Criton – 1958-10-18 – Bilan Provisoire

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Le Courrier d’Aix – 1958-10-18 – La Vie Internationale.

 

Bilan Provisoire

 

Pour la première fois depuis un an, c’est-à-dire depuis le lancement des Spoutniks russes, on peut présenter la situation du Monde libre sous un jour résolument optimiste, surtout si l’on se souvient à quel point elle était sombre alors. La supériorité technique des Etats-Unis avait disparu ; la crise économique américaine s’accentuait chaque jour, menaçant de s’étendre à l’ensemble de l’Occident. L’avenir de la France, avec ses difficultés outre-mer, paraissait en danger. En Angleterre, la Livre au bord de la chute, les grèves à répétitions, lassaient peu de chances de survie au Gouvernement conservateur. En Orient, la dictature nassérienne menaçait d’enlever aux nations industrielles le pétrole du Moyen-Orient. Il s’en faut certes que la situation soit rétablie partout. Mais le courant est inversé.

 

La Fin de la Récession aux Etats-Unis

Comme toujours, dans leur histoire, les Américains sont passés de la dépression à une euphorie peut-être excessive. On peut cependant affirmer que la crise commencée en l’été 1957 est surmontée. La reprise incertaine jusqu’à fin août, a fait des progrès surprenants en Septembre et Octobre. A ce train, les niveaux records d’activité seront rejoints au printemps. Les indices de la bourse de New-York dépassent tous les précédents. Dans l’ordre technique, le demi-succès du « pionnier » a redonné confiance aux autorités scientifiques et militaires. La balance entre l’Est et l’Ouest, si compromise, peut redevenir égale, ce qui n’a rien d’étonnant car dans la course aux armements, les avances d’un pays n’ont jamais beaucoup duré. Ces résultats sont d’une importance primordiale. Une crise économique sans redressement, une infériorité technique insurmontable aux Etats-Unis auraient, sans doute aucun, annoncé la fin de la liberté dans le monde.

Le redressement britannique, moins spectaculaire peut-être, est plus inattendu. Car les Anglais n’ont ni les mêmes ressources ni le même ressort que les Américains. Et cependant, le gouvernement MacMillan, vacillant il y a un an, est devenu populaire et de nouvelles élections lui donneraient un succès incontestable. La Livre est pour l’heure hors de danger. La balance des comptes a battu tous les records positifs depuis un siècle ces six derniers mois, et les excédents s’accumulent sans interruption.

 

Le Retour de la France

Enfin, et disons surtout, le visage de la France s’est transformé. Dans l’ordre purement politique, notre rôle est et demeurera modeste. Mais dans l’ordre moral, il est considérable. L’effet dans le monde du raz de marée national du 28 septembre a été profond. La politique suivie depuis, peut être jugée dangereuse à certains égards ; l’essentiel est qu’elle est hardie, ferme et durable. L’étranger était habitué à nous voir osciller entre une certaine anarchie et la dictature. Il s’étonne et, à de rares exceptions près, se réjouit qu’on puisse trouver ici un juste milieu. En tous cas, la présence à la tête de notre pays d’un homme-mythe est un facteur important dans l’équilibre international et ses effets qui ne peuvent pas être mesurés scientifiquement, sont déjà perceptibles.

 

Le Déclin de Nasser

Le plus important, à notre avis, c’est le déclin précipité du prestige de Nasser dans le Monde arabe. Ce monde est instable par nature – que fois l’avons-nous constaté ici – et il en faut peu pour le modifier. Surtout les impondérables sont plus agissants que les faits. Alors que la défaite du Sinaï en 1956 n’avait en rien altéré l’autorité de Nasser, au contraire, le plébiscite algérien qui ne le concernait qu’indirectement l’a fait chanceler. Jamais Bourguiba n’aurait osé rompre en visière au dictateur du Caire, comme il vient de le faire à la Ligue Arabe si le vent n’avait tourné en Afrique du Nord. Et ce n’est là qu’un début ; la coupure entre le Monde arabe occidental et oriental doit se préciser. Elle pourrait en provoquer d’autres.

La République Arabe Unie, ou présumée telle, ne sera peut-être pas de longue durée. Cela dépend de l’évolution en Irak.  Si le général Kassem affermit son pouvoir, l’attraction de Bagdad sur Damas pourrait reparaître. La réforme agraire décrétée en Syrie par Le Caire, la concentration des pouvoirs sur les deux pays dans la capitale égyptienne a soulevé une forte opposition. La Syrie, toujours instable, pourrait changer encore une fois de maîtres, surtout si la situation s’équilibrait au Liban, comme les dernières nouvelles le font espérer. Là encore, l’Angleterre et les Etats-Unis marquent des points. On ne parle plus de la guerre du Yémen contre Aden, ni des conflits dans les protectorats d’Oman et de Mascate. L’adhésion de Kuweit à la politique panarabe est démentie. La conquête du pétrole par l’impérialisme égyptien apparait de moins en moins probable. Et Moscou se tait. Toutes ces lignes d’évolution ne sont encore qu’à l’état d’ébauches, mais elles montrent que le rapport des forces a changé. Le redressement français y est pour beaucoup.

 

Le Conflit de Formose

Comme on le prévoyait, la trêve de Formose se prolonge. On ne saura sans doute jamais les raisons de l’échec des communistes chinois. Un seul fait : le limogeage du chef d’état-major de Pékin. Cela dispense de chercher des explications. Erreur militaire certainement. Quel a été le rôle de Moscou dans l’affaire ? Cela n’est qu’hypothèses

 

Le « Miracle Chinois »

On parle beaucoup de la Chine rouge ces derniers temps. Nous avons indiqué ici ce que l’on pouvait penser de la révolution sociale et économique tentée par Mao Tsé Tung. Si elle était menée à son terme, ce serait, en effet, la plus grande révolution que le monde ait connue. Il faudrait se garder cependant d’appréciations excessives. C’est le propre des Jaunes de concevoir et de tenter les aventures que le bon sens occidental juge insensées. Ainsi la folie des Japonais en 1941. Par ailleurs, ils excellent, les Chinois surtout, à mystifier les visiteurs étrangers en leur présentant des vitrines somptueuses leur masquant la réalité. Aussi n’est-ce pas sans une sorte de stupeur que nous lisions dans « Le Monde » un article de M. René Dumont qui nous fait le tableau du miracle chinois.

 

L’Agriculture en Chine Communiste

Il s’agit d’un miracle agricole. Nous citons : « 60 à 90% d’accroissement de récolte en un an, pour un continent de l’ampleur de la Chine, voilà un fait absolument sans précédent dans l’histoire agraire du monde. » En effet ! Et cela « alors que la capacité de production d’engrais est encore comparable à celle des pays balkaniques » et que de plus, l’aléa climatique n’a pas joué sensiblement entre 1957 et 1958 ; toujours d’après l’auteur, et Mao Tsé Tung, la Chine ne disposerait de 500 kilos de grains par habitant « ce qui placerait la Chine dans un an ou deux à un standing alimentaire intermédiaire entre celui de l’Europe occidentale et orientale », et il nous invite à réviser nos idées sur les méthodes propres à redresser l’économie des pays sous-développés, en fonction de ce miracle. Il y a de quoi.

 

Réserves

Nous n’avons pas été en Chine, malheureusement ou heureusement, alors nous en sommes réduits au seul bon sens. Voilà un pays, la Chine, cultivée depuis quarante siècles de façon intensive et minutieuse, où il n’y a pas eu de latifundia, au sens occidental, en sol érodé et fatigué, dont la production doublerait presque en un an, sans autres ressources que les bras de ses paysans ? En industrie, il y a des miracles bien qu’ils soient forts loin de pareilles proportions, mais en agriculture, jamais – même avec tracteurs et engrais – et surtout sur des étendues de cette ampleur. On peut doubler la production d’un champ expérimental, mais pas d’un continent. Admettons un accroissement annuel de 3 ou 4%, toutes conditions égales, ce qui serait déjà fort beau. Ne serait-ce pas que les statisticiens de Pékin avaient jusqu’ici compté pour zéro la production des régions qu’ils ne contrôlaient pas et l’imagination et la propagande aidant … Nous soumettons à M. Dumont, qui est un spécialiste, ces réserves d’un profane dont le seul titre est d’avoir assez cultivé la terre pour savoir qu’elle est avare de miracles.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1958-10-11 – Rivalité en Asie

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Le Courrier d’Aix – 1958-10-11 – La Vie Internationale.

 

Rivalité en Asie

 

Coup de théâtre dans l’affaire Formose. Les Communistes chinois ont suspendu pour une semaine le bombardement de Quemoy. Pourquoi cette trêve se demande-t-on ? Diverses hypothèses ont cours. D’abord, inefficacité du barrage d’obus. Opéré avec des munitions soviétiques de rebut, il n’avait promis que des dégâts de peu d’importance. Par contre, les Américains avaient fourni aux aviateurs de Chang des missiles air-air qui avaient abattu bon nombre de Mig 17 et 19 ; le blocus avait été forcé, les îles pouvaient tenir et le moral des défenseurs n’avait pas été déprimé par la propagande. D’autre part, en cessant le feu, les Chinois de Pékin peuvent pousser la négociation avec les Etats-Unis et créer un conflit entre Formose qui ne veut rien céder, et Washington qui semble disposé à un compromis. De plus, une négociation en règle rapprocherait Pékin d’une reconnaissance par l’O.N.U. que les Américains ont de plus en plus de peine à différer. Aucune de ces explications n’est invraisemblable, mais la clef de l’énigme nous paraît plutôt l’état des relations entre Moscou et Pékin.

 

Moscou et Pékin

On dit que Krouchtchev vient de faire un second voyage secret en Chine. On a d’autre part remarqué l’absence de personnages russes de premier plan aux fêtes d’anniversaire de la République Populaire de Chine. Enfin, les proclamations bruyantes de solidarité russo-chinoise avaient revêtu une emphase un peu suspecte.

