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Le Courrier d’Aix – 1961-01-14 – La Vie Internationale.
Grèves et Bulletins de Vote
Une semaine chargée : le plébiscite en France, les troubles sociaux en Belgique, la rupture diplomatique des U.S.A. avec Cuba, la Conférence africaine de Casablanca, l’anarchie congolaise, le voyage d’Hammarskoeld en Union Sud-Africaine, de quoi remplir plusieurs chroniques.
Le Plébiscite Français
Le succès du Général de Gaulle au plébiscite du 8 janvier a été accueilli avec satisfaction à l’étranger où l’on était jusqu’ici septique sur son issue. On craignait, au cas d’un résultat douteux, une période de troubles analogues à ceux qui secouent la Belgique ; on loue le peuple français d’avoir, sans enthousiasme et peut-être sans conviction, souscrit à la survie de la V° République ; on estime surtout que mandat est donné au Président de liquider le problème algérien. Les Français, dit-on, se sont résignés à la perte de l’Algérie et nul ne peut mieux sauver ce qui peut l’être encore, au point où on a amené les choses, que celui qui s’est donné mission de le faire ; égoïstement, les étrangers pensent que le plus tôt sera le mieux, car la prolongation de la guerre d’Algérie peut les mettre en cause, et la paix avec. Pour Londres et Washington, un règlement rapide les tirerait d’un perpétuel embarras dans leurs relations avec les pays ex-coloniaux.
Les Grèves de Belgique
Les grèves en Belgique ont frappé l’imagination des observateurs parce que l’on n’attendait pas d’un pays aussi prospère qui a, d’après la Suisse et la Suède, le plus haut niveau de vie d’Europe, un soulèvement aussi brutal et quasi révolutionnaire, à propos d’une loi dite d’austérité qui, en y regardant de près, n’était pas de nature à modifier sensiblement le train d’existence des travailleurs et qui, au surplus, aurait pu être amendée par les voies parlementaires.
A mesure que les grèves se déroulent, on voit mieux qu’il s’agit d’un accès de psychose collective plutôt que d’un mouvement de revendication. Le peuple belge s’est senti humilié par la catastrophe du Congo, et surtout par la réprobation et les attaques qui de tous côtés, avec une injustice flagrante, sont venues salir et calomnier leur œuvre de civilisation au Congo dont ils étaient justement fiers. D’où une explosion de colère impuissante qui a éclaté, contre n’importe quoi, contre le Gouvernement d’abord qui n’avait pas suffisamment défendu l’honneur national, colère sans objet, comme en sont pris parfois les individus devant des malheurs immérités. Et comme toujours en pareil cas, ce sont de vieilles querelles, des rancunes en sommeil qui servent de prétexte aux brutalités : la rivalité des deux groupes ethniques Wallons et Flamands, l’anticléricalisme tenace en pays minier, les souvenirs amers de la dispute monarchique lors de l’abdication de Léopold III, les conséquences mal acceptées de la crise charbonnière, toute cette vase s’est levée des profondeurs de l’âme d’un peuple violent et vindicatif, en dépit de son goût de l’ordre et du travail. Comme toujours aussi, en pareil cas, les agitateurs professionnels ont jeté l’huile sur le feu. L’apaisement sera lent et difficile d’autant que de part et d’autre l’obstination est un défaut national. Il est probable cependant que le jour où l’on aura mesuré l’ampleur des dégâts et l’absurdité de la révolte, la sagesse et le calme revenus, ce sont les agitateurs qui feront les frais de l’aventure. Ils le sentent déjà et le parti socialiste est divisé sur la poursuite du mouvement. Comme il a été dans l’affaire congolaise le partisan de l’abandon, il se pourrait que la prochaine consultation électorale lui fasse perdre sensiblement de son crédit. Cela dépend des qualités d’homme d’Etat du premier Eyskens et de l’arbitrage du Roi qui reste assez populaire.
La Rupture des U.S.A. avec Cuba
L’administration Eisenhower, à quelques jours de l’expiration de son mandat, n’a pas hésité à rompre avec Fidel Castro. Il est probable, bien qu’officiellement rien n’en a été dit, que Kennedy a donné son accord. Le prétexte était suffisant : Castro avait enjoint Washington de réduire à onze personnes le personnel de l’Ambassade et avait invité le Conseil de Sécurité à discuter sa plainte contre les prétendus préparatifs d’invasion de l’île par les forces des Etats-Unis. L’accusation était si absurde que Zorine lui-même ne l’a que mollement soutenue. On perçoit d’ailleurs un certain embarras tant du côté communiste que des partisans de Castro.
