu s’empêcher d’exhaler sa mauvaise humeur dans la récente interview accordée aux journalistes américains. La tenaille lentement se resserre.

Il fallait qu’Eden fût bien affaibli et M. Pineau fort dépourvu de sens politique pour ne pas utiliser, en accord avec les U.S.A., ces moyens de pression contre Nasser, qui sont encore loin d’être épuisés. On aurait évité en novembre le désastre de Suez dont les tragiques conséquences pèsent sur notre politique africaine.

 

Le Sénateur Kennedy et l’Algérie

L’intervention du sénateur Kennedy dans la question algérienne est peut-être le dixième épisode du genre depuis un demi-siècle. Un sénateur ambitieux appartenant au parti dans l’opposition soulève une question irritante de politique internationale pour se faire de la publicité en vue des prochaines élections présidentielles, cela en général sur le dos d’un allié et ami, l’Angleterre en général, et souvent la France. Une tempête de protestations surgit ; échange de propos désagréables, le Secrétaire d’Etat est obligé, pour arranger les choses, de se compromettre en défendant les Alliés, et l’opposition en tire parti pour décrier le Gouvernement. On a tort de prendre ces opérations au tragique. Cela fait partie du jeu de la démocratie made in U.S.A. Les vrais problèmes n’en sont pas nécessairement touchés. Cependant, dans le cas de l’Algérie, cet épisode ajouté à d’autres rend de plus en plus difficilement évitable l’internationalisation du problème.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1957-07-06 – Dégel

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Le Courrier d’Aix – 1957-07-06 – La Vie Internationale.

 

Dégel

 

Si des événements de ces derniers mois on veut rechercher l’essentiel deux traits dominent : la situation dans les pays communistes, de rigide qu’elle était, est devenue mouvante. Au contraire, dans les pays dits capitalistes, la prospérité s’est développée à un rythme qui dépasse toutes les prévisions. Situation qui d’ailleurs n’est pas partout saine et qui suscite de légitimes préoccupations.

 

Le Communisme transitoire selon Foster Dulles

Aussi n’a-t-on pas prêté assez d’attention au récent discours de Foster Dulles : « Le communisme, a-t-il dit, est une phase transitoire et non un état permanent ». La politique qu’il a suivie avec une rigidité et une obstination qu’on lui a beaucoup reprochées, est fondée sur cette assertion. Conserver la paix même au prix de reculs et d’humiliations et éviter une explosion au cas où les difficultés intérieures des pays totalitaires conduiraient leurs dirigeants à tenter l’aventure, qui au moins, momentanément, renforcerait leur pouvoir. S’adapter aux circonstances en attendant que le temps ait fait son œuvre.

Cette politique est assez ingrate, mais tout le monde reconnait aujourd’hui qu’elle a marqué, en Proche-Orient, un succès qui, s’il n’est pas définitif, a tout de même de sérieux fondements. Cependant, ses adversaires ne désarment pas – ni aux Etats-Unis, ni en Europe – et l’on reproche aujourd’hui au Secrétaire d’Etat américain de s’opposer à toute concession politique ou économique à la Chine de Pékin. On lui fait aussi grief de ne pas aller assez loin au-devant de la détente, soit pour aider la Pologne, soit pour accéder aux propositions russes en matière de désarmement. Politique  négative que l’on oppose volontiers à celle d’Eisenhower bien qu’en réalité cette dualité d’attitudes soit purement tactique et à des fins plutôt intérieures qu’extérieures, le Parti républicain devant satisfaire à la fois l’électeur pacifiste et l’électeur nationaliste.

 

Le Dégel en Chine

C’est en Chine rouge que ce dégel est le plus apparent. Il était fatal d’ailleurs que dans cet immense pays où l’anarchie est une habitude et peut-être un besoin, une discipline rigide et uniforme ne puisse se maintenir indéfiniment. Les hérésies doctrinales et aussi les révoltes armées se multiplient. La répression hésite. Tantôt on arrête et on exécute comme récemment dans le Futsing, tantôt un ministre déviationniste fait son mea culpa, d’autres trop orthodoxes sont destitués parce qu’impopulaires, et puis la famine endémique fait à nouveau son apparition dans le Sud sans qu’on ait de quoi la combattre. Mao Tsé Tung et Chou en Laï ne cachent pas leurs hésitations : comment adapter le régime aux exigences des masses sans ramener l’anarchie ? Menacer tout en cédant aux points faibles et tracer des limites à la critique, voilà leur espoir.

Autre trait, le sentiment anti-russe de plus en plus répandu et exprimé jusque dans la presse, au point que le Journal de Pékin a dû publier les chiffres, grossis d’ailleurs en termes de change, de l’aide soviétique : deux milliards de dollars (au pair !).

 

En Russie

En Russie, il est bien difficile de savoir ce qui se passe ; Krouchtchev a éliminé la vieille garde. Mais comment évolue la décentralisation ? Les difficultés du plan sont cependant devenues publiques. Des rumeurs de purge monétaire ont précipité les achats du public. Le Rouble sur les marchés extérieurs et intérieur est tombé à 40 pour un dollar, dix francs à peine. Les remous de l’affaire hongroise ne sont pas apaisés.

