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Le Courrier d’Aix – 1958-10-04 – La Vie Internationale.
Tour d’Horizon
Peut-il y avoir de meilleure preuve de l’indépendance du jugement individuel dans les démocraties modernes que la consultation française de Dimanche ? Le résultat a fait grande impression dans le monde où l’on s’attendait à un partage des voix selon les mots d’ordre des Partis. Est-ce à dire que tout scepticisme ait disparu sur l’avenir de notre politique et tout préjugé dissipé ? Certes non. A noter cependant que c’est aux Etats-Unis où les préventions étaient peut-être les plus fortes qu’on a le mieux accueilli le succès du Général de Gaulle ; les plus irrités par contre, les Travaillistes anglais.
Le Congrès du Labour
Ceux-ci réunis en Congrès à Scarborough ont failli adopter une motion malveillante qui a été retirée à grand peine. Alors que les partis socialistes des autres pays européens évoluent en fonction des aspirations des masses auxquelles ils s’adressent et se rallient peu à peu à une économie plus libérale, il règne au sein du Labour une sorte de conservatisme à rebours. On trouve répétés les slogans en faveur il y a vingt ans. N’était-il pas question à Scarborough de nationaliser la terre, après les autres secteurs déjà visés ? Le Parti pourrait avoir de fâcheuses surprises aux élections prochaines.
Formose
Toujours les mêmes gros titres ; l’affaire de Formose suit son cours. Batailles et négociations. Foster Dulles, impressionné, quoi qu’il en dise, par les réactions du public nettement défavorables au soutien de Chang Kaï Chek a pris brusquement position pour une évacuation, au moins partielle, des Îles Quemoy. Cette manœuvre inattendue destinée à apaiser l’opposition intérieure est purement tactique car elle ne peut qu’encourager Pékin à l’intransigeance. Chou en Laï, en effet, a aussitôt repris ses exigences extrêmes sur le même ton menaçant : le débat continue.
Chypre
A Chypre, par contre, un accord redevient possible, alors que nous en désespérions l’autre semaine. Makarios, puis le gouvernement d’Athènes, renoncent au rattachement de l’Île à la Grèce. Les Anglais, malgré la pression hellénique et les efforts de M. Spaak, secrétaire de l’O.T.A.N., appliqueront leur plan comme prévu dès le 1er octobre. Les Turcs, de leur côté, ont fait une concession sensible en nommant pour représentant leur Consul à Nicosie, au lieu d’un délégué d’Ankara. Une nouvelle conférence à trois ou plutôt à cinq, avec les leaders des deux Communautés, paraît probable à brève échéance, malgré la mise en train du projet britannique, toute théorique d’ailleurs. Le besoin d’en finir avec cette irritante question est-il sincère ? Nous le croyons ; mais après tant de rechutes, on demeure prudent.
Moyen-Orient
Au Moyen-Orient, le rapport de M. H. retour à son périple, a paru bien vague et n’offre aucune garantie sérieuse au Liban et à la Jordanie après le retrait des Anglais et des Américains prévu pour la fin du mois. Les communistes ne semblent plus aussi intéressés à la question, au moins pour l’heure. Nasser a engagé en Syrie une réforme agraire, qui bien qu’assez limitée, n’en a pas moins nécessité la proclamation de l’état d’urgence ; à Bagdad, la tendance modérée paraît l’emporter sur les Nassériens, mais tout cela peut, une fois encore, changer demain.
Les Etats-Unis et l’Amérique Latine
C’est sur l’autre plan, celui de la compétition économique entre les deux Mondes que nous croyons plus de nouveau. En particulier, les rapports de l’Amérique latine avec les Etats-Unis. On se souvient de l’accueil particulièrement houleux fait au vice-président Nixon lors de sa tournée dans ces pays. Les Etats-Unis ont compris l’avertissement d’autant mieux que les Soviets multipliaient alors leurs tentatives de pénétration économique dans toute cette partie du Nouveau monde. Les offres d’assistance russe avaient d’ailleurs été accueillies avec beaucoup de réserve.
