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Le Courrier d’Aix – 1958-09-06 – La Vie Internationale.
Rétrospective
Il s’est passé beaucoup de choses au cours de ce mois d’Août. Rien sans doute qui change profondément le tableau international, mais assez pour en faire évoluer les aspects. Voyons l’essentiel.
Krouchtchev avec la Chine
D’abord la rencontre précipitée de Krouchtchev et de Mao Tsé Tung. Elle a duré quatre jours, ce qui en marque l’importance. Les hypothèses ont été bon train. Et comme toujours, les commentateurs les plus qualifiés, et les autres, ne sont pas d’accord.
Le point de départ de ce colloque, l’essentiel, a passé inaperçu : les Américains ont débarqué au Liban, les Anglais ont installé leurs parachutistes en Jordanie. Les uns et les autres y sont encore. Nous nous y attendions. Les missives menaçantes de Krouchtchev n’y ont rien fait. Et, comme prévu, les masses n’ont pas bougé. Krouchtchev pensait sans doute qu’il réussirait, par des notes comminatoires, à faire reculer les Anglo-Saxons, comme il avait réussi, du moins le croyait-il, à contraindre les Franco-Anglais à renoncer à leur campagne de Suez en 1956. C’est ce qui a irrité les Chinois. En s’inclinant devant le fait accompli, les Russes avaient montré que leurs menaces étaient sans effet, et ce bluff inutile créait un précédent encourageant pour leurs adversaires. Comme Mao préparait son offensive contre Quemoy, il entendait que les Russes le soutiennent autrement que par des missives. Krouchtchev qui a beaucoup de difficultés chez lui n’est pas disposé à pousser les Américains à bout pour le moment. Et le peuple russe, dans la mesure où il peut se faire entendre, ne tient pas à mourir pour la Chine.
La Chine et la Guerre Nucléaire.
Mais il y a autre chose. Les Soviets craignent une guerre nucléaire. Même s’ils la gagnaient, ils en partiraient épuisés. Les Chinois, au contraire (les dirigeants bien entendu), ne la redoutent pas. Les premiers coups ne seraient pas pour eux, mais pour les Américains, les Russes et les Européens. Et même si la moitié de la population chinoise disparaissait, il en resterait encore assez pour s’assurer une domination mondiale sur les ruines de peuples blancs. Les antagonistes de race demeurent sous le couvert des plus solides alliances. C’est le cas ici.
La Résurrection de la Ligue Arabe
Plus complexe est l’autre coup de théâtre de ce mois d’Août. On sait que devant l’O.N.U., convoquée à la demande même de Krouchtchev, les frères ennemis du Monde arabe, la Jordanie et le Liban d’un côté, les Nassériens de l’autre devaient s’affronter. Au dernier moment, ils ont ressuscité la Ligue Arabe en la personne de son président le vieil Abdul Hassouna pour présenter une résolution commune qui mit fin à la réunion extraordinaire. Les pays arabes étaient d’accord pour résoudre eux-mêmes leur conflit. Cette surprise fut amère pour les Russes puisque le départ des troupes anglo-américaines n’était pas immédiatement exigé comme ils l’espéraient et que M. Hammarskoeld était chargé d’en négocier le retrait avec les parties intéressées, négociation qui continue, sans résultat pour aujourd’hui ni sans doute pour demain. Ce recul soviétique a dû indisposer Mao Tsé Tung.
Le changement d’attitude du Caire est la suite évidente de la politique suivie par Nasser depuis son voyage à Moscou : tenir la balance entre les deux Blocs et ne pas rompre avec l’Occident dont son économie précaire dépend plus que des Soviets.
Mais il y a autre chose : la révolution du 14 juillet en Irak, à laquelle Nasser est, dans une certaine mesure, étranger, a changé l’aspect du conflit du Moyen-Orient. Il y avait à Bagdad un ennemi, Nouri El Saïd, suppôt de l’Occident. Aujourd’hui, il y a un chef ami, le général Kassem. Mais si l’on lutte contre l’ennemi, il faut ménager l’ami et c’est un ami prudent. Par sa puissance économique, son développement rapide, l’Irak a infiniment plus de ressources que l’Egypte et la Syrie. Et c’est pourquoi il tient, quel que soit le gouvernement, à s’accorder avec les pays qui achètent son pétrole, les Occidentaux, sans lesquels il retournerait à sa misère. Le Gouvernement irakien l’a montré : il n’a aucun intérêt à confondre sa politique avec celle du Caire. Il se peut aussi qu’en bon nationaliste Kassem pense que Bagdad a plus de titre à orienter la politique arabe que Nasser et ses alliés.
Par un singulier paradoxe, l’orientation actuelle du nouveau régime irakien est plus favorable aux Occidentaux que celui du roi Fayçal qui leur était allié. Alors pour éviter des conflits internes, Nasser a ressuscité l’unité arabe sous le couvert de la Ligue qu’on croyait défunte, afin de présenter momentanément une unité de façade, tout en continuant sa propagande et en étendant son influence. Celle-ci se heurte d’ailleurs à plus d’une résistance. Il y a le Soudan qui ne se laisse pas absorber, l’Arabie Saoudite …(manque)…………………..
La Situation n’est pas sans analogie avec celle de 1939. Quand Staline, par son accord avec Hitler, donna à celui-ci les moyens de faire la guerre, il pensait qu’il s’épuiserait dans sa lutte contre les Franco-Anglais et que la domination russe s’étendrait alors à l’Europe, sans coup férir. Les Chinois pensent de même, avec plus de raison, d’un conflit russo-américain. Mais il est douteux que Krouchtchev se laisse entraîner. La suite du conflit de Formose nous en apportera la preuve.
Formose et les U.S.A.
C’est ce qui explique le calme avec lequel le Gouvernement des Etats-Unis suit la situation. Il ne se dissimule pas qu’elle est pour eux pleine de risques. S’ils laissent tomber les îles côtières Quemoy et Matsu, le régime de Tchang Kaï Chek en sortira très ébranlé. S’ils interviennent, ils obligeront les Russes à soutenir les communistes chinois, pas à fond, mais assez pour engager les Américains dans une petite guerre coûteuse et impopulaire, non seulement chez eux, mais aussi dans le monde entier. Comme cette éventualité est depuis longtemps prévue, il est probable que Dulles et Eisenhower ont choisi leur attitude, mais ils préfèrent qu’on l’ignore ; contrairement à l’opinion générale, nous pensons qu’ils ont raison. C’est de bonne guerre de laisser l’adversaire dans l’incertitude. De plus, qu’ils aient ou non l’intention d’intervenir, les Chinois de Mao n’en poursuivraient pas moins leurs plans, auxquels Krouchtchev a été obligé de souscrire.
L’abandon de la Conférence au Sommet
Quant à la renonciation subite par celui-ci de la Conférence au Sommet qui soulève tant de commentaires, elle est sans importance. La tactique du zigzag, avances, reculs, palinodies, est bien de sa manière et Staline lui-même l’a pratiquée et même érigée en théorie.
CRITON