Criton – 1961-01-14 – Grèves et Bulletins de Vote

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Le Courrier d’Aix – 1961-01-14 – La Vie Internationale.

 

Grèves et Bulletins de Vote

 

Une semaine chargée : le plébiscite en France, les troubles sociaux en Belgique, la rupture diplomatique des U.S.A. avec Cuba, la Conférence africaine de Casablanca, l’anarchie congolaise, le voyage d’Hammarskoeld en Union Sud-Africaine, de quoi remplir plusieurs chroniques.

 

Le Plébiscite Français

Le succès du Général de Gaulle au plébiscite du 8 janvier a été accueilli avec satisfaction à l’étranger où l’on était jusqu’ici septique sur son issue. On craignait, au cas d’un résultat douteux, une période de troubles analogues à ceux qui secouent la Belgique ; on loue le peuple français d’avoir, sans enthousiasme et peut-être sans conviction, souscrit à la survie de la V° République ; on estime surtout que mandat est donné au Président de liquider le problème algérien. Les Français, dit-on, se sont résignés à la perte de l’Algérie et nul ne peut mieux sauver ce qui peut l’être encore, au point où on a amené les choses, que celui qui s’est donné mission de le faire ; égoïstement, les étrangers pensent que le plus tôt sera le mieux, car la prolongation de la guerre d’Algérie peut les mettre en cause, et la paix avec. Pour Londres et Washington, un règlement rapide les tirerait d’un perpétuel embarras dans leurs relations avec les pays ex-coloniaux.

 

Les Grèves de Belgique

Les grèves en Belgique ont frappé l’imagination des observateurs parce que l’on n’attendait pas d’un pays aussi prospère qui a, d’après la Suisse et la Suède, le plus haut niveau de vie d’Europe, un soulèvement aussi brutal et quasi révolutionnaire, à propos d’une loi dite d’austérité qui, en y regardant de près, n’était pas de nature à modifier sensiblement le train d’existence des travailleurs et qui, au surplus, aurait pu être amendée par les voies parlementaires.

A mesure que les grèves se déroulent, on voit mieux qu’il s’agit d’un accès de psychose collective plutôt que d’un mouvement de revendication. Le peuple belge s’est senti humilié par la catastrophe du Congo, et surtout par la réprobation et les attaques qui de tous côtés, avec une injustice flagrante, sont venues salir et calomnier leur œuvre de civilisation au Congo dont ils étaient justement fiers. D’où une explosion de colère impuissante qui a éclaté, contre n’importe quoi, contre le Gouvernement d’abord qui n’avait pas suffisamment défendu l’honneur national, colère sans objet, comme en sont pris parfois les individus devant des malheurs immérités. Et comme toujours en pareil cas, ce sont de vieilles querelles, des rancunes en sommeil qui servent de prétexte aux brutalités : la rivalité des deux groupes ethniques Wallons et Flamands, l’anticléricalisme tenace en pays minier, les souvenirs amers de la dispute monarchique lors de l’abdication de Léopold III, les conséquences mal acceptées de la crise charbonnière, toute cette vase s’est levée des profondeurs de l’âme d’un peuple violent et vindicatif, en dépit de son goût de l’ordre et du travail. Comme toujours aussi, en pareil cas, les agitateurs professionnels ont jeté l’huile sur le feu. L’apaisement sera lent et difficile d’autant que de part et d’autre l’obstination est un défaut national. Il est probable cependant que le jour où l’on aura mesuré l’ampleur des dégâts et l’absurdité de la révolte, la sagesse et le calme revenus, ce sont les agitateurs qui feront les frais de l’aventure. Ils le sentent déjà et le parti socialiste est divisé sur la poursuite du mouvement. Comme il a été dans l’affaire congolaise le partisan de l’abandon, il se pourrait que la prochaine consultation électorale lui fasse perdre sensiblement de son crédit. Cela dépend des qualités d’homme d’Etat du premier Eyskens et de l’arbitrage du Roi qui reste assez populaire.

 

La Rupture des U.S.A. avec Cuba

L’administration Eisenhower, à quelques jours de l’expiration de son mandat, n’a pas hésité à rompre avec Fidel Castro. Il est probable, bien qu’officiellement rien n’en a été dit, que Kennedy a donné son accord. Le prétexte était suffisant : Castro avait enjoint Washington de réduire à onze personnes le personnel de l’Ambassade et avait invité le Conseil de Sécurité à discuter sa plainte contre les prétendus préparatifs d’invasion de l’île par les forces des Etats-Unis. L’accusation était si absurde que Zorine lui-même ne l’a que mollement soutenue. On perçoit d’ailleurs un certain embarras tant du côté communiste que des partisans de Castro.

Les extravagances du Chef ont été un peu loin. La situation économique et financière est tellement catastrophique, que le farouche Guevara, devenu grand argentier, s’en inquiète. Il est allé quérir du secours auprès de ses amis de Moscou et de Pékin, mais les promesses qui lui ont été faites ne l’ont pas rassuré. La charge des six millions de Cubains réduits à la misère est plutôt lourde pour l’Est, et les Soviets ont conseillé une entente avec la prochaine administration Kennedy. Il est douteux que ce dernier se montre plus conciliant qu’Eisenhower, si l’on s’en réfère à ses déclarations de candidat ; l’opinion des Etats-Unis est irritée et inquiète des provocations de Castro. De plus, le mouvement fidéliste perd de son crédit en Amérique latine ; plusieurs pays ont déjà rompu les relations diplomatiques avec Cuba, dont le Paraguay et le Pérou. Un pays aussi perméable à l’influence communiste que la Bolivie, parle d’en faire autant ; de même, la Colombie et le Venezuela. Les excès du Castrisme ont provoqué ce revirement et l’on pourrait en venir à mettre Cuba en quarantaine. La doctrine de Monroë, c’est-à-dire la non-ingérence de pays non américains, dans les affaires du continent demeure vive dans l’esprit de tous les peuples de l’hémisphère occidental, Canada excepté.

 

La Conférence de Casablanca

A Casablanca se sont réunis, sous l’égide de Mohammed V, Nasser, Sékou Touré, NKrumah, Modibo Keita, Ferhat Abbas et d’autres comparses. L’accord de rigueur a été laborieux comme on s’y attendait. Nasser se veut le leader de l’Afrique noire aussi bien qu’Arabe. Déçu par ses échecs de domination en Asie, il cherche une revanche en Afrique. Mais l’entente est difficile entre deux ambitieux et NKrumah veut demeurer le leader de l’Afrique noire ; on s’est entendu sans trop de peine sur le Congo pour soutenir Lumumba, mais NKrumah s’est opposé à une sécession des troupes de cette nouvelle alliance d’avec les forces de l’O.N.U. Il n’a pas voulu que son propre contingent appuie militairement le gouvernement de Gizenka à Stanleyville. La constitution future d’un commandement unique des troupes africaines reste platonique.

En outre, malgré les efforts de Ferhat Abbas, on n’a pas conclu à une rupture diplomatique avec la France. On ne s’est vraiment accordé que pour faire silence autour de Bourguiba, mais en secret il est probable que Nasser n’a pas caché son intention de le liquider en temps opportun. Bourguiba se sait menacé. Si Ferhat Abas et le F.L.N. reçoivent les armes modernes que les usines tchécoslovaques Skoda forgent à son intention, la rébellion algérienne sera assez forte en Tunisie pour renverser Bourguiba. D’où le désir de celui-ci de voir réglé le conflit algérien ; il est peut-être trop tard pour qu’il puisse s’opposer au renforcement du F.L.N., mais il est assez retors pour mettre ses hôtes algériens en difficulté.

C’est là une chance qui est loin d’être négligeable. Il faut espérer qu’on la saisira. Les dissensions entre les chefs du Maghreb ont toujours été dans l’histoire, le moyen pour les puissances étrangères de s’y maintenir.

 

“H ” en Afrique du Sud

Hammarskoeld, malgré les difficultés sans nombre et les chausse-trappe de ses ennemis, a repris sa tournée. A Léopoldville d’abord, où l’on ne sait rien de ses démarches, ensuite à Prétoria ce qui, en un sens, est plus délicat encore. Car on attend son rapport sur l’apartheid et le mandat sud-africain sur l’Ouest africain ex-allemand, pour renouveler l’assaut sur la politique de l’O.N.U. en Afrique. Il faut admirer le courage et le sang-froid de cet homme dans une pareille tourmente. Aucune tâche n’apparaît aujourd’hui plus périlleuse que la sienne.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1961-01-07 – Mystères et Réalités de l’Est

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Le Courrier d’Aix – 1961-01-07 – La Vie Internationale.

 

Mystères et Réalités de l’Est

 

Le monde, en ce début d’année, s’interroge avant tout sur l’évolution des relations Est-Ouest et déjà, les faits contraires, les uns favorables, les autres inquiétants, apparaissent simultanément.

 

Les Accords Commerciaux Bonn-Moscou et Bonn-Pankow

La grosse surprise du 29 décembre fut la signature de l’accord commercial entre Bonn et Moscou suivie le lendemain du renouvellement de l’accord entre Bonn et Pankow. La difficulté qui paraissait insurmontable était l’inclusion de Berlin-Ouest dans les modalités d’application du traité comme partie intégrante de l’Allemagne occidentale au titre de la zone du Deutschemark. On ne sait exactement par quel artifice de protocole les deux parties se sont entendues. Le fait est qu’elles l’ont fait, ce qui prouve à tout le moins que l’U.R.S.S. a besoin de la République fédérale pour se fournir d’équipement industriel, et particulièrement de tubes pour ses oléoducs et gazoducs que les usines soviétiques sont incapables de produire en quantité suffisante. Secundo, que l’U.R.S.S. ne se soucie pas de suppléer Bonn dans la fourniture à la D.D.R. des marchandises que Pankow achète à l’autre Allemagne. Cela ne préjuge évidemment pas de l’attitude future de l’Est à l’égard du statut de Berlin, mais montre que l’atout commercial dont dispose Adenauer est d’un poids suffisant pour obliger les communistes à ne pas brusquer les choses. Les besoins de l’autre côté du rideau de fer sont énormes et les moyens inadéquats, surtout depuis que l’U.R.S.S. charge ses satellites d’équiper les pays dont elle cherche à faire ou à maintenir la conquête politique. Cuba est la dernière en date de ces charges, et non la moindre, mais il y a aussi l’Inde, l’Indonésie, le Nord-Vietnam, l’Egypto-Syrie et d’autres de moindre poids. Pour faire face à ces engagements croissants, s’ajoutant aux exigences du plan septennal déjà trop ambitieux, l’U.R.S.S. a besoin de se procurer en Occident une part de son équipement, ce qui est incompatible avec une politique trop agressive.