Dans les articles très remarqués que publie M. Adlaï Stevenson – le candidat démocrate a affronté Eisenhower deux fois pour la présidence – où il fait état des observations recueillies au cours de son voyage en U.R.S.S., il met l’accent sur les inquiétudes des Russes concernant le développement industriel de la Chine rouge et des nouvelles mesures de collectivisation intégrale dont nous avons parlé ici. La Chine n’est pas un satellite. Bien plus, Mao Tsé Tung s’efforce de ravir à l’U.R.S.S. le rôle de leader du Bloc communiste. Dans l’ordre idéologique comme dans l’ordre social – on l’a vu dans la querelle avec Tito – les Chinois font de la surenchère : Ils se montrent plus orthodoxes que Krouchtchev, mais la rivalité des deux puissances a un caractère plus concret.

 

La Chine et l’Empire Russe

Les Chinois vont être bientôt sept cent millions ; un milliard à la fin du siècle ; l’expansion chinoise ne peut se faire vers l’Asie du Sud-Est, elle-même surpeuplée. Par contre, la Sibérie est encore relativement vide, 25 millions à peine dans toute l’Asie soviétique, 50 au plus par-delà l’Oural.

La poussée chinoise est d’ores et déjà en mouvement. Il y eut d’abord la conquête du Tibet dont nous avons relaté les sanglants épisodes. Au Sin-Kiang à l’Ouest, les Chinois ont refoulé l’influence russe et ont constitué des camps de travail de plus de cinquante mille « exportés » pour l’exploitation des mines et du pétrole qui étaient précédemment attribuées à des Sociétés mixtes russo-chinoises, aujourd’hui dissoutes. En Mongolie extérieure où Molotov a été exilé comme ambassadeur, et qui était depuis l’époque tsariste une colonie russe, l’immigration des Chinois est de plus en plus importante. Ils occupent des postes à l’Université nouvelle d’Oulan-Bator, la capitale, et des groupes sédentaires s’installent dans ce pays où l’indigène est toujours nomade. De leur côté, les Russes font un gros effort pour occuper la Sibérie et investissent des sommes considérables pour l’industrialiser.

 

Le Congrès d’Irkoutsk

A Irkoutsk, la capitale, vient de se tenir un congrès de techniciens. Deux mille délégués y ont pris part et plus de huit mille spécialistes de toutes branches ont adressé des rapports. Les plans dont nous ne pouvons donner ici les détails, concernent des régions situées de plus en plus à l’Est. Krasnoïarsk et le Bassin du Lenisseï, puis le pourtour du Lac Baïkal au centre et plus à l’Est encore, les provinces de Yakoutie et du Bassin de l’Amour. La tâche est gigantesque et l’exécution est encore à ses débuts, sauf à l’Ouest. Mais l’urgence de la tâche est soulignée par tous les planificateurs soviétiques. Malheureusement, le capital disponible est insuffisant et la main-d’œuvre encore rare. La priorité est donnée à la Sibérie dont plus de la moitié confine aux provinces chinoises surpeuplées. On a dit qu’il s’agissait pour les Russes d’éloigner leurs bases industrielles de la portée des engins américains, ce qui n’a plus grand sens à l’âge des fusées intercontinentales. Quant à la production tirée des richesses certainement considérables de cette partie de l’Asie, son intérêt est en partie compensé par le problème des transports qui seront encore longtemps difficiles et onéreux. Il s’agit plutôt d’une vaste entreprise de colonisation de nature à interdire l’accès de ces régions à d’éventuels envahisseurs.

En outre, si l’aide soviétique à la Chine est encore notable, les Chinois n’aspirent qu’à s’en passer. Ils ne s’en cachent d’ailleurs pas. Ils cherchent à s’industrialiser eux-mêmes grâce à une main-d’œuvre illimitée et dont le niveau de vie est si bas que son emploi ne nécessite pas de trop gros capitaux. Ils traitent avec tous les pays industriels pour recevoir des modèles qu’ils copient avec une réelle habileté. Qu’il y ait beaucoup de bluff dans leurs plans d’industrialisation de type artisanal, cela est évident, mais le nombre des bras est un facteur puissant dans un pays organisé sous une discipline militaire implacable. Tout cela rend les Russes perplexes pour l’avenir, et M. Stevenson n’a pas eu de peine à le leur faire avouer.

Si nous nous sommes étendus sur cette question, c’est qu’elle nous paraît un des problèmes clefs de l’avenir du monde, parce qu’il est susceptible, avec le temps, de modifier l’orientation de la politique russe. Nous l’avions dit déjà, mais l’autorité de M. Stevenson donne du poids à cette thèse.

 

A Chypre

Du pire sortira-t-il un compromis ? Le Gouvernement d’Athènes y paraît décidé en acceptant les propositions de conférence de M. Spaak. Pourtant, le terrorisme avait revêtu une violence sans précédent, et le meurtre d’une femme de soldat britannique mère de cinq enfants, avait exaspéré la troupe, à tel point que 250 Chypriotes grecs ont été malmenés au cours de perquisitions, plusieurs sont à l’hôpital, l’un d’eux est mort. On comprend cet accès de fureur d’une armée aux prises avec un terrorisme déchaîné. Remarquons cependant que l’armée française d’Algérie témoin de cent crimes du même ordre n’a jamais réagi avec brutalité ni aveuglément contre la masse. Dieu sait pourtant si l’on a monté en épingle les quelques cas de violence contre les coupables qu’on interrogeait. Les Anglais eux, sans excuser leurs hommes, font silence. Quoi qu’il en soit, ces accès de violence font comprendre à toutes les parties en cause la nécessité d’en finir. On espère y parvenir. Il est grand temps.

 

                                                                                                       CRITON

Criton – 1958-10-04 – Tour d’Horizon

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Le Courrier d’Aix – 1958-10-04 – La Vie Internationale.

 

Tour d’Horizon

 

Peut-il y avoir de meilleure preuve de l’indépendance du jugement individuel dans les démocraties modernes que la consultation française de Dimanche ? Le résultat a fait grande impression dans le monde où l’on s’attendait à un partage des voix selon les mots d’ordre des Partis. Est-ce à dire que tout scepticisme ait disparu sur l’avenir de notre politique et tout préjugé dissipé ? Certes non. A noter cependant que c’est aux Etats-Unis où les préventions étaient peut-être les plus fortes qu’on a le mieux accueilli le succès du Général de Gaulle ; les plus irrités par contre, les Travaillistes anglais.

 

Le Congrès du Labour

Ceux-ci réunis en Congrès à Scarborough ont failli adopter une motion malveillante qui a été retirée à grand peine. Alors que les partis socialistes des autres pays européens évoluent en fonction des aspirations des masses auxquelles ils s’adressent et se rallient peu à peu à une économie plus libérale, il règne au sein du Labour une sorte de conservatisme à rebours. On trouve répétés les slogans en faveur il y a vingt ans. N’était-il pas question à Scarborough de nationaliser la terre, après les autres secteurs déjà visés ? Le Parti pourrait avoir de fâcheuses surprises aux élections prochaines.

 

Formose

Toujours les mêmes gros titres ; l’affaire de Formose suit son cours. Batailles et négociations. Foster Dulles, impressionné, quoi qu’il en dise, par les réactions du public nettement défavorables au soutien de Chang Kaï Chek a pris brusquement position pour une évacuation, au moins partielle, des Îles Quemoy. Cette manœuvre inattendue destinée à apaiser l’opposition intérieure est purement tactique car elle ne peut qu’encourager Pékin à l’intransigeance. Chou en Laï, en effet, a aussitôt repris ses exigences extrêmes sur le même ton menaçant : le débat continue.

 

Chypre

A Chypre, par contre, un accord redevient possible, alors que nous en désespérions l’autre semaine. Makarios, puis le gouvernement d’Athènes, renoncent au rattachement de l’Île à la Grèce. Les Anglais, malgré la pression hellénique et les efforts de M. Spaak, secrétaire de l’O.T.A.N., appliqueront leur plan comme prévu dès le 1er octobre. Les Turcs, de leur côté, ont fait une concession sensible en nommant pour représentant leur Consul à Nicosie, au lieu d’un délégué d’Ankara. Une nouvelle conférence à trois ou plutôt à cinq, avec les leaders des deux Communautés, paraît probable à brève échéance, malgré la mise en train du projet britannique, toute théorique d’ailleurs. Le besoin d’en finir avec cette irritante question est-il sincère ? Nous le croyons ; mais après tant de rechutes, on demeure prudent.

 

Moyen-Orient

Au Moyen-Orient, le rapport de M. H. retour à son périple, a paru bien vague et n’offre aucune garantie sérieuse au Liban et à la Jordanie après le retrait des Anglais et des Américains prévu pour la fin du mois. Les communistes ne semblent plus aussi intéressés à la question, au moins pour l’heure. Nasser a engagé en Syrie une réforme agraire, qui bien qu’assez limitée, n’en a pas moins nécessité la proclamation de l’état d’urgence ; à Bagdad, la tendance modérée paraît l’emporter sur les Nassériens, mais tout cela peut, une fois encore, changer demain.

 

Les Etats-Unis et l’Amérique Latine

C’est sur l’autre plan, celui de la compétition économique entre les deux Mondes que nous croyons plus de nouveau. En particulier, les rapports de l’Amérique latine avec les Etats-Unis. On se souvient de l’accueil particulièrement houleux fait au vice-président Nixon lors de sa tournée dans ces pays. Les Etats-Unis ont compris l’avertissement d’autant mieux que les Soviets multipliaient alors leurs tentatives de pénétration économique dans toute cette partie du Nouveau monde. Les offres d’assistance russe avaient d’ailleurs été accueillies avec beaucoup de réserve.