La racine du mal, faut-il le répéter, tient toute au mythe de l’industrialisation à tout prix, qui impose aux masses des privations qui ne s’atténuent pas, surtout quand s’y ajoute, comme en Chine et en U.R.S.S. le fardeau d’armements de plus en plus coûteux. Ce mythe va de pair avec le nationalisme. Un développement industriel doit au contraire être l’œuvre des travailleurs prospères. L’Inde en ce moment, qui a vu trop grand aussi dans ses plans industriels, se voit obligée de donner un coup de frein, la situation financière devenant critique. Voilà la véritable contradiction des régimes totalitaires ou de ceux qui, par certains côtés, sont tentés de les imiter. La « crise » qui survient n’a pas les mêmes caractères qu’en pays capitaliste. Elle n’en est pas moins grave.

 

Une Mine de Charbon Polonais aux Capitalistes

Donnons un exemple aussi significatif que pittoresque des changements survenus en pays communistes, sans qu’on n’en rende toujours compte ici. M. Emile Roche, président de notre Conseil Économique vient d’aller en Pologne, et malgré tous les déboires passés infligés aux capitalistes français, des crédits de l’ordre de plus de dix milliards vont être consentis à la Pologne pour équiper ses usines d’électricité et ses mines. Cela reste, si l’on veut, dans le cadre des échanges commerciaux.

Mais les Polonais offrent davantage. Ils voudraient qu’un groupe français consacre 25 milliards à la mise en service d’une mine de charbon dont le produit nous serait entièrement réservé jusqu’au remboursement du prêt, intérêts compris. Si l’affaire réussit, voilà des capitalistes étrangers exploitant en pays communiste une source de matière première à leur profit exclusif ! Nous ne savons pas ce qu’en penserait Lénine, mais il nous semble qu’en fait de déviation, elle est de taille. Car même au temps des Tzars, les exploiteurs étrangers ne prenaient pas la totalité des produits. Rarement le sort s’est à ce point moqué des principes.

L’affaire mérite d’être suivie avec la plus grande curiosité. Elle est un signe des temps. On ne sait ce qu’il faut admirer le plus, ou le mépris des dirigeants polonais pour le dogme, ou la confiance des capitalistes français qui n’ont pas encore reçu grand-chose de leurs avoirs nationalisés en Pologne (nous pensons entre autre aux mines et hauts-fourneaux). Il est vrai, comme le veut le dicton, que les affaires, c’est l’argent des autres.

 

Le Mythe de l’Expansion

De ce côté-ci du rideau de fer, le mythe de l’expansion a pris le caractère d’une foi, presque d’une psychose transmise des Etats-Unis. Production accrue au rythme le plus rapide possible, création continue de nouveaux besoins et de formes de consommations inédits. Il n’y aurait, croit-on, plus de crises comme dans le passé ; des ajustements tout au plus, et lorsque les autorités freinent le boom, on les accuse de créer des obstacles artificiels, comme les restrictions de crédit aux Etats-Unis, en Allemagne et en Suisse. Une certaine inquiétude cependant demeure. On a peine à croire à une expansion qui dure depuis des années sans même une pause, ce qui ne s’était jamais vu. Inquiétudes d’ordre économique et financier. Cette croissance indéfinie pourra-t-elle être ravitaillée en capitaux ? Inquiétude d’ordre moral aussi. L’appel à la consommation assure-t-il le bonheur des hommes ? Le matérialisme n’est-il pas la rançon du bien-être ? La Société ne s’en trouvera-t-elle pas affaiblie et incapable de faire face à l’imprévu ? Ne perd-elle pas ses facultés de résistance à l’assaut de l’adversité ? Ces problèmes sont discutés un peu partout, mais la pression de l’activité déborde tous les conseils de prudence. Par contre, de l’autre côté du rideau de fer, le mirage de la prospérité voisine prend l’aspect d’un paradis interdit, cependant si proche. Les rares voyageurs des pays de l’Est reviennent éblouis et ceux qui en rêvent, sans y pouvoir aller, débordent d’imagination souvent puérile. Ces images font leur chemin et cela explique bien des remous dans cette immense prison orientale.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1957-06-29 – Contradictions

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Le Courrier d’Aix – 1957-06-29 – La Vie Internationale.

 

Contradictions

 

Les sujets d’intérêt n’ont pas manqué ces jours-ci. Il y a eu le rapport Mao Tsé Tung du 27 février dernier sur les « contradictions » dans la démocratie populaire chinoise dont le texte a fini par venir au jour, et le rapport de la Commission d’enquête de l’O.N.U. sur la tragédie hongroise, document dont le retentissement se prolongera.

 

Le Rapport de Mao Tsé Tung

La clarté du rapport du dictateur chinois n’apparaîtra sans doute qu’à ceux qui sont familiers avec la phraséologie marxiste. Les autres ne verront pas bien ce qui distingue les contradictions antagonistes qui sont celles entre les pays capitalistes et les pays totalitaires ainsi que celles qui existent au sein même des nations capitalistes, de ces contradictions non antagonistes qui ont fait, en Chine communiste, massacrer des millions d’hommes.