 

L’Albanie dans le Conflit Idéologique

L’énigme des relations entre Pékin et Moscou est non seulement impénétrable, mais encore les faits qui s’y rapportent sont autant de défis à notre logique ; qu’on en juge.

On sait que l’Albanie, cet Etat minuscule au bord de l’Adriatique, dépendait totalement de l’U.R.S.S. qui y a installé une base navale puissante. Or, dans la controverse idéologique entre pays communistes, l’Albanie s’est rangée du côté de Pékin contre Moscou ; on apprend que les russes ont suspendu les fournitures de blé à l’Albanie, 90.000 quintaux et qu’ils retirent les techniciens qui procédaient à l’industrialisation du pays. Ceux-ci seront ou sont déjà remplacés par des Chinois, et les quintaux de blé seront fournis par la Chine, qui d’ailleurs ne les ayant pas, les achète à l’Occident. Les Russes eux-mêmes sont obligés de s’approvisionner en blé canadien.

Ces nouvelles assez surprenantes sont confirmées de bonne source ; ou bien l’U.R.S.S. installe les Chinois en Méditerranée à des fins que nous n’osons formuler, ou bien les Chinois ont assez d’autorité dans le camp dit socialiste, pour s’annexer l’Albanie aux dépens de l’U.R.S.S. Il se pourrait encore que Tirana étant dans les plus mauvais termes avec Belgrade, sa voisine, les Soviets chargent la Chine de faire pression sur Tito qu’ils préfèrent ne pas contrecarrer eux-mêmes. Toutes ces hypothèses sont plausibles.

 

La Russie et l’Extrême-Orient

Même embarras en Extrême-Orient. Dans l’affaire du Laos, ce sont les Russes qui agissent et Pékin se contente de donner de la voix. Les Soviets viennent d’accorder à Ho Chi Minh des sommes importantes, on parle de 150 millions de roubles, pour l’équipement du Vietnam du Nord. On sait depuis longtemps déjà que Hanoï, pour desserrer l’étreinte chinoise, s’est rangé du côté soviétique ; l’influence russe l’emporte aujourd’hui. Au Laos même, la situation paraît alarmante, mais ne l’est peut-être pas autant qu’il semble.

Russes et Américains jouent en sens opposé, mais nous ne serions pas surpris que de part et d’autre, on cherche à trouver un compromis, plus ou moins provisoire, qui aboutirait à neutraliser le pays – hypothèse que nous donnons sans garantie et qui est contredite par les nouvelles, – mais nous ne pensons pas que Moscou veuille pousser à fond l’épreuve de force.

 

Les Difficultés du Bloc de l’Est

Il faut le répéter, au risque de faire hausser les épaules de tous ceux que le mythe communiste a envoûtés, la situation de la Russie comme de la Chine, loin de s’améliorer s’est considérablement détériorée en 1960 de l’aveu même de leurs dirigeants.

Le fait le plus gros est contenu dans les déclarations chinoises au sujet de la récolte 1960. Elle n’a pas atteint le tiers des  prévisions à cause – on l’a dit déjà en 1959 – des calamités naturelles telles que l’on n’en avait pas vu paraît-il en Chine depuis un siècle. Typhons successifs, inondations ici, sécheresse là, semailles qu’on a dû refaire jusqu’à six fois. La Chine a toujours subi des calamités de ce genre, et les renseignements de la météorologie n’en ont pas signalé de plus importantes ces années-ci qu’auparavant. Mais Pékin ne peut avouer que l’établissement des communes rurales, a désorganisé le labeur paysan au point de le rendre inefficace. La terre chinoise, cultivée comme un jardin, ne se prêtant pas à une exploitation collective, le résultat est là : la famine. Les réfugiés de Hong-Kong et de Macao rapportent des récits atroces, et dans les villes la pénurie est telle que les Chinois qui ont des relations dans le monde extérieur supplient qu’on leur envoie des colis, quitte à payer de lourds droits de douane. A Pékin même, la ration alimentaire est encore plus faible qu’en 1959.

 

En U.R.S.S.

En Russie également, la récolte de 1960 a été catastrophique, le ministre de l’agriculture a été limogé : les terres vierges ravagées par les vents, comme nous l’avons vu, abandonnées en partie par les déportés qui les cultivaient, ont donné une récolte dérisoire. Tout y est à refaire et Krouchtchev s’y emploie, car cet échec d’une œuvre qu’il a faite sienne malgré les avis contraires, risque de mettre son propre pouvoir en péril. Si l’on fait le calcul d’après les chiffres soviétiques, le rendement en céréales ne serait, en Russie d’Europe, que de 9 quintaux à l’hectare en moyenne et de 4 à peine pour la Russie d’Asie, moins qu’en 1913. Que les intempéries y soient pour quelque chose on l’admet volontiers, mais elles ne suffisent pas à expliquer de tels résultats.

 

Le Niveau de Vie Comparé

Dans un ordre d’idées différent, nous signalons une statistique récente sur le niveau de vie comparé en France et en U.R.S.S. d’après Salzberg. On y relève les chiffres suivants : pour un ouvrier, salarié moyen, gagnant en Russie 700 roubles par mois, en France 40.000 à 45.000 frs, un kilo de viande de 2ème qualité, exige en U.R.S.S. 4h40 de travail en France 1h33, 1kg de café 13h25 contre 4h15, 1kilo de sucre 2h50 contre 25 minutes, un complet d’homme 440 h. contre 94h15, et ainsi de suite, encore ces statistiques irréfutables ne tiennent-elles pas compte de la qualité des produits, bien inférieure en U.R.S.S. Si nous donnons ces chiffres récents, c’est pour montrer que l’écart entre les niveaux de vie des pays de l’Est, et de l’Occident loin de se combler, s’élargit plutôt. Mai qui est d’assez bonne foi pour le reconnaître ?

 

La Raison et les Tendances

Précisément dans cet ordre d’idées, un récent travail allemand nous donne beaucoup à réfléchir. Kurt Seeberger traite de la « domination des demi-cultivés », traduction approximative de « Die Herrs schaft der Halbbildung ». Le monde, selon l’auteur, serait dominé depuis que l’instruction s’est répandue, surtout depuis 1914, par un type d’homme dont les pensées ne sont en réalité que des impulsions (tricbe) enveloppées de logique, qui veut avoir raison et imposer sa façon de voir sans pouvoir ni vouloir en expliquer les fondements qui entend avoir une idée sans reconnaître ce que sont les conditions et les obligations de la pensée. Cette description qui s’applique aussi bien aux hommes de l’Allemagne hitlérienne qu’aux groupes récemment instruits des pays ex-coloniaux, pose un problème assez effrayant : l’instruction que l’on s’efforce de répandre ne sert-elle pas surtout à donner aux instincts de ces hommes d’apparence de la raison et la puissance dialectique capable de les imposer aux masses ?

 

                                                                                  CRITON

Criton – 1960-12-31 – Bilan 1960

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Le Courrier d’Aix – 1960-12-31 – La Vie Internationale.

 

Bilan 1960

 

L’année 1960 qui s’achève peut être appelée négative. Elle a apporté au Monde libre plus de déceptions que de satisfactions. La France, en particulier, en a supporté largement sa part, mais elle n’est pas la seule. Les Etats-Unis, la Belgique, l’Angleterre ont eu à affronter des difficultés majeures.

 

Les Épreuves de 1960

Les épreuves de 1960 s’appellent, pour la France l’Algérie d’abord, la Guinée et le Soudan passés à l’ennemi, le Maroc en voie de le faire ; pour la Belgique, le Congo est aujourd’hui la crise sociale qui en est la conséquence directe. Pour les Etats-Unis, Cuba, cet adversaire dangereux à leur porte, la crise de la balance des paiements et du Dollar, la récession économique dont la fin n’est pas en vue. Pour l’Angleterre, l’aggravation profonde du déficit de la balance des comptes, beaucoup plus inquiétant que celui des Etats-Unis, car il n’a pas pour contre-partie une richesse inépuisable et un potentiel illimité de production. Il y a aussi le sérieux problème de l’Afrique centrale et australe, d’où l’Angleterre tire une part importante de ses approvisionnements et de ses revenus et que ronge l’agitation noire. Seule l’Allemagne continue sur sa lancée de prospérité, mais il y a Berlin qui sera le problème majeur de 1961.

 

Les Contreparties

A première vue, le tableau est assez sombre. Il y a cependant en contre-partie, des tâches claires.

Chez nous, le développement industriel, la stabilité financière heureusement à l’abri des initiatives du pouvoir et une expansion raisonnable des ressources, ce qui rend plus supportable d’autres déboires. Car si une crise économique s’ajoutait au reste, le moral de la nation n’y résisterait.

Aux Etats-Unis, une confiance mieux assurée dans la paix, grâce au redressement de l’équilibre militaire. La paix maintenue par la puissance atomique des sous-marins et des fusées Polaris, l’égalité retrouvée dans la course à la conquête de l’espace et d’une façon générale un robuste optimisme qui n’a pas été entamé et qui se porte avec confiance vers la nouvelle administration Kennedy.

