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Le Courrier d’Aix – 1960-12-31 – La Vie Internationale.
Bilan 1960
L’année 1960 qui s’achève peut être appelée négative. Elle a apporté au Monde libre plus de déceptions que de satisfactions. La France, en particulier, en a supporté largement sa part, mais elle n’est pas la seule. Les Etats-Unis, la Belgique, l’Angleterre ont eu à affronter des difficultés majeures.
Les Épreuves de 1960
Les épreuves de 1960 s’appellent, pour la France l’Algérie d’abord, la Guinée et le Soudan passés à l’ennemi, le Maroc en voie de le faire ; pour la Belgique, le Congo est aujourd’hui la crise sociale qui en est la conséquence directe. Pour les Etats-Unis, Cuba, cet adversaire dangereux à leur porte, la crise de la balance des paiements et du Dollar, la récession économique dont la fin n’est pas en vue. Pour l’Angleterre, l’aggravation profonde du déficit de la balance des comptes, beaucoup plus inquiétant que celui des Etats-Unis, car il n’a pas pour contre-partie une richesse inépuisable et un potentiel illimité de production. Il y a aussi le sérieux problème de l’Afrique centrale et australe, d’où l’Angleterre tire une part importante de ses approvisionnements et de ses revenus et que ronge l’agitation noire. Seule l’Allemagne continue sur sa lancée de prospérité, mais il y a Berlin qui sera le problème majeur de 1961.
Les Contreparties
A première vue, le tableau est assez sombre. Il y a cependant en contre-partie, des tâches claires.
Chez nous, le développement industriel, la stabilité financière heureusement à l’abri des initiatives du pouvoir et une expansion raisonnable des ressources, ce qui rend plus supportable d’autres déboires. Car si une crise économique s’ajoutait au reste, le moral de la nation n’y résisterait.
Aux Etats-Unis, une confiance mieux assurée dans la paix, grâce au redressement de l’équilibre militaire. La paix maintenue par la puissance atomique des sous-marins et des fusées Polaris, l’égalité retrouvée dans la course à la conquête de l’espace et d’une façon générale un robuste optimisme qui n’a pas été entamé et qui se porte avec confiance vers la nouvelle administration Kennedy.
Enfin, et peut-être surtout, l’apparition au sein du Bloc communiste, de fissures évidentes qui ne peuvent que s’élargir, la domination de l’U.R.S.S. étant de plus en plus mal supportée par les nationalismes toujours vivants, encouragés par ses progrès dans le reste du monde, attisés avec quelque imprudence par les Soviets eux-mêmes. L’indépendance acquise à grande allure par un grand nombre de peuples, ne peut être sans répercussion sur ceux qui demeurent asservis à l’impérialisme russe et chinois.
Les Perspectives
Cette énumération faite, on voit combien un pronostic pour 1961 est difficile. Beaucoup de points faibles, sans doute, mais il en est de part et d’autre. Une année difficile certainement, mais rien qui justifie un pessimisme radical. La part de l’imprévisible apparaît plus large que d’ordinaire.