L’aveu qu’il demeure à l’intérieur des démocraties populaires des contradictions est en opposition avec l’orthodoxie soviétique qui d’ailleurs a rejeté cette thèse par la bouche même de Krouchtchev. Quel est le sens politique de ce rapport ?

 

Les Oppositions au Régime

Evidemment que le régime n’a pas supprimé les difficultés et les oppositions malgré ses violences ou plutôt à cause de ces violences, que la résistance de la mentalité chinoise à une endoctrination totale s’avère insurmontable et qu’il faudra, pour poursuivre, user de persuasion et tolérer des divergences d’opinions que les Chinois appellent « l’épanouissement des cent fleurs » autrement dit, la coexistence d’opinions diverses au sein de la doctrine.

Ce qui est à retenir, c’est que la crise idéologique du communisme n’épargne aucun des pays qui ont embrassé le dogme. Les embarras économiques et les échecs des plans en sont la cause principale. Mais il y a aussi une crise morale et intellectuelle.

Il y a longtemps que nous l’avons indiquée. Le temps du monolithisme est passé. Les Russes devront eux aussi évoluer. Ce sera moins facile qu’ailleurs, et peut-être plus dramatique, parce que le peuple est moins souple d’esprit, plus obstiné et aussi plus violent.

 

L’Affaiblissement de l’U.R.S.S.

Mais on ne peut pas ne pas voir dans le rapport Mao Tsé Tung des visées politiques extérieures. Il s’agit de ne pas altérer les relations avec l’U.R.S.S. dont les fournitures sont indispensables, tout en l’affaiblissant. Le jeu est subtil. On l’a vu quand Chou en Laï est allé en Pologne où Mao lui-même va se rendre. Créer à l’U.R.S.S. des difficultés ou les exploiter sans être obligé de faire la paix avec l’Occident. Essayer de saisir la direction idéologique du monde communiste en donnant à la doctrine un aspect plus large susceptible de rallier les militants ébranlés par la répression hongroise. Faire de Pékin un pôle d’attraction au détriment de Moscou. Les Soviétiques le sentent et leur embarras se trahit. Krouchtchev a dû admettre à la télévision américaine que des divergences existent entre les deux capitales dans l’ordre doctrinal.

La tragédie hongroise a été l’occasion de cette lutte bien qu’elle soit, comme nous l’avons vu, beaucoup plus ancienne.

 

Le Rapport à l’O.N.U. sur la Hongrie

Le rapport des délégués neutres aux Nations-Unies ne nous apprend rien que nous ne savions, hélas, de l’affreuse répression russe. Ce qui fait son importance, c’est qu’il émane de personnalités non engagées dans la lutte entre les deux Mondes. Elle s’accroît encore du fait que la terreur Kadar en Hongrie, loin de s’apaiser, gagne en violence. La récente condamnation à mort en appel de deux écrivains qui n’avaient reçu en première instance que des peines de prison a soulevé les protestations d’intellectuels communistes de stricte obédience, comme Aragon en France. Les journaux et la radio russes ont été exaspérés par ce rapport qu’ils qualifient de calomnieux, contre toute évidence. On ne peut que s’étonner de voir les Soviets aggraver leur cas. L’affaire viendra fatalement devant l’Assemblée de l’O.N.U. avec tout l’éclat requis.

 

Désarmement et Guerre Froide

Les palabres de Londres sur le désarmement continuent cependant, imperturbables. Des deux côtés on se veut optimistes mais comme le remarque un commentateur, la guerre froide continue et il en énumère les derniers épisodes : 1° l’Egypte reçoit trois sous-marins russes pour bloquer le golfe d’Akaba ;

2° Une flotte russe passe à travers les Détroits pour croiser en Méditerranée, une autre s’engage par Suez dans la Mer Rouge ;

3° La base russe de Sassano en Albanie sur l’Adriatique en face de l’Italie et à proximité de la Yougoslavie reçoit chaque jour de nouveaux aménagements, voilà pour les Russes.

Les Chinois ne sont pas en reste. Ils ont équipé la Corée du Nord en armements, à tel point que les Etats-Unis se proposent de doter les forces des Nations-Unies en Corée du Sud d’engins modernes, téléguidés et atomiques. Enfin, la tension reprend entre la Chine rouge et Formose ; Quemoy a été à nouveau bombardée et de nouveaux aérodromes construits en face des îles de Tchang-Kaï-Chek.

On se demande en conséquence si les pourparlers de Londres n’ont pas pour objet de rejeter la responsabilité d’une rupture sur l’adversaire. Chacun d’eux s’emploie d’ailleurs avec la meilleure mauvaise foi à l’éviter. Une délégation de Sénateurs américains se rendrait à la Conférence du Désarmement sur demande du Gouvernement pour surveiller les tractations. Ils ne manifestent pas grand enthousiasme pour partager les responsabilités.