Au Chili, où un Président conservateur vient d’être élu, la coopération avec l’Occident est assurée. Le président Frondizi, en Argentine, devant la nécessité d’un apport de capital étranger, a fait une large place à l’Europe : la France qui va signer deux importants contrats et en faveur de laquelle on prévoit un prochain règlement de l’affaire Quilmes ; l’Allemagne fédérale qui installe des usines fera contre-poids à l’influence des Etats-Unis dont le concours est cependant sollicité. La politique du Président Kubitschek au Brésil est assez voisine. Une démarche des deux Présidents auprès des Etats-Unis suggérait un plan concret de coopération financière. La réponse est favorable : l’opération Pan-America est en préparation. Il était temps : des 62 milliards de dollars d’assistance à l’étranger depuis la guerre, l’Amérique latine n’en a reçu que deux ; sur 3 milliards cette année sa part n’est que de 100 millions. Enfin, ces jours-ci, les restrictions d’importation aux Etats-Unis du zinc et du plomb, touchent particulièrement le Pérou et la Bolivie ; c’est pourquoi, la Banque pour le Développement Interaméricain va apporter les crédits nécessaires, non plus sous la forme d’assistance directe des Etats-Unis, mais d’aide mutuelle. Les décisions du Congrès s’annoncent positives. Cela ajouté au doublement du potentiel de crédit du Fonds Monétaire et de la Banque Internationale, va permettre au Monde libre d’apporter aux pays sous-développés une contribution plus efficace.

Washington a parlé aussi d’une stabilisation des prix des matières premières ; mais cela est une autre affaire. Toutefois, le récent accord international sur le café est encourageant. Il semble d’ailleurs – ce n’est qu’une impression personnelle – que du côté soviétique la compétition auprès des pays sous-développés se ralentit. Le soutien à la Chine qui, par contre, s’amplifie est-il à lui seul déjà assez lourd ?

 

Le Réforme de l’Enseignement en U.R.S.S.

Krouchtchev, toujours ardent aux réformes, s’attaque maintenant à l’enseignement. Il reprend par ce biais la lutte stalinienne contre la formation d’une nouvelle bourgeoisie. Au lieu de dix années de préparation primaire et secondaire, à la suite desquelles le jeune russe entrait à l’Université, il n’en passera plus que sept et ira, pour « prendre contact avec les réalités » pendant trois ans travailler aux usines et à la terre. Il devra pendant ce temps suivre des cours du soir, pour ne pas perdre le souvenir de sa science toute fraîche. Cette réforme est d’autant plus sensible que le Russe, comme l’Italien, a pour ambition de soustraire ses fils au travail manuel. L’accès direct à l’Université, était le signe d’une libération morale en même temps que d’une ascension sociale définitive. Pour beaucoup de Russes, le communisme, en promettant de développer la machine et la science, devait les délivrer du labeur physique pour lequel ils ne s’étaient jamais senti grand enthousiasme.

La réforme de Krouchtchev va décevoir bien des rêves. Elle rencontre une forte opposition. Sans être au stade chinois où des multitudes d’hommes et de femmes construisent des barrages en coltinant la terre dans des paniers, les Soviétiques sont loin de disposer d’assez de machines pour épargner leurs bras, et les appels aux volontaires pour défricher les terres asiatiques n’avaient pas suscité beaucoup d’amateurs. La réforme de Krouchtchev a pour objet de les contraindre. Il est question aussi de débusquer des bureaux des administrations et des usines beaucoup d’employés en surnombre, ce qui va aussi à l’encontre du tempérament national. Il ne faudrait pas créer trop de mécontents. Il est vrai que les élections ne sont pas à craindre en U.R.S.S. Mais avec le peuple on a parfois des surprises ….

 

                                                                                                       CRITON

 

Criton – 1958-09-27 – Considérations Actuelles

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Le Courrier d’Aix – 1958-09-27 – La Vie Internationale.

 

Considérations Actuelles

 

Les événements sous les feux de la rampe suivent leur cours, tant en Extrême qu’en Moyen-Orient et à Chypre, c’est-à-dire qu’on n’enregistre rien d’imprévu ; un jour plus optimiste, le lendemain plus sombre ; l’opinion ne s’en détourne pas pour cela des petits problèmes quotidiens. La grande presse internationale lui en fait reproche : apathie du public ; ce n’est pas tout à fait juste. En politique extérieure, il ne croit pas à la guerre parce qu’il sent qu’aucun protagoniste n’y est pour le moment décidé. En politique intérieure, parce qu’il a dans sa majorité cessé de penser qu’un parti a tort et l’autre raison et qu’ils apportent aux grands problèmes une solution toute faite.

 

L’Opinion et la Politique

C’est ce que montre une récente enquête en Angleterre auprès des jeunes que l’on accuse d’indifférence. La plupart des réponses se résument en ceci. Nous ne nous désintéressons pas de la politique parce que nous n’adhérons à aucun parti. Nous cherchons à penser par nous-mêmes et nous constatons que Conservateurs et Travaillistes réagissent en fonction de leurs préjugés et que la réalité est tout autre.

Cette constatation est intéressante à plus d’un titre. Elle nous ramène à nos précédentes réflexions : le monde actuel évolue de plus en plus dans des directives diamétralement opposées. D’un côté en Occident, le citoyen cherche à former sa propre opinion en dehors de tout conformisme, d’où une diversité de plus en plus marquée des attitudes personnelles sur lesquelles la propagande a de moins en moins de prise. De l’autre, au contraire, le lavage des cerveaux est de règle et la contrainte physique interdit à l’individu toute réaction propre. Il pense et agit par ordre. Cela sans doute n’est pas nouveau, mais l’abîme entre deux humanités se creuse chaque jour davantage. Dans un monde aux communications si rapides et faciles où les contacts se multiplient, il n’est rien de plus tragique.

 

Divergence des Idées et des Mœurs

Ce ne sont pas seulement les idées, mais aussi les mœurs qui divergent. Les derniers incidents entre l’Est et l’Ouest le montrent. La lettre de Krouchtchev à Eisenhower était rédigée en des termes d’une telle insolence, que le Président pour la première fois dans les annales diplomatiques modernes en a fait retour à l’envoyeur. Les propos du même Krouchtchev sur le Général de Gaulle et le Chancelier Adenauer révèlent la même goujaterie. Dans l’ordre moral encore, on voit en Chine, après l’U.R.S.S., la délation élevée à la hauteur d’une institution et considérée comme un devoir, alors qu’elle est pour nous la dernière abjection.

Comment réagissent au fond d’eux-mêmes les hommes ?

 

Le Rire et le Silence

Ce qui frappe tous les observateurs non prévenus, quand ils franchissent le rideau de fer ou de bambou, c’est la tristesse et le silence qui y règnent. Passé la limite, on n’entend plus rire, et cela particulièrement en Chine. Ce peuple insouciant et gai n’est plus qu’un troupeau muet et apeuré. Aucune race cependant n’était mieux portée à former des capitalistes. Aussi avide qu’honnête et poli, le commerçant chinois est le plus habile du monde. Il a fait partout sa fortune ; et individualiste par surcroit. A aucun peuple dans l’histoire, on n’a fait subir une pareille violence. Les Occidentaux au contraire, suivent librement leurs penchants naturels qui sont loin d’être tous bons et louables mais qui les rendent satisfaits, même quand ils prétendent le contraire. Et d’ailleurs, l’émigration est à sens unique. Personne de ce côté-ci, pas même et surtout pas les fidèles, ne demandent à vivre de l’autre. On va aux Amériques, même si souvent qu’on s’y ennuie, pour y jouir d’un meilleur sort. Cette violence faite à la nature humaine, pourra-t-elle durer indéfiniment ? L’instinct de ces peuples opprimés ne les forcera-t-il pas à se débarrasser de leurs maîtres ? A moins qu’il n’y ait pas de nature humaine, comme le veulent les biologistes officiels du marxisme léninisme, et que l’homme ne soit qu’un animal dressable comme le chien et ses compagnons de cirque. L’avenir nous répondra-t-il ?

Nous nous excusons de ces réflexions en marge de la politique internationale. Elles nous paraissent toucher un problème fondamental dont dépend l’avenir de l’humanité et il nous semble qu’il n’a jamais été aussi évident qu’aujourd’hui.

 

Le Pool de l’Étain

Revenons aux faits. Beaucoup de choses intéressantes en dehors des grands titres, et d’abord l’effondrement du Pool de l’étain. Les grands producteurs de ce métal avaient établi une entente pour ajuster leurs offres à la demande décroissante due à l’affaiblissement de l’économie américaine et à un moindre emploi de cette matière par l’industrie. A grand peine, le comité maintenait un prix plancher de 730 livres la tonne. Pour l’acculer à la faillite, les Russes ont déversé sur le marché mondial des quantités croissantes d’étain à des prix inférieurs. Les stocks grossissaient et leur financement devint intolérable. Les Gouvernements anglais et hollandais avaient récemment contingenté les ventes russes, mais celles-ci trouvaient preneur ailleurs. Cette chute des cours atteindra surtout la Malaisie et sérieusement aussi l’Indonésie et la Bolivie, dont les communistes avaient essayé à diverses reprises de faire des satellites. Des mines devront fermer et le chômage s’ensuivra. Les Soviets espèrent tirer une revanche par la misère. Ils avaient intérêt à montrer qu’ils avaient intérêt à montrer qu’ils étaient en mesure de faire échec à toute entente internationale visant à maintenir les prix de matières produites par les pays sous-développés qui demandent une stabilisation indispensable au maintien de leur économie. Il sera intéressant de voir comment les grands pays industriels réagiront pour les tirer d’affaire.

