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Le Courrier d’Aix – 1960-12-10 – La Vie Internationale.
Le Spirituel et le Temporel
Saluons d’abord un événement historique. La rencontre du Souverain Pontife et de l’Archevêque de Canterbury, primat de l’Eglise anglicane, dont on s’accorde à reconnaître qu’elle marque une date dans l’histoire de la Chrétienté. Ce contact tant attendu est le premier depuis la Réforme.
L’Audience du Vatican
Comme les illustres interlocuteurs l’ont laissé entendre, il ne s’agit pas de la recherche en commun d’un compromis d’ordre dogmatique, mais de l’affirmation de la solidarité du Monde chrétien en face de la menace grandissante de l’athéisme bolchévik, d’un rassemblement et d’une coopération fraternelle des spiritualités. Point n’est besoin d’exemple pour montrer que malgré de louables efforts, cette collaboration a souvent manqué, particulièrement dans les missions auprès des peuples de couleur. La rivalité des confessions ont nui au prestige de la doctrine chrétienne et comme l’a souligné le Dr Fisher, c’est à l’échelon inférieur, bien plus qu’au supérieur, que cette fraternité chrétienne a besoin de s’établir. L’élection d’un catholique à la Présidence des Etats-Unis, pour lequel beaucoup de protestants ont voté, montre que les antagonismes confessionnels se sont atténués dans le pays où ils étaient le plus aigu, malgré la tolérance de principe affectée par tous. Le Dr Fisher avait, avant de se rendre à Rome, rendu visite en Orient à plusieurs hauts dignitaires de l’Eglise orthodoxe qui ont paru de leur côté très favorables à ces manifestations de solidarité chrétienne.
L’Action Religieuse des Soviets
Les Soviets ne s’y sont pas trompés et ont dépêché leur patriarche Alexis, serviteur zélé comme au temps des tsars de l’impérialisme Russe, auprès des évêques de Syrie et d’Egypte qui, pour des raisons politiques évidentes, ne pouvaient le recevoir froidement. Au surplus, les Russes paraissent soucieux de ne pas garder à la tête de l’Église moscovite, des hommes trop marqués par leur obédience au pouvoir. Le patriarche Nicolas de Moscou, persécuteur des catholiques Uniates, vient d’être mis à la retraite. Pour remplir un rôle diplomatique utile, Krouchtchev entend ne se servir que de Prélats conservant un semblant d’indépendance. C’est le cas du patriarche Alexis qui jouit de certaines sympathies au Moyen-Orient où il s’est entremis à plusieurs reprises pour soutenir ses coreligionnaires en face du Monde musulman.
L’Union Chrétienne et le Conseil Œcuménique
L’heure est venue pour les Chrétiens d’Occident de s’unir, et la préparation du Conseil œcuménique comporte de nombreuses prises de contact entre les autorités des diverses confessions. Si cette grande réunion a été décidée, c’est qu’on était sûr que des décisions d’une portée universelle y seraient consacrées. L’entrevue d’hier en marque une étape.
Les Échecs Soviétiques dans la Conquête de l’Espace
Dans les domaines scientifiques et idéologiques, les affaires de Moscou ne vont pas bien ; c’est une coïncidence curieuse, mais qui n’est pas rare dans l’histoire, qu’une crise dans la vie d’un mouvement ou d’un homme se manifeste par des déconvenues successives ou simultanées, de nature diverse. Un malheur, dit-on, n’arrive jamais seul. Le troisième vaisseau de l’espace russe a brûlé dans l’atmosphère après avoir été placé sur une orbite différente sans doute, des calculs prévus. Mais on sait maintenant que cet échec avait été précédé d’un autre bien plus grave : le jour de l’ouverture de la session de l’O.N.U., alors que Krouchtchev pensait annoncer un coup d’éclat, une terrible explosion détruisit au sol les installations et la fusée qui devait emporter un homme ; deux autres tentatives, l’une en Sibérie, et l’autre dans le grand Nord, commandées aussitôt après cet échec ont à leur tour échoué, faute de préparation suffisante : huit savants allemands et plusieurs soviétiques, dont deux spécialistes militaires, ont été arrêtés et peut-être exécutés pour sabotage.
Le Conclave Communiste
Enfin, le grand Conclave des 81 partis communistes s’est terminé à Moscou. Il a duré trois semaines et l’on sait peu de choses de ce qui s’y est dit, sinon que les débats ont été animés et les controverses très âpres. Naturellement, tout cela est dissimulé dans le communiqué final. Il ne faut à aucun prix que les dissensions du Parti soient connues du monde. Il est cependant facile en écoutant les radios des divers mouvements de reconstituer les thèmes opposés.
Comme nous l’avons répété ici depuis le début de la querelle, l’aspect idéologique n’est que le masque d’un conflit beaucoup plus simple : les Chinois et leurs alliés, savoir : l’Albanie et dans une certaine mesure la D.D.R. d’Ulbricht en Europe ; la Corée du Nord et les partisans Vietnamiens du Sud en Asie, et surtout la plupart des partis communistes d’Amérique Latine, voudraient que l’U.R.S.S. passe à l’action militaire pour accélérer la révolution universelle. Les Chinois et leurs alliés n’ont rien à perdre dans l’aventure. Les Russes, au contraire, savent fort bien, ou qu’ils seraient écrasés ou que, même s’ils survivaient, ils seraient assez affaiblis pour que l’Empire éclate et que les Chinois en recueillent l’héritage.
Finalement le thème de a coexistence pacifique l’a emporté à Moscou parce que Krouchtchev l’a imposé. Mais il a suscité de vives colères et à plus ou moins longue échéance, la suprématie soviétique sur le Monde communiste, sera en question, surtout si Moscou ne peut empêcher la Chine de devenir puissance atomique. On dit même qu’en prévision de cet événement, les Soviets ont installé en Sibérie des bases de missiles dirigées contre la Chine.
Le Passage du Socialisme au Communisme
Dans la controverse, le thème le plus répété est celui-ci : il n’est pas possible d’accélérer les étapes et d’aller sans transition du socialisme au communisme. L’avènement du communisme suppose une économie développée et une production de biens de consommation surabondante pour satisfaire tous les besoins, ce qui implique une industrialisation très évoluée et très complète. Ce sont évidemment les Chinois qui sont visés là.
Le Maroc et Moscou
Sur le plan politico-diplomatique, par contre, Moscou pose ses pions. Après avoir félicité M. Moktar Ould Daddah pour l’accession de la Mauritanie à l’indépendance « délivrée du joug colonialiste » et souhaitant que cette « indépendance devienne de plus en plus complète à l’avenir », Krouchtchev, le lendemain, mettait son veto à l’entrée de la Mauritanie à l’O.N.U., donnant ainsi à Rabat un précieux appui. Cette contradiction n’a rien pour surprendre, Krouchtchev a une conception de l’indépendance des peuples dont les Soviets ont donné assez d’exemples, des pays baltes et de la Hongrie, au Turkestan. Quand la Mauritanie sera « autonome » au sein de l’empire chérifien, son indépendance sera vraiment complète à la manière russe. On ne saurait en plaisanter.
Le Monde africain tout entier est menacé d’ébranlements graves. Les responsabilités sont multiples. Il serait cruel de les énumérer. Mais si le Maroc, après la Guinée et le Mali, passait réellement dans l’autre camp, la solution du problème algérien n’en serait pas facilitée.
CRITON