Les extravagances du Chef ont été un peu loin. La situation économique et financière est tellement catastrophique, que le farouche Guevara, devenu grand argentier, s’en inquiète. Il est allé quérir du secours auprès de ses amis de Moscou et de Pékin, mais les promesses qui lui ont été faites ne l’ont pas rassuré. La charge des six millions de Cubains réduits à la misère est plutôt lourde pour l’Est, et les Soviets ont conseillé une entente avec la prochaine administration Kennedy. Il est douteux que ce dernier se montre plus conciliant qu’Eisenhower, si l’on s’en réfère à ses déclarations de candidat ; l’opinion des Etats-Unis est irritée et inquiète des provocations de Castro. De plus, le mouvement fidéliste perd de son crédit en Amérique latine ; plusieurs pays ont déjà rompu les relations diplomatiques avec Cuba, dont le Paraguay et le Pérou. Un pays aussi perméable à l’influence communiste que la Bolivie, parle d’en faire autant ; de même, la Colombie et le Venezuela. Les excès du Castrisme ont provoqué ce revirement et l’on pourrait en venir à mettre Cuba en quarantaine. La doctrine de Monroë, c’est-à-dire la non-ingérence de pays non américains, dans les affaires du continent demeure vive dans l’esprit de tous les peuples de l’hémisphère occidental, Canada excepté.
La Conférence de Casablanca
A Casablanca se sont réunis, sous l’égide de Mohammed V, Nasser, Sékou Touré, NKrumah, Modibo Keita, Ferhat Abbas et d’autres comparses. L’accord de rigueur a été laborieux comme on s’y attendait. Nasser se veut le leader de l’Afrique noire aussi bien qu’Arabe. Déçu par ses échecs de domination en Asie, il cherche une revanche en Afrique. Mais l’entente est difficile entre deux ambitieux et NKrumah veut demeurer le leader de l’Afrique noire ; on s’est entendu sans trop de peine sur le Congo pour soutenir Lumumba, mais NKrumah s’est opposé à une sécession des troupes de cette nouvelle alliance d’avec les forces de l’O.N.U. Il n’a pas voulu que son propre contingent appuie militairement le gouvernement de Gizenka à Stanleyville. La constitution future d’un commandement unique des troupes africaines reste platonique.
En outre, malgré les efforts de Ferhat Abbas, on n’a pas conclu à une rupture diplomatique avec la France. On ne s’est vraiment accordé que pour faire silence autour de Bourguiba, mais en secret il est probable que Nasser n’a pas caché son intention de le liquider en temps opportun. Bourguiba se sait menacé. Si Ferhat Abas et le F.L.N. reçoivent les armes modernes que les usines tchécoslovaques Skoda forgent à son intention, la rébellion algérienne sera assez forte en Tunisie pour renverser Bourguiba. D’où le désir de celui-ci de voir réglé le conflit algérien ; il est peut-être trop tard pour qu’il puisse s’opposer au renforcement du F.L.N., mais il est assez retors pour mettre ses hôtes algériens en difficulté.
C’est là une chance qui est loin d’être négligeable. Il faut espérer qu’on la saisira. Les dissensions entre les chefs du Maghreb ont toujours été dans l’histoire, le moyen pour les puissances étrangères de s’y maintenir.
“H ” en Afrique du Sud
Hammarskoeld, malgré les difficultés sans nombre et les chausse-trappe de ses ennemis, a repris sa tournée. A Léopoldville d’abord, où l’on ne sait rien de ses démarches, ensuite à Prétoria ce qui, en un sens, est plus délicat encore. Car on attend son rapport sur l’apartheid et le mandat sud-africain sur l’Ouest africain ex-allemand, pour renouveler l’assaut sur la politique de l’O.N.U. en Afrique. Il faut admirer le courage et le sang-froid de cet homme dans une pareille tourmente. Aucune tâche n’apparaît aujourd’hui plus périlleuse que la sienne.
CRITON