Enfin, et peut-être surtout, l’apparition au sein du Bloc communiste, de fissures évidentes qui ne peuvent que s’élargir, la domination de l’U.R.S.S. étant de plus en plus mal supportée par les nationalismes toujours vivants, encouragés par ses progrès dans le reste du monde, attisés avec quelque imprudence par les Soviets eux-mêmes. L’indépendance acquise à grande allure par un grand nombre de peuples, ne peut être sans répercussion sur ceux qui demeurent asservis à l’impérialisme russe et chinois.

 

Les Perspectives

Cette énumération faite, on voit combien un pronostic pour 1961 est difficile. Beaucoup de points faibles, sans doute, mais il en est de part et d’autre. Une année difficile certainement, mais rien qui justifie un pessimisme radical. La part de l’imprévisible apparaît plus large que d’ordinaire.

 

La Réunion des Ministres du Marché Commun

La réunion à Bruxelles des Ministres du Marché Commun était attendue avec intérêt et même quelque inquiétude. L’Institution pourrait-elle surmonter les divergences entre ses partenaires ? A vrai dire, les problèmes débattus n’ont trouvé aucune solution, mais l’échec a été adroitement masqué si bien qu’à lire les comptes rendus de la presse spécialisée, on se trouve en présence d’appréciations absolument contraires. On s’est mis d’accord pour ne pas ajourner l’accélération du Marché Commun, et pour les produits industriels, les droits de douane seront abaissés entre les membres de 10%, pour certains produits agricoles de 5%. Geste plus spectaculaire qu’effectif, nous l’avons chiffré dans un précédent article. En outre, les contingentements des produits industriels seront supprimés avant le 31 décembre 1961, ce qui est plus sérieux. A remarquer toutefois que les Etats se réservent le droit de recourir à des « mesures de sauvegarde », nouveau nom de baptême des contingentements, tout comme les droits de douane, se nomment aujourd’hui « prélèvements ». Enfin, une première étape est décidée vers l’établissement d’un tarif extérieur commun qui serait en fait la naissance d’un marché commun authentique. Mais le tarif extérieur, tel qu’il semble résulter des délibérations d’hier, ne constitue qu’un pas insignifiant en pratique. De tout ce complexe, il ne faut retenir que l’abolition des contingentements qui, s’il est effectif fin 1961, ouvrirait dans une mesure appréciable les frontières. Ce n’est pas encore certain. En vérité, le Marché Commun, comme toutes les institutions internationales, à commencer par la C.E.C.A. est une administration qui entretient beaucoup de monde et tourne à peu près à vide. Mais sous le couvert de l’institution, des intérêts privés beaucoup plus efficaces se concertent et se groupent, ce qui faisait écrire à un journaliste compétent : le Marché Commun n’est nullement comme ses promoteurs l’entendaient, un stimulant à la concurrence pour élever la production et la productivité et diminuer les prix, mais bien au contraire un corporatisme systématique et l’arrangement des affaires en famille. Ce qui n’est pas, à notre avis, péjoratif car l’initiative privée en travaillant à son avantage sert le bien commun mieux qu’une administration et même si la concurrence, au sens classique et meurtrier du terme ne joue pas, l’émulation entre producteurs suffira à offrir au consommateur plus de produits et surtout meilleurs et même un peu moins chers. Nous le verrons à l’usage dès 1961.

 

La Tournée du Patriarche Alexis

Un des aspects les plus caractéristiques de la politique du communisme russe et sans doute le plus odieux, est l’utilisation à ses fins de la religion orthodoxe. Nous avons dit ici l’inquiétude ressentie par Moscou à la suite du voyage du Dr Fischer primat de l’Église anglicane, à Jérusalem où il eut des contacts avec les dignitaires des Eglises catholiques et orthodoxes d’Orient, suivis de sa visite au Saint-Père à Rome.

Comme au temps des Tsars, protecteurs de l’Église orthodoxe, Moscou a envoyé en tournée le Patriarche Alexis. Celui-ci a rencontré au Caire le patriarche Christophoros de l’Église grecque orthodoxe et à Alexandrie le Patriarche Cyrille, de l’Église Copte, qui groupe en Egypte et en Ethiopie plus de huit millions de fidèles. Comme à Damas, à Beyrouth et à Jérusalem où il était allé précédemment, le Patriarche Alexis a tenté, sans grand succès semble-t-il, de détourner ces sectes d’un rapprochement avec Rome, et pour appuyer son influence a promis ou donné de fortes sommes fournies par l’U.R.S.S. elle-même. Mais le voyage ne s’est pas achevé là, Alexis est allé au cœur même de l’orthodoxie, voir le patriarche Athënagoras à Istanbul, chef suprême de l’Église et enfin à Athènes, auprès du patriarche des Hellènes. Partout, il a affirmé que l’Église russe était libre et a même proposé la réunion d’un Concile œcuménique orthodoxe à Moscou pour faire pièce au Concile œcuménique préparé par Rome. On voit par là quelle importance Moscou accorde au rapprochement des Églises Chrétiennes et les sacrifices qu’on y est prêt à faire pour empêcher la formation d’un Bloc chrétien anti-communiste.

 

La Persécution Religieuse en U.R.S.S.

Mais dans le même temps, la persécution religieuse en Russie et la propagande pour l’Athéisme redoublent. Parmi les faits récents, on cite : l’interdiction d’entrer au séminaire avant l’accomplissement du service militaire et le lavage de cerveau qui l’accompagne, la fermeture du séminaire de Kiev, de plusieurs églises et couvents d’Ukraine. Par ailleurs, les calomnies et les poursuites judiciaires continuent contre les évêques accusés de malversations, de trafics de devises, d’ivrognerie, de concussion, que sais-je encore et la diffamation publique des ministres du culte et de ceux qui pratiquent la religion sous leur guide. Tout cela, les patriarches des Églises d’Orient ne l’ignorent pas et le patriarche Alexis aura eu l’accueil réservé que mérite sa sinistre mission.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1960-12-24 – L’Heure de la Vérité

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Le Courrier d’Aix – 1960-12-24 – La Vie Internationale.

 

L’Heure de la Vérité

 

Si pressants que soient d’autres problèmes, celui de l’Algérie domine la scène du monde actuel. Et l’on commence à se rendre compte, non sans inquiétude, que le sort de notre Monde occidental tout entier en sera influencé.

 

L’Algérie

Tous les commentaires à quelque bord qu’ils appartiennent, aussi bien d’un côté que de l’autre du rideau de fer, s’accordent pour une fois sur un point : l’indépendance de l’Algérie est une certitude. Ce n’est plus qu’une question de temps. Toute autre solution est aujourd’hui dépassée. On lit cette phrase de la « Pravda » au « New-York Herald Tribune ». Même unanimité sur un autre point : la négociation avec le F.L.N. Elle est inévitable et nécessaire, et le plus tôt sera le mieux. C’est ce qu’écrit un organe aussi pondéré que l’ « Economist » de Londres.

Cet appel répété de toutes parts comme allant de soi à une négociation de nature à régler le conflit nous paraît assez surprenante. Pour négocier, il faut être deux. Or, rien ne paraît indiquer que le F.L.N. y soit prêt, à moins qu’on n’accepte d’avance ses propres conditions. Dans le cas contraire ou bien il s’y refusera, comme on l’a vu à Melun, ou bien si les pressions extérieures l’y obligent, ce qui est possible, il négociera à la russe, c’est-à-dire indéfiniment et sans autre résultat que des effets de propagande. La leçon apprise à Moscou et à Pékin ne sera pas perdue.

 

Quelques Remarques Précises

Un journaliste américain, qui pendant les journées tragiques d’Alger a fait une enquête sur place, remarque que l’on n’a pas compris en France et ailleurs l’état d’esprit des Musulmans. L’un d’eux lui a dit : « De Gaulle veut nous donner l’indépendance, ce sont les Français d’ici et l’armée qui nous la refusent, c’est pourquoi on acclame les C.R.S. et l’on hue les zouaves ». Fondée ou non, cette réaction est naturelle à des esprits simples, pour qui les détours de la politique sont insaisissables ; un autre, allemand celui-là, remarque : « Fehrat Abbas a posé nettement les conditions du F.L.N. : il faut que deux tiers au moins des Français d’Algérie quittent le pays, sans quoi il n’y a pas de paix possible. Si la France refuse, la guerre continuera, et le correspondant ajoute : « Au cours de la tournée à Moscou et à Pékin, la ligne du F.L.N. a été concertée avec Fehrat Abbas : la prolongation de la guerre est le plus sûr moyen d’affaiblir la France et le Monde Atlantique avec elle. C’est le seul qui permette d’obtenir une complète victoire. Aujourd’hui, elle est impossible. La situation n’est pas mûre ».

D’autre part, il est illusoire de prétendre que l’Algérie ne peut vivre sans la France. La Tunisie, le Maroc, la Guinée, le Soudan, le font à des degrés divers et sans difficultés insurmontables. Les notions d’intérêt et de bon sens n’ont rien à y voir. Les populations noires et surtout musulmanes, sont accoutumées à supporter n’importe quelles privations et les maîtres qui les dominent ne se soucient guère de leurs besoins. Enfin, Russes et Américains se précipitent dès que le vide leur ouvre la voie. A Bamako, pour installer leurs délégations, ils se disputent les immeubles que les Français vendent.

Nous nous excusons auprès de nos lecteurs de leur mettre ainsi crûment ces remarques. Ils sont habitués de notre part à plus de nuances. Mais il nous paraît comme un devoir de regarder la réalité en face et sans détours. La situation nous paraît telle qu’elle est ici décrite.

 

Les Américains et le « Sens de l’Histoire »

On épiloguera à l’infini sur « le sens de l’histoire ». Les congressistes de Moscou affirment qu’elle va dans leur sens ; M. Herter, à New-York, en dit autant de la politique des Etats-Unis. Ici même on s’en réclame pour justifier l’inévitable. Hitler en disait autant. D’autres pensent que l’histoire est ce que les hommes la font. Ce n’est pas nous qui prétendrons trancher le débat. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des nations qui savent se faire respecter et d’autres pas.