 

Nasser et Israël

Pour en revenir au Moyen-Orient, Nasser a réussi à faire revenir les Russes dans la lutte afin d’éviter un échec définitif qui serait marqué par un coup d’état en Syrie. Le seul moyen de sauver la situation est de tenter de refaire l’unité arabe contre Israël. Mais Israël est d’une prudence extrême. Des pourparlers plus ou moins secrets se sont engagés sous l’auspice des Etats-Unis pour reclasser en pays arabes, et peut-être même en Israël, les réfugiés palestiniens entassés dans la poche de Gaza, ou campés en Jordanie. Le roi Hussein est le premier intéressé à se débarrasser de ces hôtes indésirables qui ont failli le renverser. Naturellement cela ne ferait pas l’affaire de Nasser dont ces réfugiés sont le meilleur atout. L’Irak pourrait les accueillir, son expansion économique exigeant un apport de main-d’œuvre. Si l’affaire réussissait, un grand pas serait accompli pour normaliser la situation aux frontières israélo-arabes.

 

La Navigation sur le Golfe d’Akaba

Reste la question ultime du droit de navigation des Israéliens en Akaba et à Suez. Ils ont renoncé à envoyer un navire test, ce qui est fort adroit. Sous pavillon étranger, les marchandises à destination d’Israël pourront difficilement être arraisonnées surtout si le pavillon qui les couvre est américain. Nasser ira-t-il jusque-là ?

Le risque est gros pour lui, comme pour les Russes. Les Américains avancent avec prudence. Ils ne s’exposeront pas à un éclat prématurément. Tel-Aviv est rentré dans leur jeu, ce qui est aussi très habile. Les facteurs en jeu sont si complexes, comme nous en avons fait maintes fois l’expérience, qu’un pronostic est difficile. Cependant, si l’on évite toute fausse manœuvre, les chances sont pour l’Occident.

 

                                                                                  CRITON

 

Criton – 1957-06-22 – Logique des Evénements

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Le Courrier d’Aix – 1957-06-22 – La Vie Internationale.

 

Logique des Événements

 

Si l’actualité internationale nous apporte ces jours-ci des changements, ce ne sont pas des surprises, au contraire.

D’une part, sur la scène du désarmement à Londres, les Démocraties occidentales paralysées, et par des dissensions intérieures et aussi par les divergences de vues et d’intérêt qui les empêchent de s’accorder entre elles, voient une fois de plus l’initiative leur échapper au profit des moscovites.

D’autre part, en Moyen-Orient, le décor toujours mouvant fait paraître aujourd’hui un pan-islamisme du roi Saoud se substituant au nassérisme déclinant, et qui présente à l’Occident des menaces différentes mais non moins redoutables dont nous avions l’autre jour déjà donné un aperçu. Là, pour les Russes comme pour les Anglo-saxons, la toile de Pénélope se tisse indéfiniment.

 

L’Imbroglio du Désarmement

Pour la troisième fois à Londres, l’exposé du plan américain est ajourné. Dulles a jugé bon d’envoyer auprès de M. Stassen, un observateur personnel pour contrôler ses initiatives. Aussi, M. Zorine, le délégué russe a mis cette confusion à profit pour présenter son plan dont l’essentiel vise à ajourner les expériences atomiques à deux ou trois ans. Les Américains n’avaient en vue qu’une trêve de dix mois, période pendant laquelle, l’État-major de Washington  n’avait pas prévu de nouveaux essais. On aurait mis à profit ce délai pour obliger les Russes à se soumettre à un contrôle auquel d’ailleurs ceux-ci en principe ne se refusent pas. Mais les projets américains se heurtent aux réticences des Anglais et des Français. Les premiers parce que leur préparation nucléaire adéquate en qualité, n’est pas en quantité suffisante pour leur permettre d’assurer leur défense et de discuter en égaux avec les deux Grands. Les Français parce qu’ils n’entendent pas renoncer à un armement atomique qui seul confère, pense-t-on, le rang de grande puissance. L’accord n’est pas pour demain.

 

L’Impérialisme Saoudien

Les ambitions du roi Saoud d’Arabie se sont trouvées dévoilées par la démission soudaine de Nouri el Saïd, le premier ministre d’Irak, acceptée par le roi Fayçal. Nouri el Saïd était l’homme des Anglais, le principal soutien d’une politique pro-occidentale, l’artisan du Pacte de Bagdad. Avec l’alliance des trois rois arabes se constitue un axe autour duquel on espère voir se ranger les trois puissances islamiques non arabes d’Orient : la Turquie, la Perse et le Pakistan.

Un tel choc serait assez armé et surtout assez riche pour s’opposer aux infiltrations communistes, mais en même temps en mesure de secouer la tutelle anglo-américaine, grâce à une politique propre du pétrole dont il détient toutes les sources. Avec le temps, les pauvres, la Syrie et l’Égypte, seraient obligées de s’intégrer à l’alliance dont Ibn Saoud aurait la direction. Le lien commun demeure l’hostilité à Israël qui est l’aliment essentiel du nationalisme arabe et par surcroît à la France, pour son alliance avec Israël et sa lutte en Afrique du Nord, en sorte que les passions déchaînées par Nasser se trouveraient sans difficulté transférées.