 

Le Sauvetage financier de l’Inde

Dans un domaine voisin, l’Occident vient de se décider à sauver l’Inde d’une faillite inéluctable. Le plan quinquennal hindou trop ambitieux ne pouvait  être réalisé que par un crédit de l’extérieur de l’ordre d’un milliard de dollars. La politique neutraliste de Nehru faisait hésiter les Etats-Unis, et les Anglais n’ont pas de moyens suffisants. Pour la première fois, la solidarité internationale jouera : les Américains ajouteront 300 millions aux 300 déjà accordés au début de l’année. Les Anglais un peu plus de cent, l’Allemagne de l’Ouest, le Canada et même le Japon consentiront des crédits, et la Banque internationale qui coordonnera ces prêts fournira 85 millions. Le tout pare au plus pressé en attendant que le Congrès des Etats-Unis vote davantage.

L’enjeu est d’importance, car l’échec du plan hindou aurait renforcé la position des communistes déjà installés dans un Etat de la presqu’ile, le Kerala, au Sud. Au contraire, le progrès d’ailleurs difficile, de ce grand pays de 400 millions d’âmes, grâce à la collaboration du capital international servira d’exemple à ceux de l’Asie du Sud-Est qui oscillent entre les méthodes de Pékin et l’aide de l’Occident. Par ailleurs, les relations de l’Inde avec le Bloc sino-russe se sont relâchées. Les Soviets n’ont pas continué l’aide promise et il semble que la compétition économique entre les deux blocs intéresse moins les Soviets. Sans doute réalisent-ils qu’ils n’ont pas les moyens de poursuivre.

 

La Conférence de Montréal

Très intéressant aussi, toujours pour l’aide aux sous-développés, la Conférence du Commonwealth qui s’est tenue à Montréal. Les Anglais, malgré leurs difficultés financières se sont engagés à fournir aux membres de la Communauté, pays libres et colonies, des crédits annuels de 200 millions de livres (240 milliards de francs). Un effort nouveau est fait pour resserrer les liens de solidarité économique entre les pays sous-développés et les nations industrielles. Le Fonds Monétaire et la Banque Internationale vont, sur l’initiative d’Eisenhower, doubler leurs moyens de crédit. On espère par …………………………………………………………………………………. (à compléter)

 

 

                                                                                                       CRITON

 

Criton – 1958-09-20 – Problèmes Sociaux

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Le Courrier d’Aix – 1958-09-20 – La Vie Internationale.

 

Problèmes Sociaux

 

Le conflit de Formose demeure au bord de l’abîme. Ni les Chinois, ni les Américains ne paraissent prêts à le franchir. L’attitude russe, véhémente en paroles, reste au fond énigmatique.

 

Une Réforme Sociale en Chine

Cependant, un événement peu commenté jusqu’ici jette sur la situation une certaine lumière. C’est la publication par la presse de Pékin d’une vaste réorganisation intérieure qui doit, une fois de plus, transformer l’existence de ces 600 millions d’êtres humains. Il ne s’agit de rien moins que de la réalisation du communisme, qui n’était jusqu’ici qu’ébauché. Système politico-social qui dépasse de loin l’organisation soviétique. En voici les traits principaux :

Au cours des six prochaines années, la totalité du peuple chinois sera divisée en « Communes du peuple » ; chacune d’elles comprendra dix mille familles, en moyenne 50.000 individus. Ils seront « soumis à une discipline militaire, comme s’ils étaient en guerre » et mèneront une « vie collective » ; cela concerne les paysans. Ils étaient jusqu’ici groupés sur le modèle russe des Kolkhoses ; ceux-ci, contrôlés par l’Etat, étaient en principe autonomes et ses membres se partageaient les produits de la récolte. Le paysan chinois avait comme le russe, un petit lopin de terre qu’il cultivait lorsqu’il avait exécuté le travail imposé par la collectivité. Ces Kolkhoses vont être supprimés : de la forme coopérative, ils passeront à la propriété d’Etat. De plus, la nouvelle commune devra contribuer à l’industrialisation du pays. Ses habitants seront, selon les besoins, tantôt paysans, tantôt ouvriers.

Mais cette révolution sera encore plus profonde socialement. Les femmes, libérées du travail domestique, seront, comme les hommes, employées aux champs et à l’usine ; les enfants seront confiés à des asiles-écoles, tandis que des équipes spécialisées s’occuperont de la préparation des repas pris en commun dans des restaurants municipaux. Les familles ne seront plus réunies que pour dormir. De plus, les travailleurs ne toucheront que 80% du salaire prévu, le reste étant réparti sous forme de prime entre ceux qui se seront distingués par leur zèle (système stakhanoviste du travail aux pièces en honneur en U.R.S.S.).

Enfin, pour achever ce tableau du paradis communiste, chaque commune de 50.000 habitants sera encadrée par 2.400 policiers qui veilleront à la bonne marche de la Société, un pour vingt personnes.

Espérons que les fidèles du régime en Occident, pourront s’inscrire pour goûter le bonheur des Chinois.

 

Un Plan déjà ancien

Le nouveau pas en avant du collectivisme chinois était préparé de longue date. Rappelons pour mémoire l’enquête de Robert Guillain sur la Chine, « La fourmilière bleue » que nous avions commentée ici. Rappelons aussi que lorsque fut proclamée la « doctrine des cent fleurs » selon laquelle plusieurs voies pouvaient mener au socialisme, nous pensions que ce libéralisme inattendu n’avait d’autre but que de faire sortir de la clandestinité tous les opposants au régime pour les décapiter plus aisément, ce qui fut fait d’ailleurs.

L’attaque actuelle de la Chine rouge contre Quemoy n’a sans doute pas d’autre but que d’étouffer l’effroi que cette réforme doit provoquer dans les masses par une exaltation de nationalisme effréné et de xénophobie violente. Elle est d’ailleurs organisée par des parades monstres où des millions de Chinois ont dû manifester leur haine des Américains et de la « clique Chang Kaï Chek », ces derniers jours. La tactique n’est pas nouvelle. Les Soviets en ont abondamment usé, un peu trop peut-être.

 

Le Péril jaune et les Soviets

On peut se demander ce que pensent les Russes, et particulièrement Krouchtchev, aujourd’hui seul maître de toutes les Russies, de cette Chine qui s’annonce ? Le péril jaune n’est plus un mythe et Staline ne le méconnaissait pas. On applaudira, bien sûr, à cette réalisation du communisme intégral, mais la politique et la doctrine sont deux. On dit que les Chinois, eux aussi, s’intéressent à l’arme nucléaire et qu’ils ne sont pas éloignés de la produire. C’est alors, si tout va au gré de Mao Tsé Tung, que l’on pourrait assister à un changement de l’attitude soviétique dans le monde.

Nous n’irons pas jusqu’à dire que l’aube de cette transformation s’est déjà levée. Cependant, à certains signes que rapportent de bons observateurs à Moscou, la chose n’est pas impossible.

 

L’Évolution Sociale en U.R.S.S.

En outre, sur le seul plan social, la Russie soviétique ne s’oriente nullement vers le collectivisme intégral. Krouchtchev promet de rattraper les Américains en production de biens de consommation. Le niveau de vie en Russie, quoiqu’encore très bas, se relève peu à peu et par là même se forme une classe moyenne qui constitue le noyau d’une bourgeoisie nouvelle. Les classes, au lieu de se fondre, se divisent de plus en plus largement. Le chemin sera long, mais il est irréversible. Pour fixer les idées, nous relevions dans une étude technique un fait très révélateur. Tandis qu’en France la quantité de monnaie en circulation représente 152 dollars par habitant (en pouvoir d’achat), elle n’est en Russie que de 24 … 10.000 francs contre 60, chiffres ronds, écart d’autant plus significatif qu’aucun paiement entre particuliers ne se fait par chèque en U.R.S.S.

 

L’Exemple Danois

Ceci nous amène, puisque l’actualité ne présente pas d’événement d’importance, à d’autres considérations d’ordre social international. A l’autre extrémité de l’échelle des niveaux de vie, (les Etats-Unis mis à part), nous trouvons les Pays scandinaves où les réformes sociales ont atteint leur but. Récemment, le cerveau du Parti socialiste danois au pouvoir, Viggo Kampmann, ministre des finances, tenait à un correspondant italien des propos d’un grand intérêt : il reconnaissait que son Parti était en crise et que la population n’était pas satisfaite. Il l’expliquait ainsi : notre programme social est maintenant épuisé : on ne peut aller au-delà. Le problème est celui-ci : que va faire l’Etat providence ? C’est un grand problème. Nous avons, nous socialistes, dit-il, un objectif précis. Nous voulons élever le niveau de vie par une augmentation de la productivité – et il ajouta, ce qui peut surprendre dans la bouche d’un socialiste -, nous devons d’abord encourager dans toute la mesure possible l’initiative privée. Nous sommes hostiles à toute nationalisation, ce processus qui a fait son temps, car l’entrepreneur privé est plus efficace sur le plan économique que l’administration de l’Etat. A cette supériorité économique s’ajoute un meilleur équilibre social. De plus, « quand l’économie tombe entre les mains de l’Etat, la liberté individuelle est en péril » (sic). Sans doute, il y a des cas où l’Etat doit intervenir parce que les particuliers, dans un petit état comme le Danemark, ne disposent pas de capitaux suffisants. Il faut, dit alors le Ministre, séparer rigoureusement les deux secteurs en évitant de créer une concurrence entre l’Etat et l’entreprise privée, et cela dans l’intérêt général.

Rien de plus significatif que ces propos, que nous reproduisons en substance. Ce retour au libéralisme qui est perceptible également chez les Socialistes de pays les plus avancés, en Allemagne occidentale et même en Angleterre (le récent Congrès des Trade-Unions le dissimule à peine) est imposé par l’expérience et surtout par la pression puissante de l’opinion des particuliers, dont l’initiative est paralysée par des impôts trop lourds et des restrictions douanières qui pèsent sur le bien-être de chacun et brise son élan vers une vie plus large. Ceux qui veulent comprendre où va le Monde, et où il veut aller, méditeront ces exemples divergents, la Chine rouge, le Danemark. Ils verront où tend le progrès si aucune catastrophe n’en entrave la marche.