Les Etats-Unis avec toute leur science, leurs richesses et leurs armes n’y sont pas parvenus. Nuls plus que les Etats-Unis n’ont poussé plus activement à la décolonisation. D’après ce que l’on sait de la nouvelle équipe qui va diriger les affaires extérieures des U.S.A., le mouvement sera poursuivi plus vivement que jamais. Leur pensée profonde c’est que le jour où il n’y aura plus dans le Monde libre que des Etats indépendants, l’assaut pourra être donné, politiquement parlant, à la seule puissance coloniale qui demeure : l’U.R.S.S. et l’on verra alors se décomposer cet empire.

L’autre arrière-pensée, c’est que les deux grandes puissances coloniales, l’Angleterre et la France, sont des pays sur le déclin, dont l’importance s’efface peu à peu devant les nouveaux Etats qui montent et c’est à ceux-là que doit aller toute leur sollicitude. Malheureusement ils n’ont peut-être plus les moyens financiers d’y pourvoir. C’est présentement ce qui les inquiète. Il en est des Etats comme des particuliers. Si l’on répand ses richesses, il faut en contre-partie restreindre son train de vie. Pour un homme, cela est relativement aisé, pour une nation c’est une autre affaire. La France et l’Angleterre en ont fait l’expérience. Elles ont vécu au-dessus de leurs moyens à cause des charges assumées au-dehors. Leur monnaie en a pâti dans les proportions que l’on sait.

 

Le Laos

A l’autre bout du monde, l’affaire du Laos devient inquiétante. Les Alliés sont une fois de plus divisés ; la France et l’Angleterre, cette fois-ci d’accord, entendaient maintenir au pouvoir le prince Souvannna Phouma à la tête d’un gouvernement neutre, à l’image du Cambodge. Les Américains et les Thaïlandais ont pensé que c’était livrer le pays aux communistes à plus ou moins long terme et qu’il fallait agir d’autant plus vite que les Soviets avaient établi un pont aérien sur Vien-Tian pour ravitailler en carburant et en armes les partisans du Patet Laos et leurs associés. Le général Phoumi l’a emporté après une sanglante bataille. Mais il est peu probable que ses adversaires se tiennent pour battus. La lutte n’est pas finie et l’issue incertaine. Allons-nous vers une nouvelle guerre de Corée ? Il semblerait.

 

Le Problème Agricole et le Marché Commun

Le problème agricole, pierre d’achoppement du Marché Commun, est en ce moment au centre du débat de la réunion des Six et l’on ne sait pas encore si l’accélération du Traité de Rome prévue pour le 1er janvier, pourra être mise en train. Un rapport du Secrétaire d’Etat de la République fédérale, Sonnemann a attiré notre attention : la récolte allemande de céréales cette année a été tellement abondante que le marché intérieur peut à peine l’absorber, ce qui rend difficile l’observation des contrats que l’Allemagne a passés avec les pays étrangers. Et il ajoute : cela ne changera plus à l’avenir, même si les récoltes sont moyennes. Pour des raisons politiques et commerciales, la République fédérale est obligée d’importer presque 700.000 tonnes de blé tendre dont elle n’a aucunement besoin. Ces quantités doivent être réexportées sous forme de farine. Celle-ci est utilisée par certains pays voisins pour la confection de produits finis qui sont placés sur le marché allemand à des prix inférieurs aux prix allemands. « Curieux circuit » ajoute le Ministre.

En effet. Si nous avons cité ce texte, c’est qu’il met en lumière – et cela intéresse nos agriculteurs – un problème dont l’importance n’a pas besoin d’être soulignée. Voilà un pays exigu, surpeuplé, au sol très inégalement fertile, qui arrive à se suffire, même en céréales. Le progrès technique peut accroître les rendements à tel point que les marchés seront de plus en plus saturés, ce qui est particulièrement sérieux pour la France dont les possibilités d’accroissement de la production agricole sont encore considérables. La demande intérieure est peu élastique, les débouchés extérieurs seront de plus en plus difficiles. On comprend qu’un marché agricole commun ne pourrait aboutir qu’à une concurrence de nature à effondrer les prix. Il semble que les planificateurs n’avaient pas vu venir un phénomène comme celui que nous venons de relater. L’édifice du Marché Commun y résistera-t-il ? Souhaitons-le.

 

                                                                                                       CRITON

Criton – 1960-12-17 – Du bon Usage de la Démocratie

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Le Courrier d’Aix – 1960-12-17 – La Vie Internationale.

 

Du Bon Usage de la Démocratie

 

Le pire n’arrive pas toujours, et dans ces péripéties nombreuses qu’a traversées la vie internationale ces derniers temps, il a été évité. C’est ce que souhaitent avec discrétion et objectivité la plupart des organes étrangers qui s’émeuvent du drame algérien. Dans ces circonstances douloureuses, il convient de reconnaître que rien n’a été dit pour accabler le Pouvoir. Que nos ennemis exultent, cela va de soi. Mais si dans des questions mineures, l’unification européenne, la force de frappe, la division économique des deux groupes européens, les critiques ne nous ont pas été épargnées, dans l’affliction qui accable aujourd’hui toute la nation, on sent que nos amis étrangers la partagent et s’efforcent de nous communiquer leurs raisons d’espérer.

 

La Politique Française jugée de l’Extérieur

On peut cependant noter que les commentateurs les plus avertis comprennent mal la politique suivie par le Général de Gaulle. L’évolution vers la proclamation d’une république algérienne n’avait de sens que si, au préalable, elle avait été acceptée par le F.L.N. et qu’une trêve avait été établie, sinon, cette politique ne pouvait aboutir qu’à exaspérer les Français d’Algérie et à provoquer le choc entre les deux communautés, ce que l’on voulait précisément éviter et ce qui s’est produit. Faute de cet accord préalable, et tous pourparlers devenant chaque jour plus improbables, il eut été sage de s’en tenir au plan de Constantine et à la réorganisation administrative, laissant les problèmes politiques en suspens parce qu’ils ne peuvent être résolus unilatéralement. Il est difficile de ne pas partager cette opinion, surtout après ce qui s’est passé à Alger.

 

De l’Usage de la Démocratie

Sur le plan idéologique, on fait aussi remarquer combien il est illusoire de chercher dans des conflits de cet ordre à faire trancher les questions par les voies démocratiques. Les choses se passent au milieu des passions et dégénèrent fatalement en épreuve de force. On ne peut sans équivoque demander aux mases de se prononcer sur des questions qu’elles ne peuvent comprendre, sur les solutions dont elles ne peuvent mesurer les conséquences que les hommes d’Etat eux-mêmes sont incapables de mesurer comme la preuve vient d’en être faite. C’est là un mauvais usage de la démocratie, au sens où nous l’entendons en Occident.

 

L’Épreuve de l’O.N.U. au Congo

Les Nations-Unies continuent à subir l’épreuve du Congo. Là non plus, les notions du droit et de la raison, et l’impartialité du jugement et de l’action, n’arrivent pas à s’imposer.

Tandis que l’anarchie règne sur place, l’O.N.U. demeure le champ clos des luttes partisanes où s’affrontent les deux Blocs. La situation, si sérieuse qu’elle soit, n’est pas désespérée grâce à l’activité des Africains d’expression française qui sont restés dans l’orbite occidentale, grâce aussi aux violences du groupe lumumbiste qui s’est retranché à Stanleyville.   Hammarskoeld a eu raison de dire que si peu efficace qu’ait été l’action de l’O.N.U. au Congo, elle a jusqu’ici permis d’éviter que les puissances rivales n’interviennent directement.

A noter que le groupe neutraliste s’est divisé : tandis que Tito, Nasser et Soekarno faisaient cause commune avec les panafricains partisans de Lumumba, Nkrumah, Sékou Touré et Modibo Keita, le président Nehru, lui, n’a pas retiré ses troupes du Congo et soutient la position du Secrétaire Général de l’O.N.U. Le fait est d’importance, car l’autorité morale de Nehru est grande sur les pays afro-asiatiques, et sa défection aurait certainement provoqué une rupture d’équilibre au sein des Nations-Unies. Elles auraient dû renoncer.

Si long que soit le chemin vers la stabilité au Congo, il n’est pas irrémédiablement coupé. Pour aboutir, il faudrait que le Colonel Mobutu ne fasse pas d’obstruction à l’action des Nations-Unies. Peut-être la Conférence de Brazzaville qui va réunir Kasavubu, Fulbert Youlou, Tsiranana, Mamadou Dia et quelques autres, trouvera-t-elle la force de poursuivre sa mission de pacification.

On a beau critiquer l’organisation internationale, ses hésitations et ses défaillances, elle est un rempart contre l’extension de la guerre froide en Afrique. L’hostilité et le travail de sape de l’U.R.S.S. et de ses acolytes, montre assez qu’elle les gêne pour étendre leur domination à l’Afrique. Il se pourrait bien qu’un jour on soit assez satisfait de faire appel à l’O.N.U. en Algérie, en désespoir de cause. Tout dépend de l’issue encore incertaine de l’affaire congolaise.

 

Les Tribulations du Laos

Nous n’avons pas parlé, à dessein jusqu’ici, de l’affaire du Laos, plus confuse encore que celle du Congo et sur laquelle il est encore impossible de voir clair. L’O.N.U. a été tenue à l’écart, ce qui a permis aux Russes d’intervenir. Les Américains ont mis en état d’alerte leurs « Marines » et il n’en faudrait pas beaucoup pour que le Laos ne devienne une autre Corée. Ce qui est remarquable c’est, jusqu’ici du moins, le rôle effacé de la Chine de Pékin dans l’affaire. Le Patet Laos qui passe pour son instrument, n’a pas encore cherché sérieusement à s’imposer par la force.