Les Russes ne se sont pas trompés sur l’orientation de cette nouvelle coalition qui leur est hostile. Ils viennent d’offrir à Nasser trois sous-marins destinés à interdire aux navires israéliens le golfe d’Akaba et éventuellement les abords de Suez, ce qui va obliger les Américains à des contre-mesures susceptibles de les compromettre aux yeux des Arabes. Ainsi, la partie reprend sur de nouvelles donnes.

 

Les U.S.A. et le Japon

Les Américains ont d’autres embarras. Le nationalisme en Extrême-Orient n’est pas moins actif que dans le Monde arabe. Il y a eu les émeutes de Formose et l’agitation au Japon. Précisément, le premier Japonais Kishi se rend à Washington. On sait que les Anglais, contre la volonté américaine, ont réduit l’embargo sur le commerce avec la Chine aux règles appliquées au bloc soviétique. D’autres vont suivre dont l’Allemagne, l’Italie et la France. La question des échanges avec Pékin est importante encore pour le Japon qui entend user des mêmes droits que les Européens. Les Etats-Unis ne peuvent guère s’y opposer, à moins d’offrir une contre-partie.

Les Nippons voudraient orienter leur commerce d’exportation de façon plus ample qu’ils n’ont  pu le faire encore, vers les pays libres du Sud-Est asiatique : Vietnam, Birmanie, Indonésie, Thaïlande et Inde. Mais faute de capitaux, leurs possibilités sont réduites. Il faudrait que les Etats-Unis les fournissent. Le Premier Japonais désirerait de plus, à cause de la pression populaire, obtenir la restitution des bases américaines dans les îles du Pacifique. Mais pour que les Américains y consentent il faudrait que les Japonais reconstituent une force militaire suffisante pour assurer leur défense, ce qui implique des délais et un effort financier d’une ampleur qui dépasse leurs moyens.

Les Russes intriguent auprès d’eux, jusqu’ici sans succès, pour les attirer dans le camp des Neutres. Ils n’ont aucune chance de réussir avec l’actuel Gouvernement Kishi. Mais de nouvelles élections pourraient changer l’aspect des choses. La Maison Blanche aura besoin de toutes ses ressources diplomatiques pour trouver une solution qui satisfasse l’amour-propre nippon, et sauvegarde ses propres intérêts.

 

Les Élections Canadiennes

Les élections n’ont pas fini de provoquer des surprises désagréables aux Etats-Unis. Le renversement absolument imprévu du Gouvernement libéral au Canada est, toutes proportions gardées, une manifestation nationaliste. Depuis que le Canada a pris conscience de l’importance de ses ressources minérales pour l’économie des Etats-Unis, il a cherché à éluder les conséquences d’une invasion du capital de Wall-Street.  Il a fait appel aux initiatives européennes qui ont largement répondu. Mais la disproportion entre les moyens est telle que tout progrès économique rapide est lié à l’apport constant de la finance des Etats-Unis. Dans le domaine politique, le Canada s’est efforcé d’avoir une politique indépendante et de jouer l’arbitre entre les deux continents. Mais la faiblesse de sa population lui impose, là aussi, des limites. C’est la mauvaise humeur provoquée par de multiples incidents mineurs, entre autres la canalisation du Saint-Laurent et l’écoulement des céréales excédentaires par les Etats-Unis qui s’est cristallisée dans la victoire électorale des Conservateurs. Ce parti est autant celui des hommes d’affaires de Toronto que des cultivateurs de la prairie.

Ce changement de personnel politique n’aura que des conséquences réduites. Mais les relations entre les deux voisins Nord-Américains seront moins aisées. Les Conservateurs s’appuient surtout sur l’élément d’origine anglaise et sont plus sensibles dans leurs rapports avec le Commonwealth. C’est pourquoi à Londres, malgré les regrets qui accompagnent le départ de M. Lester Pearson, on se réjouit sans le dire de voir renforcée une position utile sur le nouveau continent.

 

                                                                                  CRITON

Criton – 1957-06-15 – De quelques Leçons

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Le Courrier d’Aix – 1957-06-15 – La Vie Internationale.

 

De Quelques Leçons

 

On peut dire aujourd’hui, sans témérité, que la tactique américaine en Orient a réussi . Nasser est à peu près isolé. Il semble même avoir accepté son échec et se tourne maintenant vers l’Angleterre pour l’aider à maintenir le Canal de Suez en service. Depuis la disgrâce de Chepilov, les Etats-Unis ont eu la partie relativement facile. Pour des raisons qui ne sont pas toutes claires, l’U.R.S.S. a renoncé à jouer à fond l’intervention en Orient. Depuis le voyage précipité de Kisselev, l’ambassadeur russe au Caire, à Moscou, on a compris que le dictateur égyptien demandait aux Soviets un appui diplomatique et des fournitures que le Kremlin lui refusait. La réponse favorable n’est pas venue. La grande offensive soviétique en Orient est donc pour le moment en sommeil.