 

                                                                                                       CRITON

Criton – 1958-09-13 – Coup d’Arrêt

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Le Courrier d’Aix – 1958-09-13 – La Vie Internationale.

 

Coup d’Arrêt

 

La guerre d’Extrême-Orient n’aura pas lieu. Telle est aujourd’hui l’impression générale qui confirme notre sentiment. La crise n’en est pas pour cela résolue. Elle promet des épisodes divers, simultanément diplomatiques, à Varsovie et à l’O.N.U., et militaires autour des îles et du détroit de Formose.

 

Le Repli Chinois

Le schéma est simple : les Chinois de Pékin appuyés, avec quelque réticence par Krouchtchev, ont sondé la détermination américaine qui s’est peu à peu raidie. La propagande sino-russe a donné de tous ses moyens, sans grand résultat d’ailleurs. C’est le fait le plus caractéristique de ces derniers mois : dans aucun domaine l’opinion ne s’émeut. On est saturé de propagande et l’on ne croit plus aux menaces communistes. Les Chinois vont donc essayer de la négociation, tout en bombardant les îles côtières. Les incidents continueront, savamment équilibrés, mais on évitera le duel ouvert.

 

La Résistance des Etats-Unis

La fermeté des Américains qui a réussi en Moyen-Orient, comme en Extrême-Orient, n’a pas désarmé pour cela les capitulards de toujours, plus par passion partisane, espérons-le, que par conviction. Les Travaillistes anglais et, aux Etats-Unis certains Démocrates, comme l’ex-secrétaire d’Etat Acheson, voudraient qu’on restitua les îles côtières à Mao Tsé Tung, qu’on neutralise Formose sous l’égide de l’O.N.U. et que l’on admette la Chine communiste à l’assemblée internationale, c’est-à-dire que l’on liquide Chang Kaï Chek. Inutile de dire qu’aucun Gouvernement américain, fut-il démocrate, ne se résoudrait à ce qui équivaut à une capitulation. Les Travaillistes anglais et même M. Bevan s’il était au Foreign-Office accepteraient-ils une solution dont la première conséquence serait la livraison de Hong-Kong à la Chine rouge. Celle-ci a d’ailleurs, juste avant d’entreprendre le bombardement de Quemoy, lancé des attaques verbales contre l’Administration britannique du grand port, dernier bastion anglais dans les mers de Chine. Quel gouvernement anglais risquerait devant ses électeurs un tel abandon ? Sans doute personne ne se soucie de mourir pour Quemoy, comme jadis pour Dantzig. Mais on est mort par la suite pour bien autre chose, pour Londres et Paris, par exemple.

Le gouvernement Eisenhower est certainement mal engagé dans l’affaire, mais il ne peut reculer. Il ne peut abandonner ni Formose, ni Chang Kaï Chek, sans ouvrir la voie à d’autres invasions. Corée du Sud, Vietnam, Laos, etc. En cédant, il étendrait le pouvoir de Mao à tout ce qui est chinois, sur tous ceux qui en Chine même résistent et sur les vingt-cinq millions d’autres Chinois répandus dans le monde pour lesquels la Chine nationaliste représente, pour les uns un espoir, pour les autres une raison de rester neutres ou prudents. Ralliés à la Chine rouge, ces masses plus ou moins compactes et puissantes dans le Sud asiatique, prépareraient la conquête de toute cette région du monde par le communisme. L’enjeu de ces petits îlots côtiers est donc d’une importance hors de proportion avec leur intérêt stratégique.

 

En Moyen-Orient

En Moyen-Orient, rien de nouveau. M. H. a fait sa tournée sans résultat. Anglais et Américains sont toujours en place et en force. La Ligue arabe ressuscitée a rallié le Maroc et la Tunisie. C’est bien l’Irak, comme nous le pensions, qui a pris l’initiative de lui rendre l’activité. Nasser continue à vitupérer les Anglo-Américains, mais on ne sait trop si ses relations avec la Ligue Arabe vont à souhait. N’envisage-t-elle pas de proposer pour la Présidence de l’O.N.U. le Ministre soudanais des Affaires étrangères qui n’est pas précisément de ses amis ? En attendant, le calme relatif est revenu à Beyrouth et le roi Hussein tient toujours à Amman sous la protection des parachutistes anglais ; la partie continue, l’O.N.U. est là pour accueillir le prochain épisode.

 

A Chypre

A Chypre, par contre, les affaires vont toujours mal. Enregistrons notre erreur : nous avions l’impression, au début de l’été, que le Gouvernement d’Athènes, malgré les pressions intérieures, avait hâte d’arriver à un compromis au moins provisoire. Il a besoin de crédits, particulièrement à l’O.E.C.E. et il n’en peut obtenir qu’en mettant l’affaire cypriote en sommeil. Les Britanniques ont tout essayé : le gouverneur Foot a échoué. Il est rentré à Londres pour proposer de faire revenir l’archevêque Makarios dans l’Île ; celui-ci ne paraît pas disposé à accepter, et au sein du Cabinet anglais cette éventualité est susceptible de provoquer une crise que les Conservateurs, peut-être, à la veille d’élections, ont intérêt à éviter.

Nous persistons d’ailleurs, malgré de loyaux efforts, à ne pas comprendre pourquoi les parties en cause refusent de s’entendre. Le problème paraît simple. Les Anglais n’ont aucun intérêt à gouverner l’Île. Il leur suffit d’y conserver leurs bases militaires et ni Athènes, ni Makarios ne leur ont contesté ce droit. Par ailleurs, le conflit entre Grecs et Turcs pourrait être résolu par la ségrégation, seule solution durable ; sans admettre le partage entre Grèce et Turquie qu’Athènes ne veut pas, il suffirait que les deux communautés isolées reçoivent leur autonomie propre. Pour quelques 80.000 Turcs, la question matérielle n’est pas insoluble. Sont-ce les passions politiques et raciales ou des combinaisons d’intérêts qui s’y opposent ?

 

Les Conflits Raciaux en Grande-Bretagne

Il est certain que les antagonismes raciaux si profitables au communisme, ne font que s’exaspérer. Après Little Rock aux U.S.A., voici que les Anglais ont affaire à des rixes entre noirs et blancs à Nottingham et à Londres. Il y a longtemps du reste que les Britanniques supportent mal l’immigration croissante des noirs antillais dans leur pays. Les Anglais ne sont pas xénophobes lorsqu’ils sont hors de leur île. Mais, on l’a vu pour les mineurs italiens, ils n’aiment pas qu’on s’installe chez eux. On accuse de ces rixes la jeunesse dévoyée, les « teddy boys », les fascistes, s’il en est encore, de Sir Mosley et aussi les communistes qui évidemment soufflent le feu. Mais il y a là une réaction proprement britannique, qui couvait depuis longtemps. Le Gouvernement se résoudra-t-il à limiter l’entrée des sujets du Commonwealth ? ceux de couleur bien entendu. C’est une très grave question tant morale que politique, un cas de conscience qui soulèvera les passions. Il y a cependant dans les pays d’Europe et aux Etats-Unis, un problème de la préservation de l’intégrité de la race blanche. On évite de l’aborder. Convenons qu’honnêtement il se pose et pas seulement pour les Anglo-Saxons.

 

La Politique Extérieure Française

Le développement de la politique extérieure française va subir sa première épreuve sérieuse avec la rencontre Adenauer-De Gaulle. Ce n’est un mystère pour personne que l’orientation de notre diplomatie préoccupe nos partenaires européens. Deux faits récents les ont alertés. D’abord, l’accord conclu en hâte entre la France et l’Egypte, qui se traduit par l’octroi à Nasser de crédits importants ; 12 milliards au moins, peut-être 25. Les Anglais qui continuent à négocier avec Le Caire de façon serrée, n’ont pas caché leur dépit. Puis il y a eu à Genève la publication par nos experts de secrets français sur la technique employée dans le domaine nucléaire, secret que les Anglo-Saxons voulaient préserver. Quelques remarques amères du côté anglais, justifiées ou non, contre ce que l’on pense être le prélude à une bombe A française. Enfin, il y a surtout les plans plus vastes de coopération européenne,  Marché Commun et zone de libre-échange, qui sont en sommeil pour ne pas dire plus. Le malaise européen devant un renouveau de nationalisme français est certain. Ce préjugé défavorable perceptible dès l’avènement du nouveau gouvernement est-il fondé ? A tout le moins, il y a beaucoup d’obscurités à éclairer, là comme ailleurs. Il ne faudrait pas donner l’impression qu’on les entretient à dessein.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1958-09-06 – Rétrospective

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Le Courrier d’Aix – 1958-09-06 – La Vie Internationale.

 

Rétrospective

 

Il s’est passé beaucoup de choses au cours de ce mois d’Août. Rien sans doute qui change profondément le tableau international, mais assez pour en faire évoluer les aspects. Voyons l’essentiel.

 

Krouchtchev avec la Chine

D’abord la rencontre précipitée de Krouchtchev et de Mao Tsé Tung. Elle a duré quatre jours, ce qui en marque l’importance. Les hypothèses ont été bon train. Et comme toujours, les commentateurs les plus qualifiés, et les autres, ne sont pas d’accord.