Nous pensons qu’il y a à cela une raison : le Laos est en contact direct avec le Nord-Vietnam et c’est d’Ho Chi Min que dépend la politique des communistes laotiens. Ho Chi Min ne paraît pas pressé de voir les Chinois s’infiltrer au Laos et aime mieux que ce soient les Russes qui s’en chargent. Il se peut même qu’il préfère un Laos neutralisé que dominé par Pékin. Les Chinois ont fait du Tonkin une colonie qu’ils exploitent avec une dureté inimaginable. La population opprimée et misérable qui travaille pour ses nouveaux maîtres subit le régime et par moments des révoltes inutiles éclatent de ci, de là. Ho Chi Min a tout intérêt à avoir à sa frontière sud-occidentale, une fenêtre ouverte sur le Monde libre. C’est pour le Laos une chance, peut-être faible, de conserver son indépendance ; les tribulations de sa fragile existence sont loin d’être terminées.

 

La Formation du Ministère Kennedy

Kennedy avant même que d’être en poste a des difficultés pour former son futur ministère. Des rivalités de personnes, des dosages de portefeuilles entre clans du même Parti de régions différentes, s’imposent comme dans toute démocratie. Les affaires étrangères vont finalement à un outsider : Dean Rusk. Les deux favoris, Stevenson et Chester Bowles, n’ayant pas voulu servir réciproquement sous les ordres de l’autre. On les a donc séparés, Stevenson va à l’O.N.U. représenter les U.S.A. et Bowles sera l’adjoint de Rusk. Ce dernier s’est surtout occupé de l’Extrême-Orient, peu de l’Europe ; il passe pour « Achesonien ». Il a en effet été le collaborateur d’Acheson. A première vue, la politique de la nouvelle équipe serait réaliste et flexible, en opposition avec celle de feu Dulles, et plus démocratique et libérale qu’exclusivement anti-communiste.

Dans l’ordre intérieur, on s’accorde à penser que Kennedy, président ne mettra pas en pratique les slogans de Kennedy candidat et qu’il sera contraint à une politique conservatrice ; toute imprudence budgétaire, comme le déficit provoqué par des travaux publics à grande échelle est exclu dans l’état actuel de la balance des comptes et de la crise du Dollar. La politique du nouveau Président sera conservatrice par la force des choses. Il ne peut provoquer des aventures que l’opinion n’accepterait pas. Ces bonnes vieilles démocraties, pourries de défauts si criants, ont quand même leurs avantages.

 

                                                                                            CRITON

 

 

Criton – 1960-12-10 – Le Spirituel et le Temporel

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Le Courrier d’Aix – 1960-12-10 – La Vie Internationale.

 

Le Spirituel et le Temporel

 

Saluons d’abord un événement historique. La rencontre du Souverain Pontife et de l’Archevêque de Canterbury, primat de l’Eglise anglicane, dont on s’accorde à reconnaître qu’elle marque une date dans l’histoire de la Chrétienté. Ce contact tant attendu est le premier depuis la Réforme.

 

L’Audience du Vatican

Comme les illustres interlocuteurs l’ont laissé entendre, il ne s’agit pas de la recherche en commun d’un compromis d’ordre dogmatique, mais de l’affirmation de la solidarité du Monde chrétien en face de la menace grandissante de l’athéisme bolchévik, d’un rassemblement et d’une coopération fraternelle des spiritualités. Point n’est besoin d’exemple pour montrer que malgré de louables efforts, cette collaboration a souvent manqué, particulièrement dans les missions auprès des peuples de couleur. La rivalité des confessions ont nui au prestige de la doctrine chrétienne et comme l’a souligné le Dr Fisher, c’est à l’échelon inférieur, bien plus qu’au supérieur, que cette fraternité chrétienne a besoin de s’établir. L’élection d’un catholique à la Présidence des Etats-Unis, pour lequel beaucoup de protestants ont voté, montre que les antagonismes confessionnels se sont atténués dans le pays où ils étaient le plus aigu, malgré la tolérance de principe affectée par tous. Le Dr Fisher avait, avant de se rendre à Rome, rendu visite en Orient à plusieurs hauts dignitaires de l’Eglise orthodoxe qui ont paru de leur côté très favorables à ces manifestations de solidarité chrétienne.

 

L’Action Religieuse des Soviets

Les Soviets ne s’y sont pas trompés et ont dépêché leur patriarche Alexis, serviteur zélé comme au temps des tsars de l’impérialisme Russe, auprès des évêques de Syrie et d’Egypte qui, pour des raisons politiques évidentes, ne pouvaient le recevoir froidement. Au surplus, les Russes paraissent soucieux de ne pas garder à la tête de l’Église moscovite, des hommes trop marqués par leur obédience au pouvoir. Le patriarche Nicolas de Moscou, persécuteur des catholiques Uniates, vient d’être mis à la retraite. Pour remplir un rôle diplomatique utile, Krouchtchev entend ne se servir que de Prélats conservant un semblant d’indépendance. C’est le cas du patriarche Alexis qui jouit de certaines sympathies au Moyen-Orient où il s’est entremis à plusieurs reprises pour soutenir ses coreligionnaires en face du Monde musulman.

 

L’Union Chrétienne et le Conseil Œcuménique

L’heure est venue pour les Chrétiens d’Occident de s’unir, et la préparation du Conseil œcuménique comporte de nombreuses prises de contact entre les autorités des diverses confessions. Si cette grande réunion a été décidée, c’est qu’on était sûr que des décisions d’une portée universelle y seraient consacrées. L’entrevue d’hier en marque une étape.

 

Les Échecs Soviétiques dans la Conquête de l’Espace

Dans les domaines scientifiques et idéologiques, les affaires de Moscou ne vont pas bien ; c’est une coïncidence curieuse, mais qui n’est pas rare dans l’histoire, qu’une crise dans la vie d’un mouvement ou d’un homme se manifeste par des déconvenues successives ou simultanées, de nature diverse. Un malheur, dit-on, n’arrive jamais seul. Le troisième vaisseau de l’espace russe a brûlé dans l’atmosphère après avoir été placé sur une orbite différente sans doute, des calculs prévus. Mais on sait maintenant que cet échec avait été précédé d’un autre bien plus grave : le jour de l’ouverture de la session de l’O.N.U., alors que Krouchtchev pensait annoncer un coup d’éclat, une terrible explosion détruisit au sol les installations et la fusée qui devait emporter un homme ; deux autres tentatives, l’une en Sibérie, et l’autre dans le grand Nord, commandées aussitôt après cet échec ont à leur tour échoué, faute de préparation suffisante : huit savants allemands et plusieurs soviétiques, dont deux spécialistes militaires, ont été arrêtés et peut-être exécutés pour sabotage.

 

Le Conclave Communiste

Enfin, le grand Conclave des 81 partis communistes s’est terminé à Moscou. Il a duré trois semaines et l’on sait peu de choses de ce qui s’y est dit, sinon que les débats ont été animés et les controverses très âpres. Naturellement, tout cela est dissimulé dans le communiqué final. Il ne faut à aucun prix que les dissensions du Parti soient connues du monde. Il est cependant facile en écoutant les radios des divers mouvements de reconstituer les thèmes opposés.

Comme nous l’avons répété ici depuis le début de la querelle, l’aspect idéologique n’est que le masque d’un conflit beaucoup plus simple : les Chinois et leurs alliés, savoir : l’Albanie et dans une certaine mesure la D.D.R. d’Ulbricht en Europe ; la Corée du Nord et les partisans Vietnamiens du Sud en Asie, et surtout la plupart des partis communistes d’Amérique Latine, voudraient que l’U.R.S.S. passe à l’action militaire pour accélérer la révolution universelle. Les Chinois et leurs alliés n’ont rien à perdre dans l’aventure. Les Russes, au contraire, savent fort bien, ou qu’ils seraient écrasés ou que, même s’ils survivaient, ils seraient assez affaiblis pour que l’Empire éclate et que les Chinois en recueillent l’héritage.

Finalement le thème de a coexistence pacifique l’a emporté à Moscou parce que Krouchtchev l’a imposé. Mais il a suscité de vives colères et à plus ou moins longue échéance, la suprématie soviétique sur le Monde communiste, sera en question, surtout si Moscou ne peut empêcher la Chine de devenir puissance atomique. On dit même qu’en prévision de cet événement, les Soviets ont installé en Sibérie des bases de missiles dirigées contre la Chine.

 

Le Passage du Socialisme au Communisme

Dans la controverse, le thème le plus répété est celui-ci : il n’est pas possible d’accélérer les étapes et d’aller sans transition du socialisme au communisme. L’avènement du communisme suppose une économie développée et une production de biens de consommation surabondante pour satisfaire tous les besoins, ce qui implique une industrialisation très évoluée et très complète. Ce sont évidemment les Chinois qui sont visés là.

 

Le Maroc et Moscou

Sur le plan politico-diplomatique, par contre, Moscou pose ses pions. Après avoir félicité M. Moktar Ould Daddah pour l’accession de la Mauritanie à l’indépendance « délivrée du joug colonialiste » et souhaitant que cette « indépendance devienne de plus en plus complète à l’avenir », Krouchtchev, le lendemain, mettait son veto à l’entrée de la Mauritanie à l’O.N.U., donnant ainsi à Rabat un précieux appui. Cette contradiction n’a rien pour surprendre, Krouchtchev a une conception de l’indépendance des peuples dont les Soviets ont donné assez d’exemples, des pays baltes et de la Hongrie, au Turkestan. Quand la Mauritanie sera « autonome » au sein de l’empire chérifien, son indépendance sera vraiment complète à la manière russe. On ne saurait en plaisanter.

Le Monde africain tout entier est menacé d’ébranlements graves. Les responsabilités sont multiples. Il serait cruel de les énumérer. Mais si le Maroc, après la Guinée et le Mali, passait réellement dans l’autre camp, la solution du problème algérien n’en serait pas facilitée.

 

                                                                                                       CRITON

Criton – 1960-12-03 – Pronostics Hasardeux

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Le Courrier d’Aix – 1960-12-03 – La Vie Internationale.

 

Pronostics Hasardeux

 

La semaine comporte nombre d’événements intéressants et d’abord au Congo Belge.