 

Les Derniers Evénements en Orient

Les derniers événements ne font qu’illustrer cette évolution. Le roi Hussein de Jordanie, épaulé par le roi Saoud d’Arabie, a rompu avec Le Caire : expulsion des agents égyptiens, rappel d’ambassadeurs. Le Liban a voté pour la doctrine Eisenhower. Le président Syrien a fait un saut au Caire pour se rendre compte des chances de résister à la pression américaine. De son côté, la situation est encore obscure, cependant les troupes syriennes stationnées en Jordanie ont dû se retirer sur l’injonction de Hussein. Le dénouement en Syrie pourrait être proche, mais n’anticipons pas.

 

La Conférence du Désarmement

Il est probable que le succès de la politique américaine en Orient a ses répercussions sur la Conférence du Désarmement de Londres. A Washington, les éléments hostiles aux propositions Stassen, soutenus par le Président Eisenhower, ont marqué un point. Le plan américain de désarmement n’a pas encore vu le jour et il est maintenant probable que, quel que soit le parti que la propagande communiste puisse en tirer, ce qui sera avancé sera très en retrait sur les intentions initiales.

La popularité du Président Eisenhower est en forte baisse : son état de santé influence désagréablement les Américains. Et Foster Dulles, comme sa dernière conférence de presse en témoigne, se range du côté de l’Etat-Major, qui ne veut faire aux Russes aucune concession aventureuse. M. Stassen lui-même dont l’autorité se ressent de sa campagne d’octobre contre le Vice-Président Nixon, a été rappelé à l’ordre au cours de son voyage à Washington. Il a de plus contre lui, les trois diplomaties européennes, d’accord pour une fois, Londres, Paris et Bonn, qui ne veulent pas sans contre-partie sérieuse, consentir à l’inspection aérienne de leurs territoires respectifs. Leur attitude se résume en un mot : si les Russes veulent réellement la détente qu’ils y mettent le prix et fassent des offres. Sinon qu’ils restent dans l’isolement où les a mis l’affaire hongroise.

 

La Répression en Hongrie

On parle peu, semble-t-il de ce qui se passe en Hongrie. Et cependant, non seulement aucun apaisement ne s’est fait sentir, mais au contraire, la répression du fanatique Kadar est plus implacable que jamais. Procès, exécutions, poursuites contre les écrivains, les artistes, les étudiants et leurs maîtres, les représentants ouvriers, les familles des fugitifs, contre tout ce qui reste de l’opposition au régime, se multiplient. Jusqu’en Autriche où un exilé de marque a été assassiné en pleine rue et dévalisé par les sbires de Kadar. Tout cela n’est pas de nature à détendre les relations entre les deux mondes.

 

Krouchtchev en Finlande

Krouchtchev a cependant fait une nouvelle tentative pour briser le cercle. Il est allé avec Boulganine en Finlande pour essayer de rallier au neutralisme la Norvège et le Danemark que les menaces antérieures n’avaient pu ébranler. L’accueil a été froid. Il faudrait autre chose que l’exemple de la Finlande dont la neutralité est sans doute respectée, mais étroitement contrôlée par les Russes, pour décider les autres pays nordiques à se priver de la protection occidentale.

 

Les Contradictions de la Politique Française

On s’étonne à l’étranger des évolutions de la politique française. On s’étonne surtout du maintien de M. Pineau aux Affaires étrangères, après la série d’échecs qu’il a subis. On se résigne, des deux côtés de l’Atlantique à ne pas comprendre grand-chose à des démarches contradictoires. Les Français eux-mêmes n’y voient pas très clair. On poursuit une politique d’intégration européenne alors qu’on ne fait rien pour la rendre possible : jamais les conditions économiques n’ont été aussi défavorables à une coopération. Sans une aide extérieure rapide et massive, nos frontières devraient se fermer bientôt aux importations qu’on se propose en principe de libéraliser. On pense que cette aide viendra par force puisqu’une interruption de cette gravité serait préjudiciable à tous. Mais elle n’interviendra qu’à des conditions qui ne sont pas encore fixées mais qui comporteraient de sérieux sacrifices.

L’opinion ne semble pas s’en rendre compte. Un pays ne peut indéfiniment consommer plus qu’il ne produit ou, pour être plus exact, ne maintenir sa production au niveau de sa consommation que par des achats à l’extérieur qui ne sont pas compensés par des exportations correspondantes. Le déficit de la balance des comptes ne peut être un état permanent.

 

L’Inflation

Cette vérité première nous amène à élargir le débat. Au siècle dernier, le développement économique a souffert de la sous-consommation. Ce fut la cause principale des crises. Aujourd’hui, tout au contraire, l’économie ne peut plus satisfaire les exigences des consommateurs dont la demande augmente plus vite que la productivité. Ce phénomène est un des plus sérieux de notre temps. Car sa conséquence s’appelle l’inflation. Et c’est un mal – nous en faisons l’expérience – qui peut devenir fatal, c’est-à-dire aboutir à une régression brutale. Les pays en apparence les moins atteints comme les Etats-Unis et l’Allemagne Fédérale, s’en préoccupent et cherchent à le prévenir, ou tout au moins à le contenir.

