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Le Courrier d’Aix – 1960-11-26 – La Vie Internationale.
Le Prestige et l’Intérêt
Problèmes économiques et financiers, problèmes politiques se partagent la vedette : ce sont les premiers qui l’emportent aujourd’hui en importance.
La Crise du Dollar
Débarrassé des soucis électoraux, le président Eisenhower tient, avant de céder la barre, à faire preuve d’initiative. Il s’agit de protéger le Dollar et pour cela de réduire, dans la mesure possible, les dépenses américaines à l’étranger. L’offensive pour les économies s’engage sur deux voies. D’abord les frais de stationnement des troupes américaines en Europe : on rapatriera la moitié des familles des militaires 285.000, et les remplaçants de ceux qui retournent aux Etats-Unis iront seuls en Europe. Economie d’un milliard de dollars, à la longue bien entendu. La mesure est nécessaire ; elle ne va pas sans inconvénient, et les critiques aux Etats-Unis même se multiplient. Les familles n’étaient-elles pas le soutien moral des soldats ; n’étaient-elles pas aussi le gage de leur permanence et la meilleure propagande pour la compréhension et l’amitié entre les peuples alliés ?
Les Entretiens Germano-Américains
Ce qui est plus sérieux, c’est la mission de MM. Henderson et Dillon à Bonn. Une fois de plus, on veut faire payer l’Allemagne. Celle-ci devra augmenter sa contribution aux frais de stationnement des troupes américaines, 22% au lieu de 14%, et l’aide aux pays sous-développés devra soulager la part américaine. Les négociations ne seront pas faciles : Bonn ne veut pas de discrimination. Si sa part d’entretien des troupes américaines est augmentée, celle des autres Alliés devra l’être aussi. Paris et Londres n’y sont guère disposés. Quant aux pays sous-développés, l’Allemagne fédérale entend effectivement leur consacrer quelques 750 millions de dollars par an, mais si cette aide peut être désintéressée, c’est-à-dire si les bénéficiaires ne sont pas tenus d’acheter pour cette somme des marchandises allemandes, il faut qu’il en soit de même pour la contribution des autres pays. Mais les U.S.A. eux, voudraient lier leur aide à l’achat de produits américains, comme font déjà Anglais et Français.
En vérité, il est douteux que les mesures prises par le Président Eisenhower modifient radicalement la balance des comptes des Etats-Unis. Elles peuvent tout au plus réduire le déficit d’un quart. Le véritable trou, ce sont les investissements des industriels américains à l’étranger, 3 milliards 900 millions de dollars cette année. Ceux-ci ne pouvant exporter de chez eux parce que la main-d’œuvre est trop chère, s’installent où elle l’est moins. Pour briser ce courant, il faudrait contrôler les exportations de capitaux, ce qui reviendrait à supprimer la convertibilité du Dollar. Le remède serait pire que le mal. Quant à exporter davantage des U.S.A., cela ne semble pas possible, à moins que le Gouvernement n’accorde à ses industriels des subventions comme le font les Européens. Or, c’est précisément cette pratique que les Etats-Unis ont toujours condamnée.
Le problème est donc d’une solution difficile, et pourtant il est pressant. Il faudra bien en venir à la mesure que l’on veut éviter, le relèvement du prix de l’or. Malheureusement, les Américains ont fait de cette question une affaire de prestige national, ce qui est absurde, comme toutes les prétentions de ce genre. Le relèvement du prix de l’or ne dévaluerait pas le Dollar en fait, puisqu’il n’aurait aucun effet sensible sur son pouvoir d’achat. Bien entendu, cette mesure si recommandable qu’elle soit pour de multiples raisons, ne constitue pas par elle-même une solution à la crise du Dollar. Elle donnerait toutefois une marge d’attente assez large pour que les courants d’échanges internationaux puissent s’équilibrer. Il est inévitable qu’on y vienne.