 

Au Congo Belge

Après tant d’incidents et de vicissitudes, la raison semble l’avoir emporté. Sans doute la prudence s’impose et le camp communiste et panafricain n’a pas désarmé, mais il devient moins probable que ce soit Krouchtchev qui rira le dernier. En effet, le président Kasavubu a été reconnu à l’O.N.U. comme le représentant de son pays et il est retourné à Léopoldville accueilli en triomphateur. Il a de plus rencontré à Brazzaville, chez son cousin Fulbert Youlou, le président Tshombe du Katanga et Kalonji. Une table ronde des divers chefs congolais s’ouvrira bientôt à Léopoldville et si de nouvelles discordes ne surgissent, un Etat fédéral congolais pourrait s’établir.

C’est la formule de bon sens que nous avions prévue dès le début du conflit, mais il s’en est fallu de peu qu’elle échouât et il n’est pas assuré encore qu’elle triomphe : les rivalités de personnes et les antagonismes tribaux représentent assez d’obstacles pour que les adversaires de l’extérieur reviennent à la charge.

 

Les Rêves de Nkrumah

C’est ce que prépare déjà Nkrumah, le leader Ghanéen dont l’Ambassadeur à Léopoldville n’a pu échapper qu’à grand peine à la menace des soldats de Mobutu. Il entend venger cet affront. Il propose la formation d’une armée africaine qui serait, selon les cas, dépendante ou non de l’O.N.U. et qui ne comporterait que des soldats du clan Lumumbiste, savoir l’Egypte, le Maroc, la Guinée, le Mali et le Ghana auxquels on associerait d’autres africains non engagés comme l’Éthiopie et la Libéria, à l’exclusion des pays d’expression française. Inutile de dire que l’U.R.S.S. lui fournirait généreusement les armes.

La constitution de cette force n’est pas pour demain, mais déjà Nkrumah propose au Mali une fédération avec le Ghana que la Guinée avait repoussée. On peut craindre, pour un jour plus ou moins proche, une guerre en Afrique noire. La Guinée reçoit des équipements militaires de la Russie et des Satellites. L’avenir du continent est loin d’être assuré. Trop d’ambitions s’y agitent. Le meilleur espoir est qu’elles se neutralisent.

 

La Crise Tuniso-Marocaine

C’est ce que nous voyons au Maghreb. La crise a éclaté entre Tunisie et Maroc, au sujet de la Mauritanie. Rabat a été pris de fureur en voyant Bourguiba donner son appui à Moktar Ould Daddah. Les prétentions marocaines déçues, le prince Moulay Hassan s’en est pris à la France. Nos bases aériennes ont été saisies, nos troupes expulsées et on a envoyé une mission à Moscou pour recevoir des Mig 15 offerts par l’U.R.S.S. avec le personnel et les techniciens, comme d’usage. L’armée marocaine équipée à grand frais par la France et les Etats-Unis, va recevoir des instructeurs soviétiques. Ce ne sont peut-être que des fantaisies de l’indépendance. Elles sont inquiétantes à cause de la violence et de l’émotivité de la race.

 

Bourguiba et l’Algérie

Ces incidences sont à rapprocher des déclarations de Bourguiba qui ont fait grand bruit au sujet de l’Algérie. La future République algérienne, encore dans les limbes, est déjà l’objet de compétitions. Bourguiba croit, ou feint de croire, à une intervention chinoise. Des bruits en effet circulent d’un envoi de « volontaires » chinois en Tunisie avec l’équipement lourd destiné à faire sauter la ligne Morice. Cela en conformité avec des promesses faites à Ferrat Abbas par les dirigeants de Pékin. On voit mal cependant comment ce matériel pourrait être mis en place. De la part de Bourguiba on ne sait s’il s’agit de craintes ou de chantage. Toutefois, il ne verrait pas de bon gré son pays transformé en place d’armes, où en fait Chinois et F.L.N. seraient militairement les maîtres. Nasser et Mohamed V aidant, Bourguiba pourrait être remplacé par son rival Salah ben Youssef qui attend son heure au Caire. Il a donc tout intérêt à un règlement du problème algérien selon les directives du Général de Gaulle. Mais est-il en mesure de faire pression sur le F.L.N. ?

 

La Solution du Problème Algérien

Au sujet du problème algérien, nous relevons un article assez intéressant d’Egisto Corradi dans le « Corriere de Milan », qui concorde d’assez près avec les opinions d’autres correspondants étrangers. On se souvient que le 16 septembre, le Général de Gaulle avait fait allusion à« des regroupements de population sur certaines parties du territoire » en cas de refus des Algériens de s’associer à la France.

Voici ce que croit savoir Corradi – auquel nous laissons toute la responsabilité de ses propos – :

L’autodétermination serait précédée (après le prochain référendum) d’une trêve unilatérale des troupes françaises, puis d’une nouvelle subdivision du territoire algérien, qui comprendrait vingt-deux provinces au lieu de douze actuellement. Grâce à ce découpage, on isolerait celles où la majorité est d’origine française et celles où cet élément est fortement représenté, de celles où les Musulmans dominent largement.

Dans le cas probable où la République algérienne, dans son ensemble, refuserait de s’associer à la France, on procèderait à la partition : les provinces d’Alger et sans doute d’Oran, qui auraient 200 kilomètres de large sur 80 de profondeur, seraient proclamées territoire français et n’y résideraient que les Musulmans qui voudraient devenir ou demeurer citoyens français à part entière. On procèderait en conséquence à un échange de populations, les Français des autres provinces venant remplacer dans ces deux réduits les populations musulmanes qui auraient choisi l’indépendance.

Ce ne sont là que conjectures ; elles semblent toutefois dans la ligne des intentions plus ou moins explicites que l’on peut tirer de l’exégèse des récents discours. Elle reflète également les prévisions des observateurs étrangers. On se souvient que la solution du partage (solution dite Palestinienne) avait été proposée dès 1956 par certains politiciens mendéssistes et qu’elle nous était apparue à l’époque comme étant dans la ligne vraisemblable de l’évolution du conflit. Nous sommes restés de cet avis depuis, sans nous dissimuler les difficultés immenses que suscite cette « solution », toute autre d’ailleurs en comporte autant. Après ce qui a été dit et fait, il se pourrait bien qu’il n’y en ait plus d’autre.

 

La Mission Anderson-Dillon en Europe

Les deux Ambassadeurs du président Eisenhower en mission en Europe, Anderson et Dillon, n’ont pas rencontré beaucoup d’empressement à Bonn, où ils étaient allés solliciter de la part du Gouvernement Adenauer, un concours actif au soutien du Dollar. En demandant une forte contribution allemande aux frais d’entretien des troupes américaines, ils ont heurté le sentiment allemand auquel cette proposition rappelait le statut d’occupation. A Paris et à Londres, il n’était pas question de requérir un soutien financier. Les Anglais dont la balance commerciale a enregistré le mois dernier le plus fort déficit, sont dans une situation encore plus difficile que les Etats-Unis. On reparlera de tout cela quand le président Kennedy sera en place. D’ici là, on laissera au public le temps de s’habituer aux mesures plus radicales que l’on prépare en laissant le marché de l’or flotter entre deux eaux.

Comme nous l’avons vu, on est en présence d’un faux problème, à savoir le maintien d’une parité fictive et intenable. Les préjugés en ce domaine sont si forts que la politique est obligée de gagner du temps. Ah, comme disait hier M. Spaak, si c’était en U.R.S.S. ! Le Rouble ferait un petit mouvement d’accordéon, comme il vient justement de le faire et l’on parlerait d’une victoire du socialisme. Pourquoi après tout, n’en ferait-on pas autant.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1960-11-26 – Le Prestige et l’Intérêt

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Le Courrier d’Aix – 1960-11-26 – La Vie Internationale.

 

Le Prestige et l’Intérêt

 

Problèmes économiques et financiers, problèmes politiques se partagent la vedette : ce sont les premiers qui l’emportent aujourd’hui en importance.

 

La Crise du Dollar

Débarrassé des soucis électoraux, le président Eisenhower tient, avant de céder la barre, à faire preuve d’initiative. Il s’agit de protéger le Dollar et pour cela de réduire, dans la mesure possible, les dépenses américaines à l’étranger. L’offensive pour les économies s’engage sur deux voies. D’abord les frais de stationnement des troupes américaines en Europe : on rapatriera la moitié des familles des militaires 285.000, et les remplaçants de ceux qui retournent aux Etats-Unis iront seuls en Europe. Economie d’un milliard de dollars, à la longue bien entendu. La mesure est nécessaire ; elle ne va pas sans inconvénient, et les critiques aux Etats-Unis même se multiplient. Les familles n’étaient-elles pas le soutien moral des soldats ; n’étaient-elles pas aussi le gage de leur permanence et la meilleure propagande pour la compréhension et l’amitié entre les peuples alliés ?

 

Les Entretiens Germano-Américains

Ce qui est plus sérieux, c’est la mission de MM. Henderson et Dillon à Bonn. Une fois de plus, on veut faire payer l’Allemagne. Celle-ci devra augmenter sa contribution aux frais de stationnement des troupes américaines, 22% au lieu de 14%, et l’aide aux pays sous-développés devra soulager la part américaine. Les négociations ne seront pas faciles : Bonn ne veut pas de discrimination. Si sa part d’entretien des troupes américaines est augmentée, celle des autres Alliés devra l’être aussi. Paris et Londres n’y sont guère disposés. Quant aux pays sous-développés, l’Allemagne fédérale entend effectivement leur consacrer quelques 750 millions de dollars par an, mais si cette aide peut être désintéressée, c’est-à-dire si les bénéficiaires ne sont pas tenus d’acheter pour cette somme des marchandises allemandes, il faut qu’il en soit de même pour la contribution des autres pays. Mais les U.S.A. eux, voudraient lier leur aide à l’achat de produits américains, comme font déjà Anglais et Français.