Le point de départ de ce colloque, l’essentiel, a passé inaperçu : les Américains ont débarqué au Liban, les Anglais ont installé leurs parachutistes en Jordanie. Les uns et les autres y sont encore. Nous nous y attendions. Les missives menaçantes de Krouchtchev n’y ont rien fait. Et, comme prévu, les masses n’ont pas bougé. Krouchtchev pensait sans doute qu’il réussirait, par des notes comminatoires, à faire reculer les Anglo-Saxons, comme il avait réussi, du moins le croyait-il, à contraindre les Franco-Anglais à renoncer à  leur campagne de Suez en 1956. C’est ce qui a irrité les Chinois. En s’inclinant devant le fait accompli, les Russes avaient montré que leurs menaces étaient sans effet, et ce bluff inutile créait un précédent encourageant pour leurs adversaires. Comme Mao préparait son offensive contre Quemoy, il entendait que les Russes le soutiennent autrement que par des missives. Krouchtchev qui a beaucoup de difficultés chez lui n’est pas disposé à pousser les Américains à bout pour le moment. Et le peuple russe, dans la mesure où il peut se faire entendre, ne tient pas à mourir pour la Chine.

 

La Chine et la Guerre Nucléaire.

Mais il y a autre chose. Les Soviets craignent une guerre nucléaire. Même s’ils la gagnaient, ils en partiraient épuisés. Les Chinois, au contraire (les dirigeants bien entendu), ne la redoutent pas. Les premiers coups ne seraient pas pour eux, mais pour les Américains, les Russes et les Européens. Et même si la moitié de la population chinoise disparaissait, il en resterait encore assez pour s’assurer une domination mondiale sur les ruines de peuples blancs. Les antagonistes de race demeurent sous le couvert des plus solides alliances. C’est le cas ici.

 

La Résurrection de la Ligue Arabe

Plus complexe est l’autre coup de théâtre de ce mois d’Août. On sait que devant l’O.N.U., convoquée à la demande même de Krouchtchev, les frères ennemis du Monde arabe, la Jordanie et le Liban d’un côté, les Nassériens de l’autre devaient s’affronter. Au dernier moment, ils ont ressuscité la Ligue Arabe en la personne de son président le vieil Abdul Hassouna pour présenter une résolution commune qui mit fin à la réunion extraordinaire. Les pays arabes étaient d’accord pour résoudre eux-mêmes leur conflit. Cette surprise fut amère pour les Russes puisque le départ des troupes anglo-américaines n’était pas immédiatement exigé comme ils l’espéraient et que M. Hammarskoeld était chargé d’en négocier le retrait avec les parties intéressées, négociation qui continue, sans résultat pour aujourd’hui ni sans doute pour demain. Ce recul soviétique a dû indisposer Mao Tsé Tung.

Le changement d’attitude du Caire est la suite évidente de la politique suivie par Nasser depuis son voyage à Moscou : tenir la balance entre les deux Blocs et ne pas rompre avec l’Occident dont son économie précaire dépend plus que des Soviets.

Mais il y a autre chose : la révolution du 14 juillet en Irak, à laquelle Nasser est, dans une certaine mesure, étranger, a changé l’aspect du conflit du Moyen-Orient. Il y avait à Bagdad un ennemi, Nouri El Saïd, suppôt de l’Occident. Aujourd’hui, il y a un chef ami, le général Kassem. Mais si l’on lutte contre l’ennemi, il faut ménager l’ami et c’est un ami prudent. Par sa puissance économique, son développement rapide, l’Irak a infiniment plus de ressources que l’Egypte et la Syrie. Et c’est pourquoi il tient, quel que soit le gouvernement, à s’accorder avec les pays qui achètent son pétrole, les Occidentaux, sans lesquels il retournerait à sa misère. Le Gouvernement irakien l’a montré : il n’a aucun intérêt à confondre sa politique avec celle du Caire. Il se peut aussi qu’en bon nationaliste Kassem pense que Bagdad a plus de titre à orienter la politique arabe que Nasser et ses alliés.

Par un singulier paradoxe, l’orientation actuelle du nouveau régime irakien est plus favorable aux Occidentaux que celui du roi Fayçal qui leur était allié. Alors pour éviter des conflits internes, Nasser a ressuscité l’unité arabe sous le couvert de la Ligue qu’on croyait défunte, afin de présenter momentanément une unité de façade, tout en continuant sa propagande et en étendant son influence. Celle-ci se heurte d’ailleurs à plus d’une résistance. Il y a le Soudan qui ne se laisse pas absorber, l’Arabie Saoudite …(manque)…………………..

La Situation n’est pas sans analogie avec celle de 1939. Quand Staline, par son accord avec Hitler, donna à celui-ci les moyens de faire la guerre, il pensait qu’il s’épuiserait dans sa lutte contre les Franco-Anglais et que la domination russe s’étendrait alors à l’Europe, sans coup férir. Les Chinois pensent de même, avec plus de raison, d’un conflit russo-américain. Mais il est douteux que Krouchtchev se laisse entraîner. La suite du conflit de Formose nous en apportera la preuve.

 

Formose et les U.S.A.

C’est ce qui explique le calme avec lequel le Gouvernement des Etats-Unis suit la situation. Il ne se dissimule pas qu’elle est pour eux pleine de risques. S’ils laissent tomber les îles côtières Quemoy et Matsu, le régime de Tchang Kaï Chek en sortira très ébranlé. S’ils interviennent, ils obligeront les Russes à soutenir les communistes chinois, pas à fond, mais assez pour engager les Américains dans une petite guerre coûteuse et impopulaire, non seulement chez eux, mais aussi dans le monde entier. Comme cette éventualité est depuis longtemps prévue, il est probable que Dulles et Eisenhower ont choisi leur attitude, mais ils préfèrent qu’on l’ignore ; contrairement à l’opinion générale, nous pensons qu’ils ont raison. C’est de bonne guerre de laisser l’adversaire dans l’incertitude. De plus, qu’ils aient ou non l’intention d’intervenir, les Chinois de Mao n’en poursuivraient pas moins leurs plans, auxquels Krouchtchev a été obligé de souscrire.

 

L’abandon de la Conférence au Sommet

Quant à la renonciation subite par celui-ci de la Conférence au Sommet qui soulève tant de commentaires, elle est sans importance. La tactique du zigzag, avances, reculs, palinodies, est bien de sa manière et Staline lui-même l’a pratiquée et même érigée en théorie.

 

                                                                                                      CRITON

 

Criton – 1958-07-26 – Optimisme Provisoire

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Le Courrier d’Aix – 1958-07-26 – La Vie Internationale.

 

Optimisme Provisoire

 

Ce qu’il y a de frappant dans cette crise du Moyen-Orient, c’est le calme qui a suivi la première réaction de surprise, particulièrement aux Etats-Unis. La Bourse de New-York, après une journée de baisse, a atteint ses plus hauts niveaux depuis le début de la récession. Les marchés européens ont suivi, baromètre qui en général traduit bien les dispositions d’esprit du public. Puisque nous nous efforçons de rechercher ici le sens des événements, remarquons une fois de plus que nous sommes dans un domaine qui défie les calculs normaux du raisonnement scientifique : les mêmes causes au lieu de produire les mêmes effets, en déterminent de différents et parfois d’absolument contraires. C’est le cas aujourd’hui.

 

Les Dangers de la Situation

Il y a cependant des motifs d’inquiétude, voire de panique. La perte en un tournemain du bastion occidental en Irak, le voyage éclair de Nasser à Moscou, les menaces de Krouchtchev, les débarquements au Liban et en Lybie, le retour des Anglais en Jordanie, le colloque à Damas entre Nasser et le maréchal de l’aviation soviétique, tout ensemble pouvait faire craindre le pire. Mais l’opinion a senti que l’heure n’était pas venue. Il est difficile d’expliquer pourquoi, et pourtant tout le monde partage cet avis maintenant. Optimisme provisoire, disons-nous. Trop d’illusion ne serait pas de mise : Soviétiques et Occidentaux sont sur une ligne de démarcation instable et Moscou ne manquera aucune occasion de justifier les alarmes qu’elle diffuse.

 

La Résolution Américaine

Ce qui a soutenu le moral du Monde libre, c’est le caractère résolu de l’intervention américaine. Finis les défis qu’on ne relève pas. Et puis l’on sent, plus ou moins clairement, que dans la situation actuelle, il y a plus de danger à se laisser endormir par de faux apaisements qu’à maintenir un état d’alerte permanent. Les Américains craignent l’attaque surprise genre Pearl Harbour. Actuellement elle est impossible. S’il faut demeurer sur le qui-vive, les moyens ne manquent pas. L’adversaire hésitera à affronter un risque devant lequel on est prêt.

 

Le Dilemme des Anglo-Saxons

Cela dit, il s’en faut que la position des Anglo-Américains soit favorable. Ils ont une armée en Moyen-Orient, mais ils sont en face d’un dilemme : ou s’installer à demeure et faire figure d’occupant, ou s’en aller à un moment donné. Sitôt les soldats partis, les révolutions éclatent et la situation se trouve pire qu’avant. Quant à composer avec le nationalisme arabe, comme certains le souhaitent, c’est se payer d’assurances verbales. Il n’y a pas d’exemple que l’on puisse soutenir des impérialismes autrement que par la force. Les traités avec eux sont des chiffons de papier. Comme le disait un commentateur italien, les Américains sont arrivés à la treizième heure ; la onzième heure était à Suez en novembre 1955.

 

A l’O.N.U.

Pour le moment, l’O.N.U. est très utile, non pour régler le conflit, mais pour amuser le tapis. Les batailles de procédure sont inoffensives et permettent à celui qui perd la partie de sauver la face. Les ressources des juristes de l’Assemblée sont inépuisables. Krouchtchev se laissera-t-il entraîner dans ce milieu hostile ? Nous ne le savons pas encore. Il ne peut guère s’y refuser.

 

La Position de Nasser

Une fois encore tout dépend de Nasser. Il a réussi à Bagdad un joli coup à la barbe de l’Intelligence Service. Il lui faut l’exploiter avec prudence. Il n’a rien à gagner à une bagarre, c’est sans doute ce qu’il a expliqué à Krouchtchev l’autre jour. Ordre a été donné aux militaires de Bagdad de rassurer les Anglais pour le pétrole. Ceux-ci n’y croient guère, mais ces déclarations leur donnent un argument valable pour intervenir si les promesses de la Junte ne sont pas tenues. Et Nasser sait que l’obstination des Britanniques, quand un intérêt capital est en jeu, est difficile à ébranler, l’exemple de Chypre est là.

