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Le Courrier d’Aix – 1961-03-25 – La Vie Internationale.
Un Écheveau Embrouillé
Nous avions déjà les pourparlers et les intrigues autour du Laos et du Congo. Nous allons voir s’ouvrir le grand débat sur l’Algérie. A Genève, reprise de la 275° séance du colloque à Trois sur la suspension des expériences nucléaires. On annonce pour Août au plus tard, une nouvelle conférence du désarmement. Nous sommes comblés. Prions Dieu de nous prêter vie jusqu’à leur conclusion.
Au Congo
A noter toutefois, pour ce qui est du Congo que le clan de Casablanca favorable à Gizenka perd du terrain. L’arbitrage du conflit passe à Nehru qui est allé au Caire convaincre Nasser de l’intérêt de son plan qu’il a présenté à Londres à la Conférence du Commonwealth et qui a reçu l’approbation de MacMillan. Ce projet, dans la mesure où on en connaît la teneur, s’appuierait sur les résolutions de Tananarive, c’est-à-dire la formation d’une fédération congolaise, par conséquent contraire à l’unification soutenue par Gizenka et ses partisans. L’armée congolaise serait réorganisée et les deux factions Mobutu, Lundula seraient fondues. Les conversations entre les deux généraux auraient préparé les voies.
Ce qui ressort en clair, c’est l’échec de la politique congolaise des Soviets, qu’on peut tenir pour acquis maintenant, sauf complications ultérieures. Il semble que ce soit le fait de NKrumah reçu avec les plus grands honneurs par Kennedy, qui s’est laissé convaincre d’adhérer au compromis préparé par Hammarskoeld. La suite au prochain numéro.
La Rivalité Russo-Chinoise
En dépit de l’opiniâtreté des spécialistes qui nient la rivalité russo-chinoise, chaque jour nous en apporte les preuves.
L’Albanie
Nous avons vu que l’Albanie, seule des Républiques dites populaires d’Occident, faisait cause commune avec Pékin. Il y eut à Tirana un Congrès du Parti où les thèses chinoises ont été affirmées par Hodja, son président ; le représentant des Soviets y figurait en accusé. On se demandait si l’U.R.S.S. allait encaisser l’affront. Nous apprenons que la réaction, qui a été lente, commence : le chef de district de Durazno où se trouve la base navale russe a été destitué et une circulaire adressée aux Comités des Partis frères d’Europe condamne l’action et les thèses du parti communiste albanais. On s’attend à une purge. On verra.
Gromyko et l’Algérie
Ce qui est curieux aussi, c’est la déclaration de Gromyko sur l’Algérie. L’U.R.S.S. préconise une solution du problème algérien négociée avec la France, à condition bien entendu que toutes les revendications du F.L.N. soient satisfaites, et cela, a-t-il dit, pour éviter que les Etats-Unis n’installent des bases en Algérie. Ce qui surprend, car les U.S.A. évacuent celles du Maroc, et vont le faire en Arabie Séoudite à Dharan et peu à peu ailleurs. Les bases militaires périphériques n’ont plus autant d’intérêt dans la stratégie actuelle avec les fusées intercontinentales et les sous-marins Polaris. En tout cas, Gromyko sait fort bien que dans l’état actuel des relations franco-américaines, une pénétration des U.S.A. au Maghreb est hors de question. Par contre, les Chinois étaient prêts à envoyer leurs volontaires en Tunisie et entraînaient les fellagas en Albanie. Bourguiba était hostile, et Krouchtchev l’appuie. La faction belliqueuse du F.L.N. a dû s’incliner.
La Chine et l’O.N.U.
Il y a plus : on parle beaucoup de l’admission de la Chine communiste à l’O.N.U. bruyamment réclamée par les Russes quand elle était impossible. Depuis, MacMillan et le Commonwealth la préconise et bien entendu tous les neutralistes. Or, après l’entretien prolongé Gromyko-Dean Rusk à New-York, les Etats Unis ont fait savoir qu’ils y étaient toujours opposés, ce qui a paru d’autant plus surprenant que le même Dean Rusk avait ainsi que Stevenson, fait entendre que la question de l’admission de la Chine se poserait prochainement. Ne serait-ce pas parce qu’aujourd’hui les Soviets n’y tiennent guère ?