En vérité, il est douteux que les mesures prises par le Président Eisenhower modifient radicalement la balance des comptes des Etats-Unis. Elles peuvent tout au plus réduire le déficit d’un quart. Le véritable trou, ce sont les investissements des industriels américains à l’étranger, 3 milliards 900 millions de dollars cette année. Ceux-ci ne pouvant exporter de chez eux parce que la main-d’œuvre est trop chère, s’installent où elle l’est moins. Pour briser ce courant, il faudrait contrôler les exportations de capitaux, ce qui reviendrait à supprimer la convertibilité du Dollar. Le remède serait pire que le mal. Quant à exporter davantage des U.S.A., cela ne semble pas possible, à moins que le Gouvernement n’accorde à ses industriels des subventions comme le font les Européens. Or, c’est précisément cette pratique que les Etats-Unis ont toujours condamnée.

Le problème est donc d’une solution difficile, et pourtant il est pressant. Il faudra bien en venir à la mesure que l’on veut éviter, le relèvement du prix de l’or. Malheureusement, les Américains ont fait de cette question une affaire de prestige national, ce qui est absurde, comme toutes les prétentions de ce genre. Le relèvement du prix de l’or ne dévaluerait pas le Dollar en fait, puisqu’il n’aurait aucun effet sensible sur son pouvoir d’achat. Bien entendu, cette mesure si recommandable qu’elle soit pour de multiples raisons, ne constitue pas par elle-même une solution à la crise du Dollar. Elle donnerait toutefois une marge d’attente assez large pour que les courants d’échanges internationaux puissent s’équilibrer. Il est inévitable qu’on y vienne.

 

Le Conclave de Moscou

Un grand mystère plane sur le conclave de Moscou où depuis dix jours, les chefs de tous les Etats Communistes discutent de leurs divergences. Il est vraisemblable qu’elles sont sérieuses puisqu’on attend toujours la conclusion.

Le problème algérien, c’est-à-dire l’aide à fournir à la rébellion, est compris dans les discussions. Pékin qui a fait à Ferhat Abbas un accueil de chef d’Etat, voudrait transformer le conflit en une guerre d’Espagne, qui, comme cette dernière, servirait de banc d’épreuve pour des conflits plus étendus. Les Russes qui se sont montrés réservés lors du passage à Moscou des chefs du G.P.R.A., se contenteraient d’une aide morale, et d’un appui à l’O.N.U. aux thèses F.L.N. ; autrement dit, de laisser la plaie ouverte sans provoquer une extension des combats.

Il n’est guère de problème sur lesquels Russes et Chinois soient d’accord au point qu’on est toujours à la recherche d’une formule qui sauverait l’unité du camp dit socialiste. Les communistes sont pourtant passés maîtres dans l’art des phrases à tout faire.

 

Le Niveau de Vie en Tchécoslovaquie

La Tchécoslovaquie fait beaucoup de propagande, car c’est le seul des Satellites qui peut se donner en exemple d’un pays déjà industrialisé qui soit passé au collectivisme et ait augmenté sa production à l’égal des pays capitalistes. Cependant, nous lisons dans la revue « Plan » :

« Les Chiffres des statistiques concernant l’emploi des biens de consommation ne peuvent donner une idée exacte du niveau de vie des habitants. »

L’article ne dit pas si les statistiques sont fausses, bien entendu, mais il avoue :

« L’économie de temps réalisée en abrégeant la journée de travail (il est toujours question, comme en U.R.S.S. de ramener la semaine à 42 et même à 40 heures) n’est aucunement proportionnée en temps perdu par suite de la lenteur des transports, des queues qui stationnent devant les magasins, ou en courant les ateliers à la recherche d’un ouvrier qui viendrait réparer la lumière ou autre, ou en accomplissant ces travaux soi-même. »

Si le médecin, l’architecte, le cordonnier, n’ont pas de plombier, de menuisier, ou de peintre pour entretenir leur appartement, ils en sont réduits à faire ces travaux eux-mêmes, au lieu de consacrer leur temps à l’exercice de leur profession. Voilà bien l’aveu majeur qui condamne plus que tout autre, le régime collectiviste. En annihilant l’artisanat, il a rompu l’harmonie de la vie sociale, accablant ses membres de servitudes inutiles. De Weimar à Vladivostok, la même plainte s’élève. L’homme est esclave de la technique au lieu d’être libéré par elle.

Voilà un témoignage qui vaut d’être médité.

 

Les Divergences au Sein de l’O.T.A.N. et de l’Europe

Le dernier discours du chancelier Adenauer a été désagréable à Paris car il contient l’aveu des divergences franco-allemandes sur l’O.T.A.N. qu’on avait essayé de masquer après l’entrevue de Rambouillet. L’Europe des Patries ne correspond pas aux vues de Bonn et à la réunion des Parlementaires de l’O.T.A.N. qui se tient en ce moment à Paris, l’unanimité est faite contre la force de frappe nationale et tout ce qui peut soustraire une partie des moyens de défense de l’Europe, déjà fort insuffisants, à une intégration complète, seule garant de leur efficacité. Le général Norstad a de nouveau préconisé une Alliance Atlantique disposant en commun d’engins atomiques sous un contrôle collectif.

Pour ce qui est de l’intégration économique, les mêmes divergences sont de plus en plus sensibles entre la France et ses partenaires. MacMillan est à Rome, après avoir été à Bonn. Dans les deux capitales, on souhaite d’en finir avec la division entre Marché Commun et zone de libre-échange, les Anglais cherchent à tourner la position intransigeante de la France pour arriver à une pression irrésistible. Il ne semble pas que jusqu’ici les positions aient varié. « Perseverare diabolicum », dit le proverbe.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1960-11-19 – Les Deux K.

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Le Courrier d’Aix – 1960-11-19 – La Vie Internationale.

 

Les Deux K.

 

L’Élection de Kennedy

L’élection de Kennedy à la présidence des Etats-Unis s’est bien passée. Il n’y a pas eu ce raz de marée démocrate et les bouleversements qui s’en pouvaient suivre ; au contraire, l’écart des voix entre les deux candidats a été si minime qu’on se demandait lequel avait la majorité, et les Républicains ont regagné quelque terrain dans les élections parlementaires. Ce résultat a son importance, car le nouveau Président doit tenir compte de ce partage presque égal des voix et faire en conséquence une politique qui unisse les courants d’opinion.

C’est d’ailleurs ce qu’il a commencé de faire en conservant aux postes importants de la sécurité nationale Allen Dulles et Herbert Hoover, tous deux Républicains. Il semble vouloir que soient satisfaits ceux qui désiraient que cela change et ceux qui le craignaient. Le monde des affaires dont on redoutait la panique, a fait bon accueil à Kennedy. L’opinion internationale s’est montrée rassurée et même très favorable. Le nouveau Président sait qu’il a devant lui une très lourde tâche et tient à s’assurer de tous les concours, même celui de Nixon son adversaire d’hier.

 

Les Deux « K ».

Sur le plan international, on a beaucoup commenté les félicitations de Krouchtchev et la réponse aimable du nouvel élu. On parle déjà d’une entente entre les deux « K » et l’on souligne le contraste entre le silence des Chinois, pour qui Nixon et Kennedy sont tout un, et les commentaires russes qui rappellent les jours où feu F. Roosevelt signait les accords de Yalta. L’optimisme, comme on le voit, est incorrigible et c’est en un sens, tant mieux. Car l’atmosphère de tension est plus déprimante pour le Monde libre que pour l’autre où l’opinion est sans influence, et pour que les affaires se développent, il faut une certaine confiance en l’avenir.

Il est cependant probable que ce commencement d’idylle se heurtera bien vite aux différends fondamentaux, et que la détente proposée par Krouchtchev est purement tactique. Il lui sera facile de dire quand les heurts se reproduiront, que sa bonne volonté a été trompée et que les « impérialistes » ne changent pas. Il ne s’agit, en vérité, que d’une trêve apparente, plus verbale que réelle et qui peut durer jusqu’au printemps quand on passera aux affaires sérieuses, comme celle de Berlin. De plus, en faisant preuve de bonnes dispositions, les Russes poussent leur adversaire à infléchir un peu les positions antérieures. Chester Bowles dont on parlait comme futur Secrétaire d’Etat a déjà parlé de reconnaître le Gouvernement de Pékin, si celui-ci consentait à admettre l’existence des deux Chines ou tout au moins un Etat indépendant et souverain à Formose. Il est probable qu’il ne s’est pas exprimé sur un sujet aussi controversé sans autorisation de son chef éventuel.

La politique future des Etats-Unis sera donc flexible, par contraste avec celle de feu Foster Dulles. Reste à savoir si cette flexibilité permettra aux U.S.A. de reprendre l’initiative que l’U.R.S.S. ne leur a jamais laissée longtemps.

 

Les Zones d’Instabilité

Ce qui caractérise l’aspect présent du monde, c’est l’extension des zones d’instabilité : la plus grande partie de l’Afrique, l’Asie du Sud-Est, l’Amérique latine presque tout entière. Le Moyen-Orient par contre, zone particulièrement instable par nature, s’est un peu assagi, sauf en Turquie qui traditionnellement était le moins agité.

En Amérique latine, le mouvement de Fidel Castro a fortement secoué les masses et son pouvoir contagieux s’exerce aussi bien sur les dernières dictatures, comme au Nicaragua, que sur les régimes démocratiques comme celui de Costa-Rica, ou de Betancourt au Vénézuéla, et cela tandis qu’à Cuba même, le régime de Castro se débat au milieu de difficultés économiques croissantes et voit se dresser une opposition à la fois des milieux religieux et de beaucoup de révolutionnaires déçus par l’évolution du castrisme vers le communisme. Le mouvement populaire au départ est devenu une dictature de type collectiviste aussi dure et aussi injuste que celle de Batista et plus ruineuse : le chômage s’est aggravé et le niveau de vie déjà très bas, s’est encore affaissé.

Pour les Soviets et leurs collègues Chinois, le problème cubain est difficile. Le pays ne pouvait vivre, même mal, que par les subsides américains. Il en est de même d’ailleurs des îles voisines surpeuplées et de médiocre qualité humaine sur le plan économique, Cuba comme Porto-Rico coûtait très cher aux U.S.A. Les communistes pourront-ils combler le vide ? Il n’y paraît guère.