La Réunion des Ministres du Marché Commun
La réunion à Bruxelles des Ministres du Marché Commun était attendue avec intérêt et même quelque inquiétude. L’Institution pourrait-elle surmonter les divergences entre ses partenaires ? A vrai dire, les problèmes débattus n’ont trouvé aucune solution, mais l’échec a été adroitement masqué si bien qu’à lire les comptes rendus de la presse spécialisée, on se trouve en présence d’appréciations absolument contraires. On s’est mis d’accord pour ne pas ajourner l’accélération du Marché Commun, et pour les produits industriels, les droits de douane seront abaissés entre les membres de 10%, pour certains produits agricoles de 5%. Geste plus spectaculaire qu’effectif, nous l’avons chiffré dans un précédent article. En outre, les contingentements des produits industriels seront supprimés avant le 31 décembre 1961, ce qui est plus sérieux. A remarquer toutefois que les Etats se réservent le droit de recourir à des « mesures de sauvegarde », nouveau nom de baptême des contingentements, tout comme les droits de douane, se nomment aujourd’hui « prélèvements ». Enfin, une première étape est décidée vers l’établissement d’un tarif extérieur commun qui serait en fait la naissance d’un marché commun authentique. Mais le tarif extérieur, tel qu’il semble résulter des délibérations d’hier, ne constitue qu’un pas insignifiant en pratique. De tout ce complexe, il ne faut retenir que l’abolition des contingentements qui, s’il est effectif fin 1961, ouvrirait dans une mesure appréciable les frontières. Ce n’est pas encore certain. En vérité, le Marché Commun, comme toutes les institutions internationales, à commencer par la C.E.C.A. est une administration qui entretient beaucoup de monde et tourne à peu près à vide. Mais sous le couvert de l’institution, des intérêts privés beaucoup plus efficaces se concertent et se groupent, ce qui faisait écrire à un journaliste compétent : le Marché Commun n’est nullement comme ses promoteurs l’entendaient, un stimulant à la concurrence pour élever la production et la productivité et diminuer les prix, mais bien au contraire un corporatisme systématique et l’arrangement des affaires en famille. Ce qui n’est pas, à notre avis, péjoratif car l’initiative privée en travaillant à son avantage sert le bien commun mieux qu’une administration et même si la concurrence, au sens classique et meurtrier du terme ne joue pas, l’émulation entre producteurs suffira à offrir au consommateur plus de produits et surtout meilleurs et même un peu moins chers. Nous le verrons à l’usage dès 1961.
La Tournée du Patriarche Alexis
Un des aspects les plus caractéristiques de la politique du communisme russe et sans doute le plus odieux, est l’utilisation à ses fins de la religion orthodoxe. Nous avons dit ici l’inquiétude ressentie par Moscou à la suite du voyage du Dr Fischer primat de l’Église anglicane, à Jérusalem où il eut des contacts avec les dignitaires des Eglises catholiques et orthodoxes d’Orient, suivis de sa visite au Saint-Père à Rome.
Comme au temps des Tsars, protecteurs de l’Église orthodoxe, Moscou a envoyé en tournée le Patriarche Alexis. Celui-ci a rencontré au Caire le patriarche Christophoros de l’Église grecque orthodoxe et à Alexandrie le Patriarche Cyrille, de l’Église Copte, qui groupe en Egypte et en Ethiopie plus de huit millions de fidèles. Comme à Damas, à Beyrouth et à Jérusalem où il était allé précédemment, le Patriarche Alexis a tenté, sans grand succès semble-t-il, de détourner ces sectes d’un rapprochement avec Rome, et pour appuyer son influence a promis ou donné de fortes sommes fournies par l’U.R.S.S. elle-même. Mais le voyage ne s’est pas achevé là, Alexis est allé au cœur même de l’orthodoxie, voir le patriarche Athënagoras à Istanbul, chef suprême de l’Église et enfin à Athènes, auprès du patriarche des Hellènes. Partout, il a affirmé que l’Église russe était libre et a même proposé la réunion d’un Concile œcuménique orthodoxe à Moscou pour faire pièce au Concile œcuménique préparé par Rome. On voit par là quelle importance Moscou accorde au rapprochement des Églises Chrétiennes et les sacrifices qu’on y est prêt à faire pour empêcher la formation d’un Bloc chrétien anti-communiste.
La Persécution Religieuse en U.R.S.S.
Mais dans le même temps, la persécution religieuse en Russie et la propagande pour l’Athéisme redoublent. Parmi les faits récents, on cite : l’interdiction d’entrer au séminaire avant l’accomplissement du service militaire et le lavage de cerveau qui l’accompagne, la fermeture du séminaire de Kiev, de plusieurs églises et couvents d’Ukraine. Par ailleurs, les calomnies et les poursuites judiciaires continuent contre les évêques accusés de malversations, de trafics de devises, d’ivrognerie, de concussion, que sais-je encore et la diffamation publique des ministres du culte et de ceux qui pratiquent la religion sous leur guide. Tout cela, les patriarches des Églises d’Orient ne l’ignorent pas et le patriarche Alexis aura eu l’accueil réservé que mérite sa sinistre mission.
CRITON