Criton – 1960-12-03 – Pronostics Hasardeux

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Le Courrier d’Aix – 1960-12-03 – La Vie Internationale.

 

Pronostics Hasardeux

 

La semaine comporte nombre d’événements intéressants et d’abord au Congo Belge.

 

Au Congo Belge

Après tant d’incidents et de vicissitudes, la raison semble l’avoir emporté. Sans doute la prudence s’impose et le camp communiste et panafricain n’a pas désarmé, mais il devient moins probable que ce soit Krouchtchev qui rira le dernier. En effet, le président Kasavubu a été reconnu à l’O.N.U. comme le représentant de son pays et il est retourné à Léopoldville accueilli en triomphateur. Il a de plus rencontré à Brazzaville, chez son cousin Fulbert Youlou, le président Tshombe du Katanga et Kalonji. Une table ronde des divers chefs congolais s’ouvrira bientôt à Léopoldville et si de nouvelles discordes ne surgissent, un Etat fédéral congolais pourrait s’établir.

C’est la formule de bon sens que nous avions prévue dès le début du conflit, mais il s’en est fallu de peu qu’elle échouât et il n’est pas assuré encore qu’elle triomphe : les rivalités de personnes et les antagonismes tribaux représentent assez d’obstacles pour que les adversaires de l’extérieur reviennent à la charge.

 

Les Rêves de Nkrumah

C’est ce que prépare déjà Nkrumah, le leader Ghanéen dont l’Ambassadeur à Léopoldville n’a pu échapper qu’à grand peine à la menace des soldats de Mobutu. Il entend venger cet affront. Il propose la formation d’une armée africaine qui serait, selon les cas, dépendante ou non de l’O.N.U. et qui ne comporterait que des soldats du clan Lumumbiste, savoir l’Egypte, le Maroc, la Guinée, le Mali et le Ghana auxquels on associerait d’autres africains non engagés comme l’Éthiopie et la Libéria, à l’exclusion des pays d’expression française. Inutile de dire que l’U.R.S.S. lui fournirait généreusement les armes.

La constitution de cette force n’est pas pour demain, mais déjà Nkrumah propose au Mali une fédération avec le Ghana que la Guinée avait repoussée. On peut craindre, pour un jour plus ou moins proche, une guerre en Afrique noire. La Guinée reçoit des équipements militaires de la Russie et des Satellites. L’avenir du continent est loin d’être assuré. Trop d’ambitions s’y agitent. Le meilleur espoir est qu’elles se neutralisent.

 

La Crise Tuniso-Marocaine

C’est ce que nous voyons au Maghreb. La crise a éclaté entre Tunisie et Maroc, au sujet de la Mauritanie. Rabat a été pris de fureur en voyant Bourguiba donner son appui à Moktar Ould Daddah. Les prétentions marocaines déçues, le prince Moulay Hassan s’en est pris à la France. Nos bases aériennes ont été saisies, nos troupes expulsées et on a envoyé une mission à Moscou pour recevoir des Mig 15 offerts par l’U.R.S.S. avec le personnel et les techniciens, comme d’usage. L’armée marocaine équipée à grand frais par la France et les Etats-Unis, va recevoir des instructeurs soviétiques. Ce ne sont peut-être que des fantaisies de l’indépendance. Elles sont inquiétantes à cause de la violence et de l’émotivité de la race.

 

Bourguiba et l’Algérie

Ces incidences sont à rapprocher des déclarations de Bourguiba qui ont fait grand bruit au sujet de l’Algérie. La future République algérienne, encore dans les limbes, est déjà l’objet de compétitions. Bourguiba croit, ou feint de croire, à une intervention chinoise. Des bruits en effet circulent d’un envoi de « volontaires » chinois en Tunisie avec l’équipement lourd destiné à faire sauter la ligne Morice. Cela en conformité avec des promesses faites à Ferrat Abbas par les dirigeants de Pékin. On voit mal cependant comment ce matériel pourrait être mis en place. De la part de Bourguiba on ne sait s’il s’agit de craintes ou de chantage. Toutefois, il ne verrait pas de bon gré son pays transformé en place d’armes, où en fait Chinois et F.L.N. seraient militairement les maîtres. Nasser et Mohamed V aidant, Bourguiba pourrait être remplacé par son rival Salah ben Youssef qui attend son heure au Caire. Il a donc tout intérêt à un règlement du problème algérien selon les directives du Général de Gaulle. Mais est-il en mesure de faire pression sur le F.L.N. ?