 

Les Plans Américains

Les Américains de leur côté, sont lents à se décider. Mais on sait que, les jeux faits, ils mettent le prix à les tenir. La guerre de Corée leur a servi d’avertissement. Ils ne lâcheront pas la proie pour l’ombre, et l’opinion toute puissante aux Etats-Unis n’accepterait pas une capitulation même déguisée. Nous sommes devant une position de force où tout est possible, sauf un compromis. Ceux qui s’attendent à un équilibre établi sur un partage des zones d’influence, prennent leurs désirs pour des réalités. Ce sont ces illusions que Moscou et Le Caire vont essayer de flatter. Ils se trompent s’ils croient qu’ils y parviendront, à moins d’y mettre le prix, c’est-à-dire d’accepter une limite infranchissable à leurs ambitions. Ce qui nous paraît improbable.

 

L’Attitude de la France

Où est dans tout cela la France ? A Rome et à Bonn où l’on n’est pas précisément gaulliste, on s’efforce de faire valoir les divergences entre notre pays et les Anglo-Saxons. Il y a eu un incident à Beyrouth, à l’arrivée de notre flotte. La radio française n’en a pas fait état.  En réalité, notre position est aisée, et elle s’imposerait à n’importe quel gouvernement français : être présent sans participer. Le pétrole du Moyen-Orient nous est trop indispensable pour que nous puissions contrarier l’opération de nos Alliés. Que notre diplomatie entende, au moment opportun, jouer un rôle propre, cela va de soi. Mais de là à parler comme on le fait d’une sorte de neutralisme, il y a plus qu’une erreur de jugement, un peu de mauvaise foi de la part de ceux qui voudraient bien – à Rome et à Bonn – jouer le rôle profitable d’honnêtes courtiers. Pour une fois que la solidarité occidentale s’affirme, il serait impardonnable de la compromettre.

 

Les Idées du Camarade Krouchtchev

D’intéressantes nouvelles nous sont parvenues de Moscou, grâce à l’imagination de l’intarissable camarade Krouchtchev. Il a parlé récemment de la création du rouble-or qui serait une monnaie convertible, au même titre que le Dollar et aurait, croit-il, l’avantage de ne pas se déprécier comme la devise américaine qui, comme on sait, ne vaut plus que 47% de son pouvoir d’achat de 1938. Ce qui montre que les Russes reconnaissent qu’ils ne peuvent prétendre à la domination mondiale, sans disposer d’une monnaie à circulation universelle. Mais il y a loin, nous en avons déjà parlé, de l’intention à la réalisation. Car une monnaie doit, non seulement être acceptée, mais aussi correspondre à des achats possibles. Les Russes ne manquent pas d’or, mais de marchandises à vendre.

Second point, Krouchtchev qui sollicitait, on s’en souvient, des crédits américains pour développer son industrie chimique, offre aujourd’hui aux techniciens du Monde libre et particulièrement aux Allemands, de leur faire un pont d’or en U.R.S.S. s’ils veulent venir y travailler. Peu importe qu’ils soient communistes ou hostiles. Ce qui implique un double aveu, que l’on ne peut plus enrôler de force les spécialistes étrangers et que l’U.R.S.S. en manque. Mais cela correspond aussi au désir de montrer au monde que le régime collectiviste ou prétendu tel, permet de faire aux hommes de science des situations supérieures à celles que le capitalisme leur offre. Y aura-t-il beaucoup d’amateurs ? Ce n’est pas sûr. Gagner de l’argent est tentant, même en U.R.S.S. mais encore faut-il que ce soit au sein d’une société où l’on puisse en jouir et n’en pas jouir seul. Sinon on ne pense qu’à s’en évader après fortune faite. On ne bâtit pas une société moderne en créant des privilèges. A notre avis, probablement parce que nous ne comprenons rien au communisme, ce serait plutôt faire machine arrière.

 

                                                                                                       CRITON

 

Criton – 1958-07-19 – Autour de la Poudrière

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Le Courrier d’Aix – 1958-07-19 – La Vie Internationale.

 

Autour de la Poudrière

 

Les pessimistes avaient raison : le coup d’État en Irak a éclaté au moment où les partenaires du Pacte de Bagdad allaient se réunir à Istanbul pour essayer de le sauver. Les Etats-Unis qui espéraient n’avoir pas à tenir leurs engagements envers le président Chamoun au Liban, ont sauté le pas. Les Marines sont à Beyrouth.

 

Les Prodromes du Coup d’État

La surprise est toute relative. Joseph Alsop, le journaliste américain, écrivait il y a plus d’un mois que les chances de Nouri el Saïd et du Roi Fayçal de tenir le pouvoir à Bagdad étaient bien faibles et qu’une révolte militaire était imminente. Nouri el Saïd était allé, il y a deux semaines, à Londres avertir le Foreign Office que son armée n’était pas sûre et qu’il était incapable d’agir au Liban.

Les événements ont été cependant plus rapides qu’on ne craignait. En moins d’une semaine tout un faisceau de nouvelles arrivait du Moyen-Orient, qui paraissait répondre à un plan général. Le Sultan du Lahey, aux portes du protectorat britannique d’Aden, était déposé par les Anglais, son armée avait fait défection au Yémen, base égypto-soviétique. Dans le Sultanat d’Oman, la révolte qui ne cessait de couver reprenait ; on signalait de nouveau de l’agitation à Bahreïn. Au Liban, la situation demeurait tendue. Un complot avait été éventé de justesse contre le roi Hussein de Jordanie. Enfin, à Chypre, la situation empirait entre terroristes grecs et turcs malgré les pressions d’Athènes et d’Ankara. Cette tension faisait suite au voyage de l’Archevêque Makarios au Caire, et celui-ci parlait hier de faire appel à l’Est pour obtenir l’indépendance de l’Île.

Le coup de Bagdad vient à point nommé au plus fort d’une crise générale. Cependant, l’attitude de Nasser demeure énigmatique. Pendant ce temps, il se promenait avec Tito sur les routes de Yougoslavie. Est-il débordé par les éléments qu’il a enflammés un peu partout, ou au contraire, a-t-il voulu se ménager une sorte de position d’arbitre, au cas où les choses tourneraient mal pour lui, c’est-à-dire en cas d’intervention américaine réussie ? On peut se poser la question. En tous cas, son télégramme de félicitations au gouvernement insurrectionnel de Bagdad est assez tiède.

 

L’Attitude des Soviets

Il est comme toujours impossible de faire des pronostics sur les événements du Moyen-Orient. Il y a partout des facteurs qui s’opposent et la situation peut encore se retourner. Les Etats-Unis et l’Angleterre unis pourraient reprendre en main les affaires dans l’ensemble de la région s’il n’y avait pas l’énigme russe. A l’heure où nous écrivons, on ne sait rien de l’attitude des Soviets, sinon un soutien moral aux insurgés. On sait mal, par ailleurs, quel fut leur rôle dans la préparation des diverses révoltes, ni dans quelle mesure ils participent à cette offensive générale contre les positions de l’Occident. On ne peut cependant espérer que devant une action des Etats-Unis, ils se bornent à des manœuvres diplomatiques à l’O.N.U.

 

L’Enjeu

Les Américains sont conscients du risque. Ils le sont aussi de l’enjeu. Demeurer passifs était pour eux la certitude de perdre toute influence au Moyen-Orient. Pour l’Europe occidentale, l’abandon des puits de pétrole de cette région, signifiait la ruine financière ; la quasi-totalité de son ravitaillement en carburant pour l’Angleterre, les deux tiers au moins pour la France. Les Soviets avaient été avisés par Eden puis par MacMillan que leur éviction du Moyen-Orient ne pourrait que conduire à la guerre. Rien ne permet de penser que les Soviets l’envisagent.

La secousse est rude et tout optimisme serait déplacé. Il ne faudrait cependant pas parler de Sarajevo et de l’été 1914. Une phase chaude de la guerre froide, sans plus.

 

L’Évolution de l’Opinion

A cet égard, il est très intéressant de commenter l’aspect psychologique du problème. L’opinion, particulièrement en Angleterre, a évolué de façon aussi rapide que surprenante. On se souvient qu’il y a trois mois à peine, des foules anglaises défilèrent pour demander qu’on arrivât à une conférence au sommet proposée par les Russes. Plus récemment encore, c’était en Allemagne, la campagne socialiste pour le référendum contre la « mort atomique ». Les gouvernements, même aux Etats-Unis, étaient soumis à une pression populaire embarrassante. Les Travaillistes anglais menaient campagne contre MacMillan qui ne se maintenait au pouvoir qu’en refusant de nouvelles élections.

Tout a brusquement changé. En Allemagne, le Gouvernement Adenauer a remporté aux élections de Rhénanie-Westphalie une victoire retentissante, obtenant pour la première fois la majorité absolue. Le recul des Conservateurs s’est arrêté en Angleterre et l’on note avec surprise que MacMillan est devenu populaire, surtout depuis la grève des transports et des dockers, dont l’échec est dû à la mauvaise humeur du public. On remarquait hier que les Travaillistes qui avaient fait contre l’expédition de Suez en 1956 la campagne que l’on sait, étaient divisés quand Selwynn Lloyd annonçait l’approbation du Gouvernement de Sa Majesté au débarquement américain à Beyrouth.

De la Conférence au Sommet, personne ne parle plus. Il semble que l’exécution de Nagy à Budapest a retourné l’opinion. Après 13 ans d’illusions sans cesse déçues et sans cesse renaissantes, on s’avise de ne plus croire à un accord quelconque avec les Russes.