Au Chili, où un Président conservateur vient d’être élu, la coopération avec l’Occident est assurée. Le président Frondizi, en Argentine, devant la nécessité d’un apport de capital étranger, a fait une large place à l’Europe : la France qui va signer deux importants contrats et en faveur de laquelle on prévoit un prochain règlement de l’affaire Quilmes ; l’Allemagne fédérale qui installe des usines fera contre-poids à l’influence des Etats-Unis dont le concours est cependant sollicité. La politique du Président Kubitschek au Brésil est assez voisine. Une démarche des deux Présidents auprès des Etats-Unis suggérait un plan concret de coopération financière. La réponse est favorable : l’opération Pan-America est en préparation. Il était temps : des 62 milliards de dollars d’assistance à l’étranger depuis la guerre, l’Amérique latine n’en a reçu que deux ; sur 3 milliards cette année sa part n’est que de 100 millions. Enfin, ces jours-ci, les restrictions d’importation aux Etats-Unis du zinc et du plomb, touchent particulièrement le Pérou et la Bolivie ; c’est pourquoi, la Banque pour le Développement Interaméricain va apporter les crédits nécessaires, non plus sous la forme d’assistance directe des Etats-Unis, mais d’aide mutuelle. Les décisions du Congrès s’annoncent positives. Cela ajouté au doublement du potentiel de crédit du Fonds Monétaire et de la Banque Internationale, va permettre au Monde libre d’apporter aux pays sous-développés une contribution plus efficace.
Washington a parlé aussi d’une stabilisation des prix des matières premières ; mais cela est une autre affaire. Toutefois, le récent accord international sur le café est encourageant. Il semble d’ailleurs – ce n’est qu’une impression personnelle – que du côté soviétique la compétition auprès des pays sous-développés se ralentit. Le soutien à la Chine qui, par contre, s’amplifie est-il à lui seul déjà assez lourd ?
Le Réforme de l’Enseignement en U.R.S.S.
Krouchtchev, toujours ardent aux réformes, s’attaque maintenant à l’enseignement. Il reprend par ce biais la lutte stalinienne contre la formation d’une nouvelle bourgeoisie. Au lieu de dix années de préparation primaire et secondaire, à la suite desquelles le jeune russe entrait à l’Université, il n’en passera plus que sept et ira, pour « prendre contact avec les réalités » pendant trois ans travailler aux usines et à la terre. Il devra pendant ce temps suivre des cours du soir, pour ne pas perdre le souvenir de sa science toute fraîche. Cette réforme est d’autant plus sensible que le Russe, comme l’Italien, a pour ambition de soustraire ses fils au travail manuel. L’accès direct à l’Université, était le signe d’une libération morale en même temps que d’une ascension sociale définitive. Pour beaucoup de Russes, le communisme, en promettant de développer la machine et la science, devait les délivrer du labeur physique pour lequel ils ne s’étaient jamais senti grand enthousiasme.
La réforme de Krouchtchev va décevoir bien des rêves. Elle rencontre une forte opposition. Sans être au stade chinois où des multitudes d’hommes et de femmes construisent des barrages en coltinant la terre dans des paniers, les Soviétiques sont loin de disposer d’assez de machines pour épargner leurs bras, et les appels aux volontaires pour défricher les terres asiatiques n’avaient pas suscité beaucoup d’amateurs. La réforme de Krouchtchev a pour objet de les contraindre. Il est question aussi de débusquer des bureaux des administrations et des usines beaucoup d’employés en surnombre, ce qui va aussi à l’encontre du tempérament national. Il ne faudrait pas créer trop de mécontents. Il est vrai que les élections ne sont pas à craindre en U.R.S.S. Mais avec le peuple on a parfois des surprises ….
CRITON