Criton – 1957-06-22 – Logique des Evénements

original-criton-1957-06-22  pdf

Le Courrier d’Aix – 1957-06-22 – La Vie Internationale.

 

Logique des Événements

 

Si l’actualité internationale nous apporte ces jours-ci des changements, ce ne sont pas des surprises, au contraire.

D’une part, sur la scène du désarmement à Londres, les Démocraties occidentales paralysées, et par des dissensions intérieures et aussi par les divergences de vues et d’intérêt qui les empêchent de s’accorder entre elles, voient une fois de plus l’initiative leur échapper au profit des moscovites.

D’autre part, en Moyen-Orient, le décor toujours mouvant fait paraître aujourd’hui un pan-islamisme du roi Saoud se substituant au nassérisme déclinant, et qui présente à l’Occident des menaces différentes mais non moins redoutables dont nous avions l’autre jour déjà donné un aperçu. Là, pour les Russes comme pour les Anglo-saxons, la toile de Pénélope se tisse indéfiniment.

 

L’Imbroglio du Désarmement

Pour la troisième fois à Londres, l’exposé du plan américain est ajourné. Dulles a jugé bon d’envoyer auprès de M. Stassen, un observateur personnel pour contrôler ses initiatives. Aussi, M. Zorine, le délégué russe a mis cette confusion à profit pour présenter son plan dont l’essentiel vise à ajourner les expériences atomiques à deux ou trois ans. Les Américains n’avaient en vue qu’une trêve de dix mois, période pendant laquelle, l’État-major de Washington  n’avait pas prévu de nouveaux essais. On aurait mis à profit ce délai pour obliger les Russes à se soumettre à un contrôle auquel d’ailleurs ceux-ci en principe ne se refusent pas. Mais les projets américains se heurtent aux réticences des Anglais et des Français. Les premiers parce que leur préparation nucléaire adéquate en qualité, n’est pas en quantité suffisante pour leur permettre d’assurer leur défense et de discuter en égaux avec les deux Grands. Les Français parce qu’ils n’entendent pas renoncer à un armement atomique qui seul confère, pense-t-on, le rang de grande puissance. L’accord n’est pas pour demain.

 

L’Impérialisme Saoudien

Les ambitions du roi Saoud d’Arabie se sont trouvées dévoilées par la démission soudaine de Nouri el Saïd, le premier ministre d’Irak, acceptée par le roi Fayçal. Nouri el Saïd était l’homme des Anglais, le principal soutien d’une politique pro-occidentale, l’artisan du Pacte de Bagdad. Avec l’alliance des trois rois arabes se constitue un axe autour duquel on espère voir se ranger les trois puissances islamiques non arabes d’Orient : la Turquie, la Perse et le Pakistan.

Un tel choc serait assez armé et surtout assez riche pour s’opposer aux infiltrations communistes, mais en même temps en mesure de secouer la tutelle anglo-américaine, grâce à une politique propre du pétrole dont il détient toutes les sources. Avec le temps, les pauvres, la Syrie et l’Égypte, seraient obligées de s’intégrer à l’alliance dont Ibn Saoud aurait la direction. Le lien commun demeure l’hostilité à Israël qui est l’aliment essentiel du nationalisme arabe et par surcroît à la France, pour son alliance avec Israël et sa lutte en Afrique du Nord, en sorte que les passions déchaînées par Nasser se trouveraient sans difficulté transférées.

Les Russes ne se sont pas trompés sur l’orientation de cette nouvelle coalition qui leur est hostile. Ils viennent d’offrir à Nasser trois sous-marins destinés à interdire aux navires israéliens le golfe d’Akaba et éventuellement les abords de Suez, ce qui va obliger les Américains à des contre-mesures susceptibles de les compromettre aux yeux des Arabes. Ainsi, la partie reprend sur de nouvelles donnes.

 

Les U.S.A. et le Japon

Les Américains ont d’autres embarras. Le nationalisme en Extrême-Orient n’est pas moins actif que dans le Monde arabe. Il y a eu les émeutes de Formose et l’agitation au Japon. Précisément, le premier Japonais Kishi se rend à Washington. On sait que les Anglais, contre la volonté américaine, ont réduit l’embargo sur le commerce avec la Chine aux règles appliquées au bloc soviétique. D’autres vont suivre dont l’Allemagne, l’Italie et la France. La question des échanges avec Pékin est importante encore pour le Japon qui entend user des mêmes droits que les Européens. Les Etats-Unis ne peuvent guère s’y opposer, à moins d’offrir une contre-partie.

Les Nippons voudraient orienter leur commerce d’exportation de façon plus ample qu’ils n’ont  pu le faire encore, vers les pays libres du Sud-Est asiatique : Vietnam, Birmanie, Indonésie, Thaïlande et Inde. Mais faute de capitaux, leurs possibilités sont réduites. Il faudrait que les Etats-Unis les fournissent. Le Premier Japonais désirerait de plus, à cause de la pression populaire, obtenir la restitution des bases américaines dans les îles du Pacifique. Mais pour que les Américains y consentent il faudrait que les Japonais reconstituent une force militaire suffisante pour assurer leur défense, ce qui implique des délais et un effort financier d’une ampleur qui dépasse leurs moyens.

Les Russes intriguent auprès d’eux, jusqu’ici sans succès, pour les attirer dans le camp des Neutres. Ils n’ont aucune chance de réussir avec l’actuel Gouvernement Kishi. Mais de nouvelles élections pourraient changer l’aspect des choses. La Maison Blanche aura besoin de toutes ses ressources diplomatiques pour trouver une solution qui satisfasse l’amour-propre nippon, et sauvegarde ses propres intérêts.

 

Les Élections Canadiennes

Les élections n’ont pas fini de provoquer des surprises désagréables aux Etats-Unis. Le renversement absolument imprévu du Gouvernement libéral au Canada est, toutes proportions gardées, une manifestation nationaliste. Depuis que le Canada a pris conscience de l’importance de ses ressources minérales pour l’économie des Etats-Unis, il a cherché à éluder les conséquences d’une invasion du capital de Wall-Street.  Il a fait appel aux initiatives européennes qui ont largement répondu. Mais la disproportion entre les moyens est telle que tout progrès économique rapide est lié à l’apport constant de la finance des Etats-Unis. Dans le domaine politique, le Canada s’est efforcé d’avoir une politique indépendante et de jouer l’arbitre entre les deux continents. Mais la faiblesse de sa population lui impose, là aussi, des limites. C’est la mauvaise humeur provoquée par de multiples incidents mineurs, entre autres la canalisation du Saint-Laurent et l’écoulement des céréales excédentaires par les Etats-Unis qui s’est cristallisée dans la victoire électorale des Conservateurs. Ce parti est autant celui des hommes d’affaires de Toronto que des cultivateurs de la prairie.

Ce changement de personnel politique n’aura que des conséquences réduites. Mais les relations entre les deux voisins Nord-Américains seront moins aisées. Les Conservateurs s’appuient surtout sur l’élément d’origine anglaise et sont plus sensibles dans leurs rapports avec le Commonwealth. C’est pourquoi à Londres, malgré les regrets qui accompagnent le départ de M. Lester Pearson, on se réjouit sans le dire de voir renforcée une position utile sur le nouveau continent.

 

                                                                                  CRITON