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Le Courrier d’Aix – 1958-09-13 – La Vie Internationale.
Coup d’Arrêt
La guerre d’Extrême-Orient n’aura pas lieu. Telle est aujourd’hui l’impression générale qui confirme notre sentiment. La crise n’en est pas pour cela résolue. Elle promet des épisodes divers, simultanément diplomatiques, à Varsovie et à l’O.N.U., et militaires autour des îles et du détroit de Formose.
Le Repli Chinois
Le schéma est simple : les Chinois de Pékin appuyés, avec quelque réticence par Krouchtchev, ont sondé la détermination américaine qui s’est peu à peu raidie. La propagande sino-russe a donné de tous ses moyens, sans grand résultat d’ailleurs. C’est le fait le plus caractéristique de ces derniers mois : dans aucun domaine l’opinion ne s’émeut. On est saturé de propagande et l’on ne croit plus aux menaces communistes. Les Chinois vont donc essayer de la négociation, tout en bombardant les îles côtières. Les incidents continueront, savamment équilibrés, mais on évitera le duel ouvert.
La Résistance des Etats-Unis
La fermeté des Américains qui a réussi en Moyen-Orient, comme en Extrême-Orient, n’a pas désarmé pour cela les capitulards de toujours, plus par passion partisane, espérons-le, que par conviction. Les Travaillistes anglais et, aux Etats-Unis certains Démocrates, comme l’ex-secrétaire d’Etat Acheson, voudraient qu’on restitua les îles côtières à Mao Tsé Tung, qu’on neutralise Formose sous l’égide de l’O.N.U. et que l’on admette la Chine communiste à l’assemblée internationale, c’est-à-dire que l’on liquide Chang Kaï Chek. Inutile de dire qu’aucun Gouvernement américain, fut-il démocrate, ne se résoudrait à ce qui équivaut à une capitulation. Les Travaillistes anglais et même M. Bevan s’il était au Foreign-Office accepteraient-ils une solution dont la première conséquence serait la livraison de Hong-Kong à la Chine rouge. Celle-ci a d’ailleurs, juste avant d’entreprendre le bombardement de Quemoy, lancé des attaques verbales contre l’Administration britannique du grand port, dernier bastion anglais dans les mers de Chine. Quel gouvernement anglais risquerait devant ses électeurs un tel abandon ? Sans doute personne ne se soucie de mourir pour Quemoy, comme jadis pour Dantzig. Mais on est mort par la suite pour bien autre chose, pour Londres et Paris, par exemple.
Le gouvernement Eisenhower est certainement mal engagé dans l’affaire, mais il ne peut reculer. Il ne peut abandonner ni Formose, ni Chang Kaï Chek, sans ouvrir la voie à d’autres invasions. Corée du Sud, Vietnam, Laos, etc. En cédant, il étendrait le pouvoir de Mao à tout ce qui est chinois, sur tous ceux qui en Chine même résistent et sur les vingt-cinq millions d’autres Chinois répandus dans le monde pour lesquels la Chine nationaliste représente, pour les uns un espoir, pour les autres une raison de rester neutres ou prudents. Ralliés à la Chine rouge, ces masses plus ou moins compactes et puissantes dans le Sud asiatique, prépareraient la conquête de toute cette région du monde par le communisme. L’enjeu de ces petits îlots côtiers est donc d’une importance hors de proportion avec leur intérêt stratégique.
En Moyen-Orient
En Moyen-Orient, rien de nouveau. M. H. a fait sa tournée sans résultat. Anglais et Américains sont toujours en place et en force. La Ligue arabe ressuscitée a rallié le Maroc et la Tunisie. C’est bien l’Irak, comme nous le pensions, qui a pris l’initiative de lui rendre l’activité. Nasser continue à vitupérer les Anglo-Américains, mais on ne sait trop si ses relations avec la Ligue Arabe vont à souhait. N’envisage-t-elle pas de proposer pour la Présidence de l’O.N.U. le Ministre soudanais des Affaires étrangères qui n’est pas précisément de ses amis ? En attendant, le calme relatif est revenu à Beyrouth et le roi Hussein tient toujours à Amman sous la protection des parachutistes anglais ; la partie continue, l’O.N.U. est là pour accueillir le prochain épisode.