L’Évolution de la Politique Chinoise
Autre chose : la politique de Pékin évolue, comme nous l’avions déjà indiqué ici, non plus vers l’Occident mais vers l’Orient. Le Japon en particulier, avec lequel des échanges dits culturels ont été intensifiés. Des délégations de Pékin sont venues à Tokyo. Tandis que la participation chinoise aux expositions des pays communistes européens et en U.R.S.S. même, diminue, l’effort de propagande se porte sur Cuba et l’Amérique latine et surtout la Birmanie, le Népal et l’Indonésie avec laquelle Pékin cherche à se réconcilier. Il n’est pas douteux que se dessine un mouvement communiste de couleur, en rivalité sinon en opposition avec le communiste blanc que représentent l’U.R.S.S. et ses satellites.
Partout, et en particulier à Cuba, en Guinée, au Mali, les Chinois gagnent du terrain et s’efforcent de convaincre les autres peuples de couleur que la révolution chinoise est le modèle à suivre et que la Russe n’est qu’un impérialisme déguisé. Il n’est pas douteux qu’ils y réussissent, non pas à convaincre les pays en question de suivre l’exemple des Chinois, qui sur le plan économique n’est guère encourageant, mais à discréditer les intentions et les moyens des Soviets ; qu’on le veuille ou non, la rivalité russo-chinoise s’étend sur la totalité du monde non engagé où il y a des hommes de couleur, ce qui aura sur l’ensemble de la politique internationale des conséquences dont nous percevons à peine les premiers effets : les relations russo-américaines ne sont plus celles de l’an dernier ; une détente est fort possible, ce qui n’empêchera pas la propagande de sévir et les invectives de fuser. L’apparence ne signifie rien en Soviétie.
L’Exclusion de l’Afrique du Sud du Commonwealth
Malgré tous les efforts de MacMillan, la rupture du Commonwealth est consommée. L’Afrique du Sud, devenue républicaine, n’en fera plus partie. La plupart des membres s’en réjouissent, sauf l’Australie. En fait, il n’y aura pas grand-chose de changé dans les relations de Prétoria à Londres. Les deux pays ont trop d’intérêts communs et les Anglais souffriraient beaucoup plus que les Africains d’un relâchement de leurs liens. L’Afrique du Sud, c’est l’or, le diamant, le platine, l’uranium qui se négocient à Londres. Dans l’ordre moral, le Commonwealth étant un lien moral avant tout, la rupture d’hier est grave. Le groupe des pays de couleur qui a exclu M. Verwoerd y fait désormais la loi et l’équilibre est rompu, ce qui aura sur la politique anglaise une influence déterminante et peut-être fatale. Le Ministre Sud-africain a parlé d’une décomposition prochaine du Commonwealth. C’est aller trop vite. Ce qui est sûr, c’est que les Anglais n’en auront plus la direction. Chose étrange, celui qui a le plus contribué à la crise, c’est M. Diefenbaker, le Premier canadien, dont la politique devient inquiétante. Déjà assez mal avec Washington, il a joué à MacMillan un mauvais tour. Un certain neutralisme canadien pourrait miner l’Alliance occidentale tout entière déjà très affaiblie.
La Succession de Spaak
Car, elle aussi, connaît une crise qui ne date pas d’hier, mais prend un tour aigu avec le départ de M. Spaak son président, dont on va devoir désigner le successeur. Un candidat, le hollandais Stikker, a réuni 13 suffrages, seules la France et l’Italie, lui préfèrent l’ambassadeur à New-York, Manilo Brosio, l’Italie parce qu’il s’agit d’un des siens, la France pour écarter un hollandais en représailles contre la défection de M. Luns et son opposition aux plans De Gaulle pour l’Europe des Six. Faut-il dire qu’à Washington on prend très mal l’incident. L’isolement de la France, dans le contexte diplomatique actuel est achevé. Cela n’est pas pour déplaire à Moscou qui en tirera tout le parti possible. Cela est sans doute calculé. Nous ne répondons pas des lendemains.
CRITON