De même, le Vénézuéla, sous la dictature Jiménez, était prospère malgré de graves inégalités sociales ; la monnaie était une des plus fortes du monde, grâce à l’entente du pouvoir avec les grandes compagnies pétrolières américaines et anglo-néerlandaises. Aujourd’hui, le président Betancourt est obligé d’instituer le contrôle des changes et se heurte à de perpétuels complots des forces extrémistes. Le pays risque de subir le sort de la Bolivie, ou de verser dans le collectivisme castriste, ce qui achèverait de le ruiner. Le Chili et même le Brésil sont plus ou moins guettés par des disgrâces analogues. Secouer la dépendance à l’égard du Monde capitaliste est chose aisée ; y substituer un ordre nouveau est une autre affaire. Cela n’est possible que si les masses qui attendent de la révolution une amélioration de leur sort, se soumettent pour un temps plus ou moins long à une discipline d’austérité qui est précisément le contraire de ce qu’ils en espéraient.

D’où le résultat : ou bien l’anarchie avec ses troubles perpétuels, ou bien une nouvelle dictature aussi dure que l’ancienne, sinon davantage. Le conflit entre des aspirations légitimes et la réalité est à l’origine de l’instabilité de toute une partie du monde qui s’éveille à l’indépendance. Rares sont les chefs qui l’ont compris et qui réussissent à le faire comprendre : l’indépendance implique des sacrifices et non des jouissances immédiates. Comment faire pénétrer cette évidence dans des masses passionnées et incultes ?

 

Le Problème Algérien

Autre paradoxe de la situation présente. Le problème français, plus que jamais lié au problème algérien, soulève beaucoup plus d’inquiétudes à l’étranger que chez nous, en apparence du moins. On ne croit plus à l’extérieur à une solution et l’on lit couramment ce mot : le Pouvoir actuel en France ne peut rien dans l’affaire, alors que récemment encore on croyait qu’il pouvait tout. Le débat qui va s’ouvrir le 5 décembre à l’O.N.U. sur l’affaire algérienne, montrera-t-il quelque issue ? C’est bien douteux : l’exemple de l’affaire congolaise n’est pas précisément encourageant et cependant, quelque répugnance que l’on éprouve à cet égard, il semble bien que seul un arbitrage impartial et clairvoyant pourrait mettre un terme à un conflit dont tout le monde souhaite la fin, mais qu’aucun des adversaires n’est en mesure de régler. Ce serait vraiment l’occasion de s’en remettre à quelque sage qui obtienne une trêve des passions et à qui on s’en remettrait de guerre lasse. Mais ce n’est pas à l’O.N.U. qu’il se trouve.

 

                                                                                  CRITON

Criton – 1960-11-12 – Une Phase Nouvelle

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Le Courrier d’Aix – 1960-11-12 – La Vie Internationale.

 

Une Phase Nouvelle

 

Comme on s’y attendait, le Sénateur Kennedy devient président des Etats-Unis. Le prestige d’Eisenhower n’a pas suffi à donner l’avantage au candidat républicain. Ce sont donc les Démocrates qui auront toute la responsabilité du pouvoir, les deux Assemblées leur appartenant. L’autorité du Parti s’exercera sans contre-poids.

 

Une Nouvelle Génération au Pouvoir

C’est avec le jeune Sénateur, une nouvelle génération qui prend la direction du Monde libre, c’est dire que toutes sortes de liens qui s’étaient établis et maintenus entre les hommes politiques d’Amérique et d’Europe, entre des personnalités qui avaient mené le même combat, Eisenhower, MacMillan, De Gaulle, Adenauer, se trouveront défaits, que des relations nouvelles devront s’établir avec tout ce que cela comporte d’inconnues. Il n’y aura plus entre les grands pays de la Communauté Atlantique, de ces rapports sentimentaux qui, par-delà les conflits d’intérêts, empêchaient que les choses ne se gâtent tout-à-fait.

Cela est surtout vrai pour l’Angleterre. On se demande à Londres, avec un Président catholique d’origine irlandaise dont le père, ancien ambassadeur à Londres, était un isolationniste impénitent et, dit-on même pro-nazi, comment pourra subsister cette relation privilégiée des pays de langue anglaise. En France, malgré les sympathies qu’inspirait le président Eisenhower, on n’avait guère eu à se louer des initiatives américaines ; le changement n’inspire pas les mêmes appréhensions, malgré certains propos tenus à notre sujet par le sénateur Kennedy.

 

Les Causes de l’Echec Républicain

Ce qui est certain, c’est que le prestige des Etats-Unis avait subi de rudes atteintes. Le public américain l’avait ressenti, surtout depuis que le communisme s’est installé à Cuba, sous l’égide de Fidel Castro ; ce fut sans doute là le coup de grâce porté au Parti Républicain. Auparavant, les échecs dans la course à la conquête de l’espace, les réussites des Russes dans ce domaine, la stagnation actuelle de l’économie avaient porté l’opinion à souhaiter un changement. C’est chose faite.

 

La Nouvelle Politique des U.S.A.

Il n’est pas douteux que pour remplir ses promesses, le président Kennedy mènera une action vigoureuse pour relancer la prospérité, et en politique étrangère, pour donner aux Etats-Unis une direction dynamique sans se soucier de ménager les susceptibilités des Alliés, ni de composer devant les menaces des adversaires. Dans l’ordre social Kennedy accentuera l’intervention de l’Etat dans la vie des citoyens, conformément au désir des masses.

La plus originale des propositions qu’il a faites au cours de sa campagne électorale, peut-être la seule, est de remplacer en partie le service militaire par un service civil de trois ans au cours duquel les jeunes iraient dans les pays sous-développés apporter leur concours matériel et technique, cela pour compenser l’envoi massif de délégués russes dans ces régions. L’idée fera son chemin. On voit ce que cela signifie pour les pays ex-coloniaux nouvellement promus à l’indépendance : Russes et Américains en nombre viendront y prendre la place laissée vide. Il ne faudra pas longtemps pour que le souvenir des anciens colonisateurs et leurs intérêts économiques soient effacés par cette concurrence. Déjà d’ailleurs, outre les accords commerciaux et d’assistance technique récemment conclus, les Américains envoient en Guinée et au Mali, des maîtres de langue anglaise.

 

La Question Congolaise

La bataille pour le Congo continue. « Rira bien qui rira le dernier » vient de dire Krouchtchev, en avouant ainsi son échec. M. H., pour rétablir sa propre situation et se disculper de favoriser le retour des « colonialistes » a fait le jeu du nationalisme panafricain de Sékou Touré, de Nkrumah et de Nasser, aidé en cela de son adjoint hindou Dayal, en qui il voit un dangereux concurrent. Les Belges, las des humiliations subies s’apprêtent à contre-attaquer. Ils seront soutenus par les Etats-Unis qui ont critiqué le rapport envoyé par Dayal à New-York, au nom de la mission des Nations-Unies au Congo.

Lumumba attend son heure, appuyé par le Maire de Léopoldville Kamitatu qui tient la police de la ville. Le colonel Mobutu, lui, qui commande l’armée, fait garder la résidence de Lumumba. Quant à Kasavubu, Président de la République il se rend en personne à New-York pour défendre son pouvoir. Les jeux, comme on le voit, ne sont pas faits. En outre, à côté des durs africains, Ghana, Guinée, Maroc, et R.A.U. qui soutiennent Lumumba, les autres pays africains, en particulier ceux d’expression française, sont favorables à Kasavubu. Effectivement, on ne sait qui rira le dernier.

 

L’Action de l’O.N.U.

Ce qui est sûr, c’est que la mission de l’O.N.U. n’est pas un succès. Les uns s’en réjouiront, d’autres le regretteront. Sur la carte congolaise, les Nations-Unies risquent leur prestige et dans une certaine mesure l’avenir de l’institution. Jusqu’ici, on pouvait dire qu’elle avait au moins évité le pire, c’est-à-dire la guerre civile généralisée entre Tribus. Mais il lui fallait faire un choix entre les protagonistes qui se disputaient le pouvoir. Elle ne l’a pas fait parce que les divisions internes des afro-asiatiques, l’ambiance de guerre froide qu’il fallait précisément éliminer d’Afrique, ont paralysé l’action de M. Hammarskoeld. Il a cédé successivement aux pressions contraires et pour prouver son impartialité, a maintenu l’anarchie. Il est probable que loin de consolider sa position personnelle, il l’a ainsi compromise, quelle que soit l’issue du conflit. Les vaincus deviendront ses ennemis et les vainqueurs soutiendront qu’il les a empêchés de triompher mieux et plus vite. Pour le dire d’un mot, il s’est assis entre deux chaises.

Sur ce point encore, le changement complet d’administration qui va survenir aux Etats-Unis, risque de compromettre les chances de l’Occident. Comment Kennedy et Eisenhower, dans les semaines qui viennent, pourront-ils s’accorder sur la politique au Congo ? Tout dépend du choix que le nouveau président fera du futur chef du Département d’Etat. Deux candidats sont en vue : Stevenson et Bowles. Le premier qui a une forte expérience pourrait beaucoup. Mais le jeune Président voudra sans doute diriger lui-même la politique des Etats-Unis.

 

Le Discours du 4 Novembre

La place nous manque pour commenter, comme nous voulions le faire, les réactions internationales au dernier discours du Général de Gaulle sur l’Algérie. Ce qui nous frappe, c’est le contraste entre l’intérêt passionné que l’Etranger portait encore récemment aux paroles du Chef de l’Etat, et les commentaires désabusés et presque indifférents que l’on lit aujourd’hui. Dans l’esprit des observateurs, il semble que la cause est entendue, que le problème algérien ne se résoudra que sur le plan international et que la France, même en allant par étapes à de nouvelles et successives concessions, ou précisément à cause de cela, ne peut plus rien. De toute façon, pense-t-on, le dénouement est relativement proche : on devine lequel.

 

                                                                                  CRITON