 

La Solution du Problème Algérien

Au sujet du problème algérien, nous relevons un article assez intéressant d’Egisto Corradi dans le « Corriere de Milan », qui concorde d’assez près avec les opinions d’autres correspondants étrangers. On se souvient que le 16 septembre, le Général de Gaulle avait fait allusion à« des regroupements de population sur certaines parties du territoire » en cas de refus des Algériens de s’associer à la France.

Voici ce que croit savoir Corradi – auquel nous laissons toute la responsabilité de ses propos – :

L’autodétermination serait précédée (après le prochain référendum) d’une trêve unilatérale des troupes françaises, puis d’une nouvelle subdivision du territoire algérien, qui comprendrait vingt-deux provinces au lieu de douze actuellement. Grâce à ce découpage, on isolerait celles où la majorité est d’origine française et celles où cet élément est fortement représenté, de celles où les Musulmans dominent largement.

Dans le cas probable où la République algérienne, dans son ensemble, refuserait de s’associer à la France, on procèderait à la partition : les provinces d’Alger et sans doute d’Oran, qui auraient 200 kilomètres de large sur 80 de profondeur, seraient proclamées territoire français et n’y résideraient que les Musulmans qui voudraient devenir ou demeurer citoyens français à part entière. On procèderait en conséquence à un échange de populations, les Français des autres provinces venant remplacer dans ces deux réduits les populations musulmanes qui auraient choisi l’indépendance.

Ce ne sont là que conjectures ; elles semblent toutefois dans la ligne des intentions plus ou moins explicites que l’on peut tirer de l’exégèse des récents discours. Elle reflète également les prévisions des observateurs étrangers. On se souvient que la solution du partage (solution dite Palestinienne) avait été proposée dès 1956 par certains politiciens mendéssistes et qu’elle nous était apparue à l’époque comme étant dans la ligne vraisemblable de l’évolution du conflit. Nous sommes restés de cet avis depuis, sans nous dissimuler les difficultés immenses que suscite cette « solution », toute autre d’ailleurs en comporte autant. Après ce qui a été dit et fait, il se pourrait bien qu’il n’y en ait plus d’autre.

 

La Mission Anderson-Dillon en Europe

Les deux Ambassadeurs du président Eisenhower en mission en Europe, Anderson et Dillon, n’ont pas rencontré beaucoup d’empressement à Bonn, où ils étaient allés solliciter de la part du Gouvernement Adenauer, un concours actif au soutien du Dollar. En demandant une forte contribution allemande aux frais d’entretien des troupes américaines, ils ont heurté le sentiment allemand auquel cette proposition rappelait le statut d’occupation. A Paris et à Londres, il n’était pas question de requérir un soutien financier. Les Anglais dont la balance commerciale a enregistré le mois dernier le plus fort déficit, sont dans une situation encore plus difficile que les Etats-Unis. On reparlera de tout cela quand le président Kennedy sera en place. D’ici là, on laissera au public le temps de s’habituer aux mesures plus radicales que l’on prépare en laissant le marché de l’or flotter entre deux eaux.

Comme nous l’avons vu, on est en présence d’un faux problème, à savoir le maintien d’une parité fictive et intenable. Les préjugés en ce domaine sont si forts que la politique est obligée de gagner du temps. Ah, comme disait hier M. Spaak, si c’était en U.R.S.S. ! Le Rouble ferait un petit mouvement d’accordéon, comme il vient justement de le faire et l’on parlerait d’une victoire du socialisme. Pourquoi après tout, n’en ferait-on pas autant.

 

                                                                                            CRITON