Cet état d’esprit est remarquable. On peut le comparer, dans l’ordre de la mentalité collective à ce qu’est la « cristallisation » dans le domaine de l’affectivité individuelle. On en a eu un autre exemple en France dans l’apathie presque totale du public devant la chute de la IV° République. Quelque chose a mûri à l’insu des participants et à la grande surprise des observateurs ; l’étude de l’opinion faite avec des méthodes exclusivement scientifiques aujourd’hui à la mode, conduit à des conclusions complètement erronées. Rien de plus trompeur même que les fameux « Gallups » dont on fait usage à propos de toutes les questions. Les personnes interrogées, qui répondent dans un sens s’aperçoivent (ou ne s’aperçoivent pas) qu’ils pensent absolument le contraire quand l’événement est arrivé et qu’ils sont obligés de réagir.

 

Manœuvres en Adriatique

Nous ne voulons pas terminer sans signaler un petit fait qui est passé inaperçu. On annonçait de Rome ces jours-ci que des manœuvres navales conjointes allaient avoir lieu en Adriatique sous commandement anglais, auxquelles doivent participer des unités britanniques, yougoslaves et italiennes ! Le thème serait le ravitaillement de la Yougoslavie par mer, en cas d’invasion russe. Cela en dit long sur les préoccupations de Tito. Nous avions oublié de souligner, pour nos lecteurs, le passage du récent discours du même Tito, où il reconnaissait que la campagne idéologique menée contre lui par les Chinois et les Soviets, n’était qu’un prétexte et qu’il ne s’agissait pas des « voies pour la réalisation du socialisme », mais d’un simple conflit de puissance et d’intérêt politique. Quel aveu dans la bouche d’un doctrinaire du communisme !

 

                                                                                                       CRITON

Criton – 1958-07-12 – Le Cercle des Petites Nations

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Le Courrier d’Aix – 1958-07-12 – La Vie Internationale.

 

Le Cercle des Petites Nations

 

Rien ne s’arrange, rien non plus ne tourne au tragique ; ainsi peut-on résumer l’évolution des grands problèmes au cours de cette quinzaine. Le Liban, Chypre, l’Afrique du Nord, la Conférence nucléaire de Genève Est-Ouest, l’inclusion de la France dans le Club atomique, et les pourparlers franco-anglais sur la zone de libre-échange, tout cela mûrit lentement, si lentement qu’on peut craindre qu’un incident ne fasse, entre temps, tomber le fruit de l’arbre. Il règne cependant une volonté d’optimisme, et cela compte.

 

La Situation au Liban

De tous les conflits en cours, le plus redoutable pouvait être le Liban. Or dès le début nous avons pensé que tout dépendait de Nasser et qu’il ne faisait pas le jeu des « partenaires » syriens, et expliqué pourquoi. Effectivement Nasser a reçu Hammarskoeld au Caire et depuis ce jour, le Secrétaire de l’O.N.U. est rentré optimiste à New-York. On a même publié un résumé, fort plausible, de la conversation. Nasser se chargeait de remettre au pas les nationalistes syriens prosoviétiques, qui avaient, sinon fomenté du moins allumé la guerre civile au Liban. Moyennant quoi, le président Chamoun serait débarqué et un gouvernement libre, mais sympathisant de Nasser, prendra le pouvoir à Beyrouth.

Nous attendons cette conclusion, qui se fera peut-être attendre, mais ne saurait manquer. Il faut reconnaître que Nasser a été un fois de plus extrêmement habile. Il a remplacé Tito, avec lequel il s’entretient en ce moment à Brioni, comme l’as de la compétition diplomatique.

 

Les Américains joués

Une fois de plus, ce sont les Américains qui feront les frais de l’opération. En effet, M. Dulles a réussi au Liban à mécontenter les deux camps. Les insurgés évidemment, par l’envoi d’armes aux forces gouvernementales et le président Chamoun, qui s’est vu refuser l’assistance militaire qu’il escomptait et qui lui avait été promise. En outre, la mission des Nations-Unies a tourné court. Aucune police internationale n’a été envoyée, et les observateurs de l’O.N.U. n’ont pu accéder aux frontières syro-libanaises. Le rapport de M. H., qui conteste le bien-fondé des plaintes du Gouvernement de Beyrouth a provoqué une déception qui rejaillit sur l’Occident tout entier, ce qui pourrait avoir de fâcheuses conséquences sur l’alliance du Pacte de Bagdad dont l’Angleterre et par contrecoup, les Etats-Unis seraient expulsés, l’alliance devenant purement régionale.

 

L’Affaire Adams

Cet échec est péniblement ressenti aux Etats-Unis, et l’Administration Eisenhower continue de décliner ; les élections de Novembre prochain vont lui porter le coup de grâce. Nous n’avons pas parlé jusqu’ici de l’affaire Sherman Adams, un petit scandale très américain, qui fait grand bruit là-bas et touche directement le Président en la personne de son éminence grise. L’affaire est très banale en soi : Adams a reçu des cadeaux d’un industriel douteux, Goldfine, en échange, semble-t-il, de bons offices administratifs. La corruption n’est pas prouvée, mais cela suffit à jeter le discrédit sur un personnage de premier plan étroitement associé à la Maison Blanche. Le président Eisenhower, comme à l’ordinaire se refuse à se séparer de son précieux collaborateur et l’opinion l’en blâme. Le Parti démocrate fait de l’affaire un thème de propagande et des Républicains influents sentant le vent contraire, se solidarisent plus ou moins avec eux, et comme la dépression, sans s’accentuer, persiste, le prestige de l’Administration est au plus bas. Une défaite électorale aggraverait encore l’impuissance du Gouvernement Eisenhower, qui vient, au surplus, de subir une nouvelle défaite au Congrès qui lui refuse la totalité des crédits demandés pour l’aide à l’étranger, malgré une campagne de presse bien menée et particulièrement justifiée en ce moment.

 

Averoff à Brioni

Un grand journal allemand reprenait hier le thème de l’impuissance des Grands à résoudre les conflits des autres pays et voyait, comme nous, le moment où ceux-ci se chargeraient eux-mêmes de les régler ; c’est ce qui va se passer au Liban et peut-être à Chypre. On s’est ému en effet, surtout à Londres, du voyage inattendu du Ministre grec des Affaires étrangères en Yougoslavie pour y rencontrer Tito et Nasser en conférence.

La Grèce n’a pas l’intention de se séparer de l’Occident. Pour des raisons économiques, elle ne le peut pas. Le pays ne saurait poursuivre son redressement sans l’assistance américaine. Mais elle peut, en s’entendant avec les neutralistes de Belgrade et du Caire, faire contre-poids à la pression des Turcs sur l’Angleterre et présenter des contre-propositions au plan britannique sur Chypre.

Nous avons de bonnes raisons de penser que la Grèce souhaite un prochain règlement de l’affaire qui empoisonne ses relations extérieures et compromet son équilibre économique. Il s’agit pour elle d’obtenir le meilleur accord possible ; Tito et Nasser peuvent l’y aider. Les balkaniques ont une vieille expérience du jeu de bascule qui leur a assuré une existence précaire depuis un siècle, ceux du moins qui ont échappé au joug soviétique.

 

En U.R.S.S.

Isaac Deutscher, le spécialiste bien connu des affaires soviétiques, vient de faire le point de la situation à Moscou. Il s’accorde avec les impressions que nous traduisions ici. Krouchtchev a certainement beaucoup de difficultés à imposer ses réformes et il a contre lui, non seulement les Staliniens qu’il a éliminés du pouvoir sans pour cela détruire leur influence, mais encore la Chine de Mao, ou du moins de ceux qui agissent en son nom. Ce qui explique, d’après Deutscher, et la campagne chinoise contre le révisionnisme de Tito, et l’exécution de Nagy et de ses compagnons pour servir d’avertissement à tous opposants, de quelque côté qu’ils viennent.

Le voyage de Krouchtchev à Berlin-Est rentre dans le même plan. La D.D.R. est aux prises avec des difficultés croissantes. Elle perd un à un ses spécialistes et ses cadres, qui se réfugient en Allemagne occidentale. Nous avons indiqué, ici, que le seul moyen de paralyser la D.D.R. était, pour les Allemands, de la vider de son administration. Devant une telle éventualité Krouchtchev a peur pour lui-même. Son pouvoir ne survivrait pas à un échec dans le glacis occidental.

 

Bonn et Rome et la Politique Française

Les inquiétudes de Bonn au sujet de la politique française déjà perceptibles lors de l’arrivée du Général de Gaulle au pouvoir, ne sont pas complètement apaisées. Elles trouvent un écho à Rome comme on pouvait s’y attendre.

On craint, en effet, que l’insistance de la France à entrer dans le Club atomique ne vienne rompre l’égalité des partenaires de la petite Europe des Six. Si la France parvenait à surmonter ses difficultés économiques (elle en est encore loin, mais on sait par expérience de quels redressements elle est capable), elle reprendrait une politique de prestige qui l’orienterait plutôt vers une égalité – au moins diplomatique – avec les Trois grands, qu’avec les Petits qui ne peuvent plus prétendre au rôle de grande puissance, même l’Allemagne malgré son poids économique. On voit déjà se dessiner un directoire français sur l’Europe et une utilisation de l’Alliance européenne à des fins purement françaises.

Tout cela comporte une part d’imagination et les diplomates en ont beaucoup, ce qui explique que les réalités présentes leur échappent. Il n’en reste pas moins que la politique du nouveau Gouvernement français devra tenir compte de ces suspicions. Comme dans d’autres domaines, il est engagé par sa nature propre, et aussi par celle des problèmes qu’il affronte, dans une conjoncture pleine de risques où il faut apporter autant d’habileté que de réalisme, de sagesse que d’autorité. Rien jusqu’ici ne permet de douter qu’il en ait.

 

                                                                                            CRITON