 

Une Conférence du Professeur Briefs

Sur ce thème, le professeur Goetz Briefs, un germano-américain justement, a fait récemment un exposé lumineux. Il est normal, dit-il, et souhaitable, que l’élargissement de la consommation et l’élévation du niveau de vie accompagne le progrès de la productivité. Mais les consommateurs se sont habitués à vouloir toujours plus que les possibilités économiques ne le comportent. Ils demandent toujours de plus hauts salaires pour une durée de travail de plus en plus réduite. Et cette prétention à dépasser constamment les progrès de l’économie s’accompagne d’une exigence de sécurité absolue dans tous les domaines : santé, emploi, loisirs, retraite, etc… Ce « Kousumdrang », cette poussée de la consommation est organisée par ces nouvelles féodalités que sont les groupes d’intérêts. Les Syndicats, d’abord, mais aussi, entre autres, les associations de chefs d’entreprises et les fédérations agricoles.

Notre société, dit Briefs, est devenue une société de groupements où l’individu est incorporé malgré lui. Et l’Etat y a perdu son rôle d’arbitre. Il s’est formé au contraire une sorte d’alliance entre la bureaucratie d’Etat et la bureaucratie des associations. Et c’est l’intérêt de la communauté tout entière qui se trouve sacrifié et par conséquent de l’individu. Comment le conjurer ? Comment détruire cette « métaphysique du consommateur » (doctrine qui est d’origine américaine et qui a été le facteur essentiel de la prospérité des Etats-Unis, mais qui aujourd’hui la menace) par le rétablissement du sens de la responsabilité économique. Le Docteur Briefs croit voir à certains signes – en Amérique et en Allemagne tout au moins – que cette nécessité est aperçue. D’abord, par les producteurs qui voient que l’inflation, conséquence d’une consommation excessive, menace leurs profits au lieu de les augmenter, comme ils le pensaient (c’est le cas aux Etats-Unis en ce moment). Par les syndicats qui voient que l’inflation mange les avantages acquis par l’élévation des salaires nominaux. Par l’opinion qui demande la stabilité des prix. Le temps des idéologies semble révolu, dit Briefs. Le marxisme n’est plus qu’un thème pour mandarins savants, l’idéologie qu’ils appellent « métaphysique de la consommation » pourrait avoir ce sort.

Ces considérations peuvent paraître bien abstraites, mais en réalité c’est le sort des communautés qui se joue sous ces formules – particulièrement la nôtre. Car c’est la France qui est la plus dangereusement atteinte parce que la plus aveugle. Nous donnons dans le slogan de l’ « expansion économique », fort bien, mais cette expansion suppose une discipline d’autant plus rigoureuse que les ambitions sont plus vastes. Sinon, les lendemains peuvent être cruels.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1957-06-08 – Courants Contraires

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Le Courrier d’Aix – 1957-06-08 – La Vie Internationale.

 

Courants Contraires

 

Une certaine confusion diplomatique règne autour de la Conférence du Désarmement de Londres. La publication du Plan Eisenhower annoncée depuis trois semaines subit des retards successifs. On ne sait si les difficultés viennent des objections des partenaires européens du N.A.T.O. ou des hésitations de Washington. La propagande soviétique en tire avantage. Les Russes proclament leur désir d’aboutir à un accord partiel tandis que les Occidentaux ne paraissent pas sincères en disant le souhaiter. Ce qui permet à Krouchtchev de se rapprocher chaque jour de son but : faire oublier l’affaire hongroise et reprendre le dialogue comme auparavant.

 

Krouchtchev à la Télévision Américaine

Un grand pas a été franchi avec l’apparition pendant une heure, de Krouchtchev lui-même à la télévision américaine. Il s’est présenté sous l’aspect le plus aimable, sans rien dire de plus que ce que l’on savait, mais le fait d’avoir pu s’offrir en image au public des Etats-Unis, sept mois à peine après la sanglante répression de Budapest, est assez impressionnant. Malheur aux faibles ! C’est seulement lorsque Krouchtchev a prédit aux Américains que leurs petits-enfants seraient socialistes que le public s’est senti injurié.

 

L’Arrière-Plan du Désarmement

Derrière les palabres du désarmement, deux intentions se dissimulent : les Américains veulent profiter des difficultés qu’ont les Soviets à poursuivre la course à des armements de plus en plus coûteux (la plupart ayant triplé de prix depuis dix ans) et qui absorbent plus de la moitié de leurs ressources disponibles, pour obtenir qu’ils consentent à une inspection aérienne de leur territoire, fut-elle partielle. On sait que les Américains ont deux hantises : la crise de 1929 et l’attaque surprise de Pearl-Harbour. Ils ont réussi, semble-t-il, définitivement à se mettre à l’abri de la première. Un survol permanent des bases militaires soviétiques les garantirait, sinon pour toujours du moins pour longtemps, de la seconde. Une telle sécurité vaut bien à leurs yeux quelques concessions, même si elles doivent favoriser l’expansion économique des Soviets.