Le Conclave de Moscou
Un grand mystère plane sur le conclave de Moscou où depuis dix jours, les chefs de tous les Etats Communistes discutent de leurs divergences. Il est vraisemblable qu’elles sont sérieuses puisqu’on attend toujours la conclusion.
Le problème algérien, c’est-à-dire l’aide à fournir à la rébellion, est compris dans les discussions. Pékin qui a fait à Ferhat Abbas un accueil de chef d’Etat, voudrait transformer le conflit en une guerre d’Espagne, qui, comme cette dernière, servirait de banc d’épreuve pour des conflits plus étendus. Les Russes qui se sont montrés réservés lors du passage à Moscou des chefs du G.P.R.A., se contenteraient d’une aide morale, et d’un appui à l’O.N.U. aux thèses F.L.N. ; autrement dit, de laisser la plaie ouverte sans provoquer une extension des combats.
Il n’est guère de problème sur lesquels Russes et Chinois soient d’accord au point qu’on est toujours à la recherche d’une formule qui sauverait l’unité du camp dit socialiste. Les communistes sont pourtant passés maîtres dans l’art des phrases à tout faire.
Le Niveau de Vie en Tchécoslovaquie
La Tchécoslovaquie fait beaucoup de propagande, car c’est le seul des Satellites qui peut se donner en exemple d’un pays déjà industrialisé qui soit passé au collectivisme et ait augmenté sa production à l’égal des pays capitalistes. Cependant, nous lisons dans la revue « Plan » :
« Les Chiffres des statistiques concernant l’emploi des biens de consommation ne peuvent donner une idée exacte du niveau de vie des habitants. »
L’article ne dit pas si les statistiques sont fausses, bien entendu, mais il avoue :
« L’économie de temps réalisée en abrégeant la journée de travail (il est toujours question, comme en U.R.S.S. de ramener la semaine à 42 et même à 40 heures) n’est aucunement proportionnée en temps perdu par suite de la lenteur des transports, des queues qui stationnent devant les magasins, ou en courant les ateliers à la recherche d’un ouvrier qui viendrait réparer la lumière ou autre, ou en accomplissant ces travaux soi-même. »
Si le médecin, l’architecte, le cordonnier, n’ont pas de plombier, de menuisier, ou de peintre pour entretenir leur appartement, ils en sont réduits à faire ces travaux eux-mêmes, au lieu de consacrer leur temps à l’exercice de leur profession. Voilà bien l’aveu majeur qui condamne plus que tout autre, le régime collectiviste. En annihilant l’artisanat, il a rompu l’harmonie de la vie sociale, accablant ses membres de servitudes inutiles. De Weimar à Vladivostok, la même plainte s’élève. L’homme est esclave de la technique au lieu d’être libéré par elle.
Voilà un témoignage qui vaut d’être médité.
Les Divergences au Sein de l’O.T.A.N. et de l’Europe
Le dernier discours du chancelier Adenauer a été désagréable à Paris car il contient l’aveu des divergences franco-allemandes sur l’O.T.A.N. qu’on avait essayé de masquer après l’entrevue de Rambouillet. L’Europe des Patries ne correspond pas aux vues de Bonn et à la réunion des Parlementaires de l’O.T.A.N. qui se tient en ce moment à Paris, l’unanimité est faite contre la force de frappe nationale et tout ce qui peut soustraire une partie des moyens de défense de l’Europe, déjà fort insuffisants, à une intégration complète, seule garant de leur efficacité. Le général Norstad a de nouveau préconisé une Alliance Atlantique disposant en commun d’engins atomiques sous un contrôle collectif.
Pour ce qui est de l’intégration économique, les mêmes divergences sont de plus en plus sensibles entre la France et ses partenaires. MacMillan est à Rome, après avoir été à Bonn. Dans les deux capitales, on souhaite d’en finir avec la division entre Marché Commun et zone de libre-échange, les Anglais cherchent à tourner la position intransigeante de la France pour arriver à une pression irrésistible. Il ne semble pas que jusqu’ici les positions aient varié. « Perseverare diabolicum », dit le proverbe.
CRITON