A Chypre
A Chypre, par contre, les affaires vont toujours mal. Enregistrons notre erreur : nous avions l’impression, au début de l’été, que le Gouvernement d’Athènes, malgré les pressions intérieures, avait hâte d’arriver à un compromis au moins provisoire. Il a besoin de crédits, particulièrement à l’O.E.C.E. et il n’en peut obtenir qu’en mettant l’affaire cypriote en sommeil. Les Britanniques ont tout essayé : le gouverneur Foot a échoué. Il est rentré à Londres pour proposer de faire revenir l’archevêque Makarios dans l’Île ; celui-ci ne paraît pas disposé à accepter, et au sein du Cabinet anglais cette éventualité est susceptible de provoquer une crise que les Conservateurs, peut-être, à la veille d’élections, ont intérêt à éviter.
Nous persistons d’ailleurs, malgré de loyaux efforts, à ne pas comprendre pourquoi les parties en cause refusent de s’entendre. Le problème paraît simple. Les Anglais n’ont aucun intérêt à gouverner l’Île. Il leur suffit d’y conserver leurs bases militaires et ni Athènes, ni Makarios ne leur ont contesté ce droit. Par ailleurs, le conflit entre Grecs et Turcs pourrait être résolu par la ségrégation, seule solution durable ; sans admettre le partage entre Grèce et Turquie qu’Athènes ne veut pas, il suffirait que les deux communautés isolées reçoivent leur autonomie propre. Pour quelques 80.000 Turcs, la question matérielle n’est pas insoluble. Sont-ce les passions politiques et raciales ou des combinaisons d’intérêts qui s’y opposent ?
Les Conflits Raciaux en Grande-Bretagne
Il est certain que les antagonismes raciaux si profitables au communisme, ne font que s’exaspérer. Après Little Rock aux U.S.A., voici que les Anglais ont affaire à des rixes entre noirs et blancs à Nottingham et à Londres. Il y a longtemps du reste que les Britanniques supportent mal l’immigration croissante des noirs antillais dans leur pays. Les Anglais ne sont pas xénophobes lorsqu’ils sont hors de leur île. Mais, on l’a vu pour les mineurs italiens, ils n’aiment pas qu’on s’installe chez eux. On accuse de ces rixes la jeunesse dévoyée, les « teddy boys », les fascistes, s’il en est encore, de Sir Mosley et aussi les communistes qui évidemment soufflent le feu. Mais il y a là une réaction proprement britannique, qui couvait depuis longtemps. Le Gouvernement se résoudra-t-il à limiter l’entrée des sujets du Commonwealth ? ceux de couleur bien entendu. C’est une très grave question tant morale que politique, un cas de conscience qui soulèvera les passions. Il y a cependant dans les pays d’Europe et aux Etats-Unis, un problème de la préservation de l’intégrité de la race blanche. On évite de l’aborder. Convenons qu’honnêtement il se pose et pas seulement pour les Anglo-Saxons.
La Politique Extérieure Française
Le développement de la politique extérieure française va subir sa première épreuve sérieuse avec la rencontre Adenauer-De Gaulle. Ce n’est un mystère pour personne que l’orientation de notre diplomatie préoccupe nos partenaires européens. Deux faits récents les ont alertés. D’abord, l’accord conclu en hâte entre la France et l’Egypte, qui se traduit par l’octroi à Nasser de crédits importants ; 12 milliards au moins, peut-être 25. Les Anglais qui continuent à négocier avec Le Caire de façon serrée, n’ont pas caché leur dépit. Puis il y a eu à Genève la publication par nos experts de secrets français sur la technique employée dans le domaine nucléaire, secret que les Anglo-Saxons voulaient préserver. Quelques remarques amères du côté anglais, justifiées ou non, contre ce que l’on pense être le prélude à une bombe A française. Enfin, il y a surtout les plans plus vastes de coopération européenne, Marché Commun et zone de libre-échange, qui sont en sommeil pour ne pas dire plus. Le malaise européen devant un renouveau de nationalisme français est certain. Ce préjugé défavorable perceptible dès l’avènement du nouveau gouvernement est-il fondé ? A tout le moins, il y a beaucoup d’obscurités à éclairer, là comme ailleurs. Il ne faudrait pas donner l’impression qu’on les entretient à dessein.
CRITON