Reste à savoir si les Russes offriront autre chose que l’inspection de territoires sans intérêt stratégique. La mise au point d’un programme d’inspection suppose un minimum de confiance mutuelle, ce qui n’est pas précisément le cas. Le risque d’être dupe est évident, et les Américains ont peur d’avancer une formule qui tournerait à leur désavantage. Quant aux Européens, Anglais compris, ils ont aussi leurs secrets qu’ils ne tiennent pas à découvrir et un contrôle russe, ne fut-ce que par son effet moral sur les populations, ne les séduit guère. Nous serions bien surpris si l’on aboutissait à quelque chose de vraiment efficace. Un seul motif pourrait toutefois faire avancer les choses. L’intérêt qu’ont les trois possesseurs des bombes A et H, les Etats-Unis, l’U.R.S.S. et l’Angleterre à conserver le monopole de ces armes. Mais n’est-ce pas à long terme, une illusion ? Lorsque l’industrie atomique sera installée partout, aucun contrôle ne pourra en réglementer l’usage de façon certaine. La technique dans ce domaine évolue à toute vitesse. Il n’y a jamais eu de monopole durable en matière d’armement.

 

Double Évolution en Moyen-Orient

Les problèmes du Moyen-Orient évoluent en deux sens. D’une part l’isolement de Nasser suivant la tactique américaine s’accentue ; le dernier pilier du Caire, la Syrie commence à branler. Les députés de l’opposition démissionnent ; le président Kouatli hésite. Le Liban, après de sanglantes émeutes provoquées par les nassériens s’est ressaisi. Pour éviter un conflit religieux entre Chrétiens et Musulmans, un compromis est intervenu. Enfin, les quatre puissances musulmanes du Pacte de Bagdad se sont réunies autour des Anglais et des Américains, et si Londres n’avait craint d’indisposer davantage Nehru, un autre N.A.T.O. était installé là-bas, sous commandement américain. La question ajournée n’est cependant pas abandonnée. Tout semble donc aller pour le mieux des intérêts anglo-saxons dans cette partie du monde que le désastre de Suez avait failli soustraire à l’influence occidentale.

 

La Nationalisation des Pétroles

Cependant, le nationalisme arabe reparaît sous une autre forme. Le Conseil Économique de la Ligue Arabe étudie en ce moment les moyens de l’arabisation de l’industrie des pétroles. Le bloc des pays producteurs : Arabie Saoudite, Koweit, Bahreïn, Irak et Quatar se dessine, alors qu’ils s’ignoraient il y a  quelques années. Ils représentent aujourd’hui plus du quart de la production mondiale de pétrole, et les revenus encaissés par eux l’an passé approchent le milliard de dollars. Ils trouvent naturellement que cela n’est pas assez. Le pétrole arabe doit rester arabe (et ce slogan vise aussi bien la production future du Sahara). Les exigences de la Ligue Arabe se formulent ainsi : le pétrole arabe ne devra voyager que sous pavillon arabe et, autant que possible, par le Canal de Suez. Et l’on parle d’une Compagnie de tankers fondée avec des capitaux arabes (ou présumés tels) et jouissant du monopole du transport. Il est question d’autre part d’obliger les Compagnies étrangères à raffiner sur place le brut. Enfin évidemment, la clause 50/50 qui répartit les profits en parties égales entre les propriétaires et les Compagnies serait révisée en faveur des premiers. L’arabisation totale des pétroles du Moyen-Orient se ferait ainsi par étapes.

Bien entendu, il y a loin de la coupe aux lèvres, et les inquiétudes des Compagnies anglo-américaines sont exagérées à dessein. Les Pays Arabes, les petits surtout, n’ont ni les moyens ni l’envie de partir en guerre contre la Standard-Oil et la B.P. Par contre, de tels projets font bon effet car ils expriment la solidarité des Arabes au moment même où, pour d’autres raisons, les partenaires de la Ligue se déchirent entre eux. Il n’en reste pas moins que l’importance de la production arabe de pétrole dans le monde met dans les mains de ceux qui la détiennent un moyen de chantage de première grandeur. Il est fatal qu’ils s’en servent. Le succès ou l’échec dépendra de l’importance des gisements que l’on trouvera ailleurs ; la terre est vaste et la technique de prospection progresse à pas de géant.

 

Le Marxisme contre le Communisme

Un correspondant suédois qui vient de parcourir les satellites européens de l’U.R.S.S., et s’est entretenu avec nombre d’étudiants et d’intellectuels, a été particulièrement frappé par deux observations. L’hostilité presque unanime de la jeune génération à l’égard du communisme. Cependant, les étudiants, tous fils d’ouvriers et de paysans qui ont aujourd’hui autour de vingt ans, ignorent l’ancien ordre social ; ils ont été endoctrinés dans le marxisme dès l’âge de raison. Le régime mettait en eux tous les espoirs. Ce trait confirme ce que nous avons relevé ici de divers côtés.

Mais ce qui est plus curieux, c’est que l’hostilité au système s’appuie sur le marxisme léninisme lui-même. On reproche au régime de se dire marxiste et de trahir la doctrine. En effet, ni l’égalisation des salaires, ni le dépérissement de l’État, a peu près rien en fait de ce que le credo marxiste appelait, n’est réalisé. Mais au contraire, un État démocratique militariste et policier qui ressemble au fascisme, en pire. C’est ce que disent les jeunes. Seules les forces de l’occupant les retiennent de s’exprimer avec plus de vigueur.

 

                                                                                                       CRITON